mercredi 19 août 2020

Bernard Frank / Écrivain et chroniqueur littéraire


Bernard Frank (auteur de Les Rats) - Babelio
Bernard Frank

Bernard Frank, écrivain et chroniqueur littéraire

Il est mort d'une crise cardiaque, vendredi soir 3 novembre, alors qu'il dînait avec l'un de ses amis dans un restaurant parisien. Il était âgé de 77 ans.

Par Emilie Grangeray
Publié le 06 novembre 2006 à 15h55 
Mis à jour le 06 novembre 2006 à 15h55

Bernard Frank, écrivain et chroniqueur littéraire, est mort d'une crise cardiaque, vendredi soir 3 novembre, alors qu'il dînait avec l'un de ses amis dans un restaurant parisien. Il était âgé de 77 ans. Pour l'écrivain et éditeur Olivier Frébourg, c'est "une des dernières légendes de la vie littéraire française qui disparaît". Un homme qui ne vivait que par et pour la littérature, au point de déclarer : "Un écrivain, c'est quelqu'un qui découvre son mode d'emploi dans ses livres, un je de fortune. Entre 14 et 20 ans, je me suis bricolé une existence avec des mots. L'enfance est un piège. S'il n'y avait pas l'enfance, personne n'accepterait de vivre. De mener cette vie de con qu'est une vie d'homme."
Pessimiste, Bernard Frank ? Sans doute. Terriblement drôle aussi. Né le 11 octobre 1929 à Neuilly-sur-Seine, il aimait à répéter que, certes, l'année avait été "petite" pour la Bourse, mais "excellente" pour le bordeaux - qu'il consommait sans modération, tout comme le whisky d'ailleurs. "Il me semble que si j'ai tant bu dans cette vie, c'est pour vaincre mes frayeurs de jeune fille", avait-il coutume de dire.
Pour tenter d'esquisser le portrait de Bernard Frank, il faudrait pouvoir convoquer quelques morts - Sagan et Sartre, en premier lieu. Visiter les dames qu'il a croisées, aimées. Interroger ses chats. Aller dans le Cantal où, jeune adolescent, il trouva refuge pendant l'Occupation. C'est là qu'il commença à lire, beaucoup : Taine, Michelet, Dumas. Là aussi, sans doute, qu'il prit définitivement conscience de sa judéité : "J'étais juif, je serai donc écrivain." D'ailleurs, la question juive parcourt en ligne brisée toute son oeuvre, et il n'est pas étonnant qu'à la fin de sa vie Bernard Frank tint Israël pour son "meilleur texte peut-être". Car, si ce pays n'est pas sa "patrie enfin retrouvée", et qu'il n'en parlera jamais comme Camus, Jules Roy, et tant d'autres ont parlé de leur Algérie, vous ne trouverez pas chez Bernard Frank de critique bien vigoureuse de l'Etat juif : "Je sais comment Israël s'est construit. Je n'en attendais pas des miracles et je ne vois pas quel pays aurait pu lui tenir rigueur d'être un pays comme un autre."
Mais reprenons. Bernard Frank est, sinon un cancre comme ce surdoué aurait voulu le faire croire, un élève pour le moins peu assidu. Après des études au lycée Pasteur, il commence une hypokhâgne, avant de s'inscrire aux langues O, lui qui ne lira jamais qu'en français dans le texte ! C'est que la vie est ailleurs. Bernard Frank a rencontré Sartre qui, dans le courant de l'année 1952, lui propose de remplacer Etiemble comme chroniqueur littéraire des Temps modernes.
Frank, qui n'a que 22 ans, n'a encore rien publié, sinon quelques articles dans L'Observateur. Son premier papier va pourtant faire couler beaucoup d'encre. En épinglant Blondin, Laurent, et Nimier - qu'il traite de fascistes -, il "fonde" un mouvement littéraire : les Hussards. Peu rancunier, Nimier sera le premier à saluer le brio de son cadet de quatre ans, alors que Blondin deviendra son ami.
Frank le reconnaît volontiers : il n'aime rien tant que "titiller" les écrivains qu'il admire. Sartre est bien placé pour le savoir. En effet, peu de temps après la publication de son premier livre, Géographie universelle, Frank écrit Les Rats, dans lequel, égratignant Edgar Faure et François Mitterrand au passage, il se moque ouvertement des existentialistes (tous deux à La Table ronde, 1953). Furieux, Sartre charge son secrétaire, Jean Cau, de l'assassiner.
