mercredi 26 août 2020

Françoise Sagan / Une passion de trois jours pendant l’été 1940

Un Matin Pour La Vie Et Autres Musiques Scene (Biblio) (French ...

Une passion de trois jours pendant l’été 1940

Françoise Sagan traque les sentiments sous l’apparat des convenances

Lisbeth Koutchoumoff Arman
Publié vendredi 6 juillet 2012 à 19:52

L’été, la saison de Françoise Sagan. Campari, olives vertes, décapotables et morsures en tous genres. Grande croqueuse des us et coutumes des castes et sous-castes de la société française, en particulier de la bourgeoisie riche et lasse, Françoise Sagan a écrit vingt romans, de Bonjour tristesse (1954) à Miroir égaré (1976), avec cette fluidité du style, cet humour, cette empathie pour les faiblesses de ses contemporains. A la nouvelle, elle s’y met relativement tard, dans les années 1970, quand elle a déjà une dizaine de romans derrière elle. Ces bijoux de drôlerie, qui se lisent comme on savoure des amuse-gueules en terrasse, se déroulent souvent en été ou en vacances, cadre idéal aux démonstrations sociales et aux parades amoureuses.
Sagan signe en tout cinq recueils de nouvelles. Musiques de scène paraît en 1981 chez Flammarion. En 2011, Stock y ajoute quatre nouvelles inédites (écrites pour des magazines comme Elle ou Playboy ) et ressort le volume sous le titre Un Matin pour la vie et autres musiques de scènes . Parmi la quinzaine de textes, «Une Partie de campagne» se déroule un certain été 1940.
Il cogne, il fait presque mal cet été-là. Sous un soleil franc, des colonnes de fuyards s’éloignent face à l’avancée des troupes allemandes. La chaleur assomme alors qu’il faut aller vite. La touffeur anesthésie les corps tandis que la peur aiguise les nerfs. Françoise Sagan plante là une Rolls, coincée parmi la foule par toute une série de quiproquos et de malentendus. A l’intérieur, une baronne de Popincourt qui égrène un chapelet, Hélène Dureau, une épouse d’entrepreneur qui s’ennuie, et Bruno, son amant, un gigolo tout à fait satisfait de son état. Que va-t-il se passer quand les stukas vont bombarder voitures et marcheurs? «Une Partie de campagne» fait le récit savoureux d’une passion solaire et improbable de trois jours. Si la langueur est souvent, à tort, attachée au style de Sagan, les nouvelles sont là pour démontrer sa capacité de vitesse virtuose.
Des nouvelles à lire sous les arbres, avant la sieste, au soleil ou à l’ombre, parce qu’elles sont courtes et qu’elles condensent le talent d’un auteur…

Françoise Sagan
«Un Matin pour la vie»
«Elle sentit le corps dur tressaillir et, pour ne pas crier, elle appuya sa bouche sur un bras musclé et couvert de poils blonds. «Il a une odeur d’herbe», songea-t-elle vaguement, tandis que les battements de son cœur lui revenaient peu à peu aux oreilles»

LE TEMPS


vendredi 21 août 2020

Le petit-fils d'Oscar Wilde rejoue le procès qui a brisé son aïeul


Oscar Wilde - Wikipedia, la enciclopedia libre
Oscar Wilde

Le petit-fils d'Oscar Wilde rejoue le procès qui a brisé son aïeul
Petit-fils de l'auteur du «Portrait de Dorian Gray», Merlin Holland lira jeudi au tribunal de Montbenon à Lausanne le compte-rendu des audiences.

