Maya Angelou, poète, écrivain et militante des droits civiques, est morte
Poète, écrivain, cinéaste, actrice, Maya Angelou dont la mort a été annoncée mercredi, était également une figure de premier plan de la lutte pour les droits civiques aux Etats-Unis et une proche de Martin Luther King.
Le décès de la poétesse d'origine afro-américaine à l'âge de 86 ans a été annoncé mercredi par l'université Wake Forest de Winston-Salem (Caroline du Nord, sud-est) qui "pleure la mort de la poétesse, auteur, actrice, militante des droits de l'Homme et professeur Maya Angelou".
Personnalité aux multiples talents, récipiendaire de très nombreux prix et distinctions, Maya Angelou était un "trésor national dont la vie et les enseignements ont inspiré des millions de gens dans le monde", a ajouté l'université.
Maya Angelou avait notamment écrit, sur les conseils de l'écrivain James Baldwin, le best-seller "Je sais pourquoi chante l'oiseau en cage", publié en 1970. Elle y raconte son enfance à une époque marquée par la discrimination contre les Noirs.
Elle est l'auteur également de très nombreux ouvrages où elle exprime son amour de la littérature et sa lutte contre le racisme.
Maya Angelou parlait six langues, dont le français.
De très nombreux messages de condoléances affluaient mercredi matin de la part de nombreux dirigeants américains, comme le Représentant Steven Horsford qui saluait sur Twitter "une vie qui a été une inspiration pour tous".
Née Marguerite Ann Johnson le 4 avril 1928 à St-Louis (Missouri), la jeune fille "expérimente très tôt la brutalité de la discrimination raciale", écrit la biographie de son site internet mayaangelou.com.
- Rencontre avec Malcolm X et Martin Luther King -
Adolescente, elle étudie la danse et le théâtre à San Francisco où vit sa mère. Jeune mère célibataire, elle multiplie les petits boulots avant de partir en tournée en Europe avec l'opéra "Porgy and Bess".
Elle étudie la danse contemporaine avec Martha Graham, danse avec Alvin Ailey, enregistre son premier album en 1957 avant de partir pour New York où elle monte sur les planches pour jouer notamment du Jean Genet.
De cette époque date son mariage, rapidement suivi d'un divorce, avec un marin grec, Tosh Angelos, dont la déformation du nom deviendra son nom de scène.
Elle part ensuite s'installer en Egypte où elle travaille dans un magazine, puis enseigne au Ghana où elle rencontre le leader noir Malcolm X, qui sera assassiné en 1964.
A son retour aux Etats-Unis, le pasteur et militant des droits civiques Martin Luther King lui demande de diriger la section nord de son association de droits civiques Southern Christian Leadership Conference.
L'assassinat du prix Nobel de la Paix la laisse "anéantie".
Selon le New York Times, pendant des années, Maya Angelou ne célèbrera pas son anniversaire le 4 avril, le jour de 1968 où le pasteur a été tué.
L'écrivaine continue à travailler pour le cinéma et la télévision, joue dans la série "Racines", dirige son premier film "Loin d'ici" ("Down in the Delta") avec Wesley Snipes, en 1996.
En 1993, Bill Clinton avait demandé à Maya Angelou de lire un poème au cours de sa cérémonie d'investiture.
En 2011, le président Barack Obama lui avait rendu hommage en lui remettant la Médaille présidentielle de la liberté, la médaille civile la plus importante du pays.
Il avait alors salué "une voix qui a parlé à des millions de gens, dont ma mère, et c'est pourquoi ma soeur s'appelle Maya", avait-il dit, avant d'affirmer qu'elle a "inspiré tant d'autres qui ont connu l'injustice dans leurs vies".
Dans tout le pays environnant on appelait la ferme des Lucas « la Métairie ». On n’aurait su dire pourquoi. Les paysans, sans doute, attachaient à ce mot « métairie » une idée de richesse et de grandeur, car cette ferme était assurément la plus vaste, la plus opulente et la plus ordonnée de la contrée.
