dimanche 21 juillet 2024

Georges Perros et Henri Thomas / Correspondence (1960 - 1977)




CORRESPONDENCE

(1960 - 1977)

Georges Perros et Henri Thomas


La correspondance qu’ont échangée le vosgien Henri Thomas (1912 – 1993) et le finistérien d’adoption Georges Perros (1923 – 1978) est certainement l’une des plus attendues par les lecteurs des deux écrivains (tous les deux poètes, critiques, quand Thomas est par ailleurs romancier et traducteur) qui ont profondément marqué l’histoire de la littérature française du milieu du xxe siècle, tant leur existence personnelle est étroitement liée aux thèmes développés dans leur oeuvre respective, tant les unit une incontestable fraternité dans la fidélité à soi-même, une absence de concession d’ordre social. 

Constituée d’une soixantaine de documents, elle débute en 1960 et prend fin à la mort de Georges Perros en 1978.


Les deux hommes, après avoir vécu à Paris, chercheront par tous les moyens, même les plus radicaux, à s’éloigner de la vie parisienne, pour trouver les conditions nécessaires à leur création littéraire. C’est cet éloignement autour duquel tournent les échanges entre les deux solitaires attirés par les littoraux, les îles, l’océan, quand les circonscrit tout autant une grande précarité matérielle pour ne pas dire carrément la dèche. Cette correspondance littéraire commence en 1960 alors que Henri Thomas, après avoir vécu pendant dix ans à Londres, se trouve aux États-Unis où il enseigne à l’université de Brandeis, à Waltham près de Boston (Massachusetts). Georges Perros, quant à lui, après Saint-Malo, habite Douarnenez où, d’une certaine façon, il a trouvé refuge.


Cher Henri Thomas,
Merci pour votre petit mot qui m’a fait bien plaisir. Nous nous sommes déjà rencontrés, il y a maintenant quelques années, mais dans un endroit où les hommes n’ont qu’une hâte : se fuir. Je veux dire le bureau de la N.R.F. Je vous reverrai toujours, levant le doigt pour prendre la parole, dans un mélange d’humour et de pudeur. Puis il y a votre oeuvre, que je connais, que j’admire, des « notes » aiguës de Porte-à-faux à cette pathétique Dernière Année que je finis de lire. J’espère que vous continuez d’écrire des sonnets.
J’écrivais dernièrement à Georges Lambrichs qu’ils me rendaient jaloux. […]


Thomas répond au moindre signe de son ami et lui envoie les livres dont se nourrit Perros. Il lui peint l’envers du décor où il puise les éléments de son oeuvre.

Cher ami,
[…] J’ai beaucoup trop « travaillé » pour la radio, étant à Londres. Ce n’est pas un langage parlé, mais une espèce d’écriture déréglée où l’on ne se relit pas, on s’écoute lire. L’hiver 47, à cinq heures du matin, je donnais communication du mouvement des navires. Là, c’était parfait. Mais songer que quelqu’un écoute alors que je réponds gentiment à n’importe quelle question, – quel mauvais rêve ! D’autre part, c’est amusant et peu réel, un peu comme d’être au café à la nuit tombante avec personne et tout le monde. […]

Cette correspondance constitue un témoignage essentiel de la relation entre les deux hommes qui se rendent parfois visite. Elle prendra fin alors que Georges Perros, atteint d’un cancer du larynx depuis 1976, est hospitalisé à l’hôpital Laennec.


Le matin, parfois, avant la mise en branle des soins etc… je vais tapoter sur un piano aux touches très cariées. Je suis seul. Ça dure un quart d’heure, vingt minutes. Je me lève, me retourne, et là, derrière moi, assis comme doivent l’être les tigres au repos dans la jungle, une dizaine de silencieux, qui rêvent, me demandent de continuer. On se croirait outre-tombe. […] 


Cette édition établie et annotée par Thierry Bouchard est accompagnée d’une magnifique préface de Jean Roudaut : « L’amythié entre Georges Perros et Henri Thomas ». Elle est suivie de deux postfaces de Jean Roudaut, chacune consacrée à l’un des auteurs. Elle comprend en outre deux poèmes inédits de G. Perros, retrouvés dans cette correspondance, et deux textes : l’un de Georges Perros sur Henri Thomas, l’autre de Thomas sur Georges Perros.


Henri Thomas (1912 – 1993) est l’auteur d’un grand nombre de romans dont Le Seau à charbonLa Nuit de LondresLe Goût de l’éternel. Il obtient le prix Medicis en 1960 pour John Perkins et le prix Fémina en 1961 pour Le Promontoire.
Il écrit également des poèmes et rédige toute sa vie une sorte de journal sans date, publié chez Minuit, en 1948, Le Porte-à-faux, repris chez Gallimard sous le titre Le Migrateur. Grand traducteur de Shakespeare, Pouchkine, Jünger pour n’en citer que quelques-uns.
Souvent considéré comme un écrivain pour écrivains, Henri Thomas est aimé par tous ceux qui vivent la lecture comme une co-création. Il a déclenché des enthousiasmes à la mesure des amitiés qu’il a vécues.
Jean Grosjean l’avait bien compris, qui nous dit : « Henri Thomas est dangereux, il cherche la vérité. Il est sur la piste. Il est presque seul, mais ça lui est presque égal. »


Georges Perros

Né en 1923 d’un père inspecteur dans une compagnie d’assurance et d’une mère fille de paysans, Georges Perros, de son vrai nom Georges Poulot, passe une enfance paisible dans le quartier des Batignolles à Paris. Après plusieurs déménagements, il s’installe à Rennes et s’inscrit au Conservatoire de musique avant de changer d’avis et de choisir l’art dramatique. En 1941, il abandonne l’école pour se consacrer pendant plusieurs années à cet art au Centre du spectacle. Il assiste régulièrement au cours de Paul Valéry au Collège de France et à celui de Vladimir Jankélévitch. Reçu au Conservatoire d’art dramatique, il joue dans de petits rôles. Son deuxième prix de Comédie, obtenu en 1948, lui permet d’entrer à la Comédie française. Il apparaît dans Le Cantique des Cantiques de Giraudoux et dans Le Misanthrope de Molière. Lecteur assidu, il est engagé au TNP par Jean Vilar et devient rédacteur pour la N.R.F. dans les années 1950. Il entreprend alors plusieurs séjours en Bretagne et publie les premiers Papiers collés, Poèmes bleus et Une vie ordinaire, recueils de ses notes de lectures. À partir de 1959, il s’installe à Dournenez, dans le Finistère. En 1971, il obtient le prix Valéry Larbaud, récompensant son oeuvre. Trois ans plus tard, il est récompensé par le prix Bretagne pour “Papiers collés II”. Atteint d’un cancer, Georges Perros meurt à Paris à l’âge de cinquante-cinq ans.

Parmi ses oeuvres posthumes : 

  • Lectures pour Jean Vilar, Cognac, Le temps qu’il fait, 1999
  • Pour ainsi dire, Finitude, 2004
  • Dessiner ce qu’on a envie d’écrire, recueil d’œuvres graphiques, Finitude, 2005
  • J’habite près de mon silence, poèmes, Finitude, 2006

Une grande part de ses écrits ont été rassemblés dans un volume d’Œuvres, sous la direction de Thierry Gillyboeuf, Paris, Gallimard, coll. « Quarto », 2017.


EDITIONS FARIO




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