vendredi 1 mars 2024

La danse de l’eau / Ta-Nehisi Coates romancier

 

La danse de l’eau : Ta-Nehisi Coates romancierTa-Nehisi Coates romancier

par Claude Grimal

3 novembre 2021

Ta-Nehisi Coates, essayiste noir américain, vient d’écrire avec La danse de l’eau son premier roman, qui s’ajoute au corpus assez fourni des « neo-slave narratives » (« nouveaux récits d’esclavage »), récente catégorie de l’histoire littéraire américaine dans laquelle on fait figurer des œuvres d’Ernest Gaines, Toni Morrison, Colson Whitehead… Ce livre, sur lequel l’auteur a travaillé pendant une dizaine d’années, fait suite à des travaux non fictionnels qui ont attiré l’attention : Une colère noire : Lettre à mon fils (2015) et Huit ans au pouvoir (2017).

Ta-Nehisi Coates, La danse de l’eau. Trad. de l’anglais (États-Unis) par Pierre Demarty. Fayard, 479 p., 23 €


La danse de l’eau, qui mêle réalisme et fantastique, se déroule dans le Sud avant la guerre de Sécession et a pour sujet l’esclavage. Le narrateur et héros du roman de Ta-Nehisi Coates, Hiram, est esclave sur la plantation de son père, un homme qui lui a donné une bonne éducation et le traite avec bienveillance, ce d’autant plus que son fils légitime blanc, futur héritier de ses biens, est un être vulgaire, ignorant et paresseux. Lorsque ce dernier meurt et que Hiram comprend qu’il restera toujours esclave, il décide de s’enfuir. Une suite d’aventures s’ensuit : Hiram abandonne ceux qu’il aime, se retrouve agent de l’Underground Railroad, est fait prisonnier de trafiquants d’esclaves, rencontre Harriet Tubman, se retrouve trahi, vit un temps à Philadelphie, s’efforce d’arracher d’autres Noirs à l’esclavage, etc.

Le surnaturel s’insère dans le roman grâce à la capacité mémorielle extraordinaire de Hiram et à son talent pour la « Conduction » (sorte de téléportation magique non gouvernée par la volonté). Ces deux pouvoirs que Hiram tente de maîtriser ont sans doute une fonction métaphorique de programme pour les Africains-Américains d’aujourd’hui : ils doivent d’une part reconstituer leur histoire et de l’autre envisager de se déplacer, non géographiquement bien sûr, mais politiquement vers un « ailleurs » qui les fera sortir de l’état de subordination dans lequel ils se trouvent. Bref, le livre semble fournir suffisamment de péripéties et d’idées pour effectuer, but premier du récit sur l’esclavage, une recréation d’un passé difficilement imaginable, et esquisser une perspective sur ce que serait un avenir pour les descendants de ceux qui l’ont subi. Les témoignages d’anciens esclaves sont en effet assez rares en dehors des Underground Railroad Records de William Still, dont s’inspire Coates, et de ceux recueillis dans les années 1930 par le Federal Writers’ Project de la Works Progress Administration de Roosevelt auprès des derniers anciens esclaves encore en vie.

Mais La danse de l’eau peine à la tâche. L’évocation de l’expérience de l’asservissement n’évite pas le simplisme grotesque, les éléments fantastiques sont plus « parachutés » qu’efficacement intégrés au récit, tandis que la teneur réflexive sur le plan politique, moral, émotionnel, est assez mince. Intrigue, rythme, personnages et dialogues manquent d’élan et de souffle ; le roman apparaît ainsi comme plus consciencieux qu’inspiré. Sans doute Coates n’est-il pas romancier, ou pas encore : La danse de l’eau, en tout cas, fait malheureusement plouf.


EN ATTENDANT NADEAU

vendredi 23 février 2024

Claude Grimal / Les dessous de la production littéraire

 




Les dessous 

de la production littéraire

par Claude Grimal
19 novembre 2022

Faire le point sur « la littérature à l’ère du capitalisme tardif », voilà ce que propose Le fétiche et la plume d’Hélène Ling et Inès Sol Salas, étude qui s’inspire de nombreux travaux antérieurs et emprunte les points de vue de la sociologie, de l’économie, de la psychologie et de la critique.


