mardi 29 septembre 2020

Emmanuel Carrère / 
«Je ne sais plus écrire 
que ce qui s’est passé»

Emmanuel Carrère


Emmanuel Carrère: 
«Je ne sais plus écrire 
que ce qui s’est passé»


«Il est avantageux d’avoir où aller» rassemble, 
par ordre chronologique, une série de chroniques 
et d’articles de la main de l’écrivain. On y trouve 
les origines de ses livres, sa quête d’écriture 
et un autoportrait en creux

Eléonore Sulser
Publié dimanche 21 février 2016 à 15:37

Trouver sa place. Savoir où l’on est, qui on est, d’où on parle, d’où on écrit, d’où on regarde. A lire Il est avantageux d’avoir où aller, livre où Emmanuel Carrère a rassemblé toute une série de textes rédigés entre 1990 et 2015, on se dit que sa quête, en tant qu’écrivain, est là. Qu’elle vise, d’abord, à savoir où il se trouve, en tant qu’auteur et en tant qu’homme. Il la définit d’ailleurs indirectement, en évoquant le travail d’une jeune photographe, Darcy Padilla, dans un article intitulé «La vie de Julie»: «Elle va vers eux (ses sujets), elle ne cesse de se demander ce que c’est d’être à leur place, mais elle reste à la sienne. Comme dirait mon ami le magistrat Etienne Rigal, pour qui c’est le plus grand compliment qu’on puisse faire à un être humain: elle sait où elle est.»

Jaguar

Si cette quête du juste lieu est bien centrale, dans le travail d’Emmanuel Carrère, le titre du recueil, Il est avantageux d’avoir où aller, dont l’auteur nous dit qu’il vient d’un tirage du Yi King, n’a rien de hasardeux. L’hexagramme chinois le dit: trouver le chemin, trouver une voie, arriver quelque part est ce qu’il y a de plus souhaitable lorsqu’on écrit. Parti de la fiction (L’Amie du jaguar, Flammarion, 1983) Emmanuel Carrère en est peu à peu arrivé à n’écrire plus que sur le réel: «J’ignore où cela me mène, mais je ne sais plus écrire que ce qui s’est passé», écrit-il en 2006 alors qu’il traverse les événements qui donneront naissance à D’autres vies que la mienne (P.O.L, 2009).

L’avènement du «je»

Trouver sa place, c’est peut-être d’abord trouver sa voix. Elle s’installe vite dans les articles d’Emmanuel Carrère. Le «je» surgit dès le second article, daté de février 1990 qui porte, comme le premier (paru en janvier 1990) sur une affaire judiciaire. 500 pages plus tard, il est toujours là. Il se renforce, s’installe dans ses articles, comme dans ses livres, d’ailleurs. Ce n’est pas simplement, le «je» d’un témoin, c’est un «je» pensant, affectif, plein de doutes, parfois agaçant ou plaintif. Sa subjectivité est assumée: «Voilà. L’article qu’on vient de lire n’était pas mensonger, en ce sens, que j’ai entendu les propos, vu les choses, éprouvé les impressions que je rapporte. En revanche, il est probablement erroné. J’ai pu me tromper sur tout», écrit-il à la fin d’un reportage en Roumanie, après Ceausescu.

Hardi

Mais le «je» sait aussi se faire hardi, scrutant aussi, et surtout, avec acuité, les êtres qui l’entourent. Il se clame loyal, mais sait être incisif: «Ce que j’ai à dire maintenant est un peu plus délicat mais tant pis, je le dis.»

Car c’est son semblable, son frère, qu’observe Emmanuel Carrère. Dans ses articles, tantôt de commande, tantôt propositions de reportages, parfois lettres, projets de films de fiction, les vies ou tranches de vie prédominent. Voici quelqu’un, un écrivain (beaucoup d’écrivains, Michel Déon, Daniel De Foe, Philippe K.Dick, Truman Capote, Limonov, saint Luc, Sébastien Japrisot); un savant (Alan Turing, Orlando Figes); un criminel (Jean-Claude Roman, une mère infanticide, un jeune homme assassin); un artiste (Darcy Padilla et son sujet Julie, Claude Miller, Emmelene Landon) à saisir, à croquer, à peindre ou à esquisser.

Portraitiste

«Je me considère dans ma partie comme une sorte de portraitiste», écrit Emmanuel Carrère. L’auteur aime regarder et écrire d’après nature. Trop de direct ne semble pas lui convenir. L’échange avec l’autre a bien lieu, mais en amont, il est là pour nourrir l’écriture à venir. Pour preuve – peut-être? –, cette interview de Catherine Deneuve qui n’eut pas lieu, et qu’il remplaça par un beau portrait, en situation, intitulé, «Comment j’ai complètement raté mon interview de Catherine Deneuve».

