samedi 27 février 2021

A plus de 80 ans, Toni Morrison ne lâche rien et signe «Délivrances»

 

Toni Morrison


A plus de 80 ans, Toni Morrison ne lâche rien et signe «Délivrances»

«Délivrances», le onzième roman de la Prix Nobel de littérature, continue à scruter la ségrégation raciale et le racisme. Lula Ann devenue Bride est la victime de son apparence, de son corps, de sa peau... Entre fantastique et fable sociale, l’auteure de «Beloved» s’impose, magistralement, et en toute liberté


André C.
Publié vendredi 28 août 2015 à 14:15

A 80 ans passés, Toni Morrison ne lâche rien.

La ségrégation raciale aux Etats-Unis est au cœur de «Délivrances», magistral roman choral

Depuis ses débuts, l’exploration du racisme à l’œuvre dans son pays est le thème de prédilection de la romancière américaine, Prix Nobel de littérature. Ici, elle décrit l’effroi de Sweetness, une mulâtre «au teint clair» qui accouche, dans les années 1990, en Pennsylvanie, d’une petite fille qui la dégoûte à cause de la couleur de sa peau, «noire comme le Soudan»

Genre: Roman
Qui ? Toni Morrison
Titre: Délivrances

Trad. de l’anglais (Etats-Unis) par Christine Laferrière

Chez qui ? Christian Bourgois, 198 p.


Quand c’est non, c’est non! Il y a quelques mois, interviewée par le critique américain Hilton Als, Toni Morrison lui a confié que, à 80 ans passés, elle s’autorisait à dire trois choses. «La première, c’est Non! La seconde, c’est La ferme! Et la troisième c’est Dehors!»

Tout ça pour prévenir qu’elle n’en ferait désormais qu’à sa tête et qu’elle ne s’attellerait pas à l’autobiographie qu’elle avait pourtant promise à son éditeur, Random House. Et d’ajouter: «J’y ai réfléchi et puis j’ai dit: je n’écrirai pas de Mémoires. Ça ne m’intéresse pas, je connais déjà tout ça!»

En savoir toujours plus

Ce à quoi elle tient dur comme fer, par contre, c’est à continuer son travail de défrichage afin d’en savoir plus, toujours plus, sur les êtres et sur le monde, grâce à l’écriture. La preuve, ces Délivrances, son onzième roman où elle brode un nouveau motif – «les fardeaux de l’enfance», explique-t-elle – sur la thématique qui est la sienne depuis la première heure: la question de la ségrégation raciale aux Etats-Unis, sous toutes ses formes et à toutes les époques.

Nous sommes à Norristown, une ville moyenne de Pennsylvanie, au début des années 1990. Ce jour-là, Sweetness, une mulâtre «au teint clair», est saisie d’épouvante. Parce qu’elle vient d’accoucher de Lula Ann, une petite fille qui la dégoûte à cause de la couleur de sa peau.

«Elle m’a fait peur tellement elle était noire. Noire comme la nuit, noire comme le Soudan», gémit Sweetness dont l’époux – magasinier à la gare – ne tarde pas à l’abandonner en l’accusant d’adultère. A l’école, Lula Ann devra jouer un rôle détestable, celui de Topsy – l’esclave noire de La Case de l’oncle Tom – et elle essuiera les pires injures. Noiraude. Face de charbon. Ooga Booga. C’est à ce moment-là qu’elle commettra l’irréparable: pour trouver grâce aux yeux de sa mère et tenter de gagner son affection, elle n’hésitera pas à accuser sa maîtresse de pédophilie. Un faux témoignage qui vaudra quinze ans de prison à cette institutrice, à tout jamais détruite. «Ce n’est pas souvent qu’on voit une petite fille démolir de méchants Blancs», clamera Sweetness, enfin réconciliée avec cette Lula Ann qui, désormais, aura un autre fardeau à porter – une culpabilité terrible, pour avoir envoyé une innocente derrière les barreaux.

