vendredi 27 mars 2020

Coronavirus / New York, au ralenti

New York dans l’œil du photographe Timothy Fadek.

ÉTATS-UNIS

Coronavirus: New York, au ralenti

Epicentre de la pandémie aux Etats-Unis, Big Apple connaît une explosion des cas. Derrière le silence pesant, l’inquiétude. L’armée aide à transformer un centre de congrès en services d’urgences, alors que les morgues pourraient vite afficher complet

Valérie de GraffenriedPublié vendredi 27 mars 2020 à 10:49
Modifié vendredi 27 mars 2020 à 10:50

Il y a d’abord ce silence. New York, sans ses sirènes hurlantes, ses marteaux-piqueurs, son trafic incessant et son flot de gens pressés, n’est plus tout à fait New York. A Manhattan, sur la 35e Rue, entre les bords de l’East River et la 5e Avenue, les arbres sont en fleurs, l’Empire State Building brille à l’horizon. Mais les rues sont presque vides. Pas de touristes, quelques joggeurs et promeneurs de chien, des ouvriers, un vieillard courbé qui pousse son caddie rempli de bacs de glaces. Pas de taxis jaunes non plus. Ou si peu. Sur la 5e Avenue, des passants masqués s’évitent quand ils se croisent, pendant qu’un jeune couple s’amuse de la scène. Un homeless, étalé de tout son long contre une vitrine, prend le soleil. Pas loin, un gant en latex gît sur le trottoir, les doigts écartés.
Les appels du gouverneur
Etrange impression de ville morte, avec quelques petites poches de vie, ci et là. Le temps paraît comme suspendu. L’Etat de New York ne représente que 6% de la population du pays, mais enregistre, avec déjà plus de 37 258 tests positifs jeudi, plus de la moitié des cas de contamination. Ses 20 millions d’habitants sont officiellement confinés depuis dimanche soir, avec l’arrêt de toutes les activités «non essentielles». Restaurants, hôtels, théâtres et écoles étaient déjà fermés depuis le 16 mars. L’épidémie pourrait y connaître son pic «d’ici quatorze à vingt et un jours», estime le gouverneur Andrew Cuomo.
La ville qui ne dort jamais – 8,6 millions d’habitants – est particulièrement touchée, avec 21 393 malades. Derrière le calme qui hante les rues, il y a l’urgence. Masques, gants chirurgicaux, respirateurs artificiels et lits sont en nombre insuffisant. Dans les deux principaux hôpitaux déjà surchargés, les consignes sont claires: les femmes enceintes accoucheront toutes seules. Un navire-hôpital (1000 lits) fera son entrée dans le port la semaine prochaine. Dans le gigantesque centre de congrès, le Javits Center, près de l’Hudson River, là même où Hillary Clinton espérait percer le plafond de verre et célébrer sa victoire un certain 8 novembre 2016, l’armée s’active pour aménager quatre services d’urgences, de 250 lits chacun.


Fulton Street subway station
Andrew Cuomo veut éviter le pire, alors que des médecins décrivent déjà des scènes «apocalyptiques». Infatigable, il ne lâche pas la pression sur les autorités fédérales pour obtenir près de 100 000 lits – les hôpitaux de l’Etat en comptent 53 000 – et 30 000 respirateurs artificiels supplémentaires. Le maire, Bill de Blasio, avertit: si rien n’est fait très vite, il faudra choisir quels malades sauver. Il voulait imposer le confinement beaucoup plus rapidement. Les morgues sont déjà presque pleines. Après les attentats du 11 septembre 2001, il avait fallu recourir à des morgues mobiles.

