mercredi 21 mai 2014

Albert Camus / Noces




Albert Camus
Noces, le désert

On comprend rarement que ce n'est jamais par désespoir qu'un homme abandonne ce qui faisait sa vie. Les coups de tête et de désespoir mènent vers d'autres vies et marquent seulement un attachement aux leçons de la terre. Mais il peut arriver qu'à un certain degré de lucidité, un homme se sente le coeur fermé et, sans révolte tourne le dos à ce qu'il prenait jusqu'ici pour sa vie, je veux dire son agitation.

Si Rimbaud finit en Abyssinie sans avoir écrit une seule ligne, ce n'est pas par goût de l'aventure, ni renoncement d'écrivain. C'est "parce que c'est comme ça" et qu'à une certaine pointe de la conscience, on finit par admettre ce que nous nous efforçons tous de ne pas comprendre, selon notre vocation. On sent bien qu'il s'agit ici d'entreprendre la géographie d'un certain désert. Mais ce désert singulier n'est sensible qu'à ceux capables d'y vivre sans jamais tromper leur soif. C'est alors, et seulement, qu'il se peuple des eaux vives du bonheur.

Albert Camus : noces (Le désert) 1936-1937.



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