Conjuration

Le second acte ressemble à une conjuration. A la fin de l’adolescence, Lula Ann saura déjouer les regards racistes en usant de sa couleur à son avantage. Dans ses robes blanches immaculées, elle s’est métamorphosée en une beauté noire aux allures de diva. De son handicap, elle a fait un atout. Elle roule en Jaguar et elle a changé de nom – elle s’appelle désormais Bride – pour devenir une battante, directrice d’une entreprise de cosmétiques.

Et pourtant. Et pourtant, il y a cette tache indélébile sur son cœur, comme un péché originel. A tout prix, elle veut se faire pardonner, aller retrouver son institutrice et lui avouer la vérité. Elle attendra sa sortie de prison pour se jeter à ses pieds, chargée de cadeaux. Réponse de l’intéressée: un tabassage en règle qui enverra Bride à l’hôpital, sacrément amochée. Mais libérée.

Ce qu’elle ignore, c’est que ses épreuves sont loin d’être achevées. D’abord, il y a cette peste de Brooklyn, la fausse copine qui rêve de lui voler son job. Mais il y a surtout le départ brutal de son amant, Booker, un étudiant de troisième cycle, ancien trompettiste de jazz qui ne s’est jamais remis de la mort de son frère, assassiné par un pédophile – une menace omniprésente tout au long du roman. Est-ce pour cette raison que Booker a rompu avec Bride? La voilà de nouveau brisée. Abandonnée, après avoir été l’enfant de la honte.

«Tout s’écroule en moi», dira celle qui multipliera alors les aventures, par dépit, par désespoir, empêtrée dans une vie sexuelle «semblable au Coca Light, sans nutriments et d’un goût trompeur, comme un jeu vidéo imitant la jubilation».

Aux abois

Ce roman est le portrait d’une femme aux abois, en quête de délivrance, victime de son apparence et de son propre corps. Ce corps qui finira par la trahir lorsqu’elle constatera, terrifiée, que sa féminité d’adulte s’efface et que ses seins se mettent à rapetisser mystérieusement, comme si son enfance la rattrapait et, avec elle, «les sales histoires du passé». Etrange irruption du surnaturel, dans un récit si crûment réaliste…

La suite? Une fugue jusqu’en Californie afin de retrouver les traces de Booker, l’intellectuel dégoûté par son pays, l’amant rebelle sur lequel Toni Morrison projette sa propre vision de l’Amérique. Une vision passablement amère, surtout en ce qui concerne le monde politique. «C’est une abomination», lâche Booker, qui saura offrir à Bride sa part de résilience dans un dénouement sans doute trop convenu, trop prévisible. Mais empreint d’une douceur apaisante, comme ces «parfums de lilas» qui, soudain, viennent mettre un terme aux trop longs hivers.

Enfer intime

Roman choral dont les personnages se confessent à tour de rôle pour dire à quel point les préjugés raciaux contaminent les relations sociales – même celles des Noirs entre eux –, Délivrances explore avec beaucoup de doigté l’inconscient collectif américain. Et raconte comment on affronte les blessures de l’enfance lorsque, à l’instar de l’héroïne, on a été «jeté comme un déchet» dès la naissance.

Mais au-delà de l’humiliation liée à la couleur de la peau, c’est aussi au désamour – et à toutes les figures de l’abandon – que le Prix Nobel 1993 tente de donner une réponse. Une réponse qui peut être tragique puisque, pour Bride, elle passe par le plus perfide des mensonges. Comme si, pour elle, le Mal ne pouvait engendrer que le Mal.

C’est au cœur de cet enfer intime que l’auteur de Beloved vient lui tendre la main avec une compassion admirable, au détour d’un conte cruel qui est aussi le portrait d’une certaine Amérique. Celle que le racisme continue à empoisonner, comme à Charleston, en Caroline du Sud, lors de la fusillade macabre du 17 juin dernier.

