mardi 29 avril 2014

Interview d'Almudena Grandes

Interview d'Almudena Grandes

Par Marc Gadmer, le 24 avril 2012
Révélée au public français par son roman « Le cœur glacé », Almudena Grandes revient sur un épisode volontairement oublié de la guerre d’Espagne : la prise du val d’Aran en Catalogne, en 1944, par une poignée de communistes auxquels s’adjoint Inès, un personnage de fiction, acquise à la cause républicaine. Un livre où il est question d'Histoire mais aussi d’amour, d’espoir, de vie… Magnifique.

Vous parlez beaucoup d’amour dans ce roman de guerre. L’histoire d’amour de Dolores Ibarruri, dite la Pasionaria, grande figure du parti communiste, dont vous rappelez qu’elle fut aussi une femme et une mère, n'est-elle pas la plus étonnante ?

Il y a trois narrateurs dans ce roman et trois histoires d’amour dont deux bien réelles. Celle de Monzon, secrétaire général du parti communiste, avec sa secrétaire, qui sera un temps l’éminence grise du parti, une histoire qui m'a  beaucoup émue ; et celle de Dolores Ibarruri. En Espagne, la Pasionaria est comme la Vierge Marie du prolétariat international. C’est une icône. Une femme forte, très intelligente, bonne, parée de toutes les vertus de la Vierge. Il fallait que je parle d'elle et je crois que son histoire d’amour renforce son image de sainte. Son fils mourra à Stalingrad, ce qui va la briser. Et il y a aussi l'histoire d'amour inventée, celle d’Inès, mon héroïne, avec Galan, l’officier qui sera en charge de la reconquête du val d’Aran.

Pourquoi avoir choisi cet épisode peu connu de la guerre d’Espagne, la reconquête du val d’Aran, pour cadre de votre roman ?

Lorsque j’ai pris connaissance de ce fait historique, qui est également très peu connu en Espagne, j’ai été surprise par l'importance que lui donnaient les protagonistes et surtout la façon dont on l’avait ensuite occulté en Espagne. Il fallait qu’on ignore tout de cet événement et l’on ne trouve que trois ou quatre livres sur ce sujet. Je me suis demandé pourquoi ? Cet épisode répondait à une certaine logique pour les Républicains. En 1939, Franco a gagné la guerre civile grâce à l’appui des Allemands et des Italiens. Puis, avec le débarquement allié en Normandie, les Républicains espagnols ont espéré la libération de leur pays. Pour eux, l’Espagne devait être le dernier pays à être libéré par les Alliés et la prise du val d’Aran n’était que le premier épisode de cette libération. J’ai trouvé l’histoire fascinante et très significative de l’histoire de mon pays. L’Espagne est un pays atypique ! On a toujours marché à contre-courant de l’Europe. Quelque fois on va vite, parfois très lentement. Jamais au même rythme que le reste de l’Europe.


Dans cette histoire, la place des femmes est prépondérante. Est-ce parce que durant la guerre d’Espagne, cadre de l’histoire, les Espagnoles ont fait preuve de beaucoup de courage et d’abnégation ?

Pour moi, la femme républicaine est comme un modèle de femme. Pas une femme parfaite mais une femme courageuse. Une femme seule parce que, souvent, le mari est mort au combat, en prison ou dans la clandestinité, et qui a élevé seule ses enfants dans la foi républicaine. Ces femmes prenaient beaucoup de risques, elles n’hésitaient pas à cacher chez elles des résistants. Or dans l’imagerie populaire, seuls les hommes ont lutté. Je trouve très important de raconter le point de vue de ces femmes qui ont disparu de l’histoire. Et aussi parce que ces femmes ont connu la pire période du franquisme. La République espagnole a donné aux femmes un statut juridique très progressiste que le franquisme a balayé. Je trouve très émouvant de penser que mes grands-mères ont eu une vie plus semblable à la mienne que ma mère.

Une certaine connaissance de l’histoire de la guerre d’Espagne et de ses suites en France facilite la lecture de ce roman. Pourquoi avoir choisi le point de vue des communistes ?