«En zone de guerre, on voit le danger»

Aimant culturel, poumon économique, New York accueille habituellement près de 60 millions de visiteurs par an. Ces jours, avec le début du printemps, les terrasses seraient prises d’assaut et les commandes de deviled eggsavocado toasts et cocktails mimosa exploseraient. En lieu et place, un triste spectacle: rideaux de fer baissés, affichettes liées au coronavirus collées sur les vitrines, chaises sur les tables. Presque désertés, les métros new-yorkais vont réduire leurs cadences de 25%.
Photographe, Timothy Fadek a sillonné la ville ces derniers jours. Il ne cache pas son inquiétude. Le dernier jour où il s’est senti en sécurité, c’était le 11 mars, lorsqu’il a photographié la nouvelle plateforme d’observation de Hudson Yards, le jour de son inauguration. Puis, tout a basculé. «Quand j’ai entendu parler des tests de dépistage pour le Covid-19 à l’hôpital Elmhurst dans le Queens, j’y suis allé, le 21 mars, pour photographier les gens qui faisaient la queue», raconte-t-il.
«Je m’y suis rendu en voiture, je portais des gants et un masque à gaz intégral, mais je me sentais toujours très vulnérable et j’ai ressenti le besoin de me doucher sous une cascade d’eau de Javel…» Il était pourtant à six mètres des patients potentiellement atteints, mais s’imaginait «couvert de virus de la tête aux pieds». «C’est une terrible torture psychologique que je m’infligeais. J’ai été photographe de guerre au début de ma carrière [en Irak, notamment], et je n’exagère pas si je vous dis que je me sens plus à l’aise dans une ville déchirée par la guerre, avec le bruit des armes automatiques à proximité, que devant un hôpital ou dans le métro dans la situation actuelle. En zone de guerre, on peut au moins entendre et voir le danger. Ce virus, il est à la fois invisible et partout. C’est insidieux.»

Ne pas quitter la ville

Ici, même Times Square a triste mine, et ne ressemble plus à cette ruche en ébullition irritante, où les panneaux publicitaires géants agissent comme des aimants. Grand Central, la mythique gare, est aussi quasi déserte. Le mémorial pour les victimes du 11-Septembre, inaccessible. Partout, le système D prévaut. Des tests de dépistage façon drive-in sont organisés sur des parkings. Des repas à l’emporter sont distribués gratuitement aux enfants dans 400 endroits de la ville, pour les familles en difficulté, depuis la fermeture des écoles. La prison de Rikers Island, où Harvey Weinstein a séjourné, a aussi été mise à contribution: les détenus fabriquent du désinfectant pour les mains.
«Il y a moins de gens dans les rues, mais une grande solidarité», relève Katharina, une habitante de l’Upper West Side. Elle sort encore régulièrement, avec ses ados et son chien, mais en respectant les consignes. «Par contre, les inégalités sociales sont beaucoup plus visibles. Les riches blancs peuvent se permettre de rester chez eux. Tandis que ceux que je vois aller travailler sont surtout des Hispaniques et des Asiatiques.»
Retour à Brooklyn, en ferry, le moyen le plus sûr. Sur le bateau, les employés portent des gants en latex, certains des masques. Nous aussi. Presque personne sur le pont. Sur la Myrtle Avenue, un marchand de vin indique la marche à suivre sur un tableau noir: ne rien toucher, respecter le social distancing. Le cash n’est plus accepté.
La situation alarmante de New York, «hot spot» du pays, a été évoquée lors d’un point presse de la Maison-Blanche. Avec une recommandation: ne pas chercher à quitter New York, pour éviter de contaminer les autres. Un message qui s’adresse surtout aux riches qui ont des résidences secondaires. Quand à ceux qui y étaient récemment, ils sont priés de se placer en quarantaine pendant quatorze jours.

samedi 21 mars 2020

L'écrivain et militant russe Edouard Limonov est mort



L'écrivain et militant russe Edouard Limonov est mort


Edouard Limonov, âgé de 77 ans, est notamment célèbre pour une série de romans sulfureux narrant son exil aux Etats-Unis, du temps de l’URSS, dans les années 1970