L’œil de l’autre

Il est tentant de chercher, dans l’œil, de l’autre une réponse à sa quête. Dites-moi qui je suis, où je suis? De guetter la réponse. Mais, d’articles en article, Emmanuel Carrère montre que ça ne marche pas. Il faut assumer, entièrement, périlleusement, en solitaire la place qu’on occupe ou qu’on veut occuper. C’est ce qu’il apprend à ses dépends, face à Catherine Deneuve, devant qui «la plupart des gens, et je me suis aperçu que je n’y faisais pas exception, pensent d’abord à eux-mêmes et à l’impression qu’ils vont faire. Et dès qu’on pense comme ça, c’est foutu». La leçon vient aussi de l’écriture de L’Adversaire, le livre qu’il a consacré à Jean-Claude Romand, qui reste en panne, tant qu’il ne se pose pas «la question de la première personne. Je croisais les points de vue, me demandais sans relâche quelle version raconter, de quelle place, et je n’y pensais pas, tout bonnement, à la mienne. Et si je n’y pensais pas, je suppose, c’est parce que j’en avais peur».

Un peu catho

Ainsi, tout portrait devient autoportrait. C’est ce qui frappe à la lecture de ces textes, où l’on retrouve un Emmanuel Carrère «un peu catho» dans ses premières chroniques, «et pour cause: elles ont été écrites au plus fort de la crise religieuse que j’ai racontée vingt-cinq ans plus tard dans mon livre Le Royaume», dit-il en commentaire. On le croise en grand lecteur – «Je fais partie des lecteurs boulimiques qu’ils en ont honte»; en jeune homme – «J’étais un adolescent à cheveux longs, veste afghane et petites lunettes rondes, terriblement timide»; en amoureux angoissé – «depuis huit mois seulement que nous nous connaissions, nous nous étions arrêtés à l’amitié sexuelle, un état à vrai dire délicieux mais qui dans mon esprit ne pouvait perdurer qu’à condition de ne pas prononcer un certain mot». On suit l’auteur dans ses obsessions: «A peine bouclé ce double récit, j’ai commencé à avoir envie de retourner à Kotelnitch – de façon insistante, mystérieuse, sans savoir qui m’attirait dans cette petite ville russe peu attirante», ou ses tics rigolos: plusieurs «Maître Yoda» se baladent dans ces pages.

Guide de lectures

Voici donc un autoportrait, sous des angles multiples, épars, divers, mais aussi un guide de lecture et d’écriture. Car, sous couvert d’articles, Emmanuel Carrère ne cesse d’interroger la littérature, et cette alchimie des mots, capable de capturer le réel non sans le transmuer au passage et dont certains livres donnent à penser qu’il est plus mystérieux que l’on croit. Lire Il est avantageux d’avoir où aller donne envie de plonger ou replonger dans La Vérité avant-dernière, de Philip K.Dick, dans L’Etrange cas du Dr Jekyll et M. Hyde, de Stevenson, dans La Machine, de René Belletto, dans Piège pour Cendrillon, de Sébastien Japrisot, de découvrir Epépé, de Ferenc Karinthy mais aussi Ethan Frome, d’Edith Wharton, Austerlitz de W.G. Sebald, La Supplication, de Svetlana Alexievitch ou Le Cavalier suédois de Leo Perutz. Bien d’autres encore sont là, aimés, convoqués, pris pour modèle, à l’instar de Balzac dont Emmanuel Carrère souligne la grande liberté «Et voilà. Règle d’or, quand on écrit de la fiction: si un truc vous embête, je jamais s’y croire obligé».

Prémices


Cinq cents pages pour tourner autour d’Emmanuel Carrère, se promener dans les prémices de ses livres, retrouver ce qu’on sait déjà de lui, souvent. Mais ça en vaut la peine. Parce que ce diable d’écrivain manie la plume avec une aisance et qui vous emmène ainsi n’importe où; qu’importe si on connaît déjà l’histoire, s’il revient sur ses pas pour la énième foi, on est prêt à la relire puisque c’est lui qui l’écrit, qui la raconte avec sa fluidité propre. Mais cela en vaut la peine, aussi, parce que, trouver sa place, savoir d’où l’on parle et où l’on est exactement face aux autres, face au monde, ce n’est pas que sa quête à lui, mais celle de chacun de nous.

LE TEMPS




dimanche 27 septembre 2020

"Toxique", de Françoise Sagan / Une cure de Sagan



"Toxique", 

de Françoise Sagan : une cure de Sagan

Nouvelle édition de cet étonnant journal de désintoxication, illustré par Bernard Buffet, qui avait été publié confidentiellement en 1964.

Par Raphaëlle Rérolle 

Publié le 08 octobre 2009 à 10h11 - Mis à jour le 08 octobre 2009 à 10h11


C'est un tout petit livre brutal et plein d'humour - moins de cent pages frémissantes, si remplies de désirs, de curiosité, d'angoisse et de peurs, qu'on s'étonne un peu de ne pas voir surgir la femme qui les a écrites. La femme ? Une toute jeune personne appelée Sagan, presque une enfant : 22 ans, menue comme un chat, mais un chat qui aurait déjà vécu plus de sept vies - en tout cas plus que beaucoup d'autres. En 1957, trois ans après l'immense succès de Bonjour tristesse, son premier livre, la romancière est hospitalisée dans une clinique, pour une cure de désintoxication. Là, au milieu des schizophrènes et des "débiles", elle s'ennuie ferme, elle a peur, elle lit beaucoup. Et puis elle écrit, jetant ici et là les fragments d'un journal étrangement lucide et fort. Publié de manière fugitive en 1964, avec des dessins de son ami Bernard Buffet, puis tombé dans un oubli total pendant près de quarante-cinq ans, ce texte intitulé Toxique sera publié par les éditions Stock, le 14 octobre. Nous en donnons ici des extraits.

