On appelait cela le « cinq à sept ». Le fantasme n’a pas changé, ce sont les moyens d’entrer en contact qui ne sont plus les mêmes. |
FIDÉLITÉ
TOUT LE MONDE
PEUT SE TROMPER
Le 27 avril 2014 | Mise à jour le 27 avril 2014
PAR EMILIE BLACHÈRE
PAR EMILIE BLACHÈRE
Grâce à Internet, sur des sites spécialisés, les rencontres d’une journée se multiplient. Une de nos journalistes a tenté l’aventure.
Yeux rougis, regard brumeux et tournis sont mes trois symptômes cliniques après plusieurs heures passées devant mon écran d’ordinateur sur un site de rencontres. Je frôle la crise d’épilepsie lorsque les fenêtres de tchat s’ouvrent avec la même célérité que des publicités « pop up ». Les hommes, plusieurs à la fois, m’abordent. Dragueurs, courtisans ou chasseurs. Avec ou sans manières. Je suis connectée depuis deux minutes seulement, mais mes prétendants m’assurent déjà, parfois avec lourdeur, que oui, ils sont séduits, « complètement » sous le charme de mon avatar. Mon secret aphrodisiaque ? Une phrase de présentation passe-partout, sommaire mais explicite, certains diront provocante : « Juste envie de profiter des plaisirs de la vie. Et de rencontres », ai-je écrit sur mon profil.
Les séducteurs sont nombreux à m’affirmer qu’ils sont « ultra-méga-trop » motivés par ma profession de foi. Ils veulent discuter, prendre un verre, dîner, aller au théâtre. Aussi réserver une chambre d’hôtel, quelques heures… Rien d’étonnant pour des individus qui cherchent l’amour sur la Toile. Reste un hic : presque tous sont mariés ou en concubinage. Second bémol : je suis aussi en couple… Je suis inscrite sur Gleeden.com, leader des sites pour rencontres extraconjugales. « En toute discrétion », rabâche-t-on. Sur la page d’accueil, en haut à gauche, un bouton « Sortie de secours » permet de s’échapper sur une page Web programmée. Malin. Gleeden, c’est « Osez, craquez, savourez », un slogan controversé, pensé par des femmes et louangé par 1,8 million de membres dans le monde, dont 800 000 Français, beaucoup classés CSP+. Vous en avez probablement entendu parler. Impossible d’avoir loupé leur campagne de pub agressive et leurs aphorismes univoques : « Tout le monde peut se tromper, surtout maintenant » ; « Etre fidèle à deux hommes, c’est être deux fois plus fidèle », « Contrairement à l’antidépresseur, l’amant ne coûte rien à la sécu »…
ÇA Y EST : JE SUIS LÉA, 31 ANS... EN UNE MINUTE, CINQ HOMMES ONT VISITÉ MA PAGE. EN UNE SEMAINE, ILS SONT 1 274
Dans le Top 10 des « bonnes résolutions à prendre sous la couette », l’équipe recommande de partager celle d’un inconnu. Logique. La « routine » est devenue un gros mot, « adultère » est banni du répertoire. On lui préfère désormais « infidélité » ou « polyamour ». Pour les besoins de cette enquête, j’ai créé un faux CV, alléchant mais surtout pas grossier. Me voici donc : « Léa, 31 ans, cadre, en couple depuis cinq ans, recherche relations éphémères, ludiques. Toute situation excitante. Juste une aventure. » En une minute, cinq hommes ont visité ma page. En une semaine, ils sont 1 274. Je discute avec plusieurs d’entre eux : questions banales – prénom, âge, profession – et réponses assorties. Parmi eux, Nicolas. La trentaine, beau gosse, « 1,83 mètre, en couple depuis sept ans, papa d’une petite fille ». Son message est sans ambages : « Envie d’une relation d’amant avec respect, complicité et plaisirs. Je ne compte pas changer de vie, seulement l’embellir et profiter. » Pour en savoir plus, rendez-vous est pris un matin de semaine, à 10 heures, dans une brasserie parisienne chic et bruyante. Un jeune homme s’avance vers moi, incertain et chancelant. Jean sombre, sweat-shirt anthracite et baskets blanches. Traits fns, peau pâle, cheveux châtains courts, barbe mal rasée. Je l’imaginais baraqué, viril, confiant. Il est frêle et timide. Ses mains tremblent.
Il s’exprime d’une voix grêle et affiche un sourire crispé, gêné, avant de se détendre autour d’un café. « Je recherche le danger, me prévient-il en plantant son regard dans le mien. J’ai envie d’interdits et de plaisirs. Je veux de la passion, du désir. Vibrer de nouveau ! » Nicolas a soudain l’oeil espiègle, pétillant. Coquin. Il a eu six aventures en moins de deux ans, toujours dans des bars ou dans des hôtels. « J’ai mes périodes, m’explique- t-il. Je ne suis pas un collectionneur, j’ai besoin d’un peu de frissons. Avec le temps, mon couple s’est usé. J’ai dû choisir entre tout plaquer et rester. J’ai trouvé un équilibre avec des maîtresses en cloisonnant mes deux univers. Surtout ne jamais mélanger les deux ! » Je lui demande ses critères. Il répond : « Bien sûr, la photo, le physique, mais pas que. Je regarde l’écriture, l’orthographe, je n’aime pas les abrégés. Après, c’est une question de feeling. Je sais ce que je veux, et je sais ce que je ne veux pas. Toi, tu me plais, je sens un bon truc. T’es charmante. » Oeillades, éclats de rire, jolis mots et belles promesses. « J’ai envie d’une relation suivie car j’aime la complicité. Mais je m’interdis de tomber amoureux. » Au moins je suis prévenue. Une longue demi-heure passe, la parade romantique s’achève. En réglant l’addition, Nicolas lâche : « Le premier truc, quand on s’inscrit ici, c’est le cul. C’est un plus dans ta vie de couple. Si tu as fait la démarche de t’inscrire, c’est quand même pour ça, hein ! [Rires gras.]
