mercredi 30 avril 2025

Danièle Sallenave / La splendide promesse / La république et l’une de ses filles

 

Les Représentants des puissances étrangères venant saluer la République en signe de paix
« Les Représentants des puissances étrangères venant saluer la République en signe de paix », Henri Rousseau (1907) © CC0/WikiCommons


La république et l’une de ses filles

par Claude Grimal
30 avril 2025
Numéro 220

Danièle Sallenave poursuit dans La splendide promesse. Mon itinéraire républicain la réflexion sur la république qui lui est familière et qu’elle avait dernièrement entreprise de manière plus délibérée dans L’églantine et le muguet (2018) et Rue de la Justice (2020).



 

Danièle Sallenave | La splendide promesse. Mon itinéraire républicain. Gallimard, 528 p., 24 €

Reprise et prolongée ici, elle parcourt cette fois environ quatre-vingts années d’histoire française et internationale, soit celles qui coïncident avec l’existence de Sallenave, lui permettant d’évaluer la persistance, l’aménagement ou la trahison d’un idéal qui lui fut inculqué dans son enfance. Le récit est donc politique et personnel, les deux domaines coïncidant puisque l’auteure est une « enfant de la République » et un produit de sa méritocratie (fille d’instituteurs, professeur d’université, académicienne). 

La splendide promesse ne parle cependant pas de la vie intime de l’auteure mais de sa vie intellectuelle, idéologique et morale telle qu’elle s’est déroulée au fil de grands événements : guerre d’AlgérieMai 68chute du mur de Berlin, accords d’Oslo, guerre de Gaza, etc. Telle aussi qu’elle s’est enrichie par les voyages puisque, jeune ou moins jeune, elle s’est beaucoup rendue à l’étranger (Maroc, Russie, Tchécoslovaquie, Inde, Chine…). En parallèle, elle décrit une vie littéraire remplie de lectures (Hugo, Apollinaire, Neruda, Aragon), de spectacles (le théâtre découvert grâce au TNP de Jean Vilar) ainsi que de rencontres avec d’importantes figures du monde artistique (Aragon, Lanzmann, Kundera).

Ainsi, dans son aspect politique, l’histoire de La splendide promesse est celle d’une conscience française, la nôtre ou celle de nos parents ou grands-parents (même si nos opinions politiques ou les leurs étaient autres). Grâce à son évocation d’expériences qui sont aussi les nôtres, ce livre nous touche et nous intéresse, même si son écriture convenue et son expression souvent plate des affects et de la pensée lassent parfois. Dommage que, pour revisiter l’idéal républicain, Danièle Sallenave n’ait pas souhaité se coiffer stylistiquement un instant du bonnet rouge de son auteur favori !

Quoi qu’il en soit, bien des lecteurs se reconnaitront dans l’enthousiasme de cette jeunesse républicaine dotée d’idéaux que décrit Sallenave, comme dans son désarroi adulte devant la confrontation de ceux-ci avec les réalités successives du XXe et du XXIe siècle. Ils partageront sûrement la préoccupation de Sallenave pour l’école, question souvent abordée par le livre. Ils se retrouveront aussi dans ses dernières culpabilités (en dehors ou non de tout sentiment républicain), le sort actuel de Gaza, car, nous dit-elle, « [i]l y a dans chaque siècle une catastrophe sociale politique, humaine qui le condamne. Pour notre siècle ce sera « Gaza 2024 » ». Et, hélas, nous pouvons l’ajouter, « Gaza 2025 ».

