Oeuvre de Balthus : la chambre turque
Balthus est le peintre de l'intimité, dans ce que cette intimité-là a précisément de plus secret et qu'abordent très rarement les artistes. Paradoxalement, ses toiles sont grandes et même parfois immenses. Picasso, qui se situait à l'opposé de cette forme d'art, l'avait suffisamment en estime pour posséder une toile de Balthus, aujourd'hui présentée avec la dation. Mais de Balthus, personne ne sait vraiment rien, ou presque rien. Balthus, être secret ou plutôt replié sur lui-même, veille avec intransigeance à ce que nul ne vienne troubler sa retraite. Il ne répond à aucune lettre, jamais, et au téléphone rarement. Il n'a pas accepté d'imaginer une maquette pour un timbre: il ne croyait pas possible de plier sa main aux dimensions infiniment trop réduites de la maquette. Il ne croyait pas non plus qu'il fût possible de tirer d'une seule de ses œuvres un timbre qui la reproduisît avec assez de justesse. Pourtant, c'est avec lui et par téléphone, que le choix de l'œuvre a été fait. Le timbre, sans doute, l'étonnera, mais sans doute nul n'en saura rien. Tous les dictionnaires nous apprennent que Balthus — lequel nie son prénom — s'appelle Balthazar Klossowski de Rola, qu'il est né à Paris en 1908, qu'il est d'origine polonaise et qu'il est comte de surcroît. C'est très jeune en Suisse qu'il rencontre Rainer-Maria Rilke: le poète l'encourage à peindre. Un certain érotisme sous-jacent, sans propos malsain, fait souvent contraste au décor raffiné, bourgeois et peuplé de ses œuvres. Les êtres et les choses sont à leur place dans une mise en page rigoureuse, mais quelque chose flotte, qui ne choque pas, qui n'a pas besoin des stridences d'une couleur excessive, qui ne déforme pas des contours dessinés au contraire avec une certaine raideur. Nous sommes ici au bord de l'équivoque, mais nous n'y sombrons pas. C'est cela, l'atmosphère de Balthus: richesse et exactitude des décors et des ameublements, paix apparente des êtres, pulsions dissimulées dans le silence des attitudes souvent conventionnelles mais proches en fait de l'ambiguïté. L'artiste se dérobe devant la curiosité de la critique, mais sa peinture se dérobe aux références explicites. Tout en effet se trouve sur la toile : l'attente d'une jeune fille, le rêve d'adolescentes distraites de leur lecture, la solitude près d'un bouquet, dans le luxe des tentures... Il y avait les «jeunes filles en fleur» de Proust. Il y a les énigmatiques jeunes filles-fleurs de Balthus. Balthus fut avec justice nommé directeur de la Villa Médicis à Rome en 1961 : son séjour romain a été relativement bref. Aujourd'hui Balthus peint, de plus en plus grand, à l'écoute des secrets de la tendresse et de l'amour.
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