Lisbeth Koutchoumoff Arman

Publié mercredi 3 septembre 2008

Petit-fils, ce n'est pas une profession. Mais lorsque le grand-père est célèbre, sujet à débats, exégèses et vieux scandales, l'engagement peu devenir plus prenant. Merlin Holland, 63 ans, a pour grand-père Oscar Wilde, l'écrivain irlandais qui poussa l'art de la repartie fine jusqu'à son sommet et ne s'embarrassa jamais du carcan victorien pour vivre ses passions homosexuelles. Merlin Holland déjeune pour l'heure au buffet de la gare de Lausanne. Il descend tout juste du train qu'il l'a conduit de la Bourgogne où il vit. Invité de la Faculté de droit et des sciences criminelles de Lausanne, il va faire revivre jeudi, au tribunal de Montbenon, le fameux procès qui, en 1895, fit passer Oscar Wilde du statut de star des lettres acclamée et vedette des mondanités à celui de paria. Les journaux de l'époque et le public de Londres à New York suivent l'événement avec fièvre. Condamné pour homosexualité, l'écrivain subira deux ans de travaux forcés et ne s'en remettra jamais. Il mourut peu de temps après, à Paris, à l'âge de 46 ans.
Merlin Holland se sent tenu de venir en aide à son aïeul. Pour rétablir les faits. Contrer des biographes qui réduisent l'auteur du Portrait de Dorian Gray à un insatiable croqueur de jeunes hommes. «Ma motivation? La même que mon grand-père je pense. J'aime piquer la bourgeoisie bien-pensante et les gens trop sûrs d'eux en général.» Il est donc devenu un spécialiste incontesté de la vie et de l'œuvre de son aïeul. En est au cinquième livre, des références. Le prochain aura pour titre Après Oscar. Les échos d'un scandale.
L'onde de choc du procès fit exploser la vie familiale de l'écrivain. Sa femme Constance envoya leurs deux fils, Cyril, 10 ans à l'époque, et Vyvyan, 8 ans, le père de Merlin Holland, à Glion près de Montreux.
Cyril l'aîné sait de quoi on accuse son père. A Londres déjà, il a lu les placards des tabloïds. Son petit frère restera dans l'ignorance jusqu'à ses dix-neuf ans. Leur mère les rejoints en Suisse puis choisit l'Italie et puis l'Allemagne. Elle ne survivra pas deux ans à la tragédie familiale. Cyril passera sa vie a prouver au monde qu'il n'est pas efféminé en s'abîmant dans des prouesses physiques extrêmes. Il mourra lors de la Première Guerre mondiale «très certainement en s'exposant bêtement pour prouver sa force», glisse Merlin Holland.
Vyvyan aura tardivement Merlin d'un deuxième mariage. «Lorsque j'avais 15 ans, il m'a emmené un matin très tôt dans le quartier de Chelsea à Londres, tout près de là où nous habitions. Il m'a montré la maison du bonheur de son enfance où il avait vécu avec ses parents et son frère avant que tout n'explose, les parcs où il jouait... Et puis au moment de rentrer, il m'a tendu son autobiographie qu'il avait écrite sept ans plus tôt. C'est comme cela que j'ai découvert l'homosexualité de mon grand-père. Il faut se rendre compte que l'homosexualité était considérée comme criminelle en Angleterre jusqu'en 1967...» rappelle Merlin Holland.
Après le procès, l'œuvre d'Oscar Wilde a continué à être jouée deci delà en Angleterre. Le Continent, comme disent les Anglais, sera beaucoup plus accueillant. Mais il faut attendre les années 70 pour que la modernité de ses pièces et de ses essais soient pleinement redécouvertes. Pour Merlin Holland, la parution de la correspondance de l'auteur a beaucoup compté pour briser l'image de dandy arrogant et superficiel. «Ces lettres ont mis son âme à nu.»
Au point que le petit-fils se dit aujourd'hui que son grand-père n'a plus besoin d'assistance. «Je peux quitter le nid et écrire pour moi, je crois.» Ce sera un roman situé en Bourgogne.


mercredi 19 août 2020

Bernard Frank / Écrivain et chroniqueur littéraire


Bernard Frank (auteur de Les Rats) - Babelio
Bernard Frank

Bernard Frank, écrivain et chroniqueur littéraire

Il est mort d'une crise cardiaque, vendredi soir 3 novembre, alors qu'il dînait avec l'un de ses amis dans un restaurant parisien. Il était âgé de 77 ans.

Par Emilie Grangeray
Publié le 06 novembre 2006 à 15h55 
Mis à jour le 06 novembre 2006 à 15h55