Au fil des pages, pourtant, il y a eu d’autres désastres, et beaucoup de désillusions. Oui, Sallenave a souvent pu se sentir trahie ; comme lors de la longue et difficile décolonisation pour laquelle une partie de la gauche traînait des pieds. Oui, elle-même s’est parfois trompée. Ainsi, à propos de sa collaboration avec un magazine conservateur, elle avoue : « Politiquement, idéologiquement, ce n’était pas ma meilleure période. Je me suis objectivement rapprochée de la pensée libérale, où l’idée des libertés l’emporte sur celle de liberté, et qui manifeste sa défiance envers la notion d’égalité… Pourtant… cette tradition n’est pas la mienne, ce n’est pas ma « famille » [laquelle est] la gauche ». Oui, sa propre vision de la liberté, de l’égalité et de la fraternité a eu ses angles morts, comme celle de tout un chacun, car il est compliqué de sentir et de penser des injustices qu’on ne nous a pas désignées et dont nous n’avons pas fait nous-mêmes l’expérience ; celles qui visent les minorités, les migrants…  

Mais plus généralement, aujourd’hui, comme il est difficile d’être de gauche, rappelle Sallenave, par moments découragée ! « Alors tout ça pour ça. Nous avons changé le monde. Un monde nouveau est né où rien ou presque rien ne ressemble à celui où l’on vit s’installer en France l’idée républicaine, rien non plus à celui qu’on avait imaginé de construire selon ses valeurs ». Mais même le découragement est chez elle passager, et elle continue d’identifier les problèmes et les dangers à combattre : « J’erre. Je tâtonne. », avoue-t-elle. « L’extrême droite est à nos portes. Je puise à plusieurs sources. » Lire La splendide promesse, c’est justement, pour nous, puiser à une bonne source.

EN ATTENDANT NADEAU



mardi 15 avril 2025

Noël Herpe / Je déménage / Petites aventures immobilières

 


Petites aventures immobilières 

par Claude Grimal
15 avril 2025
Numéro 219

Vendre un appartement, en acheter un, c’est bien compliqué ! Surtout à Paris. Plus encore si l’on s’appelle Noël Herpe ou, en tout cas, si l’on est le personnage quelque peu velléitaire qui porte ce nom dans le bref et amusant récit Je déménage. 

Noël Herpe | Je déménage. Seuil, 160 p., 18 €

 

Noël Herpe

 

Au début du livre, le héros met en vente l’appartement-boutique parisien où il habite, devenu invivable à cause de l’humidité, du bruit et des vieux souvenirs qu’il contient, et se lance à la recherche d’un « lieu idéal […] où rien ne s’interposerait entre [lui] et l’objet insaisissable de [ses] pensées ». La comédie immobilière se déroule ensuite sur une centaine de pages et en cinq mouvements, Presto, Lento, Vivace, Largo, Coda, avec les personnages que le sujet suppose : acheteurs, vendeurs, agents immobiliers, donneurs de conseils appartenant au cercle amical et familial.

Ainsi, dans « Presto », Herpe vend son bien en moins de deux, bonne surprise, mais avant d’avoir trouvé le logis de ses rêves. Dans les trois mouvements suivants, poursuivi par ses acheteurs qu’il fait lanterner pour retarder la signature de la vente, il tente fiévreusement de dénicher où transporter ses pénates. Le voici consultant les annonces, et enchaînant les visites de loci le plus souvent peu amènes. Enfin, après maintes péripéties et tergiversations, il trouve quelque chose rue Saint-Paul et doit alors vider son appartement. Mais pour prendre possession de son nouveau havre, il doit attendre un temps dans un studio maternel, la juste loi des transactions immobilières le faisant ex-propriétaire d’un bien mais pas encore propriétaire du nouveau. Dans « Coda », il n’a pas encore emménagé.

Noël Herpe, Je déménage
Vitrine d’une agence immobilière © CC BY-SA 4.0/Jacob Ljørring/WikiCommons

Au fil de sa quête, riche en rencontres cocasses, en évitements de fâcheux, en œillades aux passants et en visions de logis piteux, le héros doit se confronter, outre à la difficulté d’une entreprise qui le précipite dans un milieu de tromperie et d’arnaque, à quelques rudes réalités le concernant. Quel rôle « la maison » joue-t-elle pour lui ? Ne remplacerait-elle pas une vie affective passablement en panne ? S’affairer à chercher un locus amoenus qui n’existe que dans ses rêves ne lui servirait-il pas à éviter de penser à ce qu’il a fait de sa vie et souhaite faire de ce qu’il en reste ? Que cache le plaisir de la temporalité suspendue dans lequel le plonge sa recherche d’un lieu idéal ? Questions mélancoliques, mais évoquées de manière amusée. Car, avec Je déménage, nous sommes dans la comédie : tempo rapide, réorganisation irréelle du réel, situations farcesques, dépréciation woodyallennienne de soi et d’autrui…