Il y avait bal costumé, à
l'Élysée-Montmartre, ce soir-là. C'était à l'occasion de la Mi-Carême, et la
foule entrait, comme l'eau dans une vanne d'écluse, dans le couloir illuminé
qui conduit à la salle de danse. Le formidable appel de l'orchestre, éclatant
comme un orage de musique, crevait les murs et le toit, se répandait sur le
quartier, allait éveiller, par les rues et jusqu'au fond des maisons voisines,
cet irrésistible désir de sauter, d'avoir chaud, de s'amuser, qui sommeille au
fond de l'animal humain.
Les rencontres font le charme des voyages.
Qui ne connaît cette joie de retrouver soudain, à cinq cents lieues du pays, un
Parisien, un camarade de collège, un voisin de campagne ? Qui n'a passé la
nuit, les yeux ouverts, dans la petite diligence drelindante des contrées où la
vapeur est encore ignorée, à côté d'une jeune femme inconnue, entrevue seulement
à la lueur de la lanterne alors qu'elle montait dans le coupé devant la porte
d'une blanche maison de petite ville ?
Mon cher docteur, je me mets entre vos
mains. Faites
de moi ce qu'il vous plaira.
Je vais vous dire bien franchement mon
étrange état d'esprit, et vous apprécierez s'il ne vaudrait pas mieux qu'on
prît soin de moi pendant quelque temps dans une maison de santé plutôt que de
me laisser en proie aux hallucinations et aux souffrances qui me harcèlent.
Voici l'histoire, longue et exacte, du mal
singulier de mon âme.
Un vieux pauvre, à barbe
blanche, nous demanda l'aumône. Mon
camarade Joseph Davranche lui donna cent sous. Je fus surpris. Il me dit :
- Ce misérable m'a rappelé une histoire que
je vais te dire et dont le souvenir me poursuit sans cesse. La voici :
Ma famille, originaire du Havre, n'était
pas riche. On s'en tirait, voilà tout. Le père travaillait, rentrait tard du
bureau et ne gagnait pas grand-chose. J'avais deux soeurs.
On faisait cercle autour de M. Bermutier, juge d’instruction, qui donnait son avis sur l’affaire mystérieuse de Saint-Cloud. Depuis un mois, cet inexplicable crime affolait Paris. Personne n’y comprenait rien.
M. Bermutier, debout, le dos à la cheminée, parlait, assemblait les preuves, discutait les diverses opinions, mais ne concluait pas.
"...J'ai résumé L'Étranger, il y a longtemps, par une phrase dont je reconnais qu'elle est très paradoxale : 'Dans notre sociéte tout homme qui ne pleure pas à l'enterrement de sa mère risque d'être condamné à mort.' Je voulais dire seulement que le héros du livre est condamné parce qu'il ne joue pas le jeu. En ce sens, il est étranger à la société ou il vit, il erre, en marge, dans les faubourgs de la vie privée, solitaire, sensuelle. Et c'est pourquoi des lecteurs ont été tenté de le considérer comme une épave. Meursault ne joue pas le jeu. La réponse est simple : il refuse de mentir."
"...On ne se tromperait donc pas beaucoup en lisant dans L'Étranger l'histoired'un homme qui, sans aucune attitude héroïque, accepte de mourir pour la vérité. Meursault pour moi n'est donc pas une épave, mais un homme pauvre et nu, amoureux du soleil qui ne laisse pas d'ombres. Loin qu'il soit privé de toute sensibilité, une passion profonde, parce que tenace l'anime, la passion de l'absolu et de la vérité. Il m'est arrivé de dire aussi, et toujours paradoxalement, que j'avais essayé de figurer dans mon personnage le seul christ que nous méritions. On comprendra, après mes explications, que je l'aie dit sans aucune intention de blasphème et seulement avec l'affection un peu ironique qu'un artiste a le droit d'éprouver a l'égard des personnages de sa création."