Bernard Frank, écrivain et chroniqueur littéraire, est mort d'une crise cardiaque, vendredi soir 3 novembre, alors qu'il dînait avec l'un de ses amis dans un restaurant parisien. Il était âgé de 77 ans. Pour l'écrivain et éditeur Olivier Frébourg, c'est "une des dernières légendes de la vie littéraire française qui disparaît". Un homme qui ne vivait que par et pour la littérature, au point de déclarer : "Un écrivain, c'est quelqu'un qui découvre son mode d'emploi dans ses livres, un je de fortune. Entre 14 et 20 ans, je me suis bricolé une existence avec des mots. L'enfance est un piège. S'il n'y avait pas l'enfance, personne n'accepterait de vivre. De mener cette vie de con qu'est une vie d'homme."
Pessimiste, Bernard Frank ? Sans doute. Terriblement drôle aussi. Né le 11 octobre 1929 à Neuilly-sur-Seine, il aimait à répéter que, certes, l'année avait été "petite" pour la Bourse, mais "excellente" pour le bordeaux - qu'il consommait sans modération, tout comme le whisky d'ailleurs. "Il me semble que si j'ai tant bu dans cette vie, c'est pour vaincre mes frayeurs de jeune fille", avait-il coutume de dire.
Pour tenter d'esquisser le portrait de Bernard Frank, il faudrait pouvoir convoquer quelques morts - Sagan et Sartre, en premier lieu. Visiter les dames qu'il a croisées, aimées. Interroger ses chats. Aller dans le Cantal où, jeune adolescent, il trouva refuge pendant l'Occupation. C'est là qu'il commença à lire, beaucoup : Taine, Michelet, Dumas. Là aussi, sans doute, qu'il prit définitivement conscience de sa judéité : "J'étais juif, je serai donc écrivain." D'ailleurs, la question juive parcourt en ligne brisée toute son oeuvre, et il n'est pas étonnant qu'à la fin de sa vie Bernard Frank tint Israël pour son "meilleur texte peut-être". Car, si ce pays n'est pas sa "patrie enfin retrouvée", et qu'il n'en parlera jamais comme Camus, Jules Roy, et tant d'autres ont parlé de leur Algérie, vous ne trouverez pas chez Bernard Frank de critique bien vigoureuse de l'Etat juif : "Je sais comment Israël s'est construit. Je n'en attendais pas des miracles et je ne vois pas quel pays aurait pu lui tenir rigueur d'être un pays comme un autre."
Mais reprenons. Bernard Frank est, sinon un cancre comme ce surdoué aurait voulu le faire croire, un élève pour le moins peu assidu. Après des études au lycée Pasteur, il commence une hypokhâgne, avant de s'inscrire aux langues O, lui qui ne lira jamais qu'en français dans le texte ! C'est que la vie est ailleurs. Bernard Frank a rencontré Sartre qui, dans le courant de l'année 1952, lui propose de remplacer Etiemble comme chroniqueur littéraire des Temps modernes.
Frank, qui n'a que 22 ans, n'a encore rien publié, sinon quelques articles dans L'Observateur. Son premier papier va pourtant faire couler beaucoup d'encre. En épinglant Blondin, Laurent, et Nimier - qu'il traite de fascistes -, il "fonde" un mouvement littéraire : les Hussards. Peu rancunier, Nimier sera le premier à saluer le brio de son cadet de quatre ans, alors que Blondin deviendra son ami.
Frank le reconnaît volontiers : il n'aime rien tant que "titiller" les écrivains qu'il admire. Sartre est bien placé pour le savoir. En effet, peu de temps après la publication de son premier livre, Géographie universelle, Frank écrit Les Rats, dans lequel, égratignant Edgar Faure et François Mitterrand au passage, il se moque ouvertement des existentialistes (tous deux à La Table ronde, 1953). Furieux, Sartre charge son secrétaire, Jean Cau, de l'assassiner.