L’histoire du val d’Aran est une histoire décidée, montée, organisée par le parti communiste espagnol. Le PCE a été l’unique parti, côté républicain, a continué le combat après guerre, alors que les dirigeants socialistes avaient fui au Mexique ou en Argentine faute d’organisation puissante en Europe, comme les communistes, pour lutter contre le franquisme. Sous Franco, seul le parti communiste a organisé la résistance et maintenu la lutte pendant trente-sept ans. Mais cette opération du val d’Aran est aussi une lutte fratricide à l’intérieur du parti. Monzon, son secrétaire général après le départ de Dolores Ibarruri, était un homme exceptionnel, charismatique, qui avait beaucoup de talent mais peut-être trop ambitieux. C’est lui qui, en 1939, a réorganisé le parti en France dans le Sud-Ouest. La puissance du parti communiste dans l’après guerre en Espagne date de ce moment. Et Monzon a pensé que monter cette opération lui permettrait de garder le pouvoir sur le parti. Mais Staline en avait décidé autrement. L’Espagne ne l’intéressait pas. C’était trop loin. Il voulait faire main basse sur l’Europe de l’Est uniquement. Pour Dolores Ibarruri, c’est un moment terrible. Qui va-t-elle suivre ? Appuyer Monzon ou s’en remettre au parti ? C’est pour elle un choix cornélien. C’est pourquoi, cet épisode a été occulté des mémoires, car, en réalité, tout avait été programmé pour maintenir Franco au pouvoir.



Les communistes espagnols n'ont-ils pas joué aussi un rôle en France durant la guerre malgré le pacte de non-agression signé entre Staline et Hitler ?

Ils ont été les premiers à organiser des maquis et il y a une certaine logique à cela. Les Républicains espagnols avaient l'habitude de la lutte, de l’organisation des combats. Ils se sont retrouvés en France après trois années de guerre en Espagne. Ils ne pensaient pas alors que le futur serait celui que l’on a connu mais étaient persuadés que l’Espagne serait libérée avec la fin de la guerre et c’est pourquoi ils luttaient.
Pour plagier le titre du recueil de poésies de Neruda, « L’Espagne au cœur », on sent que la guerre d'Espagne vous tient à cœur ?
Oui, car mon cœur est espagnol. Il y a un autre poète que j’aime beaucoup, Jaime Gil de Biedma. Dans les années 50, il a écrit : « De toutes les histoires de l’Histoire,
 la plus triste est sans doute celle de l’Espagne,
 car elle se termine mal. Comme si l’homme, fatigué de combattre ses démons, sacrifiait enfin à leur compétence l’administration de sa pauvreté.» C’est cette pensée qui m’anime. C’est vrai qu’aujourd’hui on a une démocratie bien ancrée, forte… mais la démocratie espagnole a une faiblesse congénitale qui est l’histoire de la mémoire. C’est une démocratie sans mémoire. Après la mort de Franco, au moment de la transition, même s'il est  vrai que l’armée franquiste était encore forte, nous sommes passés à la démocratie en faisant table rase de la dictature. On n’en parlait plus, c’était déjà du passé. Basta ! Les dirigeants se sont comportés comme si la dictature n’avait jamais existé.


Aujourd'hui, les cicatrices de la guerre d'Espagne sont-elle toutes refermées ?
Tout part de cette période de transition, durant laquelle la classe politique de l’époque n’a pas voulu dénoncer la dictature. Pour asseoir cette démocratie, on n’a pas voulu faire le procès du passé. Et c’est très injuste pour toutes ces personnes qui ont lutté toute leur vie pour la liberté, pour que la démocratie existe. La vie que nous vivons aujourd’hui en Espagne est la vie pour laquelle les Républicains ont lutté. La démocratie espagnole actuelle est la victoire posthume de la république espagnole. Et la défaite du franquisme. Ça c’est la vérité de la rue. Mais au niveau du pouvoir, rien n’a été fait pour rendre hommage à ces combattants. C’est pourquoi j’ai écris ce roman.

Ce roman est le premier épisode d’une série annoncée de six romans. Seront-ils tous consacrés à la lutte antifranquiste ?

Je veux faire une série de six romans pour raconter les vingt-cinq premières années du franquisme, de 1939 à 1964, au cours desquelles le pays s’est refermé sur lui-même. Car, ensuite, les Espagnols ont commencé à partir à l’étranger pour travailler et les touristes à arriver et à ce moment-là, la pauvreté a commencé à diminuer. Je veux raconter des épisodes sur les pires heures du franquisme cependant pas seulement d’un point de vue de la guérilla. Ça sera des histoires très diverses, mais toujours du point de vue de la Résistance. Je me suis inspirée pour cela d’un auteur espagnol très important à mes yeux, Bénito Pérez-Galdos, un des plus grands romanciers du XIXe siècle. Il a écrit de nombreux romans, qu’il a appelé des épisodes nationaux, pour raconter les débuts du XIXe siècle en Espagne, la guerre d’indépendance, Napoléon… Ce sont toujours des romans de fiction mais qui s’inscrivent dans des périodes historiques réelles. J’ai adopté ce modèle pour mes romansde façon à ce que le vrai protagoniste de l’Histoire cohabite avec mes personnages de fiction. On peut bien sûr les lire séparément, mais ils ont un esprit en commun et une évolution chronologique cohérente. Et certains personnages secondaires dans un livre pourront devenir mes acteurs principaux dans un autre.
Quels souvenirs personnels gardez-vous de cette période ?
Je suis née en 1960 et j’ai beaucoup de souvenirs du franquisme. C’était un pays très dur, très content de ce qu’il était. Par exemple, si on prend l’école, j’ai été éduquée pour vivre dans un modèle de pays qui n’a plus existé ensuite, un pays qui a disparu quand j’ai eu 15 ans. Et je me souviens surtout de la transition. Ça a été un moment formidable. La soif de vivre, la liberté retrouvée dans tous les domaines. La joie.
Quel message voulez-vous faire passer à travers ces romans ?
Le message que je veux faire passer est le suivant : la liberté, les droits que nous avons en ce moment, n’ont pas été faciles à obtenir. Des gens ont lutté pour nous donner cette opportunité. Dans ces instants de crise que nous connaissons aujourd’hui, il est bon de rappeler que les droits que nous ne défendons pas, se perdent. Et qu’il est nécessaire de lutter pour le futur. Car le chemin est tortueux. Nous autres Espagnols savons cela.