On comprend rarement que ce n'est jamais par désespoir qu'un homme abandonne ce qui faisait sa vie. Les coups de tête et de désespoir mènent vers d'autres vies et marquent seulement un attachement aux leçons de la terre. Mais il peut arriver qu'à un certain degré de lucidité, un homme se sente le coeur fermé et, sans révolte tourne le dos à ce qu'il prenait jusqu'ici pour sa vie, je veux dire son agitation.
Si Rimbaud finit en Abyssinie sans avoir écrit une seule ligne, ce n'est pas par goût de l'aventure, ni renoncement d'écrivain. C'est "parce que c'est comme ça" et qu'à une certaine pointe de la conscience, on finit par admettre ce que nous nous efforçons tous de ne pas comprendre, selon notre vocation. On sent bien qu'il s'agit ici d'entreprendre la géographie d'un certain désert. Mais ce désert singulier n'est sensible qu'à ceux capables d'y vivre sans jamais tromper leur soif. C'est alors, et seulement, qu'il se peuple des eaux vives du bonheur.
"Je pense à Camus : j'ai à peine connu Camus. Je lui ai parlé une fois, deux fois. Pourtant, sa mort laisse en moi un vide énorme. Nous avions tellement besoin de ce juste. Il était, tout naturellement, dans la vérité. Il ne se laissait pas prendre par le courant; il n'était pas une girouette; il pouvait être un point de repère."
Eugène Ionesco, Notes et Contre-Notes, Gallimard, 1962
Devant cette nuit chargée de signes et d’étoiles, je m’ouvrais pour la première fois à la tendre indifférence du monde. De l’éprouver si pareil à moi, si fraternel enfin, j’ai senti que j’avais été heureux, et que je l’étais encore. Pour que tout soit consommé, pour que je me sente moins seul, il me restait à souhaiter qu’il y ait beaucoup de spectateurs le jour de mon exécution et qu’ils m’accueillent avec des cris de haine.
Albert Camus est né en 1913, à Mondovi, en Algérie. Son père, simple ouvrier agricole, meurt en 1914, lors de la Bataille de la Marne. C’est à Alger, dans le quartier populaire de Belcourt, qu’Albert Camus passe son enfance et son adolescence, sous le double signe, qu’il n’oubliera jamais, de la pauvreté et de l’éclat du soleilméditerranéen. Boursier au lycée Bugeaud, Camus va découvrir la philosophie grâce à son professeur Jean Grenier, qui deviendra son maître et son ami. Après le bac, il commence des études de philosophie qui le mèneront, malgré la maladie, jusqu'à la licence. Il fonde le théâtre du travail et écrit avec trois amis, sa première pièce la Révolte dans les Asturiesqui sera interdite ( mais éditée à Alger, en 1936).
Journaliste au quotidien du Parti Communiste et à Alger-Républicain (1938) , il se marie en 1940 et milite pendant la seconde guerre mondiale dans un mouvement de résistance.
En 1942, Gallimard accepte de publier L´Etranger et le Mythe de Sisyphe. En lisant le manuscrit de L'Etranger, Jean Paulhan et les membres du comité de lecture de Gallimard ont pressenti la naissance d'un grand écrivain. Avec l'Etranger, Albert Camus accède à la célébrité. La critique salue en Meusault , personnage central de l'Etranger, un "héros de notre temps".
En 1943, Camus rencontre Sartre. Puis il travaille comme journaliste à Combat qui est diffusé clandestinement et devient lecteur chez Gallimard. Il refuse l'étiquette d'existentialiste qu'on lui prête. En 1951, il défend dans un nouvel essai, L'Homme révolté, une conception très personnelle de la lutte sociale et politique. Lorsque surviennent les événements d'Algérie , Albert Camus hésite entre l'attachement à sa terre natale et la légitimité des revendications algériennes : il s'enferme dans le silence.