Une "exécution au petit jour quand la ville dort" à laquelle Frank répliquera dans Le Dernier des Mohicans (Fasquelle, 1956) : il y dit son mépris pour Cau et en profite pour régler son compte à Simone de Beauvoir. Sans doute, expliquera-t-il, parce qu'"un lecteur à l'égard d'un de ses auteurs favoris a les mêmes sentiments exigeants, jaloux que l'enfant envers les grandes personnes qu'il adore."
A moins de 30 ans, Bernard Frank a donc publié six livres. Inclassables. Des "machins", aurait dit Malraux. Pour Olivier Frébourg, "l'ensemble s'apparente à une recherche du temps troué, à une autobiographie de plusieurs milliers de pages". A un hommage à la littérature surtout. Si l'on voulait esquisser la géographie frankienne, il faudrait notamment parler de Montaigne, Rousseau, Diderot, Constant, Chateaubriand, Proust, Drieu, auquel il consacre un essai, La Panoplie littéraire (Julliard, 1958).
"OUTRAGEUSEMENT INTELLIGENT"
Après ce livre "outrageusement intelligent" selon la formule de François Nourissier, Frank s'offre de longues vacances puisqu'il faudra attendre 1970 pour lire Un siècle débordé (Grasset), et 1980 pour savourer Solde (Flammarion) qui, d'une certaine façon, est le bilan de la maison Frank sous le septennat de Valéry Giscard d'Estaing.
Plus qu'un romancier, Bernard Frank était surtout un chroniqueur irremplaçable. Mêlant analyses politiques, considérations gastronomiques et chroniques littéraires, il aura égayé, entre autres, les colonnes du Matin de Paris, du Monde et du Nouvel Observateur"J'ai aimé les journaux comme un homme politique peut aimer les bains de foule", dira-t-il. A ceux qui avaient le mauvais goût de croire qu'on écrit des feuilletons pour gagner sa vie, il répondait : "On fait (des) feuilletons parce (...) qu'on éprouve du plaisir à picoter la curiosité de ses contemporains. Parce qu'on a besoin d'exister dans la conscience des autres quotidiennement, chaque semaine (...), et que le livre ne suffit pas à assouvir cette passion."
En les relisant, on est frappé par la culture de Bernard Frank, par sa plume cinglante et irrévérencieuse, par son refus des lieux communs. Se méfiant des raccourcis, Frank ouvrait des parenthèses qui semblaient ne jamais vouloir se refermer, allongeait ses phrases, les étirait, avant de retomber, immanquablement, sur ses pattes. Adepte du coup de griffe, Frank n'aimait rien tant que claquer la porte au nez des parvenus, tandis qu'il recevait à bras ouverts les débutants. Ses amis, les écrivains Eric Neuhoff, Patrick Besson et Jérôme Garcin, s'en souviennent sans aucun doute.
Noctambule, Frank travaillait à l'ancienne, comme un artisan. "Mes livres, sans être des chefs-d'oeuvre impérissables, ont cette odeur de cuir que suscite la nécessité. Ils sont presque écrits à la main", dira-t-il. Point de machine à écrire donc, et encore moins d'ordinateur : Frank écrivait ses chroniques sur des cahiers à spirale dont il arrachait les pages avant de les faire faxer aux journaux qui les accueillaient.
Après la disparition de Françoise Sagan, avec laquelle il entretint une histoire d'amitié fusionnelle, la mort de Bernard Frank résonne comme la fin d'une époque follement élégante et sacrément culottée. Avec l'auteur de Bonjour tristesse, il partageait l'amour de la littérature dont il donna une des plus belles définitions : "Le style, je rougis de le répéter, n'est pas l'imitation d'un style, il est cette juste et adorable manière qu'ont les phrases de se ployer aux sinuosités d'une pensée, il est ce qui arrache une idée au ciel où elle se mourait d'ennui pour l'enduire du suc absolu de l'instant." Et, surtout, un refus du conformisme sous toutes ses formes, qui fait bien défaut désormais.