AFP
Publié mercredi 18 mars 2020 à 07:00

L'écrivain et militant politique russe Edouard Limonov est mort mardi à Moscou, a annoncé son parti Autre Russie dans un communiqué. «Malheureusement, (sa mort) a eu lieu il y a une demi-heure à l'hôpital», a dit le député communiste Sergueï Chargounov, à l'agence de presse TASS. «Jusqu'au bout, il gardait le contact et discutait, on pouvait lui écrire. Il avait l'esprit clair et était en bonne santé.»
Agé de 77 ans, Edouard Limonov est notamment célèbre pour une série de romans sulfureux narrant son exil aux Etats-Unis, du temps de l'URSS, dans les années 1970. Dans les années 1980, il avait vécu à Paris et participé à plusieurs revues littéraires.
Retourné en Russie dans les années 1990, après la chute de l'Union soviétique, Edouard Limononov avait fondé un parti d'opposition «national-bolchévique» et y avait activement milité. Il avait également rejoint des groupes nationalistes proserbes pendant les guerres en ex-Yougoslavie, s'attirant de nombreuses critiques. Plus récemment, il avait soutenu l'annexion de la péninsule ukrainienne de Crimée par Moscou, en 2014.
En France, il avait bénéficié d'un important regain d'attention après la parution en 2011 du roman Limonov de l'écrivain Emmanuel Carrère.

lundi 16 mars 2020

Flora Borsi V


Gelber Narrenhut by Rudolf Hausner

Flóra Borsi
PINTURAS


Woman with Green Hat by Pablo Picasso

The Corn Poppy by Kees van Dongen

Bust of Woman by Kazimir Severinovich Malevich
Portrait of a Polish Woman by Amedeo Modigliani



dimanche 15 mars 2020

Deux documentaires évoquent Ingmar Bergman, entre ombres et lumière





Deux documentaires évoquent Ingmar Bergman, entre ombres et lumière



Le grand cinéaste suédois aurait eu 100 ans cette année. Deux documentaires, «A la recherche d’Ingmar Bergman» et «Bergman. A Year in the Life», évoquent l’œuvre magistrale et titanesque d’un créateur génial, mais égocentrique et bourrelé de culpabilité

Antoine Duplant
Publié samedi 8 septembre 2018 à 17:12
Modifié samedi 8 septembre 2018 à 17:12

De retour des croisades, un chevalier erre à travers un pays ravagé par la peste. Sur une plage, la Mort vient le trouver. Pour surseoir à l’inéluctable, le chevalier lui propose de jouer sa vie aux échecs. Evidemment, il perdra. Magistrale allégorie médiévale, quête métaphysique fondamentale, Le septième sceau (1957), d’Ingmar Bergman, est une pierre d’angle du 7e art, le film qui va accélérer la réinvention du cinéma (Nouvelle Vague, Nouvel Hollywood…), le film préféré de Woody Allen et le film fondateur de Margarethe von Trotta.


Née à Berlin en 1942, la comédienne et réalisatrice (L’honneur perdu de Katharina BlumLes années de plombRosa Luxemburg…) part étudier à Paris en 1960. Elle voit Le septième sceau dans une salle de quartier, et sa vie bascule: elle se consacrera corps et âme au cinéma. Aujourd’hui, elle s’acquitte de sa dette en dédiant un documentaire au réalisateur suédois, qui aurait eu 100 ans en juillet.


A la recherche d’Ingmar Bergman (actuellement sur les écrans) commence par un retour à la scène primitive. Sur la plage où Bergman tourna la première séquence du Septième sceau, la cinéaste refait les cadrages originels, mélange les images emblématiques et le décor marin éternel. Elle rencontre ensuite des témoins, actrices (Liv Ullmann) ou enfants (le réalisateur Daniel Bergman), pour évoquer une œuvre titanesque – quelque 70 films et autant de mises en scène pour le théâtre ou l’opéra — et une vie compliquée. Bergman ayant fait figurer Les années de plomb parmi ses dix films préférés, Margarethe von Trotta se sent légitimée dans sa quête.