T’es plutôt coquine ? T’aimerais un amant comment ? Entreprenant, dominant ? » Retour devant mon écran d’ordinateur, à mon bureau. En mon absence, 133 nouveaux visiteurs ont cliqué sur mon profil. Dont « EnviedeFolie », « Coquinbrun », « Infidelus », « Pygmalion »… Et des poètes : « Phallus », « Georges-Clowne », « Brad-Bite ». Des photos plus ou moins attirantes accompagnent leur profil. Il y a Antoine, la quarantaine. Sur un cliché découpé avec maladresse, on voit la main de son épouse posée sur son bras. Comme lui, 140 hommes ont eu un « coup de coeur » pour moi. Ils sont 84 à m’avoir désignée comme leur « favorite ». Une soixantaine m’ont écrit des e-mails. Il y a ceux qui souhaitent « faire connaissance », « connaître nos affinités » ou savoir « précisément » comment je suis habillée. Beaucoup de fétichistes des « pieds, fesses, jambes, bras, cou, etc. » revendiqués. D’autres aimeraient « se glisser derrière, en silence »… L’un, 58 ans, me pose crûment deux questions : « Fessée : plaisir ou horreur ? Sodomie : plaisir ou horreur ? » Je réponds : « Je n’ai pas peur de grand-chose. » Je passe dans la catégorie « Favorite ». Gérard, lui, n’est pas grossier. « Toujours souriant, jamais vulgaire », se vante t-il. Petit, 45 ans, marié depuis quinze ans, embourbé dans le train-train quotidien avec deux enfants adolescents. Un ventre convexe et une passion immodérée pour la plongée sous-marine. Selon le site, « offrir un cadeau, c’est 30 % de chances de plus de faire une rencontre ».
JE PRÉPARE MES ALIBIS POUR MON CONJOINT, UN SITE INTERNET EN PROPOSE
Gérard a pris les statistiques à la lettre : il m’envoie un bouquet de roses virtuelles « élégantes, cueillies au matin, au parfum subtil et printanier. En espérant te les offrir en vrai. Hâte de te voir. Tendres baisers », m’écrit-il. Puis : « Nous ne sommes pas faits pour être fidèles. Une pratique judéo-chrétienne nous fait croire l’inverse, mais les hommes et les femmes sont faits pour être désirés, attirés. C’est logique qu’on aille voir ailleurs », jure-t-il. « Je ne cherche pas un plan d’un soir, ni la grande romance, mais des fous rires, de la douceur », continue-t-il, enjôleur, avant de me proposer un verre dans le bar-lounge d’un grand hôtel parisien. Si je suis intéressée, Gérard peut passer par Dayuse, un site spécialisé crée par David Lebée, qui permet de réserver des chambres pendant trois heures, à des tarifs réduits, de 45 à 200 euros. En France, plus de 4 875 sont louées chaque mois… Je décline l’invitation pour aller boire un verre en fin de journée avec un autre séducteur. Je prépare mes alibis pour mon conjoint, un site Internet en propose. J’hésite entre la fausse invitation à une « soirée client » ou une facture de restaurant professionnelle, chacune coûtant 25 euros. Par prudence, je commande aussi un alibi téléphonique à 15 euros. Puis je culpabilise… Une love coach, indemnisée 80 euros l’heure, me rassure par téléphone : « Vous n’êtes pas un monstre, vous êtes normale, nous sommes tous confrontés à l’infidélité. »
Requinquée, je pars retrouver un amant potentiel. Mon second rendez-vous m’attend dans un quartier touristique parisien, dans un établissement réputé au brouhaha agaçant. Il est 19 heures. Frédéric a la cinquantaine passée, les cheveux noirs tournant au gris, les mains fines et l’air d’un ancien sportif qui s’est laissé aller. Il porte une alliance clinquante, un costume noir élégant et une cravate bariolée. « Vingt-cinq ans de mariage », souffle-t-il avant de me faire un grand sourire. Regard lubrique, dérangeant. Frédéric est franc du collier, presque trop. Il est un peu déçu du site car, dit-il, « les femmes font un pas en avant, trois en arrière. En plus de mon argent, je commence à perdre patience et mes marges de liberté non justifiées sont minces ». Quant à la culpabilité, il n’en ressent aucune. « Je sais faire la part des choses. Oui, c’est mal… Mais mon désir de découvrir des femmes est plus fort que tout. Et puis je m’accorde des libertés que mon couple n’ose plus. Je ne me suis jamais senti aussi équilibré, disponible et attentif avec ma femme que pendant ces périodes d’infidélité. Elle le sent, mais ne sait pas pourquoi. » Son rire est gras. « Revenons à l’essentiel. Je vous revois quand ? Dans un jour, dans un mois, dans un an ? Je ne lâche jamais le morceau », insiste l’époux, un grand sourire suspendu à ses lèvres gercées. Je prends note. Et m’échappe. Mission terminée.
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