Hélène Ling et Inès Sol Salas, Le fétiche et la plume. La littérature, nouveau produit du capitalisme. Rivages, 416 p., 22,50 €


L’état des lieux établi par l’ouvrage d’Hélène Ling et Inès Sol Salas concerne toutes les étapes de « production » d’une œuvre « écrite » (que le support soit papier ou autre), et, s’il ne surprend pas, il a de quoi inquiéter. De nos jours, le circuit, qui va donc de l’auteur (s’il y en a un) au lecteur (s’il en reste), obéit aux impératifs de rentabilité de plus en plus exigeants dictés par la globalisation et la financiarisation.

Ainsi, on l’avait déjà compris en suivant l’actualité des péripéties capitalistiques, les temps sont à l’hyper-concentration de l’industrie éditoriale. Un bref aperçu et quelques chiffres permettent d’en rendre compte : aujourd’hui, en France, quatre groupes (Hachette, Editis, Média-Participations et Madrigall) se partagent l’essentiel du chiffre d’affaires de l’industrie du livre, contre 11 % pour les « petits éditeurs ». On n’a cependant jamais produit autant de livres qu’à présent. Entrer dans une librairie (ou dans un autre lieu de vente du « produit culturel » livre), c’est d’abord faire l’expérience d’une offre pléthorique. Le Syndicat national de l’édition a lui-même chiffré cette surproduction ; en 1990, on comptait 38 414 parutions dont 20 252 nouveautés ; en 2014, on en comptait 98 306 dont 43 600 nouveautés. Qui fréquente son libraire de quartier s’en doutait, ne serait-ce que pour s’être demandé à chaque rentrée littéraire combien de nouveaux romans (ils n’étaient « que » 490 en 2022, crise oblige) allaient figurer sur ses tables. L’amateur de livres s’étonnera cependant, grâce au Fétiche et la plume, d’apprendre que seulement 1 % des manuscrits reçus par un éditeur sont finalement publiés ; il aura alors une pensée troublée pour les 99 % de recalés, alors même qu’il lui semble, devant les piles du magasin, que le tri n’a pas été bien sévère.



Ensuite, si l’on suit notre amateur de livres inventé pour les besoins de cet article et ne figurant pas dans l’ouvrage des deux autrices du Fétiche et la plume, comment va-t-il opérer son choix devant cette hyper profusion ? Surabondance en trompe-l’œil, cela dit, puisque, si le nombre de titres a augmenté exponentiellement, le tirage de chacun a considérablement diminué – sauf bien sûr pour le 1 % des stars de l’écriture : en 1990, 8 440 exemplaires en moyenne étaient vendus par titre contre 4 290 en 2014 (« les livres vendus de type best-sellers tirant largement ce chiffre vers le haut ») ; mais, « entre 2007 et 2016, le nombre moyen d’exemplaires vendus par livre ou par auteur a diminué d’un tiers ».

Le fétiche et la plume Hélène Ling et Inès Sol Salas En attendant Nadeau

Le jury du Prix littéraire du « Temps » (1932) © Gallica/BnF

Avec ces constatations à l’esprit, l’amateur de livres pourra, pour guider son choix, s’aider des prix littéraires ; on en compte 2 000 en France et il s’en crée, paraît-il, 200 de plus chaque année, en tous genres et venant de tous types de « sponsors » : existent ainsi aujourd’hui, par exemple, le prix Landerneau des magasins Leclerc, institué en 2008 sans doute pour rivaliser avec Carrefour qui, lui, décerne depuis 2002 un prix du premier roman ou – allez, je viens juste de taper au hasard et de le trouver sur le net – un prix Auchan qui récompense un auteur de littérature jeunesse depuis 2005 grâce à un « jury de jeunes de 11 à 15 ans, de toutes [sic] la France, sélectionnés à partir des cartes de fidélité Auchan ».