LE MONDE



mardi 18 août 2020

Bernard Frank / "Un siècle débordé" / Extrait

Bernard Frank, écrivain et chroniqueur littéraire
Bernard Frank

Bernard Frank 

La sélection : extrait de "Un siècle débordé"


François Hollande, dans son discours de Drancy, le 21 septembre 2012,  nous appelait à transmettre la mémoire des juifs de France déportés vers les camps de la mort : « De tous âges, de toutes conditions, de toutes nationalités, ils n’avaient qu’un point commun, ils étaient juifs. » Puis, il a ajouté : « Drancy a été gardé par des gendarmes français, géré par des fonctionnaires français... Aujourd’hui, il s’agit de transmettre et de former l’esprit des générations à venir, car enseigner le passé est la seule manière de l’empêcher de se reproduire. »
À ce sujet, voici un document, un extrait du Siècle débordé dans lequel Bernard Frank, en 1969, cerne à sa manière l’antisémitisme à la Française

EXTRAIT 

Je reconnais que, pour un bourgeois français, les seuls gens qui auraient des raisons sérieuses d'être antisémites, ce sont les juifs ! Malheureusement (ou plutôt heureusement), ça ne leur est pas possible. Croyez-vous que les bourgeois juifs aient des envies différentes de celles des autres bourgeois ? Qu'ils crachent sur l'argent, les beaux appartements, les maisons dans le Midi, les DS 21, les bateaux, le FigaroI'Express, les riches mariages pour leurs enfants, I’amitié avec l'Amérique ? Qu'ils ne soient pas agacés par les grèves dans le secteur public ? Qu'ils aient de la tendresse pour les « bicots et les nègres » ? Ce que les bourgeois ont, ils l'ont ; ce que les bourgeois pensent, ils le pensent ; ce dont les bourgeois rêvent, ils le rêvent. Seulement, depuis 1940, le cœur n'y est plus. La bourgeoisie juive est devenue la bourgeoisie malade de l'Europe. On leur a pourri tout ce qu'ils aimaient. Ils n'ont plus ces antipathies, ces préjugés, ces colères saines, entières, compactes, qui rassurent l'homme. Les juifs les plus obtus se doutent que des vertus, comme la bêtise ou l'avarice, qui réussissent à leurs voisins pour échapper aux pépins de l'existence, ne leur seront pas d'un grand secours en cas de malheur. Le fait d'être juif est un baptême : ça fait réfléchir. Comprenez-moi : je ne dis pas que les juifs soient des saints, je dis qu'ils ne peuvent plus être des salauds à part entière, en toute bonne conscience. Et c'est épuisant et c'est insupportable d'être contraints à devenir autre chose que ce que l’on aurait souhaité d'être, que ce que l'on est, et tout cela pour une qualité invisible. Il y a de quoi enrager. Le juif d'Europe me fait songer à ce bourgeois de Molière qui veut sévir contre sa femme et ses enfants, à l'Orgon du Tartuffe, à qui une servante espiègle ne cesse de répéter : « Allons, allons, Monsieur, vous ne ferez pas ce que vous dites, vous êtes trop bon pour cela. Vous badinez, ce sont menaces en l'air. » Et Orgon s'impatiente, tape du pied, étouffe : « Je ne le ferai pas, je ne le ferai pas ? Tu vas voir, si je ne le fais pas ? Mais je ne veux pas être bon, que diable, je ne le suis pas, je suis méchant ! » Si je ne crois pas, à la différence de Pascal et de Paulhan, au bon usage des maladies, je ne suis pas éloigné de penser qu'il y a un bon usage d'être juif. Et vous voudriez supprimer ce léger doute, Roger Ikor n'a pas inventé la lune. Brave homme certainement. A écrit un de ces romans-fleuve sur des familles juives à travers les siècles pour lesquels les Français éprouvent une prédilection toute particulière et qui sont généralement illisibles. A eu le Goncourt pour les Eaux mêlées en 1955, l'année même où je publiais mon dernier roman : ce qui explique ce miracle de mémoire. Comme aurait pu dire Clemenceau : « Quand ils en couronnent un, ils choisiront le plus bête. » Vient publier chez mon éditeur un essai sur la question juive. Les extraits que j'en ai lus dans le Figaro littéraire m'ont paru bien patauds. Mais ce genre de pensée terne fait dire à la critique et aux lecteurs que R. Ikor est un homme de bonne volonté, avec qui c'est un plaisir de dialoguer. Ikor est socialiste, un vrai, tendance Mollet  et il parle au nom d'une assimilation bovine, dont j'ignore d'ailleurs le sens. Ou plutôt, je sais trop ce que vous entendez par là, malgré les mille chemins de traverse que vous prenez : il s'agit pour vous, comme pour Cau (nous y reviendrons), de faire mastiquer à de pauvres diables les mêmes mots bêtes de la tribu, de leur inspirer les mêmes haines aveugles. Le plus grand service qu'un juif polonais peut rendre à la France, lorsqu'il s'implante chez elle, c'est de rester et juif et polonais, et tout ce que vous voudrez le plus longtemps possible. Ce n'est rien comprendre à ce pays de guerres civiles que d'imaginer un instant que les habitants de ce village de Corrèze, de Bretagne ou de Corse sont assimilés à la France. Un jour, hélas, nous serons tous assimilés, mais non par les effluves de l'âme française, mais par la civilisation que vous savez, celle du brave new world. Quant à Cau, dans un pamphlet dont j’ai perdu le titre, il fait semblant de s'adresser à une juive humaniste, un peu gourde, qui croit que tous les hommes se ressemblent. Et il nous la démolit, elle et ses idées, avec le brio du sens commun. Lui, Cau, il s'en fiche. C'est une nature qui ne s'embarrasse pas de détours. Les Arabes le débecquettent et l'antisémitisme est une immondice. Mais, les hommes étant ce qu'ils sont, il faut que les juifs disparaissent sous peine d'être anéantis, Pour Cau et Ikor, les choses sont claires ; on est israélien – et c'est très bien – ou l'on est français – et c'est parfait. On s'appelle Horowitz ou Bertrand. Je simplifie les choses : Ikor, en vieil écrivain régionaliste, n'est pas contre le souvenir des ancêtres, dont il a tiré ses meilleures pages. Cau, qui est pour le camouflage intégral, se soucie peu de la littérature, ikorienne. Il voit les choses comme elles sont, et elles ne sont pas gaies. « Juifs, à vos abris. » Ikor, lui, en bon socialiste, est optimiste. Il est certes content qu'Israël existe, parce que, comme ça, tous les juifs qui n'habitent pas cette France où il a eu le bonheur d'obtenir le Goncourt, ont tout de même comme lot de consolation une patrie décente. Il parle d'Israël comme un riche industriel vanterait à ses ouvriers la création prochaine d'H.L.M. de luxe. Après ce coup de chapeau, ce bourgmestre épais et têtu convie ses coreligionnaires à ne plus songer qu'à la France, si riche en beaux prix et en diplômes prestigieux.


