samedi 30 novembre 2019

«La Servante écarlate» / Sous les bonnets blancs, la révolte



«La Servante écarlate»: sous les bonnets blancs, la révolte

La troisième saison de la célèbre dystopie, diffusée dès maintenant sur OCS, délaisse un peu la violence pour planter les graines d'une future rébellion. Un tournant bienvenu


Publié jeudi 6 juin 2019 à 21:34, 
modifié jeudi 6 juin 2019 à 21:36.

Une longue robe rouge sang et une cornette blanche. On peut ne jamais avoir regardé The Handmaid's Tale (La servante écarlate), ce costume nous est familier, régulièrement arboré lors de manifestations autour du monde - contre la venue de Trump à Varsovie, contre la loi anti-avortement à Buenos Aires...

En deux ans, la série produite par la plateforme Hulu est devenue symbole de la lutte pour les droits des femmes. Basée sur le roman éponyme de l'écrivaine Margaret Atwood, La Servante écarlate imagine un futur proche où les États-Unis, renversés par une dictature chrétienne fondamentaliste nommée Gilead, aurait réduit les femmes au silence et à des rôles prédéfinis. Au choix: servir, enfanter...ou mourir.
Margaret Atwood et Elisabeth Moss

Révolution écarlate

C'est justement au moment où la vague anti-avortement déferle aux Etats-Unis, violente et menaçante, que la saison 3 débarque sur nos écrans. Troublant timing. La fin d'une longue attente, aussi. Parce qu'il y a près d'un an, la fin de la deuxième saison avait laissé les téléspectateurs abasourdis, interloqués. On y voyait June (l'effarante Elizabeth Moss), enfin parvenue à la frontière de Gilead, refuser de monter dans la camionnette qui l'emmènerait loin de cet enfer, préférant confier son nouveau-né à une autre «handmaid», Emily. Mais pourquoi?!
On n'attendra pas longtemps pour la réponse, puisque la saison 3 reprend à peine quelques minutes après. On voit le van s'éloigner, ses phares comme des lucioles dans la nuit noire, et June qui court à perdre haleine sous le halo des lampadaires, priant pour que sa fille s'en sorte. Mais June en a une deuxième, Hannah, arrachée à ses bras et désormais élevée par la famille d'un commandant. Elle ne partira pas sans elle.
C'est donc l'amour maternel qui pousse June à retourner tête baissée dans la gueule du loup. Elle ne tarde d'ailleurs pas à s'introduire dans le nouveau foyer d'Hannah pour la récupérer, une tentative avortée et franchement mal préparée. Mais si June décide de se sacrifier, c'est aussi parce qu'elle a un plan: faire naître une révolution.

Marthas dans le coup

La servante repasse donc sa robe écarlate, après une punition inévitable - mais plutôt légère considérant sa fuite doublée d'un kidnapping. Les Waterford ne la reprendront pas, leur couple est désormais rongé par la rage et le chagrin de Serena, qui a laissé son bébé lui échapper. Et rappelons que son mari lui a quand même fait couper un doigt la saison précédente...
June atterrit ainsi chez le commandant Joseph Lawrence (Bradley Whitford, A la maison blanche), ce barbu qui avait aidé Emily à quitter le pays. Désormais, elle s'appelle «Ofjoseph» (les noms des servantes sont directement dérivés de celui de leurs maîtres) et on se dit qu'elle est plutôt bien tombée. D'autant que Lawrence se montre plus intéressé par ses bouquins que par les cérémonies de procréation. Mais le commandant n'est autre que la tête pensante de Gilead, qui a créé les colonies de travail où meurent des milliers de femmes, et qui se plaît à humilier ses servantes. Un personnage difficile à cerner, fascinant dans sa complexité.
Il n'empêche, June commence à planter les graines d'une rébellion. En s'associant aux Marthas - dédiées aux tâches domestiques - également dans le coup, ou en se mettant en quête d'alliés plus puissants. Dont certains de ses ennemis, ce qui peut laisser le téléspectateur un peu dubitatif. 