La littérature, à quel(s) prix ? soupirera notre amateur de livres, empruntant pour exprimer sa perplexité le titre du livre de Sylvie Ducas, spécialiste de la question. Cependant, pour décider quel livre risque de lui plaire, il peut préférer faire confiance à d’autres « prescripteurs » : les bons vieux critiques littéraires à l’ancienne, en perte de vitesse de nos jours, ou des critiques plus modernes, moins professionnels, tous sur le web, spécialisés dans des jugements vierges de connaissances littéraires ou de connaissances tout court. Sur les sites des booktubeurs et autres lieux d’évaluation du net, il trouvera en effet foultitude de notules, vidéos et distributions d’étoiles. Grâce à ce dernier système de notation, il aura d’ailleurs accès à un classement des auteurs ou des ouvrages et verra que Jean-Paul Sartre, avec 3,78 sur 5, est talonné par Muriel Barbery (3,72) et que Les années d’Annie Ernaux, noté 4,1, fait moins bien que Et que durent les moments doux de Virginie Grimaldi, noté 4,4. Cela ne le surprendra pas.


© Jean-Luc Bertini


Mais peut-être sera-t-il plus étonné par l’ampleur et la puissance des stratégies, essentiellement de promotion commerciale, et par le degré d’abaissement généralisé qu’elles entraînent en littérature. Encore ne sont-ce là que quelques conséquences des nouvelles configurations capitalistes de l’industrie du livre qui, pour les autrices, déterminent également, dans le domaine littéraire, les thèmes, un certain type de (non-) écriture et les modalités d’existence des auteurs, soumis au formatage de leur prose et à des obligations publicitaires permanentes. Et comme cet appauvrissement et cet asservissement se jouent sur fond d’effondrement des capacités des lecteurs à la lecture littéraire, la catastrophe est bien réelle. L’ouvrage la documente fort bien, tout comme il rappelle, non dans le domaine proprement littéraire mais dans celui de l’essai critique, les récentes interventions de ce qu’il faut bien appeler la censure. Ainsi, on l’avait lu dans la presse, l’humoriste Guillaume Meurice a vu l’impression de son livre suspendue pour cause de blague proférée contre Bolloré. Assez semblablement, en son temps (2018), Juan Branco n’avait trouvé aucun éditeur pour son pamphlet contre la macronie, Crépuscule, qu’il avait publié en ligne avant que la maison d’édition Au diable vauvert, sise dans le Gard, n’accepte d’en publier une version « complétée ».

Le fétiche et la plume Hélène Ling et Inès Sol Salas En attendant Nadeau

La librairie E. Flammarion et A. Vaillant, place de l’Odéon, à Paris (1925) © Gallica/BnF

Enfin, Le fétiche et la plume, après son travail d’exploration des différents niveaux de la production du livre, se clôt sur l’évocation d’un avenir dont on ignore « les codes et les urgences » qui permettront de juger ce qui « sera… lisible, accessible, désirable, visionnaire ».

L’ouvrage est ainsi, suivant l’expression consacrée, une mine d’informations, mais, filons la métaphore, ses galeries creusées à deux mains sont parfois mal reliées les unes aux autres, un brin enténébrées, et risquent à l’occasion le coup de grisou. Celui-ci survient lorsque la réflexion piétine et que la prose se fait pataude ou cuistre. Peut-être est-ce le désir, de la part des autrices, de faire de l’effet et de se montrer savantes qui bloque l’avancée du lecteur dans certaines pages alors qu’il se déplace avec aisance quand leur prose est simple, débarrassée de références ou de jargon, et l’argumentation du propos rigoureuse.

Tel qu’il est cependant, Le fétiche et la plume propose un tour intéressant d’un univers extrêmement complexe. C’est un ouvrage utile sur lequel notre amateur de livres, s’il n’a su se décider devant les piles de nouveautés du domaine fictionnel, pourra jeter son dévolu, en amoureux de bonne littérature soucieux d’en savoir plus sur les dessous de celle-ci et sur son possible avenir.