Avoir Cau sous la main, c'est pratique, parce qu'il dit ou écrit ce que souvent on aurait envie de dire ou d'écrire, mais il le dit et l’écrit de telle façon qu'on a l'impression de l'avoir échappé belle en se taisant. Ce qui me déplaît dans ce qu'écrit Cau, c'est sa façon de croire qu'il n'est pas concerné par d'éventuels massacres, sa bonhomie devant le crime, comme s'il pensait vraiment que sa littérature et les fours pourraient coexister pacifiquement. Il semble donner aux juifs français un conseil de père de famille désabusé : « Changez de nom, changez de nez, ne faites pas circoncire vos fils : les hommes étant ce qu'ils sont, c'est encore ce qu'il y a de plus sûr. Maintenant, si vous ne voulez pas m'écouter, c'est votre droit, mais ne venez pas pleurnicher après, si l'on vous massacre ; je vous aurai prévenus. » Eh bien, je finis par le trouver fort honorable, cet entêtement désuet à rester juif, alors que ce mot n'est plus qu'un imaginaire, une particule à rebours, qu'à la limite, il ne vent plus rien dire. Et si ça gêne d'autres hommes, ce sont ces hommes qui sont haïssables et non ceux qui acceptent d'être considérés comme juifs par les autres. Je ne vois pas quel soulagement les juifs français devraient éprouver à savoir que leurs enfants, tenus dans l'ignorance de leur origine fictive, se retrouveraient du côté des massacreurs. Si le fait d'être juif, d'être minoritaire, n'avait pour seul avantage que de freiner l'étalage des idées toutes faites, que de vous faire éprouver un dégoût plus vif pour la sauvagerie, alors, quant à moi, je me féliciterais qu'il y ait des juifs (mais si ce mot ne cachait plus ni croyance, ni race, ni peuple) jusqu'à la fin des siècles, et dispersés si ce n'est pas trop demander. Qu'on ne voie pas dans ces propos je ne sais quel orgueil racial, je ne sais quel mysticisme camouflé. Je m'élève simplement contre les tentatives un peu sosottes de philosémites bien intentionnés, qui, pour ne pas attirer l'attention sur leurs protégés, tentent de prouver que les juifs sont pareils (pareils à quoi ? pareils à qui ? le diable le sait !), qu'ils ne sont pas si riches, pas si intelligents, pas si médecins, pas si philosophes, pas si banquiers, pas si Rothschild, pas si Bergson, pas si Dassault que l'opinion ne le croit, ce qui fait doucement ricaner les antisémites, qui ont en permanence sous leurs bras l'annuaire de téléphone – liste par professions – et peuvent vous réciter – vingt sur vingt – le nombre de Weil qui sont fourreur à Paris – c'est leur manière à eux Ide déposer une gerbe devant le monument aux déportés. Hé ! bien sûr que les juifs sont différents, même s'ils aiment, même s'ils sont jaloux, même s'ils souffrent, même s'ils sont avares, généreux comme les autres hommes. Ils sont différents puisqu'on les a rendus différents. On ne peut pas recevoir en pleine gueule l'histoire comme ils l'ont reçue, sans qu'il ne leur en soit pas resté quelque trace. On ne peut pas avoir été considéré comme juif entre 1939 et 1944, sans l'être pour la vie. Mais je ne vois pas pourquoi on se sentirait coupable d'avoir manqué d'être exterminé, et l'important, tant pis si je me répète, ce n'est pas de trouver des arguments pour répondre aux antisémites qui n'ont aucun intérêt, c'est de tenter de tirer parti du pétrin supplémentaire où la divine providence (j'aurais volontiers employé un autre
mot, un mot plus vif, mais j'en abuserais, paraît-il) nous a mis. C'est là où l’État intervient. Énonçons sans tarder une grosse vérité : si l'État d'Israël fait preuve d'une évidente mauvaise volonté : s'il s'était laissé en 1948 et en 1967 gentiment rayer de la carte, comme, d'ailleurs, il l'est dans les atlas des pays arabes, les Arabes auraient été prêts à s'entendre avec lui. Comment voulez-vous que les Arabes, qui sont des Sémites, soient antisémites ? Quelle stupide plaisanterie ! Ces manières sont bonnes, pour ces lourdauds d'Européens ! La preuve irréfutable que les Arabes aiment les juifs, c'est qu'ils n'ont jamais construit de fours crématoires sur leur territoire, et pourtant ils ne manquaient pas de main-d'œuvre qualifiée : l'Égypte a longtemps disputé au Paraguay la plus forte densité de nazis au kilomètre carré. Ah ! si les sionistes avaient voulu perdre la guerre, s'ils étaient tous morts, comme les juifs auraient semblé aimables.