lundi 28 avril 2014

César Vallejo / Les herauts noirs


César Vallejo
LES HERAUTS NOIRS

Il y a, dans la vie, des coups si forts... Moi je ne sais!
Des coups comme de Dieu la haine; comme si avant eux
le ressac de tout ce qui fut souffert
se déposait dans l'âme... Moi je ne sais!

Ils sont peu nombreux; mais ils sont... Ils creusent d'obscurs sillons
sur le plus fier visage, sur le dos le plus fort.
Ils sont parfois les poulains de barbares attilas;
ou bien les hérauts noirs que la Mort nous envoie.

Ce sont les chutes profondes des Christs de l'âme,
d'une adorable foi que le Destin blasphème.
Ces coups sanglants sont les crépitations
d'un pain brûlant pour nous à la porte du four.

Et l'homme... Pauvre... Pauvre! Il tourne les yeux, comme
quand sur l'épaule un battement de main nous appelle;
il tourne des yeux fous, et tout ce qu'il vécut
se dépose, comme une flaque de remords, dans le Regard.

Il y a des coups dans la vie, si forts... Moi je ne sais!




dimanche 27 avril 2014

Palmarès des pires scènes de sexe de la littérature

Palmarès des pires scènes de sexe de la littérature



Éric Reinhardt est le seul Français à faire partie de la liste des auteurs nommés au Bad Sex Award. <i>© Rue des Archives/BCA</i>
La revue britannique The Literary Review a dévoilé une liste de huit livres - dont Le Système Victoria d'Éric Reinhardt -, parus cette année, qui se sont fait remarquer pour leurs descriptions sexuelles particulièrement crues ou risibles. Morceaux choisis.
Alors que les ébats sexuels lesbiens représentés dans La Vie d'Adèle d'Abdellatif Kechiche ont embarrassé bon nombre de spectateurs, The Literary Review a publié une sélection de dix romans pour lesquels le lecteur a pu également se sentir de trop. Pour ce vingt et unième Bad Sex Award, le magazine tentera de départager ces écrivains, non répertoriés dans la littérature pornographique ou érotique, qui se sont attelés à la description d'une scène torride de façon maladroite ou avec un manque de tact évident. Redondances, métaphores douteuses, narration de pratiques sexuelles déviantes, plusieurs choix faits par ces auteurs peuvent surprendre et rapidement virer au ridicule.

samedi 26 avril 2014

Trois astuces pour écrire une scène de sexe crédible



Trois astuces pour écrire 

une scène de sexe crédible

 Si vos personnages sont adultes et que vos livres sont destinés à un public adulte, il se pourrait bien que vous ayez un jour ou l’autre à écrire une scène de sexe. Et si vous voulez éviter de figurer dans le prochain palmarès de la pire escène de sexe en littérature, voici trois astuces à adopter:
Trouvez les bons mots
Quand vous écrivez une scène de sexe, il est malheureusement très facile de tomber dans le cliché, d’être trop vague ou ridicule sans le faire exprès. En tant qu’auteur, vous devez surmonter vos inhibitions et trouver la terminologie exacte pour contrôler l’ambiance et les personnages que vous créez. Pourquoi ne pas commencer par établir un lexique en listant tous les mots que vous connaissez et qui se réfèrent au sexe. Puis surlignez les mots avec lesquels vous vous sentez le plus à l’aise et qui correspondent le mieux au ton de votre histoire. Ensuite, lancez-vous un petit défi : écrivez un court texte en utilisant uniquement les mots que vous n’avez pas surlignés, ceux que vous trouvez trop vulgaires, trop cliniques ou trop obscènes. Vous serez sans aucun doute surpris par le résultat ! Apprivoiser un plus grand nombre de mots vous permettra d’éviter les clichés et la confusion. N’oubliez pas que votre lecteur attend de vous que votre texte soit clair et compréhensible.