EaN s’est également entretenu avec les autrices de l’ouvrage, Hélène Ling et Inès Sol Salas.


vendredi 2 février 2024

Harare Lee o les ambiguïtés

 


Harper Lee ou les ambiguïtés

par Claude Grimal
27 janvier 2016
© Michael Brown

Harper Lee © Michael Brown 

Jusqu’à l’an dernier, Harper Lee (née en 1926 dans l’Alabama) appartenait à cette intrigante catégorie d’auteurs très populaires ou très importants qui n’ont écrit qu’une seule œuvre, dans son cas, Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur, un roman publié en 1960. Ce n’est désormais plus le cas depuis la parution récente de Va et poste une sentinelle, chez Grasset.


Harper Lee, Va et poste une sentinelle. Trad. de l’anglais (Etats-Unis) par Pierre Demarty. Grasset, 336 p., 20,90 €.


Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur s’est longtemps trouvé et se trouve encore au programme de presque tous les établissements secondaires américains parce qu’il est plein de charme, et qu’il défend une morale sympathique (aux fondements et implications cependant discutables). Le livre d’Harper Lee raconte quelques années d’une enfance dans le Sud profond au milieu des années trente ; l’épisode central est celui où le père de l’héroïne, Atticus Finch, avocat et homme merveilleux, qui au cinéma prit les traits de Gregory Peck, défend un noir accusé d’avoir violé une blanche. La présence centrale de personnages jeunes, l’amusante voix narrative de la petite héroïne, Scout, la leçon d’antiracisme et le confortable renvoi à des décennies antérieures de l’obscurantisme racial ont donc fait de ce livre un objet idéal pour les collèges et les lycées.

Mais Harper Lee, tout en restant grâce à son Oiseau moqueur une mine d’or pour ses éditeurs (30 millions d’exemplaires vendus), ne publia ensuite rien pendant cinquante-cinq ans. À intervalles réguliers, elle faisait savoir qu’elle était en train de rédiger un nouveau roman ; à un moment elle signalait même, avec humour (?), qu’il devait s’appeler The Long Goodbye (« Le long adieu », titre pourtant déjà préempté dans le domaine du polar par Raymond Chandler). Et pourtant toujours rien. Le cas est relativement rare. Au XXe siècle, parmi les « mono-romanciers » d’importance, si l’on exclut ceux à qui la mort s’est chargée d’ôter la plume de la main avant qu’ils ne puissent la replonger dans l’encrier, ne viennent à l’esprit que quelques noms comme le compatriote de Harper Lee, Ralph Ellison, auteur de Homme Invisible, pour qui chantes-tu ? (1953), ou Juan Rulfo, mexicain, auteur de Pedro Páramo (1955), bien que tous deux aient cependant de leur vivant publié aussi quelques nouvelles, et soient – il faut le dire – d’une autre trempe littéraire que Harper Lee.

Enfin, en juillet 2015, parut le roman Va et poste une sentinelle (Go Set a Watchman). Alléluia ! mais alléluia fort bien préparé depuis février par l’éditeur Harper Collins qui avait fait savoir qu’un inédit avait été retrouvé et allait être publié avec l’accord de l’auteur (alors âgée de presque 90 ans, victime huit ans auparavant d’une attaque cérébrale, et privée de la présence de sa sœur aînée qui gérait ses intérêts). S’ensuivit un chœur de communiqués de presse et d’annonces publicitaires ; les bonnes feuilles parurent dans le Wall Street Journal et dans le Guardian. Pas une gazette ne manqua à l’appel pour parler du trésor recouvré.

Le roman, apprenait-on, était en fait un manuscrit antérieur à L’Oiseau Moqueur que les éditions Lippincott avaient refusé en 1957 à la jeune Harper Lee ; les mêmes personnages que ceux de L’Oiseau moqueur y apparaissaient mais vingt ans après. C’était une éditrice avisée de Lippincott, sensible aux qualités de l’écrivaine débutante qui lui avait conseillé de réécrire son texte ; ce que cette dernière fit de manière substantielle en effectuant, entre autres modifications, le passage de la narration de la troisième personne à la première, et en transportant l’action dans la prime jeunesse de Scout ; cette posture littéraire de la vision enfantine naïve, perspicace et drôle, était une sorte de mode aux États-Unis où dans les années quarante et cinquante quelques jolies œuvres avaient été écrites en l’adoptant – comme L’Attrape Cœur de Salinger, La Harpe d’Herbe de Truman Capote, ou Frankie Adams de Carson McCullers. La perspicacité d’une éditrice et le talent d’un écrivain avaient ainsi contribué à créer cet Oiseau Moqueur dont le ramage fut et reste séduisant.

