New York dans l’œil du photographe Timothy Fadek. |
ÉTATS-UNIS
Coronavirus: New York, au ralenti
Epicentre de la pandémie aux Etats-Unis, Big Apple connaît une explosion des cas. Derrière le silence pesant, l’inquiétude. L’armée aide à transformer un centre de congrès en services d’urgences, alors que les morgues pourraient vite afficher complet
Modifié vendredi 27 mars 2020 à 10:50
Il y a d’abord ce silence. New York, sans ses sirènes hurlantes, ses marteaux-piqueurs, son trafic incessant et son flot de gens pressés, n’est plus tout à fait New York. A Manhattan, sur la 35e Rue, entre les bords de l’East River et la 5e Avenue, les arbres sont en fleurs, l’Empire State Building brille à l’horizon. Mais les rues sont presque vides. Pas de touristes, quelques joggeurs et promeneurs de chien, des ouvriers, un vieillard courbé qui pousse son caddie rempli de bacs de glaces. Pas de taxis jaunes non plus. Ou si peu. Sur la 5e Avenue, des passants masqués s’évitent quand ils se croisent, pendant qu’un jeune couple s’amuse de la scène. Un homeless, étalé de tout son long contre une vitrine, prend le soleil. Pas loin, un gant en latex gît sur le trottoir, les doigts écartés.
Les appels du gouverneur
Etrange impression de ville morte, avec quelques petites poches de vie, ci et là. Le temps paraît comme suspendu. L’Etat de New York ne représente que 6% de la population du pays, mais enregistre, avec déjà plus de 37 258 tests positifs jeudi, plus de la moitié des cas de contamination. Ses 20 millions d’habitants sont officiellement confinés depuis dimanche soir, avec l’arrêt de toutes les activités «non essentielles». Restaurants, hôtels, théâtres et écoles étaient déjà fermés depuis le 16 mars. L’épidémie pourrait y connaître son pic «d’ici quatorze à vingt et un jours», estime le gouverneur Andrew Cuomo.
La ville qui ne dort jamais – 8,6 millions d’habitants – est particulièrement touchée, avec 21 393 malades. Derrière le calme qui hante les rues, il y a l’urgence. Masques, gants chirurgicaux, respirateurs artificiels et lits sont en nombre insuffisant. Dans les deux principaux hôpitaux déjà surchargés, les consignes sont claires: les femmes enceintes accoucheront toutes seules. Un navire-hôpital (1000 lits) fera son entrée dans le port la semaine prochaine. Dans le gigantesque centre de congrès, le Javits Center, près de l’Hudson River, là même où Hillary Clinton espérait percer le plafond de verre et célébrer sa victoire un certain 8 novembre 2016, l’armée s’active pour aménager quatre services d’urgences, de 250 lits chacun.
Andrew Cuomo veut éviter le pire, alors que des médecins décrivent déjà des scènes «apocalyptiques». Infatigable, il ne lâche pas la pression sur les autorités fédérales pour obtenir près de 100 000 lits – les hôpitaux de l’Etat en comptent 53 000 – et 30 000 respirateurs artificiels supplémentaires. Le maire, Bill de Blasio, avertit: si rien n’est fait très vite, il faudra choisir quels malades sauver. Il voulait imposer le confinement beaucoup plus rapidement. Les morgues sont déjà presque pleines. Après les attentats du 11 septembre 2001, il avait fallu recourir à des morgues mobiles.
«En zone de guerre, on voit le danger»
Aimant culturel, poumon économique, New York accueille habituellement près de 60 millions de visiteurs par an. Ces jours, avec le début du printemps, les terrasses seraient prises d’assaut et les commandes de deviled eggs, avocado toasts et cocktails mimosa exploseraient. En lieu et place, un triste spectacle: rideaux de fer baissés, affichettes liées au coronavirus collées sur les vitrines, chaises sur les tables. Presque désertés, les métros new-yorkais vont réduire leurs cadences de 25%.
Photographe, Timothy Fadek a sillonné la ville ces derniers jours. Il ne cache pas son inquiétude. Le dernier jour où il s’est senti en sécurité, c’était le 11 mars, lorsqu’il a photographié la nouvelle plateforme d’observation de Hudson Yards, le jour de son inauguration. Puis, tout a basculé. «Quand j’ai entendu parler des tests de dépistage pour le Covid-19 à l’hôpital Elmhurst dans le Queens, j’y suis allé, le 21 mars, pour photographier les gens qui faisaient la queue», raconte-t-il.
«Je m’y suis rendu en voiture, je portais des gants et un masque à gaz intégral, mais je me sentais toujours très vulnérable et j’ai ressenti le besoin de me doucher sous une cascade d’eau de Javel…» Il était pourtant à six mètres des patients potentiellement atteints, mais s’imaginait «couvert de virus de la tête aux pieds». «C’est une terrible torture psychologique que je m’infligeais. J’ai été photographe de guerre au début de ma carrière [en Irak, notamment], et je n’exagère pas si je vous dis que je me sens plus à l’aise dans une ville déchirée par la guerre, avec le bruit des armes automatiques à proximité, que devant un hôpital ou dans le métro dans la situation actuelle. En zone de guerre, on peut au moins entendre et voir le danger. Ce virus, il est à la fois invisible et partout. C’est insidieux.»
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Ne pas quitter la ville
Ici, même Times Square a triste mine, et ne ressemble plus à cette ruche en ébullition irritante, où les panneaux publicitaires géants agissent comme des aimants. Grand Central, la mythique gare, est aussi quasi déserte. Le mémorial pour les victimes du 11-Septembre, inaccessible. Partout, le système D prévaut. Des tests de dépistage façon drive-in sont organisés sur des parkings. Des repas à l’emporter sont distribués gratuitement aux enfants dans 400 endroits de la ville, pour les familles en difficulté, depuis la fermeture des écoles. La prison de Rikers Island, où Harvey Weinstein a séjourné, a aussi été mise à contribution: les détenus fabriquent du désinfectant pour les mains.
«Il y a moins de gens dans les rues, mais une grande solidarité», relève Katharina, une habitante de l’Upper West Side. Elle sort encore régulièrement, avec ses ados et son chien, mais en respectant les consignes. «Par contre, les inégalités sociales sont beaucoup plus visibles. Les riches blancs peuvent se permettre de rester chez eux. Tandis que ceux que je vois aller travailler sont surtout des Hispaniques et des Asiatiques.»
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Retour à Brooklyn, en ferry, le moyen le plus sûr. Sur le bateau, les employés portent des gants en latex, certains des masques. Nous aussi. Presque personne sur le pont. Sur la Myrtle Avenue, un marchand de vin indique la marche à suivre sur un tableau noir: ne rien toucher, respecter le social distancing. Le cash n’est plus accepté.
La situation alarmante de New York, «hot spot» du pays, a été évoquée lors d’un point presse de la Maison-Blanche. Avec une recommandation: ne pas chercher à quitter New York, pour éviter de contaminer les autres. Un message qui s’adresse surtout aux riches qui ont des résidences secondaires. Quand à ceux qui y étaient récemment, ils sont priés de se placer en quarantaine pendant quatorze jours.
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