vendredi 25 avril 2014

Gabriel García Márquez / Cent ans de solitude / Extraits


Gabriel García Márquez
CENT ANS DE SOLITUDE
Extraits

Bien des années plus tard, face au peloton d'exécution, le colonel Aureliano Buendia devait se rappeler ce lointain après-midi au cours duquel son père l'emmena faire connaissance avec la glace. Macondo était alors un village d'une vingtaine de maisons en glaise et en roseaux, construites au bord d'une rivière dont les eaux diaphanes roulaient sur un lit de pierres polies, blanches, énormes comme des oeufs préhistoriques. Le monde était si récent que beaucoup de choses n'avaient pas encore de nom et pour les mentionner, il fallait les montrer du doigt. 

Couverture de Cent ans de solitude

Tous les ans, au mois de mars, une famille de gitans déguenillés plantait sa tente près du village et, dans un grand tintamarre de fifres et de tambourins, faisait part des nouvelles inventions. 

Couverture de Cent ans de solitude

Vers cette époque également revinrent les gitans, derniers héritiers du savoir de Melquiades, et ils retrouvèrent le village si éteint, ses habitants si éloignés du reste du monde, qu'ils s'introduisirent de nouveau dans les maisons en trainant des barres de fers aimantées, comme si ç'avait été en vérité la dernière découverte des savants de Babylone, et se remirent à concentrer les rayons solaires à l'aide de leur loupe géante [...] 

Couverture de Cent ans de solitude

Fasciné par une réalité immédiate qui lui apparut dès lors plus fantastique que le vaste univers de sa propre imagination, il [José Arcadio Buendia] se désintéressa dès lors complètement du laboratoire d'alchimie [...] 

Couverture de Cent ans de solitude

Il n'y avait, dans le coeur d'un Buendia, nul mystère qu'elle ne pût pénétrer, dans la mesure où un siècle de cartes et d'expérience lui avait appris que l'histoire de la famille n'était qu'un engrenage d'inévitables répétitions, une roue tournante qui aurait continué à faire des tours jusqu'à l'éternité, n'eût été l'usure progressive et irrémédiable de son axe. 

Couverture de Cent ans de solitude

"C'est comme si le monde faisait des tours sur lui-même."

Couverture de Cent ans de solitude

Bien des années plus tard, sur son lit d'agonie, Aureliano le Second devait se rappeler cet après-midi pluvieux de juin où il fit irruption dans la chambre pour faire connaissance avec son premier fils. 

Couverture de Cent ans de solitude

"Je connais déjà tout ça par coeur, s'écriait Ursula. C'est comme si le temps tournait en rond et que nous étions revenus au tout début." 

Couverture de Cent ans de solitude

"... une vieillesse en éveil permet de mieux discerner les choses que toutes les investigations dans les cartes."

Couverture de Cent ans de solitude

Pourtant, dans l'impénétrable solitude de son arrière-vieillesse, elle bénéficia d'une telle clairvoyance pour examiner jusqu'aux plus insignifiantes péripéties de l'histoire de la famille, que, pour la première fois, elle put faire toute la lumière sur des vérités que ses occupations d'autrefois l'avaient empêchée de bien voir. [...] elle avait déjà effectué une récapitulation infinitésimale de ce qui avait été la vie de la maison depuis la fondation de Macondo, et avait complètement révisé l'opinion que, depuis toujours, elle s'était faite sur ses descendants. 

Couverture de Cent ans de solitude

L'atmosphère était si humide que les poissons auraient pu entrer par les portes et sortir par les fenêtres, naviguant dans les airs d'une pièce à l'autre.

Couverture de Cent ans de solitude


Un filet de sang passa sous la porte, traversa la salle commune, sortit dans la rue, prit le plus court chemin parmi les différents trottoirs, descendit des escaliers et remonta des parapets, longea la rue aux Turcs, prit un tournant à droite, puis un autre à gauche, tourna à angle droit devant la maison des Buendia, passa sous la porte close, traversa le salon en rasant les murs pour ne pas tacher les tapis, poursuivit sa route par l'autre salle, décrivit une large courbe pour éviter la table de la salle à manger, entra sous la véranda aux bégonias et passa sans être vu sous la chaise d'Amaranta qui donnait une leçon d'arithmétique à Aureliano José, s'introduisit dans la réserve à grains et déboucha dans la cuisine où Ursula s'apprêtait à casser trois douzaines d'œufs pour le pain.



- Ave Maria Très-Pure ! s'écria Ursula.


Couverture de Cent ans de solitude

"Jusqu'alors, il ne lui était jamais venu à l'idée que la littérature fut le meilleur subterfuge qu'on eût inventer pour se moquer des gens [...]."

