lundi 24 mars 2014

Diego Gary / Sa vie à lui, enfin

Jean Seberg


Diego Gary

Sa vie à lui, enfin


Alain Abellard
Le Temps, Samedi 13 juin 2009


Diego Gary (à droite), 16 ans, se recueille avec son père Romain Gary lors des obsèques de sa mère. (AFP)
Diego Gary (à droite), 16 ans, se recueille avec son père Romain Gary lors des obsèques de sa mère.  (AFP)
Fils de l’écrivain Romain Gary et de l’actrice Jean Seberg, disparus dans des conditions tragiques, Diego Gary s’exprime dans un livre, à 46 ans, après un silence de trente ans

Il parle avec précision, ses mots sont choisis, mais il offre un air las. Diego Gary confirme les formules terribles de son roman, S. ou l’Espérance de vie (Gallimard), ou, plus exactement, de son récit autobiographique. Fils de l’écrivain Romain Gary et de l’actrice Jean Seberg, disparus dans des conditions tragiques, il raconte son existence qui «ressemble à une succession de mots rayés jusqu’au sang». Il évoque, sans fin, son rang de «progéniture, de rien du tout», et ces années où il a passé de longues heures prostré dans l’appartement et le bureau de son père.
Adolescent, Diego Gary a connu trois deuils dévastateurs. Il a 14 ans quand survient la mort, des suites d’un cancer, d’Eugénie, sa gouvernante, la femme qui s’occupait de lui au quotidien. Il lui dédie le livre. Il a 16 ans lorsque le submerge, en septembre 1979, le décès de sa mère, Jean Seberg, devenue une figure de la Nouvelle Vague après son interprétation dans A bout de souffle, de Jean-Luc Godard (1960). Elle est retrouvée plusieurs jours après sa disparition, à l’arrière de sa voiture. L’autopsie conclura à une surdose d’alcool et de barbituriques.
Diego vit l’horreur, mais il y était préparé. Depuis de nombreuses années, sa mère souffrait de troubles qui l’avaient conduite dans des établissements psychiatriques. Diego vivait dans la terreur de cet instant. Peu de temps avant le drame, alors que Jean Seberg avait survécu à une tentative de suicide, son père lui avait dit: «Tu sais, Diego, un jour ta mère ne se ratera pas.»
Après les décès d’Eugénie et de Jean Seberg, Romain Gary s’est rapproché de son fils. Il le couvait à sa manière. Myriam Anissimov, qui a publié en 2004 une biographie de l’écrivain (Romain Gary, le caméléon), raconte qu’il tremblait d’inquiétude pour lui. «Un jour, alors que Diego, âgé de 13 ans, avait un simple bleu à un genou, il a tout laissé tomber pour le conduire aux urgences.»
Mais Romain Gary restait dans son univers, celui d’un écrivain reconnu, ombrageux et embarqué dans une mystification littéraire sans égale: la création d’une autre œuvre sous le nom d’Emile Ajar. Cela lui vaudra de recevoir deux fois – ce qui est unique – le Prix Goncourt. Il l’a obtenu en 1956 sous son nom avec Les Racines du ciel, et en 1975, avec La Vie devant soi, sous le nom d’Emile Ajar.

Diego Gary

«Même quand il était présent, mon père n’était pas là. Obsédé par son travail, il me saluait, mais il était ailleurs», se souvient Diego Gary. Diego était en retrait, il n’était plus l’enfant joyeux qu’il avait été. Mais s’il est une chose à laquelle il ne s’attendait pas, c’est le suicide de son père, d’une balle dans la tête, chez lui, en décembre 1980. «A cet instant, la vie m’est tombée sur la gueule.» Il évoque comment, après coup, il a retrouvé des éléments qui auraient dû l’alerter, comment son père le préparait à être un homme sans pour autant comprendre ce qu’il voulait.
Il se souvient de lui, par exemple, annotant un livre de Julia Kristeva sur la mélancolie: «Oui, moi, c’est exactement cela, comme pour moi», écrivait-il. Il y avait d’autres éléments témoignant de la grande fragilité de son père, longuement décrite entre autres par Myriam Anissimov dans sa biographie.
«Je crois qu’il est indulgent avec sa mère, pas avec son père», estime Antoine Benech, un ami d’enfance. Pour lui, Diego Gary «n’a jamais compris et ne comprendra jamais» que son père ait pensé qu’il pourrait «se débrouiller». Diego quitte alors sa classe d’hypokhâgne. Il reste anéanti par cette ultime disparition. Il lui faudra cinq années pour ne plus habiter dans l’immense appartement de son père, reprendre des études de lettres et une vie normale.
Ensuite, il se perd, comme il le raconte. Entre la recherche compulsive de femmes, les amours malheureuses, l’alcool, les antidépresseurs, il essaie de tenir le coup et combat les troubles obsessionnels qui ruinent sa vie au quotidien. Après avoir travaillé dans une société de production de sitcoms, il joue aux courses, se spécialise au point de parvenir, assure-t-il, à en vivre. Mais, perdu dans ses chagrins, il part s’installer à Barcelone.
Là, il se met plus encore en danger. Aube, l’une des héroïnes du livre, lui dit qu’il s’est détruit, qu’il rejoue la vie de sa mère. «Je n’ai pas l’impression d’être allé aussi loin», dit-il. Il reconnaît que sa dérive a été une manière de se rapprocher de sa mère. Ses errances dans les bouges de Barcelone et le bar à cocktails qu’il y a ouvert, c’est clairement elle. Le café-librairie-galerie qu’il a lancé, en revanche, renvoie plus à son père.





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