La reproduction d'un texte manuscrit de Françoise Sagan figure en ouverture du livre. Une courte lettre à l'écriture chaotique, quinze lignes à peine, et toute striée de ratures. "En 1957, écrit-elle, après un accident de voiture, je fus, durant trois mois, la proie de douleurs suffisamment désagréables pour que l'on me donnât quotidiennement un succédané de la morphine appelé le "875" (Palfium)."

Tout le flegme de la romancière est là, son humour pince-sans-rire et son sens élégant du tragique. En fait de douleurs "désagréables", elle avait souffert le martyre. Après que son Aston Martin fut partie dans le décor sur une route de campagne, cette passionnée de voitures avait passé plusieurs jours entre la vie et la mort, puis des semaines à lutter contre une douleur que les médecins soulagèrent en lui administrant du Palfium - sans doute trop et trop longtemps. Elle se sortira des blessures, mais jamais de la dépendance à la drogue, qui la poursuivra toute sa vie.

Hospitalisée pour essayer d'enrayer cette dépendance, elle décide de tenir une sorte de journal. Un remède contre l'ennui, peut-être, mais aussi contre la peur qui la tenaille. Peur du manque, peur du vide et surtout de la souffrance, la sienne ("la souffrance me diminue") et celle des autres, ces pensionnaires qu'elle entend sangloter dans leurs chambres, ces "douces dames schizophrènes" qui se baladent "dans les allées mortes de ce parc, chapeau violet de paille sur un crâne agité, obstiné parfois sur une petite idée, une merveilleuse petite idée qui les comble".

Bordé par les dessins austères et souvent morbides de Bernard Buffet, le texte est un mélange de très grande jeunesse, de fraîcheur et d'une incroyable perspicacité sur sa personnalité, cette façon bien à elle de rester en marge.

"Pourquoi n'ai-je jamais pu entrer dans les situations ?", se demande-t-elle ainsi, au sujet de certains épisodes de sa vie sociale. Pourquoi Le lecteur n'a pas de réponse, mais une idée quand même : n'est-ce pas justement parce qu'elle était, profondément, un écrivain, que Françoise Sagan restait au bord, en position d'observatrice ? A plusieurs reprises, elle s'interroge sur ce qu'elle pourrait écrire, commente son style ("Mon domaine, c'est apparemment "il a mis le café dans la tasse, il a mis le lait dans le café, il a mis du sucre etc.". Le quotidien triste"), ses lectures et puis, soudain, cette phrase magnifique, cette phrase d'enfant joyeuse qui la fait vivre intensément : "J'adore écrire." Non, vraiment, Sagan n'est pas tout à fait morte.


TOXIQUE de Françoise Sagan. Illustrations de Bernard Buffet. Stock, 78 p., 15 €.


LE MONDE




vendredi 25 septembre 2020

Emmanuel Carrère / «Un livre politique peut aussi être un roman d’aventures»

 

Emmanuel Carrère


Emmanuel Carrère: «Un livre politique peut aussi être un roman d’aventures»

C’est le roman d’un fasciste, «mais c’est plus compliqué que ça», note Emmanuel Carrère, l’auteur de «D’autres vies que la mienne». Il adore de sa plume déplier le réel, en particulier lorsque celui-ci est complexe, comme dans ce «Limonov», un texte impressionnant d’énergie

Publié vendredi 2 septembre 2011 à 22:31

Emmanuel Carrère , 53 ans, vit dans un bel appartement parisien. On y croise ce jour-là sa fille, sa compagne, son beau-frère et ses filles. La famille rentre de vacances. Malgré la banalité joyeuse de la situation, quelque chose d’un peu magique flotte dans l’air, pour le visiteur qui a lu les livres d’Emmanuel Carrère. Tous ces gens, y compris l’auteur, il les a croisés dans ses livres. Leur matérialisation subite intimide, enchante: ce passage du livre au réel a quelque chose de mystérieux. Pour Emmanuel Carrère, c’est autre chose: l’opération se fait en sens inverse. Dans ce nouveau récit, Limonov , l’objet de l’écriture, participe toujours du réel, mais de loin. Edouard Limonov vit en Russie. C’est un personnage public, un homme politique à la tête d’un parti de crânes rasés, opposant à Poutine, écrivain et, lui aussi, portraitiste à ses heures. Le lien n’est pas direct, entre Carrère et Limonov, l’écriture sans doute beaucoup plus libre. Carrère parle de ce livre-là, avec force, enthousiasme, plaisir, même s’il prend ses précautions, sachant son sujet aussi passionnant que sulfureux. 