En 1956, il publie La Chute, œuvre pessimiste et déroutante. Le ton y est amer et révèle un scepticisme ironique
Prix Nobel l'année suivante, à 44 ans , il devient un modèle pour toute une génération qui admire cet humaniste conciliant la pensée sans complaisance et l'action généreuse.
Albert Camus est mort en 1960, sur une route de l'Yonne, dans un accident de voiture, aux côtés de son ami Michel Gallimard, neveu de Gaston Gallimard. Ce 4 janvier 1960, à 13H55, la voiture dans laquelle il se trouvait, s'est écrasée contre un arbre. On retrouva dans le véhicule le manuscrit inachevé du Premier Homme, un récit autobiographique sur lequel il travaillait.
«Aujourd'hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J'ai reçu un télégramme de l'asile : "Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués." Cela ne veut rien dire. C'était peut-être hier.»
Parmi les chambres dont j’évoquais le plus souvent l’image dans
mes nuits d’insomnie, aucune ne ressemblait moins aux chambres de Combray,
saupoudrées d’une atmosphère grenue, pollinisée, comestible et dévote, que
celle du Grand-Hôtel de la Plage, à Balbec, dont les murs passés au ripolin
contenaient comme les parois polies d’une piscine où l’eau bleuit, un air pur,
azuré et salin. Le tapissier bavarois qui avait été chargé de l’aménagement de
cet hôtel avait varié la décoration des pièces et sur trois côtés, fait courir
le long des murs, dans celle que je me trouvai habiter, des bibliothèques
basses, à vitrines en glace, dans lesquelles selon la place qu’elles
occupaient, et par un effet qu’il n’avait pas prévu, telle ou telle partie du
tableau changeant de la mer se reflétait, déroulant une frise de claires
marines, qu’interrompaient seuls les pleins de l’acajou. Si bien que toute la
pièce avait l’air d’un de ces dortoirs modèles qu’on présente dans les
expositions «modern style» du mobilier où ils sont ornés d’œuvres d’art qu’on a
supposées capables de réjouir les yeux de celui qui couchera là et auxquelles
on a donné des sujets en rapport avec le genre de site où l’habitation doit se
trouver.
Pour
faire partie du «petit noyau», du «petit groupe», du «petit clan» des Verdurin,
une condition était suffisante mais elle était nécessaire: il fallait adhérer
tacitement à un Credo dont un des articles était que le jeune pianiste, protégé
par Mme Verdurin cette année-là et dont elle disait: «Ça ne devrait pas être
permis de savoir jouer Wagner comme ça!», «enfonçait» à la fois Planté et
Rubinstein et que le docteur Cottard avait plus de diagnostic que Potain. Toute
«nouvelle recrue» à qui les Verdurin ne pouvaient pas persuader que les soirées
des gens qui n’allaient pas chez eux étaient ennuyeuses comme la pluie, se
voyait immédiatement exclue. Les femmes étant à cet égard plus rebelles que les
hommes à déposer toute curiosité mondaine et l’envie de se renseigner par
soi-même sur l’agrément des autres salons, et les Verdurin sentant d’autre part
que cet esprit d’examen et ce démon de frivolité pouvaient par contagion
devenir fatal à l’orthodoxie de la petite église, ils avaient été amenés à
rejeter successivement tous les «fidèles» du sexe féminin.
