Isabel Allende
L'amour de l'histoire et des histoires
Mardi 14 juin 2011
Conversation.
Au
bout du fil, la voix fait chanter l'anglais en le teintant d'un doux
accent espagnol. Les mots coulent comme l'encre du stylo. Isabel
Allende, quand elle accepte d'accorder une entrevue, ne fait pas les
choses à moitié et se montre d'une formidable générosité. Malgré un
horaire chargé. Ainsi, quand La Presse l'a jointe chez elle, dans les
environs de San Francisco, elle s'apprêtait à partir pour l'Espagne afin
de promouvoir son nouveau roman, El quaderno de Maya (Le journal de
Maya). Ce qui ne l'a pas empêchée de faire un retour en arrière sur le
précédent, L'île sous la mer, qui vient d'être publié en français.
Un
roman dans la lignée de La maison aux esprits, son premier livre, qui a
connu le succès que l'on sait. Un roman qui a exigé d'elle quatre
années de recherche et une année d'écriture. Un roman qui se déroule
dans un premier temps à Saint-Domingue, dans les années 1770 à 1793,
puis en Louisiane, de 1793 à 1810.
«Je voulais, à l'origine, écrire un récit historique qui se déroulait à La Nouvelle-Orléans, une ville que j'aime beaucoup», raconte la romancière d'origine chilienne, proche parente du président Salvador Allende (voir encadré). «J'ai
commencé mes recherches en ce sens et j'ai réalisé qu'une bonne partie
de sa saveur française était due à l'arrivée massive, à la fin du XVIIIe
siècle, d'une population francophone blanche, noire et métissée.»
En
très peu de temps, quelque 10 000 de ces gens se sont installés dans la
ville qui comptait jusque-là 3000 habitants. D'où venaient-ils?
Pourquoi ce débarquement? Isabel Allende a continué à creuser le sillon
et découvert «une histoire plus passionnante encore» que celle qu'elle envisageait d'écrire: ils arrivaient de Saint-Domingue et avaient fui la révolte des esclaves. «Il
y avait là des colons français, leur famille, leurs esclaves de même
que leurs concubines et les enfants métissés nés des relations
maître-esclave», dit la romancière.
Une autre page d'histoire
Elle
a ainsi plongé dans cette autre page d'histoire. Celle de la colonie de
Saint-Domingue, de laquelle la France tirait le tiers de ses revenus
annuels grâce au travail de 500 000 esclaves, «propriété» de 25
000 colons. Lorsque les premiers ont décidé de se révolter, Napoléon a
envoyé 30 000 de ses meilleurs soldats. Ils ne sont pas parvenus à mater
ces hommes, femmes et enfants qui ne possédaient aucune arme sinon le
fait de savoir qu'ils n'avaient rien à perdre.
«À
l'époque, aux États-Unis, l'esclavage n'était pas aboli ,mais le
commerce des esclaves était interdit, explique Isabel Allende. Il était
impossible de vendre ou d'aller chercher de nouveaux esclaves en
Afrique. Les «maîtres» prenaient donc soin, dans une certaine mesure, de
ceux qu'ils possédaient parce qu'ils avaient de la valeur et ne
pouvaient être remplacés.» La situation était autre à
Saint-Domingue: si l'esclavage avait été aboli en France, il ne l'était
pas dans les colonies. Les conditions de vie des esclaves étaient
horribles, leur espérance de vie très courte car il était facile et peu
cher de les remplacer.
Bref,
les esclaves exploités dans l'île n'avaient rien à perdre. Et ils
étaient aussi soudés, fortifiés par leur religion. «Je ne peux pas
imaginer la réussite de cette révolte sans le vaudou. C'est la
composante qui a uni ces milliers d'esclaves provenant de pays et
d'ethnies différentes, qui ne partageaient au départ ni racines, ni
langue, ni religion.» Ils se sont fabriqué cela, mêlant des échos de
leur culture d'origine à celle de leurs maîtres. Pour la romancière, ils
étaient à ce point certains que l'esprit de leurs morts marchait à
leurs côtés, 10 000 esprits pour chaque rebelle, qu'ils ont eu raison
des troupes napoléoniennes. Celles-là mêmes qui avaient maté l'Europe.
Le point de vue de Zarité
Pour
dire cette histoire de l'île devenue Haïti, Isabel Allende a choisi le
point de vue d'une esclave. Elle s'appelle Zarité, elle a 9 ans
lorsqu'elle est vendue à Toulouse Valmorain. Elle deviendra sa
maîtresse, portera ses enfants, le suivra en exil à La Nouvelle-Orléans.
Changera, comme les temps troublés qu'elle traversera.
La
romancière avait décidé, très tôt dans le processus de création,
qu'elle utiliserait le point de vue d'un ou d'une esclave pour raconter
L'île sous la mer - dont le titre, aussi poétique qu'évocateur, est une
référence aux croyances des esclaves: cette «île» mythique est celle où
se réfugie l'âme des morts, le paradis pour tous ceux qui n'ont pu
rentrer chez eux, en cette Afrique dont ils ont été arrachés et se sont
éloignés à bord de navires où ils étaient parqués au plus bas niveau -
donc sous les eaux, là où se trouve l'île-paradis.
L'enfer,
sous les eaux. Le paradis, sous les eaux aussi. Isabel Allende a
conjugué les deux, par amour de l'histoire et des histoires.
L'île sous la Mer
Isabel Allende
Alex Lhermillier (Traducteur) , Nelly Lhermillier (Traducteur)
Broché
Paru le : 11/05/2011
Editeur : Grasset
ISBN : 978-2-246-77321-4
EAN : 9782246773214
Nb. de pages : 523 pages
Poids : 645 g
Dimensions : 15,5cm x 24cm x 3,5cm
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À propos de Salvador Allende
Le
père d'Isabel Allende était le cousin de Salvador Allende, mort le 11
septembre 1973 lors du coup d'État mené par le général Pinochet. Suicide
ou meurtre? Pour tenter de le découvrir, la dépouille du président
socialiste a été exhumée le 24 mai. «C'est une chose qui a été approuvée par la famille directe, c'est-à-dire sa fille, Isabel, qui est sénatrice au Chili», raconte la romancière.
Selon
elle, même 38 ans après les faits, la démarche n'est pas inutile -même
s'il est possible que rien de nouveau ne puisse être prouvé, si
longtemps après la disparition de celui qu'elle appelle son oncle?: «Du
point de vue de l'histoire, c'est un événement qui doit être éclairci,
une vérité qui doit être connue. Qu'il ait commis un suicide ou qu'il
ait été assassiné, cela ne changera rien à son image ni au respect que
le monde entier lui porte. Mais s'il a été assassiné, cela changera
l'image de ce qu'ont fait les militaires», souligne Isabel Allende, pour qui il est heureux que les experts choisis «viennent de différents endroits du monde, afin de s'assurer de conclusions impartiales et objectives».
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