Samedi Culturel: Quelle est pour vous la différence entre journaliste et écrivain? Emmanuel Carrère: Depuis maintenant plus de dix ans, je n’écris plus de fictions, mais des livres, dont plusieurs, que ce soit L’Adversaire (sur Jean-Claude Romand) ou celui-ci, s’enracinent dans une démarche assez journalistique: un travail d’enquête, de recherches qui se donne comme contrainte la véracité, le respect des faits, avec, évidemment, une marge d’interprétation, de mise en scène. Il y a tout un travail de narration qui fait que les faits ne sont pas bruts, mais le matériau reste journalistique. La différence est peut-être celle qu’il y a entre un 100 mètres et un marathon. On ne s’y prépare pas de la même façon.

Le fait de vous mettre en jeu dans le récit, n’est-ce pas aussi ce qui vous distingue d’un journaliste?

Pas forcément. Dans le reportage sur Edouard Limonov que j’ai fait pour le magazine XXI – qui est à l’origine de ce récit –, j’utilise aussi la première personne. Cela m’a semblé faire partie du récit, même dans un cadre journalistique. Ce n’est pas de l’exhibitionnisme, mais de l’honnêteté vis-à-vis du lecteur qui consiste à préciser dans quel cadre on lui raconte ce qu’on lui raconte. Je suis très attaché à la vieille question soixante-huitarde: «D’où tu parles?» J’ai aussi été marqué par ce qu’on a appelé le nouveau journalisme en Amérique ou, en France, par un magazine du type Actuel , où l’implication de l’enquêteur, du journaliste est constante. C’est cette école-là qui m’a formé. J’y reste fidèle. Je ne vois pas là du maniérisme mais une vérité, une justice. Il me paraît important de dire que c’est moi qui parle, avec mes préjugés et mes œillères éventuelles.

Vous avez connu Limonov à Paris dans les années 1980, vous le retrouvez vingt ans après, et vous vous dites: écrivons une biographie…?

Edouard Limonov est très peu connu. Il n’y a guère de gens qui seraient a priori curieux de lire sa biographie. Ma démarche est différente. J’aimerais qu’on puisse lire ce livre comme si on lisait une fiction. Dans Limonov, le personnage est réel, mais les raisons de le lire sont à chercher du côté du romanesque.

Le fait que votre sujet se pense lui-même en héros de roman a dû rendre votre travail plus confortable que dans D’autres vies que la mienne ou Un Roman russe où vous parliez de gens proches de vous?

C’est vrai. Je ne me sens pas tenu à grand-chose à l’égard de Limonov. C’est un grand garçon. Il a le cuir coriace. C’est un personnage public. Il a lui-même, dans ses livres, traité un tas de gens sans aucun ménagement. Mais il y a plus. Par moments, écrire n’était pas seulement de l’ordre du confort, mais aussi de l’ordre du plaisir. C’était compliqué, bien sûr, mais il y a dans la façon d’être de Limonov une espèce d’énergie communicative. Elle a porté le livre, lui a donné un tempo assez vif, allègre, un côté tambour battant qui n’est pas vraiment le mien. Ce n’était pas une souffrance d’écrire cette vie. Il y a chez Limonov un côté sale gamin, très drôle. C’est un personnage de roman picaresque…

Redoutez-vous qu’on vous reproche, à la parution du livre, d’avoir choisi un héros a priori peu recommandable?

On peut me reprocher quoi? De me laisser aller à une fascination irresponsable? Je pense que Limonov est fasciste, que c’est peut-être un salaud. Mais cela ne veut pas dire que c’est une crapule. Il n’est pas intéressé, pas hypocrite, pas lâche. Montrer qu’un fasciste peut ne pas être une crapule fait partie de la complexité du monde. Tous les reproches possibles, je me les suis suffisamment formulés à moi-même pour être tranquille.

Quelle est votre opinion au fond sur Edouard Limonov?

Parfois, je le ressens comme mon ennemi. En même temps, je le respecte. Je trouve qu’il n’est pas rien, qu’il n’est pas un «petit» bonhomme; il est cohérent, il a le courage de ses opinions, il assume les conséquences de ses actes. Il a un désir presque fanatique de connaître tout l’éventail de l’expérience humaine. Sa vie, j’ai été heureux de la trouver. Elle m’a apporté une énorme matière romanesque. Si, en retour, ça lui rapporte de nouveaux lecteurs, un nouvel intérêt, tant mieux! Il n’y a pas de contrat entre nous, pas d’amitié. De la considération, plutôt. Bizarrement, cette absence d’amitié, je lui en sais gré. D’autres à sa place, voyant qu’un écrivain français un peu connu s’intéressait à eux, m’auraient dragué. Il n’a rien fait de tel. Il a de la tenue. Sa réaction au livre le prouve: «Cher Emmanuel, m’a-t-il écrit. La presse française semble accueillir très bien votre livre. Je lui souhaite un grand succès. Quant à ce que j’en pense moi, je vous le dirai plus tard ou peut-être jamais. C’est mieux comme ça. Avec mon amitié.» Bien joué! j’ai pensé, comme un bon coup aux échecs.

«L’homme qui se juge supérieur, inférieur ou même égal à un autre homme ne comprend pas la réalité.» Ce soutra que vous citez semble au centre de votre livre?