Couverture de Cent ans de solitude

Le premier de la lignée est lié à un arbre et les fourmis sont en train de se repaître du dernier.

Couverture de Cent ans de solitude

Dans la longue histoire de la famille, la répétition persistante des prénoms lui avait permis de tirer des conclusions qui lui paraissaient décisives. Alors que les Aureliano étaient renfermés, mais perspicaces, les José Arcadio étaient impulsifs et entreprenants, mais marqués d'un signe tragique. 

Couverture de Cent ans de solitude

Le secret d'une bonne vieillesse n'était rien d'autre que la conclusion d'un pacte honorable avec la solitude.

Couverture de Cent ans de solitude

[..] le plus à craindre, dans cette maladie de l'insomnie, ce n'était pas l'impossibilité de trouver le sommeil, car le corps ne ressentait aucune fatigue, mais son évolution inexorable jusqu'à cette manifestation plus critique : la perte de mémoire. Elle voulait dire par là qu'au fur et à mesure que le malade s'habituait à son état de veille, commençaient à s'effacer de son esprit les souvenirs d'enfance, puis le nom et la notion de chaque chose, et pour finir l'identité des gens, et même la conscience de sa propre existence, jusqu'à sombrer dans une espèce d'idiotie sans passé. 

Couverture de Cent ans de solitude

C'était l'histoire de la famille, rédigée par Melquiades jusque dans ses détails les plus quotidiens, avec cent ans d'anticipation. [...] Mais avant d'arriver au vers final, il avait déjà compris qu'il ne sortirait jamais de cette chambre, car il était dit que la cité des miroirs (ou des mirages) serait rasée par le vent et bannie de la mémoire des hommes à l'instant où Aureliano Babilonia achèverait de déchiffrer les parchemins, et que tout ce qui y était écrit demeurait depuis toujours et resterait à jamais irrépétible, car aux lignées condamnées à cent ans de solitude, il n'était pas donné sur terre de seconde chance. 

Couverture de Cent ans de solitude

"Aux lignées condamnées à cent ans de solitude, il n'était pas donné sur terre une seconde chance"


García Marquez est mort / «Ce qui importe, c’est la vie dont on se souvient»



