Maud Simonnot |
INTERVIEW. "La nuit pour adresse" : Maud Simonnot sur la piste de McAlmon, parrain littéraire du Paris des années folles
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McAlmon le magnifique (1895-1956) ... Maud Simonnot l'a traquée pendant dix ans, après avoir découvert, au hasard d'une thèse, ce double inversé d'Ernest Hemingway, qui fut l'un des piliers du Montparnasse littéraire des années 20. Dans "La nuit pour adresse" (Gallimard), elle nous restitue en deux cent cinquante pages la trajectoire éblouissante de ce météore méconnu des lettres.Né dans le Middle West, Robert McAlmon fut, entre autres, l'éditeur de Gertrude Stein, l'amant de Nancy Cunard (égérie d'Aragon) et l'ami de James Joyce et d'Ezra Pound. Entre deux beuveries, il se muait aussi en écrivain infatigable, poète et romancier. Dans un café parisien qui sent davantage, en cettte heure matinale, l'arôme du café que les vapeurs d'alcool, rencontre avec sa biographe, Maud Simonnot, une éditrice de 38 ans qui nous a expliqué sa passion "almonienne".
Comment avez-vous découvert l'existence et le rôle de Robert McAlmon?
Maud Simonnot : par hasard, il y a dix ans. Je faisais alors ma thèse sur la vie littéraire en Bourgogne. En fouillant dans le fonds d'archives de l'imprimeur Darantière, à Dijon, je découvre le premier livre d'Hemingway, "Three stories and ten poems" ("Trois nouvelles et dix poèmes") édité dès 1923 par une maison d'édition que je ne connaissais pas, "Contact". Or je savais qu'en 1923, Hemingway n'était pas encore publié. Plus étonnant encore : "The Making of Americans" (traduit plus tard en France sous le titre "Américains d'Amérique"), un gros livre de Gertrude Stein, figurait dans le même carton d'archives. Quel pouvait bien être était cet éditeur visionnaire qui avait systématiquement publié des immenses écrivains à des époques où personne ne les connaissait ? C'est comme ça que j'ai découvert Robert McAlmon.
Pour le retrouver, j'ai fait le rat de bibliothèque et dévoré presque 300 livres. Et je me suis aperçue, en lisant les mémoires et correspondances de ses contemporains, que Robert McAlmon était au centre de l'époque. Non seulement il était incontournable comme éditeur, mais il était aussi considéré comme un des plus grands auteurs de sa génération par le poète américain Ezra Pound, le romancier irlandais James Joyce, ou l'écrivaine britannique Katherine Mansfield. Mais comment, me suis-je demandé, quelqu'un d'aussi important a-t-il pu disparaître, alors qu'il était le parrain d'une génération littéraire ? Mon livre est devenu autant une enquête sur lui que sur sa disparition.
Pourquoi le Montparnasse des années 20 attire-t-il autant de figures majeures de la littérature anglo-saxonnes, de James Joyce à Ernest Hemingway, en passant par McAlmon?Au début des années 20, c'est à Paris qu'il faut être parce que le terreau est déjà fertile avec Gertrude Stein, Ezra Pound, James Joyce.... Puis très vite, notamment grâce à des gens comme Mc Almon, s'installent à Paris de vraies maisons d'édition de la contre-culture, alors que le puritanisme et la censure règnent en Angleterre et aux Etats-Unis.
Paris incarne alors l'endroit où tout est possible, un lieu de fantaisie et d'effervescence sans censure, un pays en avance sur la liberté des mœurs, où l'homosexualité n'était pas considérée comme un crime. La place des femmes témoigne de cette modernité. A Paris, Gertrude Stein ou Djuna Barnes sont reconnues comme écrivains à part entière. Et elles peuvent afficher librement leur homosexualité ou leur bisexualité. Quant à McAlmon, il fait preuve d'une incroyable précocité : il a entre 20 et 30 ans quand il publie Gertrude Stein, Ernest Hemingway ou lorsqu'il aide James Joyce ! C'est un gamin !Mais ces années 20 ont été très courtes. Dans les correspondances de McAlmon, arrivé dans la capitale française en 1921, on note des fêlures, des morts et des suicides, dans le cercle des Américains à Paris, bien avant l'éparpillement dû à la crise de 1929. En définitive, l'âge d'or du Montparnasse des années 20 a duré beaucoup moins d'une décennie.Pour McAlmon, Paris n'est donc pas qu'une fête ?Non, il y a évidemment une autre dimension. Sa vie est bouleversante, sinon je ne l'aurai pas porté pendant dix ans comme ça. Lucide et mélancolique, McAlmon n'était pas fait pour un bonheur facile. Comme Gatsby le magnifique, il n'est personne, vient de nulle part, et rêve d'être parmi les génies. Il connaîtra un destin semblable.
A Paris, il va aider les écrivains, organiser les fêtes les plus incroyables, être réellement l'animateur de toutes ces nuits parisiennes, avec une générosité immense (grâce à un mariage blanc avec la richissime fille, homosexuelle, du propriétaire britannique d'une compagnie transatlantique). Mais sans reconnaissance en retour, en restant traité en marginal. D'une part parce que ce petit gars du Middle West n'était pas du sérail, d'autre part parce qu'il a oeuvré lui-même à son auto-effacement, contrairement à son ami Ernest Hemingway, qui a toujours voulu rester dans la lumière.Robert McAlmon, donc, est retourné aux Etats-Unis, où il est mort seul, dans le désert. Triste épilogue, non ?Non, parce qu'il a été extrêmement productif, jusqu'à la fin. Même à Désert Hot Springs (Californie), où il s'est éteint dans la misère, il a écrit jusqu'au dernier jour. Ça me fait du bien quand j'y pense, ça prouve qu'il n'était pas si perdu ou si malheureux. Quand on continue d'écrire comme ça, c'est qu'il y a encore quelque chose qui vous habite, qu'on garde une flamme. Il est temps aujourd'hui de le redécouvrir, un siècle plus tard, loin des légendes, des images figées et des chromos."La nuit pour adresse", de Maud Simonnot
(Gallimard, 20 euros, 266 pages)
Pour en savoir plus sur les sources bibliographiques : La nuit pour adresse
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