Il est en effet comme une espèce de cœur secret d’un livre qui, en même temps, illustre une destinée qui prend au pied de la lettre l’opposé de ce petit soutra: la loi du plus fort. Edouard Limonov a un ego démesuré, un ego exigeant – surtout à son propre égard, car il faut lui reconnaître qu’il est courageux, énergique. L’idée d’un ego supérieur est exacerbée chez lui. Elle ne m’est pas étrangère non plus, il faut bien l’avouer. Mais lui pense que c’est la vision juste de la vie. Moi, je pense que le travail de toute une vie consiste en grande partie à corriger cette hypertrophie de l’ego, cette idée qu’il faut toujours être le numéro un. Cela me semble très proche de la vérité. En tout cas, c’est une vérité dont j’ai envie de m’approcher.

Depuis que vous avez écrit Un Roman russe, vous élargissez votre focale. D’autres vies… et ce livre-ci sont plus résolument pluriels, plus ouverts – la vie des gens, l’histoire –, ils sont plus politiques aussi…

C’est curieux, c’est vrai. Pendant longtemps, je me suis senti très éloigné non seulement de tout engagement politique, mais même de tout intérêt pour le politique au sens large. Une position de repli. Quelque chose a bougé. Plus j’avance, plus je pense que c’est intéressant d’être ouvert à ça. L’idée, avec Limonov, était de faire un livre d’histoire, un livre politique, mais aussi un roman d’aventures. Que ce soit du Dumas! Le Comte de Monte-Cristo!

Un Roman russe a été écrit contre le désir de votre mère. Ici, vous retrouvez la Russie et rejoignez Hélène Carrère d’Encausse sur un terrain qui est le sien, l’histoire. C’est un hommage?

Ecrire Un Roman russe m’était nécessaire et m’a presque sauvé la vie. J’ai pris le risque, en racontant un secret de famille, de transgresser une espèce d’obligation morale, le faisant. Je sais que j’ai blessé ma mère. Donc, avoir l’occasion de dire ici tout le bien que je pense d’elle, tout ce que je lui dois et qui, venant d’elle, m’a formé, j’ai été ravi de la saisir.

Poète, petite frappe, majordome, combattant, écrivain, politicien, etc. Les vies de Limonov représentent une matière énorme et disparate. Comment avez-vous travaillé?

Je fais plusieurs versions. Je mets d’abord toutes mes recherches sur la table, et je les couds ensemble, même si, par la suite, d’autres informations s’ajoutent. (A un moment donné, j’en avais tellement que j’ai eu la tentation de fermer le guichet à informations.) Depuis pas mal de livres, j’écris au moins trois versions. Il y a d’abord un truc complètement informe, puis un second jet où cela se dessine et enfin, la troisième version qui est vraiment le montage final. Pour ce livre-là, j’ai énormément coupé. Il aurait pu faire 300 pages de plus. Je n’ai pas coupé de bla-bla, mais de véritables épisodes, comme l’enquête que mène Limonov à Krasnoïarsk sur un oligarque sibérien. Il y a passé trois mois. Comme moi avec lui, Limonov est allé le voir et lui a dit: «Votre vie m’intéresse.» C’était un vrai polar cet épisode. Je l’ai coupé pour des raisons d’économie narrative, mais c’était un crève-cœur. Et je le regrette aujourd’hui.

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Modèles et références d’Emmanuel Carrèredans «Limonov»

«Le Comte de Monte-Cristo» d’Alexandre Dumas

«Raging Bull» et «Les Affranchis»de Martin Scorsese

«Barry Lyndon» de Stanley Kubrick

Les romans de Henry Miller

«Un héros de notre temps»de Lermontov, qui aurait pu donnerson titre au livre

Les romans de l’écrivain russe Zakhar Prilepine, lui-même «nasbol», membre du parti de Limonov

LE TEMPS



vendredi 18 septembre 2020

Emmanuel Carrère / «L’écriture est une sorte de yoga»

 


Emmanuel Carrère, à Locarno, août 2018. — © KEYSTONE/Alexandra Wey


Emmanuel Carrère: «L’écriture est une sorte de yoga»

Emmanuel Carrère poursuit sa vertigineuse quête introspective en mariant dans un même livre sa pratique de la méditation, la dépression sévère qu’il a traversée et les attentats de «Charlie Hebdo»


Au creux de l’été, dans le département du Var. Emmanuel Carrère nous a convié à la villa dite «des papillons», immergée au milieu des figuiers et des chênes, pour discuter de son nouveau livre: Yoga. Il est 16h, le chant des cigales tapit l’espace sonore. L’écrivain propose de s’installer sur la terrasse. Nous ne sommes pas deux, mais trois. Une petite statuette de Bouddha en position du lotus apparaît sur le côté et semble nous assister. C’est de bon ton pour inaugurer une conversation toute familière, à l’instar de Yoga: l’histoire partagée d’une quête introspective.