Explorer «l'après»

Dans les trois premiers épisodes, on retrouve l'atmosphère à la fois suspendue et angoissante, les monologues raillants de June et les clairs-obscurs de La Servante écarlate. Mais la série a pris un tournant. Après une deuxième saison insoutenable de violences, saturée de gros plans sur le visage terrifié d'Elizabeth Moss, ce troisième volet laisse la torture hors champ pour mettre l'accent sur la psychologie des personnages. En particulier celle des leaders de Gilead, tyrans glacés qui ont forcément des failles. Et qui dit failles, dit espoir. «C'est tellement important dans le monde actuel, et pour notre public, de montrer qu'il y a de l'espoir et une échappatoire», confiait récemment Elizabeth Moss au Guardian
De l'espoir, il y en a aussi au Canada voisin, où sont accueillis les réfugiés de Gilead. Parmi eux Emily, projetée dans ce monde où l'attendent sa famille et une batterie de tests médicaux - taux de cholestérol inclus. Avec intelligence, la série explore «l'après», tout aussi violent, et donne d'avantage de place à Luke, le mari de June. Une bouffée d'air bienvenue après la banlieue suffocante de Boston.
«Bénie soit la lutte» est la devise de cette troisième saison, et on ne peut que se réjouir de voir les femmes s'allier plutôt que subir. En novembre, Margaret Atwood publiera la suite de son roman, qui se déroule 15 ans après. On saura peut-être ce que la révolte a donné...

jeudi 28 novembre 2019

Sophie Marceau / «La musique grandit les mots»

Sophie Marceau






Sophie Marceau: «La musique grandit les mots»

L’actrice française vient à Genève réciter «Stabat mater furiosa» de Jean-Pierre Siméon mis en musique par la jeune compositrice Violeta Cruz. La création mondiale a lieu jeudi soir au BFM
Publié mercredi 27 novembre 2019 à 18:33, 
modifié jeudi 28 novembre 2019 à 11:52


Sophie Marceau
On connaît les Stabat mater dolorosa de Pergolese, Vivaldi, ou Scarlatti. Celui du poète Jean-Pierre Siméon est furieux. Et la partition de Violetta Cruz accompagne cette rage en musique. L’œuvre créée jeudi soir à Genève ne traite pas de Marie, affligée par la mort de son fils crucifié. Mais de la femme éternelle, révoltée par la violence d’un monde que les hommes malmènent.
C’est de la colère de la mère, de la sœur, de la fille et de l’amante qu’il est question ici. D’une «émotion noire et lourde» devant la vie martyrisée. Cette révolte sans âge rejoint notre actualité avec une acuité aiguë. Trente ans après l’écriture du poème jailli devant la barbarie de la guerre du Liban, les guerres, le terrorisme et la violence faite aux femmes n’ont pas faibli. Sophie Marceau est à Genève pour travailler sa partie de récitante dans l’œuvre à naître.
Sophie Marceau

Le Temps: Qu’est-ce qui vous a attirée dans ce projet?
Sophie Marceau: J’aime être surprise et entraînée dans des aventures inédites. Quand le GeCa m’a proposé ce package musical et littéraire, j’ai tout de suite accepté. Travailler avec des musiciens ouvre sur un autre univers et transforme le rapport au temps et à l’attention. Tout s’accélère dans notre société. Je viens du monde de l’image, qui est exacerbée partout. Plonger dans un bain sonore et une lecture littéraire, c’est comme arrêter la course du temps. Cela oblige à une concentration et une attention supérieures. J’ai eu un coup de foudre pour le texte. L’écriture est magnifique et le sujet me touche profondément.


Sophie Marceau

Comment se déroule le travail avec Jean-Pierre Siméon et Violeta Cruz?
Il est basé sur l’écoute. Nous échangeons beaucoup sur les coupes et nos façons de ressentir et d’exprimer l’histoire. Il y a une grande humanité dans les rapports. Etre en contact direct avec les créateurs est passionnant. Pour la partie musicale, j’ai été séduite par le langage et la personnalité très intenses de la compositrice. Son style est assez mélodique tout en restant concret. Je le trouve cinématographique, animé d’une grande puissance de pensée. Cela me rappelle Hitchcock et le cinéma des années 1930. Sa transcription des idées est très claire, parlante et illustrative, sur un imaginaire personnel.


Sophie Marceau

Est-ce la première fois que vous intervenez dans une pièce musicale?
J’ai été invitée par l’Orchestre philharmonique de Berlin et Simon Rattle dans Le Martyre de saint Sébastien de Debussy.




Quel souvenir gardez-vous de l’expérience?
J’ai adoré me glisser dans un flux qui me mène ailleurs. La musique grandit les mots, même si la poésie et la beauté des textes sont porteuses. Si je lis à nu, à plat, j’essaye d’imprimer mon rythme et de dégager des résonances intimes. J’engage mon corps, mon expressivité. Avec la musique, le travail est déjà à moitié fait. La signification de chaque mot est intensifiée et je n’ai plus qu’à me situer dans le mouvement imprimé. Cela demande à la fois de lâcher prise et de s’inscrire dans un travail d’équipe où chacun puisse trouver son espace en fonction de l’autre afin de se définir dans un tout. Je deviens une partie de l’orchestre, comme un autre instrument. Chacun doit s’emboîter dans l’autre. C’est magique.