Féerie aquatique

Née en Suède en 1968, Jane Magnusson a commencé par faire de la natation synchronisée. Chaque équipe portait le nom d’un film de Bergman. La naïade a eu l’idée de proposer au vieux maître, déjà reclus sur l’île de Fårö, une féerie aquatique dans sa piscine. Il a décliné au motif qu’il ne voulait personne dans sa piscine, précisant qu’il avait un chien méchant – ce qui était faux. Le dialogue téléphonique se poursuit au-delà de la mort avec Bergman. A Year in the Life. Cette année – 1957 – au cours de laquelle Bergman sort trois films, dont Le septième sceau et Les fraises sauvages, monte quatre pièces de théâtre et mène une vie sentimentale mouvementée – avoir sa femme et deux maîtresses sur le plateau n’est pas facile…


Animé d’un mouvement centrifuge original, ce film qui raconte une vie, de l’enfance au grand âge, autour du pivot qu’est cette année de productivité phénoménale, est sans doute plus original, plus dynamique que l’essai de Margarethe von Trotta. Mais les deux approches se complètent et se répondent pour brosser le portrait d’un génie tourmenté.

Nœud de névroses

«Je ne dors pas plus de quatre heures; après l’angoisse fait exploser mon estomac», disait Ingmar Bergman. Ce cinéaste qui a filmé la lumière comme nul autre, la lumière qui brille dans les yeux des enfants, la lumière du Nord qui aiguise les paysages, était un nœud de névroses, bourrelé de culpabilité et plein de zones d’ombre – il a été fasciné par Hitler jusqu’à la fin de la guerre… Les témoignages remettent en cause Laterna magica, sa formidable autobiographie: il n’était peut-être pas cet enfant sévèrement réprimé par un père pasteur. Les châtiments corporels, tel celui montré dans Fanny et Alexandre, s’abattaient plutôt sur son frère, tandis qu’Ingmar posait des «questions sur Jésus et les anges dont il était récompensé par du chocolat chaud et des gâteaux».


Homme à femmes compulsif, il séduisait les actrices. Lorsqu’elles étaient enceintes, il leur disait: «Maintenant, je sais que tu m’aimes», puis les quittait. Il a eu huit enfants de cinq femmes différentes dont il s’est peu soucié – il affirme ne pas connaître leurs dates de naissance. «Ingmar était plus proche de son enfance que de celle de ses enfants», explique un de ses rejetons. Son fils Daniel se souvient d’une réunion de famille où le vieil homme retiré du cinéma pleurnichait: «Les acteurs me manquent.» Sa fille lui a sèchement lancé que ce serait bien si une fois il disait que ses enfants ou ses petits-enfants lui manquaient. Lui: «Mais ils ne me manquent pas»…

Fesses engourdies

«Il était adorable quand il était Ingmar et insupportable quand il devenait Bergman», dit Liv Ullmann. Le comédien et metteur en scène Thorsten Flinck connaît bien la face dictatoriale du cinéaste. Il en fait une hilarante imitation lorsque celui-ci, devenu le patron du théâtre suédois, l’a incendié.
En 1982, après Fanny et Alexandre, Ingmar Bergman a pris sa retraite. Il a toutefois tourné encore une douzaine de films pour la télévision, dont les brillants En présence d’un clown et Sarabande. Il a vécu ses dernières années sur l’île de Fårö dans une «solitude absolue». La gouvernante qui lui apportait à manger lui massait le dos. Au bout d’un moment, il la congédiait: «J’ai eu assez de chaleur humaine, vous pouvez y aller.» Il est décédé le 30 juillet 2007.


Déjà âgé, Ingmar Bergman répond à une interview télévisée. On lui demande s’il considère que 1957 a été la meilleure année de sa vie. «Je ne raisonne pas ainsi…», commence-t-il. Puis il se déplace sur sa chaise. «J’ai dérangé ton cadrage», fait-il avec une sollicitude hypocrite, avant de préciser: «J’ai les fesses engourdies»… Une aimable façon de dire: «Tes questions, je m’assieds dessus.» A Year in the Life se termine sur cette gracieuse pirouette. Tout est dit et le mystère demeure.

«A la recherche d’Ingmar Bergman (Searching for Ingmar Bergman)», de Margarethe von Trotta (Allemagne, France), 1h39.
«Bergman. A Year in the Life (Bergman. Ett År ett liv)», de Jane Magnusson (Suède, Norvège), 1h57.