Une "exécution au petit jour quand la ville dort" à laquelle Frank répliquera dans Le Dernier des Mohicans (Fasquelle, 1956) : il y dit son mépris pour Cau et en profite pour régler son compte à Simone de Beauvoir. Sans doute, expliquera-t-il, parce qu'"un lecteur à l'égard d'un de ses auteurs favoris a les mêmes sentiments exigeants, jaloux que l'enfant envers les grandes personnes qu'il adore."
A moins de 30 ans, Bernard Frank a donc publié six livres. Inclassables. Des "machins", aurait dit Malraux. Pour Olivier Frébourg, "l'ensemble s'apparente à une recherche du temps troué, à une autobiographie de plusieurs milliers de pages". A un hommage à la littérature surtout. Si l'on voulait esquisser la géographie frankienne, il faudrait notamment parler de Montaigne, Rousseau, Diderot, Constant, Chateaubriand, Proust, Drieu, auquel il consacre un essai, La Panoplie littéraire (Julliard, 1958).
"OUTRAGEUSEMENT INTELLIGENT"
Après ce livre "outrageusement intelligent" selon la formule de François Nourissier, Frank s'offre de longues vacances puisqu'il faudra attendre 1970 pour lire Un siècle débordé (Grasset), et 1980 pour savourer Solde (Flammarion) qui, d'une certaine façon, est le bilan de la maison Frank sous le septennat de Valéry Giscard d'Estaing.
Plus qu'un romancier, Bernard Frank était surtout un chroniqueur irremplaçable. Mêlant analyses politiques, considérations gastronomiques et chroniques littéraires, il aura égayé, entre autres, les colonnes du Matin de Paris, du Monde et du Nouvel Observateur"J'ai aimé les journaux comme un homme politique peut aimer les bains de foule", dira-t-il. A ceux qui avaient le mauvais goût de croire qu'on écrit des feuilletons pour gagner sa vie, il répondait : "On fait (des) feuilletons parce (...) qu'on éprouve du plaisir à picoter la curiosité de ses contemporains. Parce qu'on a besoin d'exister dans la conscience des autres quotidiennement, chaque semaine (...), et que le livre ne suffit pas à assouvir cette passion."
En les relisant, on est frappé par la culture de Bernard Frank, par sa plume cinglante et irrévérencieuse, par son refus des lieux communs. Se méfiant des raccourcis, Frank ouvrait des parenthèses qui semblaient ne jamais vouloir se refermer, allongeait ses phrases, les étirait, avant de retomber, immanquablement, sur ses pattes. Adepte du coup de griffe, Frank n'aimait rien tant que claquer la porte au nez des parvenus, tandis qu'il recevait à bras ouverts les débutants. Ses amis, les écrivains Eric Neuhoff, Patrick Besson et Jérôme Garcin, s'en souviennent sans aucun doute.
Noctambule, Frank travaillait à l'ancienne, comme un artisan. "Mes livres, sans être des chefs-d'oeuvre impérissables, ont cette odeur de cuir que suscite la nécessité. Ils sont presque écrits à la main", dira-t-il. Point de machine à écrire donc, et encore moins d'ordinateur : Frank écrivait ses chroniques sur des cahiers à spirale dont il arrachait les pages avant de les faire faxer aux journaux qui les accueillaient.
Après la disparition de Françoise Sagan, avec laquelle il entretint une histoire d'amitié fusionnelle, la mort de Bernard Frank résonne comme la fin d'une époque follement élégante et sacrément culottée. Avec l'auteur de Bonjour tristesse, il partageait l'amour de la littérature dont il donna une des plus belles définitions : "Le style, je rougis de le répéter, n'est pas l'imitation d'un style, il est cette juste et adorable manière qu'ont les phrases de se ployer aux sinuosités d'une pensée, il est ce qui arrache une idée au ciel où elle se mourait d'ennui pour l'enduire du suc absolu de l'instant." Et, surtout, un refus du conformisme sous toutes ses formes, qui fait bien défaut désormais.

LE MONDE



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