Sophie Marceau

Comment la musique a-t-elle fait son chemin dans votre existence?
On en écoutait très peu dans ma famille. Je viens d’un milieu ouvrier de banlieue. Mon père a fait différents boulots comme routier ou peintre en bâtiment, notamment. Et ma mère m’a élevée avec mon frère, avant d’être vendeuse. Les terrains vagues étaient mes espaces de jeu et la musique n’est venue que progressivement. Petite, j’aimais bien Henri Salvador, qui me faisait un peu peur avec Zorro




Puis il y a eu les premiers disques de rock de mes cousins, une musique forte et revendicatrice qui me plaisait bien. Led Zep, ACDC, Police avant Pink Floyd, le jazz ou le classique plus tard. L’âge permet d’apprécier des choses qu’on ne comprend pas jeune, comme l’opéra, avec ses codes, ses longueurs, son univers d’un autre temps. Je constate à quel point la fréquentation précoce de la culture et de l’art est primordiale. Elle ouvre aux autres, à l’harmonie, à l’écoute, à l’observation et à la communion.
Dans «Stabat mater furiosa», vous incarnez l’accusation et la prière d’une femme en révolte. Le féminisme vous anime-t-il plus après MeToo et les féminicides?
Sophie Marceau
Bien sûr, plus que jamais. Nous vivons un tournant majeur avec la libération de la parole des femmes. Une période historique par l’ampleur planétaire du mouvement. Il faut défendre sans relâche les combats et les victoires acquises de haute lutte depuis des décennies. Le danger s’intensifie dans une société qui se barbarise.
Avez-vous été personnellement touchée par ce problème?
Comme toutes les femmes, particulièrement dans un métier où la séduction et le désir prédominent. Tout dépend de l’éducation, du tempérament et de l’attitude face à ce problème. J’ai su me protéger très tôt, dire non et choisir ce que j’estimais bon pour moi. J’ai des valeurs très solidement ancrées, comme le respect et la nécessité du travail. La Boum ne m’est pas tombée sur la tête à 12 ans par hasard. Je voulais faire quelque chose de ma vie, travailler pour aider ma mère, être libre le plus vite possible.




Une si jeune fille est pourtant très exposée…
Oui, mais ce n’est pas une fatalité. Il faut se battre pour sortir des clivages et des antagonismes qui servent le pouvoir et la domination. De quel droit quelqu’un peut-il s’arroger une supériorité sur une autre personne? Il faut éduquer les fils et les hommes à reconsidérer leur position, dans la famille et à l’école. Certains la subissent parfois et peuvent aussi être victimes d’une forme de dérèglement social, politique ou religieux. Hommes et femmes doivent apprendre à développer leurs affinités, leurs complémentarités et leur capacité à se comprendre. Sans quoi le monde est perdu.

lundi 25 novembre 2019

Keanu Reeves / L’amour n’a pas d’âge, sauf si vous êtes une femme

Alexandra Grant et Keanu Reeves


L’amour n’a pas d’âge, sauf si vous êtes une femme

OPINION. En dévoilant sa nouvelle romance avec une femme grisonnante, au début du mois, Keanu Reeves a été célébré comme un héros féministe. Réaction typique d’un monde où les femmes plus âgées dans le couple restent une anomalie, estime notre chroniqueuse
Virginie Nussbaum
Publié mercredi 20 novembre 2019 à 13:35, modifié vendredi 22 novembre 2019 à 14:20.

Interro surprise: que savez-vous de Keanu Reeves? Personnellement, qu’il était la star de Point Break et Matrix. Que son prénom se prononce «Ki-ya-nou» – une vraie bravade phonétique. Et qu’il a une nouvelle copine.
Vous étiez forcément au courant: depuis que l’acteur de 55 ans s’est rendu au gala Art + Film au bras d’Alexandra Grant, les réseaux sociaux n’ont cessé de s’extasier. Parce que Keanu reste habituellement discret sur sa vie amoureuse, mais surtout parce que l’exception en question, une artiste et amie de longue date…, a les cheveux gris.