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Toni Morrison

Toni Morrison, dans une interview à «Livres Hebdo» du 26 juin 2015

«Je voulais faire un livre contemporain sur les fardeaux de l’enfance, comment ils peuvent nous paralyser, nous corrompre au point que l’on ne pense plus qu’à soi»


LE TEMPS

mardi 23 février 2021

Tif et Blutch, Robber et Tondu / « Une rencontre à la sortie d’une station-service; pour un plein, on choisissait un mug ou une BD »

 

Blutch et Robber


Tif et Blutch, Robber et Tondu : « Une rencontre à la sortie d’une station-service; pour un plein, on choisissait un mug ou une BD »

Révoltant pour les gardiens d’un temple qu’ils n’ont jamais actualisé, charmant pour les autres, Tif et Tondu s’offrent un lifting de goût et d’esprit selon Blutch et Robber. Dans Mais où est Kiki?, les deux frères s’offrent une échappée belle dans l’univers créé par Dineur mais que Rosy, Tillieux et Will ont fait entrer dans la légende. Refusant le mimétisme, Blutch et Robber s’adonnent à une relecture jubilatoire, forte en bons mots et en péripéties. Interview.

mercredi 17 février 2021

«L’Anomalie» d’Hervé Le Tellier remporte le Goncourt, et c’est bien normal

 


LE50 MEILLEURS 

LIVRES DE 2020

«L’Anomalie» d’Hervé Le Tellier remporte le Goncourt, et c’est bien normal

La romancière camerounaise Djaïli Amadou Amal garde toutes ses chances pour le Goncourt des lycéens. Marie-Hélène Lafon, déjà couronnée en 2018 par le Goncourt de la nouvelle, obtient le Renaudot pour son «Histoire du fils»


Eléonore Sulser
Publié lundi 30 novembre 2020 à 13:55
Modifié lundi 30 novembre 2020 à 17:11

Hervé Le Tellier, un écrivain membre de l’Oulipo, qui fut chroniqueur dans l’émission Des Papous dans la tête mais aussi l’auteur quotidien d’un billet d’humour pour Le Monde, «Papier de verre», et encore, entre autres foisonnantes activités de plume, le cocréateur facétieux du faux philosophe Jean-Baptiste Botul qui mystifia Bernard-Henri Lévy, remporte le Prix Goncourt 2020 avec son roman L’Anomalie (Gallimard).

C’était le favori, et le délai que se sont donné les Goncourt dans l’annonce du prix, afin d’attendre la réouverture des librairies, n’y a sans doute rien changé. Le roman d’Hervé Le Tellier l’a emporté sans surprise – par huit voix contre deux à L’Historiographe du royaume (Grasset) de Maël Renouard. Les Impatientes (Emmanuelle Collas) de l’écrivaine camerounaise Djaïli Amadou Amal et Thésée, sa vie nouvelle (Verdier) de Camille de Toledo étaient encore en lice. A noter que Djaïli Amadou Amal, avec son roman à trois voix sur la dure condition des femmes du Saël, conserve toutes ses chances de remporter le Goncourt des lycéens, qui doit être annoncé le 2 décembre.

Un roman boule à facettes

L’Anomalie partait favori et remporte donc le plus prestigieux des prix littéraires français. Rien d’anormal à cela. C’est un roman qui conjugue inventivité et qualité littéraire – sa construction est savante, il explore toutes sortes de styles et de rythmes narratifs différents, décline toutes sortes de genres littéraires (de la science-fiction au thriller en passant par le roman d’amour ou le roman philosophique) – et c’est également un formidable roman-feuilleton, un livre d’aventures plein de rebondissements, à l’image de Goncourt précédents, comme celui de Pierre Lemaître avec Au revoir là-haut en 2013. L’Anomalie est enfin, et l’histoire montre que les jurés du Goncourt ne sont pas du tout insensibles à cet argument, d’ores et déjà placé parmi les meilleures ventes de livres de cet automne 2020.

A quoi s’ajoute son thème presque apocalyptique qui brasse avec finesse, audace et humour toutes les incertitudes du temps présent: la post-vérité, les débordements populistes, les recompositions sociales, la condition des minorités, la globalisation, les avancées technologiques aussi fascinantes qu’inquiétantes et même les crises mystiques et religieuses qui secouent la planète des années 2020. Hervé Le Tellier est même parvenu à y glisser une touche de covid, c’est dire si L’Anomalie, roman miroir, boule à facettes du réel chamboulé qui est le nôtre, est en plein dans l’actualité.