La distanciation légère, le rythme des événements, le ballet des acteurs et l’allant du personnage ne se grippent que vers la fin. Mais avant, notre vendeur-acheteur aura joliment fait son travail d’anti-héros : snob, narcissique, de mauvaise foi, grincheux, pingre, masochiste, peu ragoutant, velléitaire…

Et de cette dernière qualité, il est assurément bien pourvu : « Je ne suis pas homme à passer à l’acte, à prendre des décisions »confie-t-il. « J’avance un œil ou un pied en territoire étranger en espérant que la réalité va s’imposer à ma place. » Aucune nuance de l’indécision ne lui semble en effet étrangère ! Hésiter, tergiverser, osciller, rechigner, vaciller, chanceler… n’ont pas de secret pour lui. La comédie de l’irrésolution vient ainsi se combiner à celle des aventures immobilières, traçant l’acide petite parabole d’un esprit subjectif et inquiet en pleine action contre l’ordre établi de la réalité.  Petite parabole qui pourrait se poursuivre avec, par exemple, un J’emménage aussi plaisant et splénétique que ce Je déménage.

EN ATTENDANT NADEAU



mardi 1 avril 2025

Kafka trahi par son ami

 

Max Brod et Franz Kafka


KAFKA TRAHI PAR SON AMI...

POUR LA BONNE CAUSE

Toute sa vie, Franz Kafka travailla pour une

compagnie d'assurances praguoise, qui indemnisait les victimes d'accidents du travail. Bénéficiant d'horaires avantageux, il disposait de ses après-midi et de ses soirées pour se consacrer à sa grande passion : l'écriture.

De constitution fragile, hypersensible, hypocondriaque et phobique, Kafka fut mis en retraite anticipée en 1922, à cause de sa santé qui se dégradait.

Très affaibli par une tuberculose, il s'éteignit en 1924, à l'âge de 40 ans, dans un sanatorium autrichien.

Malgré le temps considérable qu'il avait consacré à l'écriture, Kafka n'avait publié de son vivant qu'un très petit nombre d'œuvres, comme La Métamorphose ou Le Verdict.

À sa mort, il laisse de nombreuses œuvres inachevées, mais, surtout, un testament qui exige de son proche ami, le poète Max Brod, la destruction par le feu de l'ensemble de ses manuscrits, carnets, ébauches de textes, et même de ses lettres.

Brod se trouve alors devant un grave dilemme : désobéir aux dernières volontés de son ami, ou priver le monde d'un monument de littérature ? Du reste, Kafka désirait-il vrai-ment, au fond de son cœur, que l'ensemble de son œuvre disparaisse?

Quoi qu'il en soit, Max Brod décide qu'il ne doit pas accéder à la demande du défunt, quitte à trahir sa mémoire.

Dès la fin des années 1920, il commence à publier l'œuvre de Kafka, à titre posthume.

Mais Brod n'est pas en possession de l'ensemble des textes de Kafka. 

En 1933, à Berlin, où il a vécu quelque temps, les nazis saisissent et détruisent un grand nombre de manuscrits de cet auteur juif.

Puis, en 1939, ils envahissent Prague. Max Brod parvient à s'enfuir vers la Palestine, emportant dans ses bagages ce qu'il possède des écrits de son ami.

Par la suite, c'est de là-bas qu'il publiera progressivement toute l'œuvre de Kafka, du moins tout ce qui n'a pas été perdu.

Sans Max Brod, personne n'aurait jamais eu la possibilité de découvrir Le Procès ni Le Château. Étant donné l'importance majeure de Franz Kafka dans la littérature du 20° siècle, on peut considérer que c'était pour la bonne cause qu'il a « trahi » son ami.

S͟o͟u͟r͟c͟e͟ : Encyclopédie de Culture Générale Insolite par 𝐆𝐮𝐲 𝐒𝐨𝐥𝐞𝐧𝐧