Alexandra Grant et Keanu Reeves

Choc. Ravissement général. «Bien sûr que Keanu est en couple avec quelqu’un de son âge. C’est un homme bien», tweetait l’autrice américaine Britt Hayes. Alors que les stars d’Hollywood nous ont habitués à des conquêtes tout juste sorties de l’adolescence – un internaute a calculé l’âge moyen des compagnes de DiCaprio, il n’atteindrait pas 23 ans –, Keanu Reeves fait figure d’anomalie.
L’ironie, c’est que Grant a en réalité 46 ans, c’est-à-dire toujours neuf de moins que l’acteur. Pas de quoi lui offrir un pin’s. Et d’ailleurs, pourquoi devrait-on lui décerner quoi que ce soit? Sans vouloir jouer les rabat-joie, avouez que c’est plutôt fou d’applaudir un homme juste parce qu’il sort avec une quasi quinquagénaire bien dans ses baskets – qui, pour le coup, ne pourrait pas passer pour sa fille.
Fou, mais symptomatique. D’un monde où de nombreuses femmes, célèbres ou non, ont encore l’impression d’avoir un Migros Data tatoué sur le bras, une quote-part séduction vouée à se tarir, cheveux blancs après cheveux blancs – j’en ai honte, mais je me surprends à scruter mes premières rides en me demandant si la personne que j’aime les aimera aussi.

Fraîche et disposée

D’autant que, et j’enfonce une porte ouverte, la vision classique du couple reste celle d’un homme mûr avec une femme jeune, fraîche et disposée à jouer au trophée. Préhistorique. Pourtant, renverser les paradigmes, c’est s’attirer des regards interloqués, voire méfiants… et ce, même avant 30 ans.
Une amie d’enfance, en couple avec un garçon de six ans son cadet, m’a confié avoir eu du mal à parler de leur différence d’âge – et n’avoir pas échappé à la fameuse blague de la cougar. Pourrait-on en finir avec ce terme, qui évoque soit une prédatrice sexuelle, soit une bourgeoise désespérée? Comme si la relation ne pouvait être ni saine ni réciproque. D’autres ont émis la crainte qu’elle désire des enfants avant lui et qu’il se retrouve ainsi «coincé». Alors que cette décision, commune, n’appartient qu’à eux.
Résumons: soit la femme plus âgée doit remercier celui qui a bien voulu d’elle, soit on lui prête des intentions machiavéliques. «L’amour n’a pas d’âge», dit-on? Oui, enfin, ça dépend pour qui.


dimanche 24 novembre 2019

Rowan Atkinson / Maigre Maigret

Rowan Atkinson


Rowan Atkinson, 
maigre Maigret

L'acteur de Mr Bean incarne le commissaire de Simenon dans une étonnante nouvelle variation demandée par la chaîne ITV, famélique sur tous les plans
Nicolas Dufour
Publié dimanche 5 mars 2017 à 18:14, modifié mercredi 22 mars 2017 à 12:40.



Le comique qui se lance dans le registre dramatique, l’exercice est connu, et souvent réussi. Rowan Atkinson, Mr Bean, a déjà tenté d’autres aventures, s’en tirant plutôt bien. Le voici propulsé dans le personnage et le gilet de Jules Maigret, dans deux téléfilms de la BBC que France 3 a montrés ces temps, et qui vont sortir en DVD en édition francophone. Deux autres chapitres sont attendus cette année. Mr Bean en Maigret? Il y a là un défi stimulant, excitant, de quoi faire chauffer la pipe.

Revenons à Gabin, Cremer voire Richard

Elle refroidit vite. Ces enquêtes sont plates à presque tous les niveaux et offrent un piètre nouveau chapitre aux adaptations du commissaire de Simenon, magnifié naguère par Jean Gabin et Bruno Cremer – il faudrait même se pencher à nouveau sur Jean Richard, souvent un peu vite remisé comme paternaliste d’ancien régime.
Stewart Harcourt, le scénariste des nouvelles versions, a quelque expérience. Il a écrit Le Crime de l’Orient-Express dans la version portée par l’acteur David Suchet et il a adapté les enquêtes d’Agatha Raisin.

Les volutes comme palliatifs à la déco

Il fait ce qu’il peut, mais le cadre donné à ces Maigret paraît trop contraignant. ITV, la chaîne commanditaire, a limité les risques, et cela se voit. Les rues de Paris – c’est-à-dire Budapest, le lieu de tournage – se résument à des vignettes combinant bouts de trottoirs, antiques bagnoles pas trop nombreuses et vieilles enseignes fabriquées à deux sous. Les intérieurs, d’un vide déconcertant, sont remplis tant bien que mal par les volutes des cigarettes et des pipes, devenues palliatives pour une décoration en rade. Les intrigues se nouent ainsi dans une ambiance feutrée, diminuée, restreinte. Tout paraît posé pour réduire le propos, comme la réalisation.
Sourcils presque fillonesques toujours bien froncés, Rowan Atkinson fait le policier sérieux, et taiseux. Maigret n’est certes pas un bavard. Mais là aussi, la consigne semble se résumer simplement: en faire le moins possible. Dès lors, il ne se joue rien dans des téléfilms qui ne fabriquent rien. Maigre Maigret.