dimanche 11 août 2024

Jean-Philippe Delhomme / Les mots du peintre

 


Jean-Philippe Delhomme, Peindre devant soi
Billboard Barneys New York, Sunset Boulevard, Los Angeles, Jean-Philippe Delhomme (1994) © DR


Jean-Philippe Delhomme,

 les mots du peintre

par Marie Étienne
29 janvier 2024


Jean-Philippe Delhomme est un peintre qui non seulement aime les mots mais, de plus, sait en user. À son avis, la chose écrite, et mieux encore la poésie, est un art qui surpasse tous les autres.

Jean-Philippe Delhomme | Peindre devant soi. Exils, 208 p., 28 €
Jean-Philippe Delhomme | Studio Poems . Perrotin, 158 p., 18 €


Aussi commente-t-il son travail pictural, dans le journal qu’il tient, les notes sous ses dessins et les livres qu’il publie. 

En couverture de son récit, il se montre pieds nus, corps musclé, presque nu, armé de son pinceau, regardant qui, ou quoi ? Ce qu’il voit devant lui.

Il peint donc sur le vif, d’après des souvenirs, le plus souvent d’après photos, cartes postales, croquis rapides.

Le surprenant, peut-être, est l’intérêt qu’il manifeste pour l’accessoire, le fugitif, auquel s’intéressait comme lui Roland Barthes, qu’il emmène avec lui quand il va au Japon pour qu’il lui serve de talisman. Lui dit : « d’antibiotique ». Car il a un humour discret et fracassant, et le désir d’être léger, de ne pas en faire trop.

Mais pour en revenir aux sujets qu’il retient, d’abord par le regard, ensuite sur le papier, ce sont les vêtements, des marques de voitures (qu’il connaissait par cœur quand il était enfant), des lumières dans la nuit, des reflets dans une flaque : le détail, l’insolite ; « la démarche sans démarche qui consiste à peindre ce qui est devant soi, elle, est éternelle ».

Ses peintures d’autoroute, de motels, de parkings, racontent Los Angeles plus fortement que des discours. « Il n’était pas question d’avoir prise sur la réalité, mais d’avoir la réalité comme sujet. » Car on sait, depuis Proust, combien une chaussure, un œillet au veston, la marque d’un chapeau, en disent long sur un individu et sur son entourage.

Ses critiques sont mordantes, toujours drôles. Ainsi, sur la psychanalyse : « Rien ne m’apparaît aussi anti-productif et à contre-courant qu’une analyse, et cela justifie en soi le bien-fondé d’en faire une : en plus de quinze ans d’analyse, mes proches n’ont remarqué aucune amélioration ni différence notable » ; sur un cours de Ginsberg, pendant lequel il avait sombré dans un sommeil profond : « Sans pouvoir faire état d’un enseignement ou d’une transformation radicale, je ne pouvais certainement pas dire qu’il ne s’était rien passé. » Ou bien sur ses voyages, au Japon par exemple : « On ne pouvait vraiment se perdre […] il suffisait d’arrêter un taxi et de prononcer le nom de l’hôtel, pour que le chauffeur […] vous y ramène comme un élastique ».

Au cours de son récit, dont les parties les plus allègres sont celles où il s’attarde (consacrées à Paris ou à Londres), il n’oublie pas de rappeler comment il voit son art : une pratique du judo. « Il faudrait pouvoir considérer chaque peinture comme un entraînement de judo, n’ayant jamais pour but d’être une œuvre achevée, mais des essais […] sans plus d’importance que les improvisations dont on a été capable ce jour-là » ; ou, à partir d’un livre, Éloge de l’ombre (Tanizaki), une niche « où il n’y a rien, si ce n’est une profondeur animée par l’ombre ».

Autant il est disert dans ses proses-souvenirs, autant il est concis, et presque énigmatique, dans les dessins-poèmes du livre délicieux joint aux expositions récemment organisées par Perrotin au Japon. Un pays que Delhomme estime énormément et qui le lui rend bien. 

Le livre, petit de taille, discret dans son propos, entremêle les poèmes, les dessins et deux langues : l’anglais et le français.

Pour Delhomme, la pratique de l’anglais, dans cet ouvrage-ci, comme dans le précédent, n’apparaît pas comme une coquetterie ou le fruit d’une mode, mais semble aller de soi parce que New York comme Tokyo, pour lui, sont des aimants, d’une énergie et d’une effervescence incomparables.

« Poem’s instructions » ouvre le volume :

Do not throw poem in fire

Do not throw poem in a river

Do not swalow poem

Do not put your head in poem

[…] 

Il est suivi du dessin d’un intérieur, puis d’un nouveau poème, à nouveau en anglais, et, page 9, d’un poème en français :

C’est au 19

Quai Saint-Michel

Que Matisse peignait

Le peintre et son modèle

Marquet Notre-Dame

Et la Seine temps de neige

Le chien de Picasso

Attend près du poêle

Rue des Grands-Augustins

Brassaï part se coucher

Tandis que rue Gît-le-Cœur

Allen Ginsberg écrit Kaddish 

Au chien de Picasso répond plus loin son chien à lui, nommé Kala, dormant au pied de l’escalier de son appartement. Les poèmes en anglais ne sont pas tous traduits :

The poet lost his inspiration

When he saw her dancing on a Zodiac

Sometimes 

Stories dry out poetry 

L’inverse est vrai aussi :

Le peintre

Et son modèle

Partagent

Un tableau

Inachevé 

Jean-Philippe Delhomme, Peindre devant soi
Peinture de Jean-Philippe Delhomme, dans « Studio Poems » © Courtesy of the artist and Perrotin

Entre-temps, entre mots, des dessins, sur la ville extérieure, sur l’abri intérieur, sur des objets – un œillet, une tulipe, dressés comme des bougies dans l’espace de la page, et offerts aux lecteurs – sur les modèles venues poser, ou sur ceux qu’il copie d’après photos ou cartes postales.

Les dessins veulent les mots et les mots, les dessins. Ils sont indissociables.

Une liberté, un ton. Une apparente désinvolture. En vérité, la modestie d’un peintre qui se voit comme un loser gaffeur, un grapheur en tout genre qui a besoin d’argent mais n’en a pas le goût, et à qui pèse l’avidité des affairistes. « C’est peut-être le peintre des cavernes qui brille le plus », lance-t-il, goguenard.

Ou encore : 

I swim in Greece

last summer

I smell the rain

in the subway

En fin de compte et en dépit des rebuffades et des échecs, au fil du temps et des rencontres, il se fait des amis et signe de nombreux contrats dans le domaine de la peinture, mais aussi de la mode, de la publicité, estimant qu’il se forme, qu’il apprend davantage en fréquentant des arts, des cultures différentes, qu’en labourant son pré carré.

EN ATTENDANT NADEAU




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