jeudi 24 avril 2014

Les secrets d'écrivain de Gabriel García Márquez

Gabriel García Márquez, 2014

Les secrets d’écrivain 

de Gabriel García Márquez

L’écrivain colombien Gabriel García Márquez, né le 6 mars 1927 à Aracataca (Colombie) est décédé le 17 avril 2014 (à 87 ans) à Mexico. Romancier, nouvelliste, mais également journaliste et activiste politique, il a reçu en 1982 le prix Nobel de littérature. Ce sont ses romans, tels que Cent ans de solitude (1967), Chronique d’une mort annoncée (1981) et L’Amour aux temps du choléra (1985), qui lui ont apporté la reconnaissance de la critique littéraire, ainsi qu’un large succès commercial.
Pourquoi avez-vous commencé à écrire ?
J’ai commencé à écrire par accident, peut-être pour prouver à un ami que ma génération était capable de produire des écrivains. Après cela, je sus tombé dans le piège d’écrire pour le plaisir et ensuite dans un autre piège, en découvrant qu’il n’y avait rien d’autre au monde que j’aimais autant qu’écrire.
Vous dites qu’écrire est un plaisir. Mais vous avez également dit que c’était une pure souffrance.
Les deux sont vrais. Au commencement, quand j’apprenais le métier, j’écrivais avec jubilation, de façon presque irresponsable. Je me souviens qu’en ce temps-là, je pouvais facilement écrire quatre, cinq ou même dix pages d’un livre après avoir terminé mon travail de journaliste à deux ou trois heures du matin. Une fois, j’ai écrit une nouvelle entière d’un seul coup. Maintenant, je suis heureux si j’écris un bon paragraphe en une journée. Avec le temps, l’acte d’écrire est devenu plus douloureux. Ce qui se passe, c’est simplement que votre sens des responsabilités augmente. Vous commencez à sentir que maintenant, chaque mot a plus de poids, qu’il influence beaucoup plus de personnes.
Quel est le point de départ de vos livres ?
Une image visuelle. Pour les autres écrivains, je pense qu’un livre naît à partir d’une idée, d’un concept. Moi je débute toujours avec une image. J’ai écrit La sieste du mardi, que je considère comme ma meilleure nouvelle, après avoir vu une femme et une jeune fille habillées en noir avec un parapluie noir, marchant dans une ville désertique sous un soleil écrasant. Pour Tempête de feuilles, c’était un grand-père emmenant son petit-fils à des funérailles. Le point de départ de Personne n’écrit au Colonel était l’image d’un homme attendant un repas sur la place du marché à Barranquilla. Il attendait avec une sorte d’anxiété silencieuse. Des années plus tard à Paris, je me suis retrouvé à attendre une lettre (un mandat postal probablement) avec la même anxiété et je me suis identifié à cet homme.
Est-ce que cela vous prend beaucoup de temps pour écrire un roman ?
En fait pour l’écrire non. C’est un processus assez rapide. J’ai écrit Cent ans de Solitude en moins de deux ans. Mais j’ai passé 15 ou 16 ans à penser à ce livre avant de m’asseoir devant ma machine à écrire.
Est-ce que vous prenez des notes ?
Jamais, à part quelques griffonnages fantasques. Je sais d’expérience que quand vous prenez des notes, vous finissez par penser à vos notes et pas à votre livre.
Est-ce que vous corrigez beaucoup votre travail ?
Mon travail a beaucoup changé à cet égard. Quand j’étais jeune, j’avais l’habitude d’écrire d’un seul jet, de faire des copies du texte, puis de revenir à nouveau dessus. Maintenant, je corrige ligne par ligne au fur et à mesure afin d’avoir, à la fin de la journée, une page parfaite sans salissures ni ratures, presque prête pour la publication.
Quel est selon vous l’endroit idéal pour écrire ?
J’ai déjà souvent répondu à cette question : une île déserte le matin et une grande ville la nuit. Le matin, j’ai besoin de silence et le soir, de quelques verres et de bons amis avec lesquels discuter. J’ai besoin d’être en contact constant avec les gens dans la rue, de savoir ce qui se passe dans le monde. Ça correspond bien avec ce que William Faulkner pensait quand il disait qu’un bordel est l’endroit idéal pour écrire. C’est très calme le matin, mais il y a la fête toutes les nuits.
Savez-vous exactement ce qui va arriver à chacun de vos personnages avant d’écrire un roman ?
Seulement de façon très générale. Des choses inattendues arrivent au cours d’un livre. La première idée que j’ai eue du Colonel Aureliano Buendia (ndlr : personnage du roman Cent ans de solitude), était qu’il serait un vétéran de la guerre civile et qu’il mourrait pendant qu’il urinait contre un arbre.
Comment justifiez-vous les anachronismes qui apparaissent dansL’Amour au temps du choléra ?
Dans L’Amour au temps du choléra, je suis tout à fait irrespectueux avec le temps réel et de l’espace. (…) je n’écris pas avec la rigueur historique. Quelqu’un pourrait dire, par exemple, que Victor Hugo et Oscar Wilde n’ont pas pu être Paris en même temps. Ce ne sont pas des anachronismes ou des accidents, mais je n’avais pas envie de changer un détail que j’aimais juste pour respecter la chronologie. Ce roman n’est pas une reconstitution historique. Au contraire, il contient des éléments historiques utilisés de façon poétique. Tous les écrivains font cela.
Combien de temps pouvez-vous passer sans écrire ?
Jamais plus d’un jour ! Je ne fais pas de pause entre deux livres. Dès que j’ai terminé, il faut que je m’y remette tout de suite, parce que j’ai les mains chaudes à ce moment-là. Si je les laisse refroidir, cela ne va pas du tout. Il me faut recommencer à apprendre à écrire.


Sources
ranadasgupta.com
www.faculty.ucr.edu
parismatch.com

wkipedia.org
ENVIEDECRIRE




mercredi 23 avril 2014

Gabriel Garcia Márquez / Cent ans de tristesse

Gabriel García Márquez, 1982

MORT À 87 ANS
GABRIEL GARCIA MARQUEZ, CENT ANS DE TRISTESSE


Jean-Pierre Bouyxou

París Match

Le 17 avril 2014 / Mise à jour le 18 avil 2014

L'immense écrivain colombien Gabriel Garcia Marquez est décédé à l'âge de 87 ans, des suites d'une infection pulmonaire. Prix Nobel, il a signé quelques chefs d'œuvres de la littérature sud-américaine comme «Cent ans de solitude» et «L'Amour au temps du choléra». Il était aussi le maître du «réalisme magique»,  genre qui a profondément imprégné la culture occidentale. Paris Match se souvient de l'écrivain et d'une rencontre en Colombie, chez lui, en 2006.



Il y a près de quatre décennies qu'il a révolutionné l'art romanesque avec « Cent ans de solitude », une fresque où s'entremêlent inextricablement le présent et le passé, la réalité et le surnaturel, le lyrisme et l'humour, la compassion et la cruauté. Lauréat du prix Nobel de littérature en 1982, Gabriel Garcia Marquez n'est pas seulement, à 78 ans, le plus célèbre des écrivains latino-américains. Intemporel, l'univers foisonnant que décrivent ses livres a l'amplitude d'un mythe universel. De façon signifiante, il n'habite plus qu'une partie de l'année en Colombie, le pays natal qu'il n'a pourtant jamais cessé d'aimer, et partage le reste de son temps entre le Mexique et les Etats-Unis. Soudain frappé de stérilité littéraire, le vieil homme n'a plus rien écrit depuis « Mémoire de mes putains tristes », publié en 2005. Mais cette perte d'inspiration n'affecte ni sa belle humeur ni sa courtoisie. Pendant une semaine, alors qu'il fuit depuis longtemps journalistes et intervieweurs, il a ouvert toutes grandes les portes de sa maison de Cartagena de Indias, en Colombie, à Willy Rizzo, un des plus anciens photographes de Paris Match.