Longtemps, je me suis couché de bonne
heure. Parfois, à peine ma bougie éteinte, mes yeux se fermaient si vite que je
n’avais pas le temps de me dire: «Je m’endors.» Et, une demi-heure après, la
pensée qu’il était temps de chercher le sommeil m’éveillait; je voulais poser
le volume que je croyais avoir encore dans les mains et souffler ma lumière; je
n’avais pas cessé en dormant de faire des réflexions sur ce que je venais de
lire, mais ces réflexions avaient pris un tour un peu particulier; il me
semblait que j’étais moi-même ce dont parlait l’ouvrage: une église, un
quatuor, la rivalité de François Ier et de Charles Quint. Cette croyance
survivait pendant quelques secondes à mon réveil; elle ne choquait pas ma
raison mais pesait comme des écailles sur mes yeux et les empêchait de se
rendre compte que le bougeoir n’était plus allumé. Puis elle commençait à me
devenir inintelligible, comme après la métempsycose les pensées d’une existence
antérieure; le sujet du livre se détachait de moi, j’étais libre de m’y
appliquer ou non; aussitôt je recouvrais la vue et j’étais bien étonné de
trouver autour de moi une obscurité, douce et reposante pour mes yeux, mais
peut-être plus encore pour mon esprit, à qui elle apparaissait comme une chose
sans cause, incompréhensible, comme une chose vraiment obscure. Je me demandais
quelle heure il pouvait être; j’entendais le sifflement des trains qui, plus ou
moins éloigné, comme le chant d’un oiseau dans une forêt, relevant les
distances, me décrivait l’étendue de la campagne déserte où le voyageur se hâte
vers la station prochaine; et le petit chemin qu’il suit va être gravé dans son
souvenir par l’excitation qu’il doit à des lieux nouveaux, à des actes
inaccoutumés, à la causerie récente et aux adieux sous la lampe étrangère qui
le suivent encore dans le silence de la nuit, à la douceur prochaine du retour.
Par une soiree brûlante, à
Padoue, on le transporta sur le toit d'où il pouvait découvrir toute la ville.
Des martinets rayaient le ciel. La nuit tomba et les projecteurs s'allumerent.
Les autres descendirent et emportèrent les bouteilles. Luz et lui les
entendaient en dessous, sur le balcon. Luz s'assit sur le lit. Elle était
fraîche et douce dans la nuit chaude.
Luz
avait pris le service de nuit depuis trois mois à la satisfaction generale. Quand on l'opera,
elle lui fit sa toilette pour la table d'opération. Ils plaisantèrent à propos
de mystère et de clystère. Quand on l'endormit, il se concentra pour ne rien
dire au moment ridicule où on raconte des histoires. Quand il put marcher avec
des béquilles, il prit les températures pour éviter à Luz de se lever. II n'y
avait que quelques malades; tous etaient au courant et tous aimaient bien Luz.
Quand i1 revenait, en longeant les couloirs, il pensait à Luz dans son lit.
Avant son retour au front, ils allèrent
prier au Duomo. Dans l'église sombre et paisible, d'autres personnes etaient
agenouillées. Ils voulaient se marier, mais i1 n'y avait pas assez de temps
pour la publication des bans, et ni l'un ni l'autre n'avaient d'extrait de
naissance. lls se considéraient eux-mêmes comme mariés, mais ils voulaient que
tout le monde le sache, pour etre plus sûrs de ne pas se perdre.
Luz lui écrivit beaucoup de lettres qu'il
ne reçut qu'après l'armistice. Quinze
arrivèrent en paquet au front; il les classa d'après les dates et les lut à la
file. Elles parlaient toutes de l'hôpital, disaient combien elle l'aimait,
comme c'était impossible de vivre sans lui et comme il lui manquait
affreusement la nuit.
Après l'armistice, ils décidèrent qu'il
devait rentrer en Amérique et trouver du travail pour qu'ils puissent se
marier. Luz ne le rejoindrait que lorsqu'il aurait une bonne situation et
pourrait venir la chercher à New York. Il
était entendu qu'il ne boirait pas et ne verrait ni ses amis ni personne aux
Etats-Unis. Trouver une situation et se marier. Rien d'autre. Dans le train, de
Padoue à Milan, ils se chamaillèrent parce qu'elle refusait de partir pour
l'Amérique sans attendre. Au moment de se séparer à la gare de Milan, ils
s'embrassèrent mais leur querelle n'était pas éteinte. II était malade de la
quitter comme ça.
Il
embarqua pour l'Amérique à Gênes. Luz retourna à Padoue où allait s'ouvrir un
hôpital. C'était un endroit isolé et pluvieux. Un bataillon s'y trouvait
cantonné. L'hiver, dans la petite ville bourbeuse et humide, le major fit la
cour à Luz; elle n'avait encore jamais connu d'Italiens. Finalement, elle
écrivit aux Etats-Unis que leur liaison n'avait été qu'une aventure de gamins.
