mercredi 24 décembre 2014

Les cartonnages extraordinaires de Pierre-Jules Hetzel

Pierre-Jules Hetzel, découvreur de talent et imprimeur de génie.

Les cartonnages extraordinaires 

de Pierre-Jules Hetzel


Par Valérie Sasportas 
Publié le 05/06/2014 à 07:00

Plus de 300 volumes de Jules Verne publiés par ce grand éditeur seront à vendre chez Artcurial, le 11 juin.


L'une des plus fabuleuses épopées d'un écrivain génial du XIXe siècle et d'un éditeur au flair légendaire, revient aux enchères. Trois cents volumes des Voyages extraordinaires de Jules Verne édités par Pierre-Jules Hetzel vont être dispersés chez Artcurial à Paris le 11 juin. Il n'y a plus eu pareille vente depuis la mort en 2010 de Michel Roethel, grand expert ès Verne. Cette année-là, sous le marteau d'Hervé Poulain, 246 lots ont totalisé 293.000 euros. «On a cantonné ce grand auteur dans un purgatoire d'auteur pour enfants, c'est grotesque! Savez-vous que son œuvre est la deuxième la plus publiée au monde derrière la Bible?», avait coutume de marteler Michel Roethel. Quelques années auparavant, le libraire assurait l'expertise de la vente «vernienne -hetzélienne» de Michel Serrault, à Drouot.



Dans la salle, la réflexion d'un libraire aux journalistes est restée dans les annales: «Ce qui fait l'intérêt pour le bibliophile ce n'est pas Jules Verne, mais Hetzel.» Avant de nuancer: «Enfin, dites bien aux jeunes que l'essentiel, c'est d'abord de lire Jules Verne.» Hetzel fut l'éditeur de Verne. Mieux, il l'a «inventé», selon les mots de l'écrivain. («Votre Verne, celui que vous avez inventé», écrit le romancier à son éditeur, en 1868). Leur rencontre a lieu en 1862. Hetzel est alors un éditeur réputé de 48 ans, qui a publié Balzac (La Comédie humaineen 1841), Alphonse Daudet, George Sand et Victor Hugo depuis leur exil commun en Belgique après le coup d'État du 2 décembre 1851. De retour en France, le républicain Hetzel a un projet: «Réconcilier la science et la fiction en associant écrivains et illustrateurs.» Verne sera l'homme idéal pour assouvir cette ambition. À la lecture du Voyage en l'air, le manuscrit que le jeune écrivain de 34 ans lui soumet en cette année 1862, l'éditeur pressent un exceptionnel talent. Un an et de multiples corrections plus tard (ce sera une manie, une obstination, ou un secret du succès, c'est selon), l'éditeur publie le texte, sous le titre Cinq semaines en ballon.



«Pendant plus de quarante ans, l'auteur et ses éditeurs, père et fils, auront publié une œuvre intemporelle qui fascine encore nos contemporains à l'heure où les innovations technologiques permettent à tout un chacun de voyager en trois dimensions dans l'espace et le temps», affirme le spécialiste de la vente d'Artcurial, Guillaume Romaneix. Une vente constituée en très grande partie, par la collection d'un seul amateur. «Hetzel était un génie. C'est lui qui a fait Jules Verne, ce misanthrope, cet ours qui se réfugiait dans le pigeonnier de sa maison d'Amiens», précise cet ancien haut fonctionnaire qui souhaite garder l'anonymat. Les mots de l'écrivain sont à l'origine cependant de sa collection. «C'était pendant la guerre, j'avais autour de 10 ans. Une de mes tantes qui habitait Calais nous avait confié sa collection Hachette de Jules Verne pour la mettre à l'abri des bombes. L'une d'elles est finalement tombée sur notre maison, mais elle nous a épargnés, les livres et nous. Alors, j'ai tout lu», poursuit-il. Michel Strogofffascine le presque adolescent, qui se lance dans les aventures du Superbe Orénoque, se fait explorateur dans Sans dessus dessous, plongeur dans Vingt mille lieues sous les mers. Le jeune adulte deviendra un peu tout à la fois, trouvant sa voie entre les lignes de ces fabuleux romans d'anticipation. «C'était pour moi un dérivatif», explique humblement cet ingénieur qui a gardé la tête dans les étoiles des fastueux cartonnages.



Un monde merveilleux ressort de ses ouvrages. En 1862, le cartonnage est une technique résolument novatrice qui révolutionne la fabrication des livres en série en permettant, à un prix bien inférieur au cuir, de décliner à l'infini les plaques servant à la gravure. Un rêve au rouge flamboyant, au bleu cobalt, au vert anglais rehaussé de touches d'or ou d'argent. Chaque cartonnage porte un nom:«au miroir», «à la grenade», «aux tulipes», «au pêcheur de perles», «à l'obus», «aux deux éléphants», «au globe doré», «au monde solaire». Un inventaire à la Prévert. Les relieurs choisis par Hetzel sont d'excellente réputation: Magnier, Le Nègre. Et les illustrateurs de renom: Grandville, Gavarni, Gustave Doré, véritables «reporters d'images» qui achèvent d'insuffler aux livres leur énergie créatrice. Les ouvrages mis à l'encan sont en parfait état de conservation. «J'ai cajolé mes cartonnages», reconnaît le collectionneur. Ces éditions offertes jadis pour les étrennes sont accessibles à toutes les bourses: à partir de 50 euros pour Cinq semaines en ballon«à l'obus» vert, jusqu'à 15.000 euros pour Hector Servadac, Voyages et aventures à travers le monde solaire, «au miroir» rouge pâle. Mais ce dernier exemplaire n'appartient pas à notre amateur. Il l'a d'ailleurs découvert à l'occasion de la vente. C'est une pépite inédite assure Guillaume Romaneix: «Le seul exemplaire connu à ce jour dans ce type de cartonnage.»
Artcurial. 7, rond-point des Champs-Élysées, VIIIe. Exposition publique du 7 au 10 juin. Vente le 11 juin à 14 h 30.



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