Quant au tapage bruyant et confus de Harper Collins autour de Va et poste une sentinelle, il ne fut pas du goût des méticuleux (comment ça, il n’y a pas d’introduction pour expliquer d’où sort ce livre ?), ni des soupçonneux (pourquoi l’auteure qui n’a jamais voulu publier cet ouvrage le fait-elle maintenant ?) Mais laissons les grognons grognonner, la maison d’édition avait obtenu les droits et les services de santé (sous la forme de l’Alabama Securities Commission) avaient déclaré après enquête (?) que Harper Lee « semblait au courant des tractations autour de son livre et des contrats le concernant. » Et bien sûr, un public captif et passionné attendait l’ouvrage : il se vendit à plus d’un million d’exemplaires la semaine de sa sortie. Qu’importe tout ce batelage juridique et médiatique, pourrait-on penser, si l’ancien nouveau livre de Harper Lee est un ouvrage de qualité et améliore l’appréciation ou la compréhension que l’on a déjà de l’écrivain. Non sur le premier point : l’éditrice de Lippincott avait raison, le livre n’est pas très bon. Oui et non sur le second car ce que le roman s’efforce de faire, et ce assez piètrement, passe mal.

Résumons Va poste une sentinelle : pendant la période des droits civiques, Scout, l’héroïne âgée à présent de vingt-six ans, revient en Alabama rendre visite à son père et découvre qu’il n’est pas l’humaniste qu’elle croyait mais un vieux raciste, favorable à la ségrégation tandis que sont passées en revue au travers de différents personnages diverses positions vis-à-vis de « la question raciale ». Harper Lee a certes le droit de briser le cœur de ceux, nombreux, pour qui la figure paternelle idéale avait toujours été représentée par le personnage d’Atticus Finch, mais moins celui de le faire en donnant son aval à des positions douteuses tant du point de vue éthique, historique, sociologique que logique.

Par exemple, Scout reconnaît que si elle est pour l’égalité, en théorie, elle ne voudrait jamais épouser un Noir pour autant. Ou bien elle suggère que la violence dans le Sud n’est advenue qu’avec la période de déségrégation des années cinquante et, qu’auparavant, les « gens comme il faut » de sa ville n’avaient aucun préjugé racial ; ou bien encore, faisant preuve d’un essentialisme redoutable sous une couche de vernis compassionnel, en affirmant que certains naissent racistes, méchants, violents, et d’autres non (curieusement ceux qui sont génétiquement irrécupérables appartiennent tous au monde des « petits Blancs »). Et donc Scout, qu’à plusieurs reprises Va et poste une sentinelle présente comme « color-blind » (ce qui signifie « daltonienne », mais littéralement « aveugle à la couleur »), ne cesse de se confronter au mystère qui fait qu’un tel naît ou non avec telle caractéristique – et d’ailleurs pour les Noirs, signalons-le, celle d’être souvent un peu « enfantins ». Gageons cependant que Harper Lee en savait un peu plus, au fond d’elle-même, que Scout sur ce qu’induisent des siècles d’oppression et d’injustice et sur la bienveillance dont le suprématisme blanc pouvait faire preuve tant qu’il n’avait pas été remis en question. Mais ceci, semble-t-il, elle ne pouvait l’avouer ni l’écrire.

Va et poste une sentinelle ne rend donc pas service à Harper Lee ni sur le plan esthétique ni sur le plan moral. Ceci dit, il permettra à ceux qui sont capables de ne pas trop souffrir en voyant leur héros Atticus déboulonné de son piédestal, de mieux évaluer dans L’Oiseau moqueur, livre aimable et plein d’excellentes intentions, les ambigüités et les contradictions des préjugés qui y sont déjà présents.

EN ATTENDANT NADEAU