Elle était désolée, elle savait qu' il ne comprendrait probablement pas, mais
peut-être un jour lui pardonnerait-il et lui serait-il reconnaissant... Contre toute attente,
elle allait se marier au printemps. Elle l'aimait toujours, mais elle s'était
rendu compte que ça n'avait été qu'une amourette. Elle espérait qu'il ferait une brillante
carrière et lui faisait entière confiance. Elle savait que c'etait très bien
ainsi.
Le major ne l'épousa ni au printemps ni à aucune autre saison. Luz ne reçut
jamais de réponse de Chicago. Peu de temps après, il attrapa la chaude-pisse
avec une vendeuse du rayon de mercerie d'un grand magasin en traversant Lincoln
Park en taxi.
On appelait cela le « cinq à sept ». Le fantasme n’a pas changé, ce sont les moyens d’entrer en contact qui ne sont plus les mêmes.
FIDÉLITÉ
TOUT LE MONDE
PEUT SE TROMPER
Le 27 avril 2014 | Mise à jour le 27 avril 2014 PAR EMILIE BLACHÈRE
Grâce à Internet, sur des sites spécialisés, les rencontres d’une journée se multiplient. Une de nos journalistes a tenté l’aventure.
Yeux rougis, regard brumeux et tournis sont mes trois symptômes cliniques après plusieurs heures passées devant mon écran d’ordinateur sur un site de rencontres. Je frôle la crise d’épilepsie lorsque les fenêtres de tchat s’ouvrent avec la même célérité que des publicités « pop up ». Les hommes, plusieurs à la fois, m’abordent. Dragueurs, courtisans ou chasseurs. Avec ou sans manières. Je suis connectée depuis deux minutes seulement, mais mes prétendants m’assurent déjà, parfois avec lourdeur, que oui, ils sont séduits, « complètement » sous le charme de mon avatar. Mon secret aphrodisiaque ? Une phrase de présentation passe-partout, sommaire mais explicite, certains diront provocante : « Juste envie de profiter des plaisirs de la vie. Et de rencontres », ai-je écrit sur mon profil.
Les séducteurs sont nombreux à m’affirmer qu’ils sont « ultra-méga-trop » motivés par ma profession de foi. Ils veulent discuter, prendre un verre, dîner, aller au théâtre. Aussi réserver une chambre d’hôtel, quelques heures… Rien d’étonnant pour des individus qui cherchent l’amour sur la Toile. Reste un hic : presque tous sont mariés ou en concubinage. Second bémol : je suis aussi en couple… Je suis inscrite sur Gleeden.com, leader des sites pour rencontres extraconjugales. « En toute discrétion », rabâche-t-on. Sur la page d’accueil, en haut à gauche, un bouton « Sortie de secours » permet de s’échapper sur une page Web programmée. Malin. Gleeden, c’est « Osez, craquez, savourez », un slogan controversé, pensé par des femmes et louangé par 1,8 million de membres dans le monde, dont 800 000 Français, beaucoup classés CSP+. Vous en avez probablement entendu parler. Impossible d’avoir loupé leur campagne de pub agressive et leurs aphorismes univoques : « Tout le monde peut se tromper, surtout maintenant » ; « Etre fidèle à deux hommes, c’est être deux fois plus fidèle », « Contrairement à l’antidépresseur, l’amant ne coûte rien à la sécu »…
ÇA Y EST : JE SUIS LÉA, 31 ANS... EN UNE MINUTE, CINQ HOMMES ONT VISITÉ MA PAGE. EN UNE SEMAINE, ILS SONT 1 274
Dans le Top 10 des « bonnes résolutions à prendre sous la couette », l’équipe recommande de partager celle d’un inconnu. Logique. La « routine » est devenue un gros mot, « adultère » est banni du répertoire. On lui préfère désormais « infidélité » ou « polyamour ». Pour les besoins de cette enquête, j’ai créé un faux CV, alléchant mais surtout pas grossier. Me voici donc : « Léa, 31 ans, cadre, en couple depuis cinq ans, recherche relations éphémères, ludiques. Toute situation excitante. Juste une aventure. » En une minute, cinq hommes ont visité ma page. En une semaine, ils sont 1 274. Je discute avec plusieurs d’entre eux : questions