Cette atmosphère idyllique est néanmoins entachée par de lourdes basses et les cris de voisins ivres qui font la fête. Deux atmosphères qui contrastent, s’opposent, mais se côtoient. Une bipolarité entrelacée, à l’image de celle dont parle Emmanuel Carrère dans un livre qu’il qualifie à la fois de «souriant et subtil sur le yoga» et d’«autobiographie psychiatrique» – aux antipodes de la gaieté. Yoga raconte l’illusion d’un idéal et le dévoilement d’une réalité intérieure tortueuse. On y oscille entre sagesse et folie à travers une écriture limpide qui décrit les aléas d’une enquête sur soi saisissante, troublante et parfois comique.

Emmanuel Carrère: Pratiquant le yoga depuis longtemps, je me suis dit que je pouvais en apporter un témoignage, qui ne serait pas du tout celui d’un maître mais d’un apprenti. Le yoga a suffisamment d’importance dans ma vie depuis une trentaine d’années pour que j’essaie à tâtons d’en dire quelque chose qui puisse être intéressant et peut-être utile.

Mais pas sous la forme d’un essai ou d’un manuel?

La forme dans laquelle je suis le plus à l’aise et qui me permets d’attraper le plus de choses est la forme narrative. J’ai besoin de raconter quelque chose, pas seulement d’exposer des idées. J’intègre les idées dans un récit dont je suis le narrateur à la première personne.

Le terme «yoga» recouvre un champ de pratiques diverses et peut s’entendre de multiples façons. En quel sens l’appréhendez-vous?

Quand je parle de yoga, j’y inclus, en fait, aussi la méditation et même certains arts martiaux comme le taï-chi, c’est-à-dire toutes ces pratiques qui ont en commun d’être des pratiques corporelles, mais qui sont aussi plus que cela. Le yoga est certes une excellente gymnastique, très bienfaisante, mais cet aspect n’est que le premier palier d’une visée plus ambitieuse. Le yoga vise une exploration et un élargissement de la conscience, un dépassement des fonctionnements de la conscience centrés sur l’ego. Il comporte une visée de transformation très profonde, très radicale.

On n’est pas d’un côté un mec spirituel qui fait du yoga et de l’autre un mec qui fait une lourde dépression, il s’agit de la même personne.

Le récit commence d’ailleurs par une retraite de méditation Vipassana que vous avez faite au début de l’année 2015, peu avant les attentats de «Charlie Hebdo» et une très sévère dépression. Pourquoi le raconter dans un livre sur le yoga?

En effet, marier dans un même livre yoga et dépression lourde ne va pas de soi. Mais j’ai justement trouvé intéressant d’écrire sur l’aspiration à la sérénité, à la sagesse ou tout simplement à l’unité de la conscience – ce vers quoi tend le yoga ou la méditation – et en même temps sur la tendance de la conscience à se désagréger, à cette espèce de débâcle psychique dans laquelle je me suis trouvé. On n’est pas d’un côté un mec spirituel qui fait du yoga et de l’autre un mec qui fait une lourde dépression, il s’agit de la même personne. C’est la même réalité psychique qui prend des tours différents.

Dans un roman, rassembler yoga, attentats et dépression aurait pu paraître exagéré?

Oui, or Yoga est un livre autobiographique. La première justification de raconter tout cela est que c’est arrivé à la même personne, c’est-à-dire moi, dans les mêmes trois ans. Dans une fiction, je ne vois pas pourquoi j’aurais imaginé cette collusion entre l’histoire de Charlie Hebdo, ma dépression ou encore mon histoire avec les migrants sur l’île de Leros. La fiction est tenue à la vraisemblance. Dans une autobiographie, cela s’est passé, donc je le raconte et j’essaie de rentrer tout cela dans le même récit. C’est mon karma de fabriquer des récits.

Dans «Le Royaume», livre qui précède «Yoga» et raconte la naissance du christianisme à travers la figure fondatrice de Paul, il est aussi question de votre rapport à la foi. Est-ce que «Yoga» peut se comprendre comme la suite d’une quête spirituelle?

Oui, il y a quelque chose du même ordre. Mais en voulant absolument adhérer au christianisme, auquel je continue à être attaché, il y avait à cette époque en moi un désir de foi, au sens de croyance. Je voulais y adhérer, peut-être même en me forçant. J’essayais de me convaincre de croire aux articles de foi tels qu’ils sont résumés par le credo. Je continue à me sentir chrétien en ce sens qu’il y a dans la parole de l’Evangile quelque chose qui me paraît incroyablement précieux, agissant. Mais il n’y a pas une ligne du credo à laquelle je peux dire adhérer.

Dans le yoga, il n’est pas question de croyance ou de foi?

Bien que nés dans un contexte religieux, la méditation et le yoga sont des pratiques qui n’ont pas un caractère religieux. Il s’agit d’une expérience de la conscience pour laquelle on acquiert quelques recettes, au demeurant très simples. Ensuite, c’est à nous de nous débrouiller. C’est un travail qu’on nous incite à faire en nous disant: «Si tu le fais assidûment, quelque chose va se passer.» Ce quelque chose peut être infime ou pas, ou totalement fugitif, mais il vise à nous faire accéder à un peu plus de connaissance de soi-même et du monde qui nous entoure. Cela peut être pratiqué hors de toute espèce d’assujettissement religieux.

