dimanche 15 février 2015

Nina Hoss / Raison e émotion

Raison et émotion, les armes de l’actrice Nina Hoss


Frédéric Strauss
Publié le 31/01/2015.



Dans “Phoenix”, son sixième film avec le cinéaste Christian Petzold, elle incarne une Juive berlinoise rescapée des camps. Un rôle difficile et dérangeant qu'elle aborde avec intelligence et sensualité. Comme à son habitude.

Au milieu des ruines d'une ville allemande, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, une femme cherche son mari. C'était Hanna Schygulla dans le film qui, en 1979, la rendit soudain célèbre en France et fit connaître sa fructueuse collaboration avec Fassbinder : Le Mariage de Maria Braun. Une scène semblable se joue aujourd'hui au début de Phoenix : dans une ville en ruines, à la fin de la guerre, Nelly, une femme allemande, cherche son mari. Et, à nouveau, une actrice surgit. Elle s'appelle Nina Hoss, elle vit à Berlin et elle est bien partie pour être très aimée ici.
Cette muse a trouvé un metteur en scène avec qui nouer une précieuse alliance artistique : Christian Petzold. Ensemble, ils ont déjà fait un bout de chemin, six films jusqu'à Phoenix, qui arrive après Barbara (2012), leur premier succès chez nous. Le tandem est maintenant connu internationalement. « Connu uniquement à l'étranger ! », corrige Nina Hoss en riant. En Allemagne, elle n'est pas Barbara mais La Massaï blanche (2005) ou la femme vampire de Nous sommes la nuit (2011), des succès énormes. « De toute façon, la célébrité n'est rien à Berlin, poursuit-elle. Quand les gens voient quelqu'un de connu, ils regardent ailleurs tout de suite. » Christian Petzold a un point de vue plus tranchant : « Les Allemands ne supportent pas que nous soyons appréciés à l'étranger ! »


Pour Nina Hosse, jouer Nelly a été une expérience rude mais fascinante

Phoenix n'a pas apaisé les tensions. Dans les ruines où elle cherche son mari, Nelly est, plus qu'une épouse modèle, un fantôme dérangeant : juive berlinoise déportée dans les camps, elle revient d'un monde d'horreurs dont personne autour d'elle ne veut entendre parler. « Le film a bien marché en Allemagne, mais il a aussi irrité, et ça m'a irrité en retour, dit Petzold. Les survivants des camps ne sont toujours pas vraiment acceptés. » Qu'on puisse prendre avec des pincettes le personnage de Nelly, sans se laisser émouvoir, le met encore de mauvaise humeur. Nina Hoss, elle, n'y pense même pas : elle a fait avec ce rôle une expérience des plus dures mais aussi, ajoute-t-elle, des plus fascinantes. « L'identité de cette femme a été tellement détruite par ce qu'elle a vécu qu'elle doit s'en inventer une autre pour redevenir un être humain, pour se reconstruire et pouvoir se reconnaître. Nelly essaie, dans sa nuit, d'allumer une petite flamme, qui s'appelle l'espoir. »
Pour suivre ce chemin entre ténèbres et lumière, il lui a fallu trouver « un nouveau mouvement », différent de celui de Barbara et des autres héroïnes que lui a fait jouer Petzold. Même si Nelly appartient, pour elle, à la même famille de personnages. « Ce sont des femmes solitaires qui ont une grande retenue et aussi une grande richesse intérieure. Elles sont isolées, comme Barbara l'était en RDA, mais elles aiment la vie, elles veulent comprendre le chemin qu'elles suivent et elles ont besoin, pour cela, de s'ouvrir aux autres. » Femmes romanesques, entourées de mystère, poursuivant un but secret, comme la dénommée Yella (2007), autre rôle-titre, qui se relevait d'un accident de voiture pour mener à bien un projet professionnel, gage d'indépendance, et pour aller, en vérité, au bout de son destin tragique.


