mercredi 10 avril 2019

Aki Shimazaki / L’élégance cachottière de l’escargot

Aki Shimazaki

L’élégance cachottière de l’escargot

Avec un art consommé de la suggestion, l’auteure québéco-japonaise Aki Shimazaki tisse un récit familial empreint de mystères. A sa source, le poème composé par une mère…
Jean-François Schwab
Publié dimanche 7 avril 2019 à 12:28

Modifié dimanche 7 avril 2019 à 12:32.

Aki Shimazaki, née au Japon en 1954, est l’auteure d’une œuvre originale et singulière: trois cycles romanesques composés chacun de cinq courts romans. Radioscopie épurée et pudique de la société japonaise contemporaine, sa psyché, ses règles, ses tabous, ses secrets, ses énigmes et ses mensonges. Avec parfois aussi des incursions dans des travées méconnues de l’histoire du Japon.
Chaque volume a son autonomie au sein d’un cycle choral, proposant le point de vue d’un personnage différent que l’on retrouve dans les autres livres. Au final, c’est tout à la fois un délicat puzzle perceptif qu’une œuvre cohérente et homogène, autour de grands thèmes plutôt classiques – famille, travail, amour et sexualité –, où chaque personnage cherche sa vérité, sa liberté et sa dignité.
Si les titres de ses trois pentalogies – Le poids des secrets, Au cœur du Yamato et L’ombre du chardon(dont fait partie Maïmaï et qui clôt ce dernier cycle) – sont en français original dans le texte, c’est que l’écrivaine, installée depuis 1981 au Canada et dès 1991 à Montréal, s’est mise à apprendre la langue de Molière en autodidacte puis dans une école à l’âge de 40 ans. Et depuis 1999, elle écrit et publie en français un roman tous les ans ou deux ans. Chaque titre de ses quinze livres est en revanche un mot japonais.

Non-dits

«Maïmaï, maïmaï / Où vas-tu si lourdement? / Que portes-tu dans ta maison si grande? / Un chagrin ou un fardeau, ou bien les deux? / Ah, tu ne peux qu’avancer, comme la vie! / Bon courage, maïmaï! Adieu!» C’est le poème écrit par Mitsuko et récité à son fils sourd-muet, Tarô, quand il avait 7 ans, alors qu’ils observaient un escargot (maïmaï) dans le jardin. Une quinzaine d’années plus tard, la mère meurt d’une crise cardiaque et ce poème résonne de nouveau de tout son mystère. Quel chagrin? Quel fardeau? Tarô quitte son appartement pour aller habiter avec sa grand-mère au-dessus de la librairie héritée de sa mère. Et à 24 ans, il réalise son rêve d’ouvrir un atelier-galerie d’art, transformant ainsi la librairie pour exposer ses propres toiles, dont des portraits très sexy de sa mère, qu’il vend facilement à certains hommes ayant connu Mitsuko.
Peu à peu, de nouveaux détails de son histoire familiale apparaissent. Tarô tombe sur des affaires de sa mère, dont un passeport japonais vierge alors que Mitsuko lui avait toujours raconté avoir rencontré son père en Espagne. Un père que Tarô n’a d’ailleurs jamais vu ni connu. Alors qu’il doit se marier avec Mina, Tarô la quitte subitement lorsqu’il retrouve une amie d’enfance, Hanako, qui, contrairement à Mina, a parfaitement appris le langage des signes… Mais voilà que la mère d’Hanako s’oppose à ce mariage soi-disant impossible. Pourquoi? Quels non-dits l’escargot traîne-t-il derrière lui?
Avec une économie de mots, un art du dépouillement et de la suggestion, Aki Shimazaki se glisse avec discrétion dans la tête et surtout le cœur de ses personnages. L’auteure québéco-japonaise laisse ainsi au lecteur sa part d’auscultation pour entendre battre l’intimité affective de chacun des personnages d’un roman troublant.



Roman
Aki Shimazaki
«Maïmaï»
Leméac/Actes Sud, 174 p.









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