Dans le livre, vous rappelez que l’écriture est pour vous une façon de connaître la réalité…

Oui, comme la méditation. La méditation est une façon de connaître d’abord sa réalité psychique, et l’écriture aussi à mon sens en est une façon. En écrivant, je n’écris pas quelque chose que je sais déjà.

L’écriture participe-t-elle à l’exploration de soi?

Ah oui! C’est ma façon d’essayer de progresser dans la connaissance de moi-même et du monde. C’est le seul instrument dont je dispose.

L’écriture est-elle alors une sorte de yoga?

Oui, tout à fait. Mais les disciplines comme le yoga ou la méditation tendent sinon à annihiler, du moins à éroder un peu l’ego alors que l’écriture est ambivalente. Elle tend à cela, mais en même temps, il ne faut pas se leurrer, elle est aussi le siège de l’ego, en tout cas quand on en fait son métier. C’est une chose paradoxale pour moi.

Pour vivre, on a besoin d’un récit, d’un récit de soi-même, d’une idée qu’on se fait de son identité.

Parmi les multiples définitions de la méditation données dans le livre, il y a celle-ci: «Cesser de se raconter des histoires.» Autrement dit, cesser de se bercer dans une illusion du monde et un idéal de soi. Mais en racontant votre histoire, n’êtes-vous pas justement rattrapé par un récit illusoire et un idéal de soi?

Mais bien sûr! On vit en se racontant une histoire. Pour vivre, on a besoin d’un récit, d’un récit de soi-même, d’une idée qu’on se fait de son identité. Mais un des effets du yoga ou de la méditation est tout de même de défaire autant que possible ce récit, de donner un peu de jeu pour qu’on en soit moins prisonnier. La psychanalyse aussi tend à cela. On est toujours dans le paradoxe, le récit emprisonne mais il permet aussi de se déployer.

LE TEMPS







mercredi 16 septembre 2020

Avec l'affaire Gabriel Matzneff, doit-on regarder la filmographie d'Eric Rohmer autrement ?




Avec l'affaire Gabriel Matzneff, doit-on regarder la filmographie d'Eric Rohmer autrement ?


Le 10 janvier dernier, on célébrait, si l'on peut dire, les dix ans de la disparition d'un des plus grands cinéastes français Eric Rohmer. Excepté un article du Figaro, aucun des journaux qui ont si longtemps encensé le chef de file de la Nouvelle Vague n'a fait mention de cette date d'anniversaire. Il faut bien avouer que l'an passé, à la même époque, Eric Rohmer avait eu droit à un hommage très médiatisé, lié à la rétrospective que lui avait dédié la Cinémathèque Française. Peut-être que ces médias pensaient en avoir fait suffisamment. De même, à part quelques cinéphiles égarés, peu de mouvements sur les réseaux sociaux pour marquer admiration et affection à l'égard d'un artiste majeur du 7e Art. Pourtant, ce silence médiatique nous interroge. Après tout, dans sa liste des cent plus grands films français de tous les temps publiée en 2014, la rédaction des Inrocks en plaçait pas moins de quatre, dont Les Nuits de la Pleine Lune en 5e position. Tant mieux, c'est aussi notre film préféré de Rohmer. Seuls JacquesDemy, Jean-Luc Godard et François Truffaut faisaient mieux avec cinq films chacun. Du coup, en voyant cette liste, on s'était dit que nous ferions bien notre top 5 à Rohmer, non sans avoir posté un tweet sur Les Nuits de la Pleine Lune accompagné d'une séquence du film où Pascale Ogier opère une danse de la séduction sur la musique d'Elli et Jacno.
Eric Rohmer sur le tournage de Pauline à la plage avec ses actrices Arielle Dombasle et Amanda Langlet
Eric Rohmer sur le tournage de Pauline à la plage avec ses actrices Arielle Dombasle et Amanda Langlet
Pris dans notre élan, on a consulté d'autres extraits de films, notamment Le Genou de Claire, l'un de ceux dont nous conservions un beau souvenir. Et là, en visionnant l'extrait où Jean-Claude Brialy pose sa main sur le genou de la jeune et jolie héroïne, on saisit d'un coup que cette scène à la tension érotique évidente tournée en 1970, nous renvoie au scandale qui entoure depuis plusieurs semaines l'écrivain Gabriel Matzneff, promoteur de la pédophilie et amateur déclarée d'adolescentes. Et soudain, nous est revenu ce terme de rohmériennes qui a toujours accompagné les comédiennes engagées par le réalisateur. Dans le jargon cinéphile, une héroïne rohmérienne est une jeune et jolie fille, à peine sortie de l'adolescence, douce, fragile, désirable, romanesque... Il nous revient en tête de nombreuses Rohmériennes qui hantent nos émotions cinéphiles dans La CollectionneuseL'amour l'après-midi, Pauline à la plageConte de printempsConte d'été et quelques autres. Sur le principe du marivaudage littéraire et intellectuel cher à Rohmer, beaucoup de ses films illustrent des jeunes femmes exprimant leurs désirs envers des hommes plus âgés. En janséniste catholique, Eric Rohmer plaçait le sexe hors champ, lui préférant le bavardage cérébral dans lequel les hommes et les femmes digressent sur les jeux de l'amour plus que du hasard.