Bernard Frank, Un siècle débordé, Grasset, 1969.

Sélection Annick Geille
© Photo de Bernard Frank : Louis Monier


HOMMAGE > Bernard Frank est irremplaçable

Un admirateur de Bernard Frank a retrouvé sa trace à Aurillac, où l’auteur du Siècle débordé vécut pour fuir les nazis. Nous savons aujourd’hui que si les Frank ne s’étaient réfugiés à Aurillac, ils auraient sans doute été dirigés comme tous leurs semblables Parisiens vers Drancy et les camps de la mort.


Bernard Frank est mort, c'est pourquoi nombre de livres fleurissent sur sa tombe. Des témoignages, surtout. Ceux de Vitoux et de Rabaudy, subtils, me donnent parfois l'impression de rabâcher. L'essai de Salim Jay, comme le témoignage de Guégan (À feu Vif) ont été écrits du vivant de Frank, c'est appréciable. Cela dit, le Bernard Frank de Salim Jay est imbuvable : on croirait que l'auteur joue au Scrabble avec ses mots. De la même manière, la biographie d'Henri-Hugues Lejeune, trop écrite, s'effrite comme de la pouzzolane.

Mais qui suis-je pour me permettre de telles réflexions ? Personne. Un bouquiniste.
Je me suis intéressé à Frank parce qu'il a vécu à Aurillac pendant la guerre. Sa famille s’y était réfugiée pour fuir la Gestapo et la police française.  Je vis à Aurillac depuis bientôt 4 ans : Frank m'aide à ancrer ma conscience dans cette ville. J'habite les mêmes rues que lui, me promène en sa compagnie, et supporte mieux le calme.


La villa des Delprat. « Nous découchâmes pour nous installer dans une des villas situées dans la banlieue d'Aurillac, sur la route, pour ceux qui connaissent le pays, de Saint-Simon. L'un des libraires de la ville, M. Delprat, qui nous fournissait en "Pléiade"[...] nous avait offert une grande chambre mansardée dans sa propre maison ». Un siècle débordé.

Il est très étonnant de voir à quel point certains Aurillacois ont bonne mémoire, ce qui, par les temps qui courent, est appréciable. J'ai parlé à M. et Mme Montimart, résistants, qui ont bien connu Frank et son cousin, Serge Strauss. Ils ont su retrouver avec exactitude les lieux où la famille Frank a vécu. Rue Émile Duclaux, tout d'abord, dans un grand appartement donnant sur la place du Square (rebaptisée comme beaucoup d'autres « Place du Maréchal Pétain » sous l'Occupation), puis rue du Buis (l'ancienne rue chaude d'Aurillac, avec ses maisons closes et ses bars), chez le libraire Delprat, enfin, sur l'ancienne route de Saint-Simon, nommée maintenant Avenue Jean-Baptiste Veyre. Sans oublier la maison louée près de Montsalvy, à cap del Bos. L'historien Eugène Martres m'a été d'un grand secours, c'est lui qui m'a introduit auprès des Montimart.

La maison louée par Robert Frank près de Montsalvy. « Cette année-là, nous n'allâmes pas dans notre maison de campagne du cap del Bos. Maison, je fabule un peu. J'aimerais vous la montrer, la revoir ; je me souviens du grenier rempli de flèches, de sabres et d'épées en tout genre  [...] Le cap del Bos était à trente kilomètres d'Aurillac, soit une bonne heure et demie à bicyclette. » Un siècle débordé.


Ni les archives départementales, qui sont pourtant bien tenues, ni les archives municipales n'ont d'entrée ''Bernard Frank''. Pourtant, Frank fut nommé citoyen d'honneur de la ville en 2001. Concernant les archives du lycée Émile Duclaux, où Frank a étudié, elles ont été jetées aux ordures. Question de sécurité  que ne ferait-on pas pour la sécurité. Donc aucun moyen de retrouver ses dissertations françaises, ce qui aurait été amusant, et peut-être éclairant.