Actrice fétiche du cinéaste Christian Petzold

Quand on demande à Christian Petzold de parler de son actrice fétiche, et des raisons pour lesquelles elle a pris cette place, il raconte une histoire en deux temps. « Pour préparer Dangereuses Rencontres (2001), notre première collaboration, j'avais montré des films et lu des textes aux comédiens. Nina notait tout scrupuleusement. Je m'étais dit : mon Dieu, c'est une excellente élève et moi j'ai besoin qu'elle soit une blonde troublante ! J'ai compris ensuite que c'est justement en se servant de toute son intelligence qu'elle atteignait une présence sensuelle, désirable. Puis, le dixième jour de tournage, j'ai su que nous allions faire beaucoup de films ensemble. Nina jouait une scène où elle devait se venger d'un homme et se retrouvait au-dessus de lui, brandissant une paire de ciseaux. J'avais peur car, dans l'histoire du théâtre et de l'art, beaucoup d'héroïnes se retrouvent dans cette situation, pleine de pathos. Mais l'expression de Nina au moment de la prise était exactement à l'opposé : au lieu d'exploser, elle a implosé. Ça m'a totalement enthousiasmé. »







Intelligence du jeu. Intelligence, même, de la séduction. Les qualités que Petzold met en exergue renvoient aussi à sa propre approche du cinéma, très réfléchie. Mais c'est sur les sentiments qu'a débouché ce parcours : « Dans Barbara, j'ai vu Nina comme une femme qui aimait vraiment, dit-il. Et cela m'a permis, dans Phoenix, de lui donner le rôle d'une femme qui porte en elle un grand amour perdu qu'elle voudrait pouvoir revivre. » De la raison à l'émotion, ainsi progresse la conversation avec l'actrice. Elle parle avec sagacité de son métier, de sa maîtrise : « Je ne veux pas forcément tout montrer dans un film. Mais si j'ose faire si peu devant la caméra, c'est peut-être parce que j'ai la possibilité de jouer au théâtre en y mettant tout mon souffle. » Membre de la Schaubühne, la fameuse troupe berlinoise que dirige Thomas Ostermeier (qui la mettra en scène en mai dans Bella Figura, de Yasmina Reza), elle a tracé une voie exigeante, une carrière de bosseuse. A peine aidée par sa mère, Heidemarie Rohweder, elle-même actrice puis metteuse en scène et directrice d'un théâtre à Stuttgart : « Son expérience m'a épargné beaucoup de chausse-trapes, je savais ce qu'était ce métier. »
Compréhension, contrôle, rigueur, on sent une discipline devenue, à l'aube de la quarantaine, aussi solide que naturelle. Et puis, invitée à parler d'une actrice qui l'aurait particulièrement impressionnée, Nina Hoss choisit Romy Schneider et semble presque, alors, se décrire elle-même : « J'aime sa manière d'être disponible, d'offrir ce qu'elle est à la caméra, comme si elle pouvait même, à travers ses yeux, offrir son âme. Mais elle donne aussi le sentiment qu'on ne la connaît pas vraiment. »


Son prochain défi : jouer en français

Le temps est venu de désorganiser sa vie professionnelle. Moins de rendez-vous sur les planches et davantage de disponibilité. Pour un thriller avec le grand Philip Seymour Hoffman (Un homme très recherché, d'Anton Corbijn) ou pour un épisode de la série Homeland. « J'aime tourner dans des productions étrangères, c'est une autre manière de travailler. Ce n'est ni meilleur ni moins bon, c'est un autre défi. »Celui qu'elle a le plus envie de relever : jouer en français. Elle le fera, sa détermination est palpable. Ce qui donne raison à Christian Petzold quand il dit : « Il y a un entêtement chez Nina. Et dans ses plus beaux moments au cinéma, l'entêtement de la comédienne rencontre celui de la femme qu'elle joue. » Entre eux, une pause s'annonce. Mais avec des retrouvailles déjà prévues autour d'un personnage choisi par le metteur en scène : « Une actrice qui n'a pas de succès. »Une pure fiction.



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