Néanmoins, le cinéaste aimait à filmer ses jeunes actrices en bikini à la plage, en petite culotte à la maison, ce qui aujourd'hui lui vaudrait une accusation de male gaze, ce terme qui nomme le regard des hommes sur les femmes dans les médias et les arts. Abdelattif Kéchiche a fait scandale au dernier festival de Cannes avec le male gaze de son film Mektoub my love : Intermezzo, notamment parce qu'il filmait trop les fesses de ses jeunes comédiennes. Aujourd'hui, on est prêt à parier que Le Genou de Claire est, dans l'état actuel de l'opinion, un film impossible à programmer à la télévision. On peut même penser qu'une grande partie de la filmographie d'Eric Rohmer risque une mise au ban d'un 7e Art qui tremble sur ses fondations avec la multiplication des scandales visant les actrices soumises au désir sexuel d'une industrie du divertissement régie par les hommes. Pourtant, Eric Rohmer n'a jamais fait l'objet d'une seule plainte de ses actrices, bien au contraire. Toutes adulent le maître qui avait fait de sa société de production Les Films du Losange un véritable gynécée .
Dans la biographie que lui ont consacré Antoine de Baecque et Noël Herpe, Eric Rohmer est décrit comme un homme fasciné par les jeunes femmes, mais d'une chasteté rigoureuse à leur égard. Si l'on en croit Noël Herpe dans une interview donnée dans un quotidien belge en 2014, le cinéaste n'a jamais trompé sa femme, et surtout qu'il aurait résisté à « certaines actrices qui auraient bien voulu le pousser jusqu'au péché. » Un saint homme face à de jeunes comédiennes délurées nous certifie le biographe qui semble tout savoir du vénéré cinéaste. Surtout que Eric Rohmer était réputé pour son goût du secret et même du mensonge, puisque sa mère crut jusqu'à sa mort qu'il était enseignant et non pas réalisateur. De plus, il avait tellement cloisonné vie professionnelle d'un côté et vie familiale de l'autre qu'il est bien difficile d'être aussi péremptoire sur son intimité. Mais ce qui nous importe est de savoir si son cinéma était déviant dans son approche de la sexualité des jeunes femmes ? Du temps de son vivant, la question ne s'est jamais posée ainsi. Au regard des débats qui agitent la société aujourd'hui, c'est une évidence qu'une partie de sa filmographie est tendancieuse et risque, on l'a dit plus haut, une mise au rencard.
Pauline à la plage
Pauline à la plage
Le mieux serait peut-être d'interroger un spécialiste comme Gabriel Matzneff en personne qui semble en connaître un rayon sur l’œuvre rohmérienne. L'écrivain est d'ailleurs cité parmi les personnalités présentes aux funérailles d'Eric Rohmer. Cette présence aux obsèques était peut-être liée à sa proximité avec René Schérer, philosophe controversé pour sa promotion de la pédophilie et frère cadet d'Eric Rohmer. Mais surtout, l'écrivain le plus honni de France a contribué à un livre collectif paru en 2017intitulé Le paradis français d'Eric Rohmer aux éditions Pierre-Guillaume-de-Roux. Et si le silence médiatique qui entourait le dixième anniversaire du cinéaste de la part des médias rohmériens était justement post-Matzneff ? Pour notre part, nous continuerons à aimer et à parler des films d'Eric Rohmer sans éviter les sujets qui peuvent fâcher. Son cinéma est sans doute aujourd'hui, pour une part, en voie d'être vu autrement. L'homme n'est plus de saison, c'est une évidence. Mais pour nous Les Nuits de la Pleine lune reste un film que l'on porte à jamais en haute estime.





dimanche 13 septembre 2020

Longtemps contrainte au silence, la victime d’un écrivain pédophile témoigne enfin

Gabriel Matzneff - Wikipedia
Gabriel Matzneff

Longtemps contrainte au silence, la victime d’un écrivain pédophile témoigne enfin

Des décennies durant, l’écrivain Gabriel Matzneff s’est servi de son image et de ses lettres pour justifier sa traque d’adolescentes. Son témoignage avait été rejeté — jusqu’à maintenant.
March 31, 2020
PARIS — Francesca Gee se souvient qu’elle flânait dans Paris avec une amie, un jour de fin d’automne en 1983, quand elles ont repéré une nouvelle librairie. Alors qu’elles s’attardaient devant la boutique, son amie a soudain attiré son attention vers le bas de la vitrine.
« Regarde, c’est toi ! »
Le visage de Mme Gee la fixait depuis la couverture d’Ivre du vin perdu, un roman de Gabriel Matzneff, l’écrivain et défenseur de la pédophilie. Dix ans plus tôt, à l’âge de 15 ans, Mme Gee avait noué avec M. Matzneff — bien plus âgé qu’elle — une relation traumatisante qui avait duré trois ans. Maintenant, non seulement il exhibait un portrait d’elle adolescente en couverture de son roman, mais il y incluait les lettres qu’elle lui avait écrites, s’insurge-t-elle, sans son autorisation ni même l’en avoir informée.