banales – prénom, âge, profession – et réponses assorties. Parmi eux, Nicolas. La trentaine, beau gosse, « 1,83 mètre, en couple depuis sept ans, papa d’une petite fille ». Son message est sans ambages : « Envie d’une relation d’amant avec respect, complicité et plaisirs. Je ne compte pas changer de vie, seulement l’embellir et profiter. » Pour en savoir plus, rendez-vous est pris un matin de semaine, à 10 heures, dans une brasserie parisienne chic et bruyante. Un jeune homme s’avance vers moi, incertain et chancelant. Jean sombre, sweat-shirt anthracite et baskets blanches. Traits fns, peau pâle, cheveux châtains courts, barbe mal rasée. Je l’imaginais baraqué, viril, confiant. Il est frêle et timide. Ses mains tremblent.
Il s’exprime d’une voix grêle et affiche un sourire crispé, gêné, avant de se détendre autour d’un café. « Je recherche le danger, me prévient-il en plantant son regard dans le mien. J’ai envie d’interdits et de plaisirs. Je veux de la passion, du désir. Vibrer de nouveau ! » Nicolas a soudain l’oeil espiègle, pétillant. Coquin. Il a eu six aventures en moins de deux ans, toujours dans des bars ou dans des hôtels. « J’ai mes périodes, m’explique- t-il. Je ne suis pas un collectionneur, j’ai besoin d’un peu de frissons. Avec le temps, mon couple s’est usé. J’ai dû choisir entre tout plaquer et rester. J’ai trouvé un équilibre avec des maîtresses en cloisonnant mes deux univers. Surtout ne jamais mélanger les deux ! » Je lui demande ses critères. Il répond : « Bien sûr, la photo, le physique, mais pas que. Je regarde l’écriture, l’orthographe, je n’aime pas les abrégés. Après, c’est une question de feeling. Je sais ce que je veux, et je sais ce que je ne veux pas. Toi, tu me plais, je sens un bon truc. T’es charmante. » Oeillades, éclats de rire, jolis mots et belles promesses. « J’ai envie d’une relation suivie car j’aime la complicité. Mais je m’interdis de tomber amoureux. » Au moins je suis prévenue. Une longue demi-heure passe, la parade romantique s’achève. En réglant l’addition, Nicolas lâche : « Le premier truc, quand on s’inscrit ici, c’est le cul. C’est un plus dans ta vie de couple. Si tu as fait la démarche de t’inscrire, c’est quand même pour ça, hein ! [Rires gras.]
T’es plutôt coquine ? T’aimerais un amant comment ? Entreprenant, dominant ? » Retour devant mon écran d’ordinateur, à mon bureau. En mon absence, 133 nouveaux visiteurs ont cliqué sur mon profil. Dont « EnviedeFolie », « Coquinbrun », « Infidelus », « Pygmalion »… Et des poètes : « Phallus », « Georges-Clowne », « Brad-Bite ». Des photos plus ou moins attirantes accompagnent leur profil. Il y a Antoine, la quarantaine. Sur un cliché découpé avec maladresse, on voit la main de son épouse posée sur son bras. Comme lui, 140 hommes ont eu un « coup de coeur » pour moi. Ils sont 84 à m’avoir désignée comme leur « favorite ». Une soixantaine m’ont écrit des e-mails. Il y a ceux qui souhaitent « faire connaissance », « connaître nos affinités » ou savoir « précisément » comment je suis habillée. Beaucoup de fétichistes des « pieds, fesses, jambes, bras, cou, etc. » revendiqués. D’autres aimeraient « se glisser derrière, en silence »… L’un, 58 ans, me pose crûment deux questions : « Fessée : plaisir ou horreur ? Sodomie : plaisir ou horreur ? » Je réponds : « Je n’ai pas peur de grand-chose. » Je passe dans la catégorie « Favorite ». Gérard, lui, n’est pas grossier. « Toujours souriant, jamais vulgaire », se vante t-il. Petit, 45 ans, marié depuis quinze ans, embourbé dans le train-train quotidien avec deux enfants adolescents. Un ventre convexe et une passion immodérée pour la plongée sous-marine. Selon le site, « offrir un cadeau, c’est 30 % de chances de plus de faire une rencontre ».
