mercredi 5 août 2020

Juan Carlos I, le meurtre du père




ÉDITORIAL 

Juan Carlos, le meurtre du père

Le départ de l'ex-roi met en lumière les nombreuses faiblesses du pays


LUIS LEMA
Publié mardi 4 août 2020 à 21:24
Modifié mardi 4 août 2020 à 21:30

Une fuite? Un exil? Une mise à l’écart d’un personnage devenu décidément trop encombrant? Le départ forcé de Juan Carlos, annoncé lundi soir, était devenu une nécessité. Il y a presque un demi-siècle, le jeune roi Juan Carlos, nommé par une décision du dictateur Franco, avait su se mouler aux désirs de son époque, et apparaître comme l’emblème d’une nouvelle Espagne assoiffée de modernité et de démocratie. Quand la démocratie semblait ne plus tenir qu’à un fil, le monarque avait fait la différence.
Pourtant, l’âge venant, à coups de bourdes, d’aveuglements et d’égocentrisme, il a fini par manquer sérieusement le coche. Juan Carlos, progressivement, ne signifiait plus rien dans l’Espagne actuelle. Mais son départ, loin de résoudre les problèmes, risque au contraire de mettre encore plus en évidence les faiblesses d’un pays aux prises avec des crises à ce point multiples qu’il serait vain de vouloir les énumérer toutes.

Pêle-mêle: frappée de plein fouet par la crise sanitaire du Covid-19, l’Espagne se débat avec des conséquences économiques que l’aide européenne ne parviendra pas à gommer. La coalition au pouvoir – les socialistes sont épaulés par l’extrême gauche – fait beaucoup de mécontents, y compris dans les rangs des électeurs de gauche. Son unité territoriale vacille sous les coups de boutoir des indépendantistes catalans. Les nostalgiques d’un pouvoir fort relèvent la tête et s’expriment à haute voix, ici autant qu’ailleurs. Autrefois garante de l’unité du pays, la monarchie est contestée, souvent avec des arguments parfaitement recevables.
Dans ce contexte, Juan Carlos, ses chasses aux éléphants, ses maîtresses et son goût pour l’argent, étaient devenus un boulet purement insupportable. Felipe VI, le successeur aux allures de premier de classe, l’a parfaitement compris. Mais il n’est pas sûr que le meurtre symbolique du père soit suffisant pour apaiser les flammes et rendre la monarchie acceptable dans l’ensemble du pays.
Les Espagnols, encore plus que d’autres, peuvent avoir la mémoire courte. Ce qui, aujourd’hui, paraît parfaitement acquis, était loin de l’être il y a juste quelques décennies. Les dangers sont si nombreux que la maison royale, associée aux dirigeants politiques, semble avoir paré au plus pressé, se débarrassant d’un patriarche devenu synonyme d’une époque révolue. Or, cacher la saleté sous le tapis est rarement une solution pérenne. L’Espagne a besoin d’espérer. Vite, elle doit maintenant se mettre d’accord sur les valeurs et les desseins dont elle est aujourd’hui assoiffée.


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