Dans la causerie que je m'apprête à faire, au Salon du livre de Laroquebrou, en novembre prochain, j'espère rappeler aux Aurillacois, aux Cantaliens, à ceux qui seront présents, que Bernard Frank est passé par là. Et que l'Auvergne fut pour son enfance, comme elle le fut pour Vialatte, un coffre ou un grenier rempli de trésors (et de menaces aussi).

Je ne suis pas un héraut de la cause régionaliste, aussi ceci ne sera que le point de départ d'une étude (le mot est grand) sur Frank. On n'a pas fait le tour de Bernard Frank, et son influence ne s'arrêtera pas à quelques-uns. Bernard Frank s'est bien caché derrière sa conversation, sa mèche de cheveux Saganesque, son Haig (ou une autre marque de whisky). Il serait peut-être temps de bousculer cet écrivain mort, ressuscité, et maintenant paisiblement absent, pour que les jeunes générations s'en emparent et fassent de la littérature française autre chose que la misère qu'on peut lire de nos jours.

Jean-Louis Benavent
LINTERNAUTE


lundi 17 août 2020

Décès de Mercedes Barcha, veuve et inspiratrice de Gabriel Garcia Marquez, à 87 ans





Fundación Gabo lamenta el fallecimiento de Mercedes Barcha Pardo
Mercedes Barcha

Décès de Mercedes Barcha, veuve et inspiratrice de Gabriel Garcia Marquez, à 87 ans

DISPARITION - Ils s'étaient mariés en 1958 et ont vécu ensemble jusqu'à la mort de l'écrivain. Gardienne de l'œuvre du prix Nobel de littérature, elle est décédée samedi à Mexico.
Mercedes Barcha, qui fut l'épouse et l'inspiratrice de l'écrivain colombien Gabriel Garcia Marquez, est décédée samedi à Mexico à l'âge de 87 ans, a annoncé le secrétariat mexicain à la Culture. «J'ai appris avec une grande tristesse la mort de Mercedes Barcha», a écrit sur Twitter la secrétaire à la Culture, Alejandra Frausto. «Nos plus profondes condoléances». La cause du décès de Mercedes Barcha, qui résidait depuis 1961 à Mexico, n'a pas été précisée officiellement. Selon des médias colombiens, elle souffrait de problèmes respiratoires.
Gabriel Garcia Marquez a connu Mercedes Barcha alors qu'encore enfant il se déplaçait de village en village avec son père pour proposer des médicaments.



Gabriel Garcia Marquez a connu Mercedes Barcha alors qu'encore enfant il se déplaçait de village en village avec son père pour proposer des médicaments. LUIS ACOSTA / AFP

Le président colombien Ivan Duque a adressé ses condoléances à la famille de la défunte. «Aujourd'hui est morte à Mexico Mercedes Barcha, l'amour de la vie de notre Nobel Gabriel Garcia Marquez et sa compagne inconditionnelle», a écrit Ivan Duque, exprimant «toute la solidarité» de la Colombie avec sa famille.



Gabriel Garcia Marquez et son épouse Mercedes Barcha en 2007 dans le train pour Aracataca en Colombie.
Gabriel Garcia Marquez et son épouse Mercedes Barcha en 2007 dans le train pour Aracataca en Colombie. ALEJANDRA VEGA / AFP

La Fondation Gabo (surnom de l'écrivain), de son nom complet Fondation Gabriel Garcia Marquez pour le nouveau journalisme ibéro-américain, a précisé que Mercedes Barcha était morte «dans sa résidence à Mexico, où elle s'était installée avec Gabo en 1961». Garcia Marquez et Mercedes Barcha s'étaient mariés en 1958 et ont vécu ensemble jusqu'à la mort de l'écrivain.
Descendante d'émigrants égyptiens, Mercedes Barcha est née et a vécu à Magangue, en Colombie, où son père tenait une pharmacie. Garcia Marquez l'a connue alors qu'encore enfant il se déplaçait de village en village avec son père pour proposer des médicaments. Le couple a eu deux enfants, Gonzalo et Rodrigo, qui sont l'un dessinateur et l'autre réalisateur et producteur de cinéma et de télévision.
Le décès de Mercedes Barcha a suscité sur les réseaux sociaux de nombreuses réactions des milieux littéraires, culturels et politiques. «J'ai eu le privilège de connaître Mercedes Barcha», a écrit sur Twitter la maire de Mexico, Claudia Sheinbaum, qui a rendu hommage à «une grande et belle femme».
Gabriel Garcia Marquez, né à Aracataca en Colombie en 1927, est décédé en 2014 à Mexico. Il a obtenu en 1982 le prix Nobel de littérature.