IL PORTE UNE MONTRE À SON IMAGE, OÙ LES CHIFFRES DU CADRAN NE SONT PAS DANS L'ORDRE

La maison de Gabriel Garcia Marquez à Cartagena de Indias, en Colombie, ne comporte aucune bibliothèque. Seules les oeuvres complètes de Cervantès voisinent avec quelques dictionnaires et traités littéraires sur les rayonnages presque vides de son bureau. Il a distribué tous ses autres livres à des amis et se débarrasse de la même façon, à mesure qu'il les a lus, de ceux qu'il continue de recevoir du monde entier.
« Gabo », comme le surnomment ceux qui l'aiment, ne se contente pas de dévorer des ouvrages en espagnol. Il lit aussi couramment l'anglais, même s'il n'a jamais appris à le parler ou, plus probablement, même s'il a appris à ne jamais le parler : à l'époque où il militait au Parti communiste colombien, s'exprimer dans la langue de l'ennemi politique eût été un crime inexpiable. Quant au français, ce sont des chansons qui l'y ont initié. Il voue une admiration sans bornes à Edith Piaf et connaît par coeur la plupart des refrains de Georges Brassens, qu'il fredonne volontiers à ses invités et dont il affirme s'être quelquefois inspiré.
« La musique est une nécessité, dit-il. J'en ai besoin pour me sentir heureux. » C'est si vrai qu'il en écoute du matin au soir, y compris en lisant ou en travaillant. Des chansons, bien sûr, mais aussi des airs traditionnels latino-américains, boléros ou rumbas, et des morceaux classiques. Et ne lui rapportez surtout pas l'avis de Françoise Sagan, grande amatrice de Schumann et Schubert, qui assimilait le goût de la musique à celui du passé. Il se récrierait avec véhémence. Pour cet éternel optimiste, d'une sensibilité à fleur de peau, la musique sous toutes ses formes est, au contraire, synonyme de vie, d'ouverture, d'espoir dans l'avenir. En entendre, c'est se régénérer. Il suffit de le voir esquisser un pas de danse, élégant et gracieux, pour savoir qu'il ne dit que ce qu'il pense.

WHISKY PUR MALT ET CINÉMA

Gabriel Garcia Marquez savoure la vie en épicurien. Son amour du whisky pur malt est, entre lui et ses intimes, un inépuisable sujet de boutades. Les voyages, eux, ont fini par le lasser. Il a renoncé aux longs et incessants périples qu'il entreprenait naguère. Tel Cadet Rousselle, il a trois maisons. L'une à Mexico, où il réside la majeure partie du temps, la deuxième à Los Angeles et la dernière ici, dans l'ancien port d'attache des conquistadors à la recherche de l'Eldorado. Quand il quitte l'une pour aller dans une autre, c'est rarement, désormais, pour moins de deux ou trois mois. L'avion fatigue l'ex-bourlingueur. Il le regrette, car il ne peut plus venir à Paris comme il le voudrait : c'est là que Gonzalo, son fils cadet, exerce le métier de graphiste. Gonzalo lui a donné deux petits-enfants. Tout comme Rodrigo, son fils aîné, qui, lui, vit et travaille aux Etats-Unis. Rodrigo est cinéaste. Il a notamment dirigé Glenn Close et Joe Mantegna dans « Nine Lives », et il a été un des réalisateurs attitrés de la série télé « Six Feet Under ».
La passion de Rodrigo pour le cinéma lui a assurément été léguée par son père. Pour Garcia Marquez, le 7e Art a toujours été aussi important que la littérature. Au temps de sa jeunesse, pendant les deux années où il a habité Rome, il a beaucoup écrit sur le cinéma italien. Il a ensuite rédigé une bonne trentaine de scénarios, collaborant ainsi avec quelques-uns des plus grands cinéastes mexicains (Roberto Gavaldon, Alberto Isaac, Arturo Ripstein, Felipe Cazals), brésiliens (Ruy Guerra) et cubains (Tomas Gutierrez Alea). On l'a même vu, à deux reprises, faire l'acteur dans des films tirés de ses livres. Et n'allez pas croire que sa cinéphilie s'est attiédie avec le temps. Un magnétoscope ou un lecteur de D.v.d. ne suffirait pas à assouvir sa soif d'images animées. Dans le vaste sous-sol de sa villa de Cartagena, il a fait équiper une pièce avec de vrais fauteuils de cinéma, confortables et larges, et avec un vrai projecteur 35 mm, pour pouvoir visionner de vrais films dans les mêmes conditions que dans une vraie salle.