En couronnant Histoire du fils (Buchet & Chastel) de Marie-Hélène Lafon, le Prix Renaudot a peut-être, pour sa part, répondu à une autre «actualité». Les jurés du Prix Renaudot font face en effet à de nombreuses attaques médiatiques. Ils sont accusés de n’avoir rien modifié à leur fonctionnement depuis qu’a éclaté à grande échelle – relancé notamment par la parution du Consentement de Vanessa Springora (Grasset, janvier 2020) – le scandale autour de l’attribution du Renaudot essai, en 2013, à l’écrivain Gabriel Matzneff, chantre de la pédophilie. Ces jurés, nommés à vie, se complaisent, écrivent à la fois Le Monde et le New York Times, dans un entre-soi très durable, très masculin et très parisien. Le choix – excellent au demeurant et très mérité s’agissant de Marie-Hélène Lafon – d’une lauréate femme et d’une romancière qui revendique haut et fort ses origines paysannes est, sans doute, le plus apaisant possible face à ce feu de critiques. L’autrice Dominique Fortier, avec Les Villes de papier (Grasset), a de son côté remporté le Prix Renaudot de l’essai.

LE TEMPS


lundi 15 février 2021

Avec Guy Goffette, «ouvrir la porte de l’aube»

 


Avec Guy Goffette, «ouvrir la porte de l’aube»

Le poète belge, chantre du lyrisme du quotidien, publie un magnifique recueil mélancolique sur la vie, la mort, l’enfance et le pain perdu


Julien Burri
Publié vendredi 17 juillet 2020 à 16:30
Modifié vendredi 17 juillet 2020 à 16:32


La douce nostalgie de Guy Goffette s’épanouit dans les pages de Pain perdu. On n’en attendait pas moins du poète qui se fit connaître notamment par un recueil intitulé Eloge pour une cuisine de province, paru en 1988, et qui a toujours aimé les cuisines et les tâches simples du quotidien. Tout se revisite, se réutilise, c’est le principe merveilleux du pain perdu, ce dessert de tranches de pain sec auxquelles on offre une seconde chance. Prenez la ruine, les regrets, ajouter du lait, du sucre, des œufs, et hop!, faites frire dans une poêle. «C’est la même chose encore avec le pain des couples/qui s’émiette, et les accrocs du silence qu’on recoud/larme après larme et pas à pas.»


Comme des gouttes d’eau

Le temps perdu, rassis, de nos vies, peut servir à préparer de nouveaux délices si on sait y faire. Et Goffette est un maître; il parvient à toucher, l’air de rien, de grandes profondeurs en nous. C’est par le raffinement qu’il atteint à la simplicité; la complexité de son écriture musicale, inspirée notamment par Verlaine, sait se faire oublier et paraît limpide. Alors on marche dans ses traces, dans ses chemins de traverse, pour: «ouvrir la porte de l’aube/et suivre l’ivresse de son chien».

Le poème Le Trajet touche aux larmes, racontant nos vies comme des gouttes d’eau chutant sur les feuilles d’un arbre. Plus loin, Goffette compose un texte dont la forme typographique évoque un arbre sur la page ‒ le lecteur grimpe dans ses branches pour mieux regarder la profondeur du monde.

«La nappe des jours»

Pas de naïveté, mais de la gravité légère, parce que vivre, c’est parfois se retrouver «à l’aube seul et dépouillé de tout/dans la ruelle sans nom d’une ville qui n’existe pas». A la suite du poète, nous ramassons les miettes sur «la nappe des jours», talonnés par la mort comme une ombre derrière notre épaule. Et même si tout est amené à disparaître, sous la plume, le miracle a lieu: «L’éternité existe/entre deux mots vertigineux». La poésie de Goffette est faite de ce tremblé; elle fait vibrer en nous l’enfance, les émotions, la peur de la fin et des recommencements. L’art du peu est de tous le plus puissant.