JE PRÉPARE MES ALIBIS POUR MON CONJOINT, UN SITE INTERNET EN PROPOSE
Gérard a pris les statistiques à la lettre : il m’envoie un bouquet de roses virtuelles « élégantes, cueillies au matin, au parfum subtil et printanier. En espérant te les offrir en vrai. Hâte de te voir. Tendres baisers », m’écrit-il. Puis : « Nous ne sommes pas faits pour être fidèles. Une pratique judéo-chrétienne nous fait croire l’inverse, mais les hommes et les femmes sont faits pour être désirés, attirés. C’est logique qu’on aille voir ailleurs », jure-t-il. « Je ne cherche pas un plan d’un soir, ni la grande romance, mais des fous rires, de la douceur », continue-t-il, enjôleur, avant de me proposer un verre dans le bar-lounge d’un grand hôtel parisien. Si je suis intéressée, Gérard peut passer par Dayuse, un site spécialisé crée par David Lebée, qui permet de réserver des chambres pendant trois heures, à des tarifs réduits, de 45 à 200 euros. En France, plus de 4 875 sont louées chaque mois… Je décline l’invitation pour aller boire un verre en fin de journée avec un autre séducteur. Je prépare mes alibis pour mon conjoint, un site Internet en propose. J’hésite entre la fausse invitation à une « soirée client » ou une facture de restaurant professionnelle, chacune coûtant 25 euros. Par prudence, je commande aussi un alibi téléphonique à 15 euros. Puis je culpabilise… Une love coach, indemnisée 80 euros l’heure, me rassure par téléphone : « Vous n’êtes pas un monstre, vous êtes normale, nous sommes tous confrontés à l’infidélité. »
Requinquée, je pars retrouver un amant potentiel. Mon second rendez-vous m’attend dans un quartier touristique parisien, dans un établissement réputé au brouhaha agaçant. Il est 19 heures. Frédéric a la cinquantaine passée, les cheveux noirs tournant au gris, les mains fines et l’air d’un ancien sportif qui s’est laissé aller. Il porte une alliance clinquante, un costume noir élégant et une cravate bariolée. « Vingt-cinq ans de mariage », souffle-t-il avant de me faire un grand sourire. Regard lubrique, dérangeant. Frédéric est franc du collier, presque trop. Il est un peu déçu du site car, dit-il, « les femmes font un pas en avant, trois en arrière. En plus de mon argent, je commence à perdre patience et mes marges de liberté non justifiées sont minces ». Quant à la culpabilité, il n’en ressent aucune. « Je sais faire la part des choses. Oui, c’est mal… Mais mon désir de découvrir des femmes est plus fort que tout. Et puis je m’accorde des libertés que mon couple n’ose plus. Je ne me suis jamais senti aussi équilibré, disponible et attentif avec ma femme que pendant ces périodes d’infidélité. Elle le sent, mais ne sait pas pourquoi. » Son rire est gras. « Revenons à l’essentiel. Je vous revois quand ? Dans un jour, dans un mois, dans un an ? Je ne lâche jamais le morceau », insiste l’époux, un grand sourire suspendu à ses lèvres gercées. Je prends note. Et m’échappe. Mission terminée.