LE PLAISIR DE TROUBLER

A 78 ans, ce séducteur impénitent n'a plus tout à fait l'âge d'être un homme à femmes. Mais il n'a renoncé ni au plaisir de plaire, ni à celui d'être lui-même charmé. Il excelle, d'ailleurs, à trousser aux dames de fort jolis compliments : la principale qualité qu'il leur prête est la coquetterie. Ça tombe bien. Très beau sous sa crinière blanche, il leur donne terriblement envie de se montrer troublantes. « C'est leur meilleure façon de créer un lien avec un homme », dit-il. Son épouse depuis quarante-huit ans, Mercedes, ne s'offusque pas de ces galanteries courtoises. Il éprouve pour elle, de toute évidence, une tendresse immense. Il lui fait une confiance aveugle, et c'est elle qui assure entièrement la gestion matérielle de la maison. Lui n'a aucune notion des comptes et ignore le prix des choses. Il n'a sur lui ni argent liquide, ni carnet de chèques, ni carte bancaire. Il y a quatre décennies, lorsqu'il eut terminé la rédaction de « Cent ans de solitude », il ne possédait même pas les 80 pesos nécessaires pour poster le manuscrit à son éditeur. Mercedes en a trouvé 40, qui ont servi à expédier la première moitié du texte. Puis elle a mis en gage son séchoir à cheveux et quelques autres effets personnels pour pouvoir envoyer la seconde partie...
Des convictions idéologiques qui ont longtemps fait de lui un des porte-parole du marxisme dans le monde, Gabo - puisque c'est décidément ainsi qu'il convient de le désigner - n'a guère conservé qu'une indéfectible affection pour Fidel Castro. On la lui a souvent reprochée. Il n'en a cure. En amitié, cet assoiffé d'absolu est d'une fidélité intransigeante. Mais son attachement pour le dictateur cubain ne l'empêche pas de tenir Bill Clinton en grande estime. Il a de longues et fréquentes conversations téléphoniques avec l'ancien président américain, car ils préparent ensemble un plan d'action humanitaire. De façon générale, et quelles que soient les distances qu'il a pu prendre avec ses opinions passées, la politique n'a jamais cessé de le passionner. Il lit tous les jours la presse internationale, se tient au courant de tout ce qui se passe d'important sur la planète. Et il est en contact quasi permanent avec le chef de l'Etat colombien, Alvaro Uribe Velez, qui le consulte sur les affaires importantes du pays.
Partout considéré comme un vieux sage, il n'a rien, pourtant, du patriarche sentencieux et bougon que l'on pourrait redouter. Le regard qu'il pose sur ses visiteurs est à la fois pénétrant et doux, attentif et bienveillant. Il a aussi une manière de sourire qui apaise et rassure. On craignait d'être intimidé en le rencontrant. On est simplement ému. Cet humaniste convaincu, adepte dans ses livres et dans l'existence d'un « réalisme magique » qu'on saurait difficilement apparenter au mysticisme, aurait-il finalement été touché par la foi ? C'est la seule question à laquelle il ne veut pas répondre...

NI INQUIÉTUDE NI ANGOISSE

C'est sans hésitation ni gêne, en revanche, qu'il parle de ce qui, à ses yeux, pourrait être un drame abominable. Depuis près d'un an et demi, l'écrivain fécond, Prix Nobel de littérature en 1982, est totalement en panne d'inspiration. Chaque matin, scrupuleusement, il s'assoit à sa table de travail, devant le clavier de son ordinateur. Mais rien ne vient. Pas une phrase, pas un mot, pas une idée. L'écran reste désespérément vierge, comme une page de papier resterait blanche. « 2005 a été une année où, pour la première fois de ma vie, je n'ai pas écrit une ligne », a-t-il récemment déclaré au quotidien catalan « La Vanguardia », dans l'une des rares interviews qu'il ait accordées depuis longtemps. Nulle inquiétude ou angoisse, pourtant, de sa part. Gabo espère que tout se débloquera un jour et qu'il pourra, alors, signer un nouveau livre digne de ses anciens chefs-d'oeuvre. Mais il est, d'avance, également résigné à ce que le déclic ne se produise jamais. Peu lui chaut. Il ne porte pas par hasard une montre conçue pour lui, où les chiffres du cadran ne se suivent pas dans l'ordre. Il n'est indispensable ni de lire l'heure pour connaître le moment de la journée, ni d'écrire des livres à tout prix pour s'approcher de la vérité.