LE TEMPS


vendredi 12 février 2021

Joann Sfar / Souvenirs de Gainsbourg en boule à neige



Souvenirs de Gainsbourg en boule à neige

 

Le bédéaste Joann Sfar réussit, de peu et aux points, le pari fou de «Gainsbourg (vie héroïque)»

T.J.
Publié mercredi 20 janvier 2010 à 00:41

Si une seule personne a bénéficié du flop, commercial et artistique, de Coluche par Antoine de Caunes, c’est bien le bédéaste Joann Sfar. Depuis cette catastrophe industrielle, il est en effet exclu de produire, en France, une biographie à prétentions réalistes. C’est dire que Sfar a pu laisser libre cours à sa fantaisie naturelle et que c’est de là, des inventions les plus débridées, que naît l’affection que Gainsbourg (vie héroïque) finit par emporter. Mais c’est une victoire aux points, et après décompte, dans une narration chronologique d’une grande platitude, une alignée de vignettes sans grande surprise sinon celle de recréer, systématiquement, des saynettes que les amateurs même les moins érudits de Gainsbourg connaissent déjà.





Gainsbourg et Fréhel, Gainsbourg et Vian, Gainsbourg et Gréco, Gainsbourg et Bardot, Gainsbourg et Birkin, Charlotte et les flingues, les copains gendarmes et les anciens combattants, l’achat du manuscrit de «La Marseillaise» et la rencontre avec Bambou: entre art de la transgression, voire de la transcendance, et travail d’imitation, la balance penche plus souvent vers le second. Si bien qu’il reste de Serge Gainsbourg, outre la performance stupéfiante d’Eric Elmosnino dans le rôle-titre (lire en page 12), ce qu’il reste du Sacré-Cœur ou de l’Arc de Triomphe dans une boule à neige. Tout dépend alors du talent de l’artiste qui aura sculpté la miniature et des libertés qu’il aura osé prendre face à son modèle. Il se trouve que Joann Sfar regorge de talent et que la liberté d’adaptation est sa marque, dans la bande dessinée, depuis deux décennies.





Une volute un peu aigre

Comme Oliver Stone avec The Doors (sans doute la bio d’artiste la plus proche de ce Gainsbourg ironiquement stipulé vie héroïque), Sfar s’amuse à construire à partir d’images connues voire iconiques, une vision qui s’autorise toutes les digressions. Ainsi, pour le plus intéressant, de ces marionnettes étranges qui collent aux talons du chanteur: une figure de Juif, type Monsieur Patate, derrière le petit Lucien Ginzburg (le petit Vaudois Kacey Mottet Klein révélé par Ursula Meier dans Home); un double affiné et pervers, futur Gainsbarre, derrière l’épaule du Gainsbourg encore hésitant; sans compter toutes les femmes qui, de Gréco-Mouglalis à Bardot-Casta, tiennent davantage du fantasme punaisé dans la chambre de l’éternel ado Sfar que de l’incarnation.




Voilà un film qui ne répond à aucune question. Et qui n’en pose pas non plus. Mais il parvient à faire remonter, comme la neige quand on secoue la boule, une volute de ce que fut Gainsbourg. Volute un peu aigre de Gitane sans filtre plutôt que fumée ample et vraiment exotique de Havane.

Gainsbourg (vie héroïque), de Joann Sfar (France 2009), avec Eric Elmosnino, Lucy Gordon, Laetitia Casta, Doug Jones, Anna Mouglalis, Mylène Jampanoï, Sara Forestier, Kacey Mottet Klein. 2h10.

LE TEMPS


mercredi 10 février 2021

Retour au Donjon avec Lewis Trondheim et Joann Sfar

 


Marvin, Herbert et Isis volent vers de nouvelles aventures.


Retour au Donjon avec Lewis Trondheim et Joann Sfar

Herbert et Marvin sont de retour! Fête dans les chaumières et les castels! Sfar et Trondheim relancent leur «fantasbuleuse» série d’«heroic fantasy» pour rire en deux albums et une innovation chronologique de taille

Antoine Duplant
Publié dimanche 2 février 2020 à 14:00
Modifié dimanche 2 février 2020 à 14:01

Lewis Trondheim (Lapinot) et Joann Sfar (Le Chat du rabbin) sont les meilleurs amis de la terre. Mais ils se voyaient moins depuis qu’ils avaient mis un point final à Donjon. Lancée en 1998, cette fabuleuse saga d’heroic fantasy au second degré se développe en arborescence sidérante. Elle témoigne de l’inépuisable créativité des auteurs et de leur armada de dessinateurs surdoués: Larcenet, Blutch, Blain, Menu, Killofer… Pour raffermir le lien de l’amitié, les deux démiurges ont décidé de relancer leur opus maximum et d’en élargir même les perspectives, puisque, aux périodes situées avant (Donjon Potron-Minet) et après (Donjon Crépuscule) le grand siècle du Donjon, s’ajoutent Donjon Antipodes –, situé 10 000 tomes avant avant, et Donjon Antipodes +, 10 000 tomes après après…

L’action de L’Armée du crâne se déroule donc dans la préhistoire, quand Terra Amata était peuplée de créatures humanoïdes, disparues par la suite. L’affaire commence comme le premier volet cinématographique du Seigneur des anneaux par une bataille titanesque entre elfes et orques. Coups de haches contre sortilèges, tous les combattants tombent au champ d’horreur. Tous, sauf deux clébards: un bouledogue haineux du côté orque et un chien-chien à ruban rose du côté elfe. Le premier est bête et costaud, le second chétif et malin. Forcés de s’unir, ils vont faire route ensemble, se confronter à l’inépuisable cruauté du monde et s’initier à la bipédie. Sans doute sont-ils les lointains fondateurs de la population zoomorphe de Donjon.

Hors des Remparts, qui s’inscrit dans la continuité du cycle zénithal, ressemble à un tour de chauffe, une manière de renouer avec les personnages iconiques. Herbert de Vaucanson, le canard fanfaron, porteur de l’épée du Destin, Marvin, le dragon râleur, et Isis de Céphalonie, la féline fiancée d’Herbert, se sont vu assigner une mission délicate: quérir un fugus purit, ce champignon qui, outre son odeur pestilentielle, a le pouvoir de réduire les pierres en sable. Accessoirement, ils doivent infiltrer l’Ordre des pourvoyeurs exécutaires dont le centre névralgique se trouve dans le vortex d’un tourbillon marin… Aventures, bagarres, disputes puériles, massages démonologiques et gags potaches abondent. Ce redémarrage annonce des lendemains radieux dans le Donjonland.


Genre: bande dessinée

Titre: Donjon: Hors des Remparts

Auteurs: Boulet (dessin), Joann Sfar et Lewis Trondheim (scénario)

Titre: Donjon Antipodes: L’Armée du crâne

Auteurs: Gregory Panaccione (dessin), Joann Sfar et Lewis Trondheim (scénario)

Editeur: Dargaud

Pages: 56 p

LE TEMPS



jeudi 4 février 2021

Joann Sfar / «Un livre, c’est fait pour dire nos doutes»

Joann Star / Le chat du rabbin


Joann Sfar: «Un livre, c’est fait pour dire nos doutes»

 

Dessinateur prolixe et surdoué, merveilleux conteur, l’auteur nous enchante avec «Le chat du rabbin» et une profusion de livres mêlant humour et sagesse. Le Cartoonmuseum de Bâle lui consacre une belle exposition: «Sans début ni fin»


Antoine Duplant
Publié vendredi 12 avril 2019 à 18:57
Modifié vendredi 19 avril 2019 à 13:27

En un quart de siècle, Joann Sfar a publié quelque 150 livres, sans oublier treize Carnets intimes et (déjà) 29 tomes de Donjon, la saga de fantasy pour rire qu’il coscénariste avec Lewis Trondheim. Entre deux albums, il trouve le temps de réaliser des films, un dessin animé, Le chat du rabbin, ou l’admirable

Nourri de bandes dessinées et de séries B, Joann Sfar aime les monstres, les trolls et les golems, les fantômes et les super-héros, les vampires petits ou grands… Ayant étudié la philosophie et les Beaux-Arts, il s’intéresse aussi à la mythologie grecque et aux présocratiques, à Chagall et à Dalí; il relit Le petit prince et Romain Gary, vénère Brassens et Gainsbourg. Un matou lui a valu une notoriété universelle: le chat du rabbin, l’insolent félin qui, doué de la parole, raille volontiers les hommes et leurs religions dans des histoires renouant avec la sagesse délectable des contes arabes.

LE TEMPS