mercredi 30 juin 2021

"Elle" fait bander les critiques / Il est à gerber

 



"Elle" fait bander 

les critiques ; 

il est à gerber


Le patriarcat reste un système malin, sournois, et encore très performant en 2016, qui permet à la misogynie la plus crasse d'être intériorisée par les femmes. Mais malgré ce qu'ils essaient de nous faire croire, le viol est d'abord le fantasme de ces hommes qui écrivent et qui filment.


"Elle" de Paul Verhoeven, sorti à Cannes et sur nos écrans cette semaine, explose les scores du box-office, bénéficie d'un plan com' bien rôdé et d'une déferlante de critiques dithyrambiques. Le secret du succès ? Surfer sur la vague malheureusement bien connue de la culture du viol.

Il est génial ce film, il permet aux journalistes pourfendeurs de la bien-pensance de dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas : les femmes, au fond, elles aiment quand on les force. Ça les fait mouiller, ça les fait jouir, voire même, il n'y a que ça qui les excite : quand les hommes les frappent, les mettent à terre, les empêchent de se débattre, les insultent et jouissent en 3 secondes avant de repartir vaquer à leurs occupations. Ça, c'est le fantasme des femmes. Et heureusement que quelques cinéastes courageux et révolutionnaires osent le montrer. Y'en a marre de cette dictature du consentement et du plaisir féminin, franchement !

Breaking news : dans une société patriarcale où la plupart des discours sont produits et relayés par les hommes, même les femmes ont fini par croire qu'elles fantasmaient sur les violences dont elles sont victimes. Le patriarcat reste un système malin, sournois, et encore très performant en 2016, qui permet à la misogynie la plus crasse d'être intériorisée par les femmes. Mais malgré ce qu'ils essaient de nous faire croire, le viol est d'abord le fantasme de ces hommes qui écrivent et qui filment.

Alors "Elle", film "jouissif", "subversif", "jubilatoire" ? "Thriller érotique" (20minutes.fr) à propos d'une "violente agression" (joli euphémisme de L'Express) ? Plutôt une apologie du viol comme on en a rarement vue, en mode "voilà ce qu'attendent toutes les quinquas sexy dans leurs maisons bourgeoises". Non seulement elle aime ça, mais elle en redemande, elle entre dans une relation presque affective (carrément !) avec son violeur qui est un chic type "à l'âme torturée" et dont l'épouse remerciera l'héroïne de lui avoir donné ce dont il avait besoin ! [Attention, on vous spoile et on s'en cogne]

Afin de nous faire un avis éclairé, nous avons vu "Elle". Deux longues heures devant un film sans âme, un film qui se donne des airs de film profond, un film qui assume son sexisme, un film qui légitime la culture du viol. Cette légitimation ne passe pas uniquement par le traitement des viols de l'héroïne et de sa relation à son violeur. Elle passe aussi par le traitement de la violence dans le jeu vidéo. L'entreprise de jeux vidéo que dirige Michèle, l'héroïne, travaille sur un jeu où les personnages féminins doivent être tués en se faisant violer jusqu'à l'orgasme [1]. Notons d'ailleurs que Michèle est la première à insister pour que l'on donne aux "joueurs ce qu'ils veulent". Utiliser une femme pour légitimer du sexisme, ça n'a rien d'innovant. On a un scoop pour vous : c'est un des avatars de la société patriarcale de dresser les femmes les unes contre les autres et de les faire participer au maintien de leur propre domination.

Dans le prolongement de ce constat, toutes les relations entre les femmes dans ce film (avec la mère, la meilleure amie, la belle-fille, la nouvelle compagne de son ex-mari) sont des relations conflictuelles et/ou de violente rivalité. Les femmes n'existent que par rapport aux hommes, à tous les niveaux. Elles n'ont pas d'existence en dehors d'eux. "Elle", malgré son titre, ne passe pas le Test de Bechdel [2].

Le pire c'est peut-être certaines critiques qui vont jusqu'à qualifier cette apologie du viol de "thriller féministe". Oui, le personnage joué par Isabelle Huppert est une cheffe d'entreprise. Elle dirige une équipe entièrement masculine qui remet sans cesse en question ses compétences et la harcèle sexuellement. Mais au lieu de se montrer critique envers cela, le film érotise ce harcèlement. On est censé.e aimer la voir se faire humilier. Le "pouvoir" qu'elle détient est un vol, qu'elle doit payer au prix fort. En résumé, l'une des morales du film est : on va montrer qui est le patron à cette castratrice... Merci Verhoeven de remettre les femmes à leur place.

Vous voulez savoir ce qu'est un thriller féministe ? Ce serait un film où l'héroïne poursuit son violeur, le retrouve, découvre qui il est, l'émascule, le défigure, le fait enfermer ou se venge d'une manière ou d'une autre. Vous savez pourquoi ? Peut-être parce que dans la réalité, les femmes victimes de viol ne sont pas comme les imaginent Mr Verhoeven, Mr Djian (dont l'oeuvre ici adaptée à l'écran s'intitule "Oh...", ça ne s'invente pas) et tous les critiques qui s'engouffrent dans leur sillage.

Des enquêtes le montrent : chaque fois qu'une femme dit qu'elle a été violée, on lui demande comment elle était habillée, si elle n'a pas envoyé des signaux contradictoires, si ce n'est pas un peu elle, la fautive, la provocatrice... et ce genre de films alimente le cliché [3]. N'ayons pas peur des mots et réaffirmons-le : ce film fait clairement l'apologie du viol en suggérant que la victime désire et provoque ce qu'elle subit.

Faut-il le rappeler ? On dirait bien que oui : le viol, ce n'est pas du sexe, c'est une violence et un crime. Un crime qui touche 84 000 victimes chaque année en France.

On a parfois l'impression de n'avoir pas vu le même film que les critiques : ce qu'on a projeté, à Cannes, ne serait-ce pas plutôt un film sur des rapports SM consentis ? Non, c'est tout sauf un film sur la culture sado-masochiste, dans laquelle les désirs et plaisirs des partenaires sont centraux, où la relation de confiance et le consentement sont primordiaux... Et pourtant, morceaux choisis :

"Un hommage aux femmes dans lequel l'effroi voisine avec une sorte d'absurdité. (...) Elle s'engage plus tard dans une relation sado-maso des plus glauques avec son voisin d'en face." (Télérama)

"2h10 d'un pur plaisir coupable offert par un cinéaste génialement amoral." (L'Express)

Prix spécial aux critiques de 20minutes.fr pour cette remarque décomplexée :

"La scène à retenir : Les différentes agressions dont est victime Isabelle Huppert la laissent au sol à moitié nue. Et montrent à quel point le temps n'a pas de prises sur notre meilleure actrice nationale."

Ben oui tu vois, une meuf qui se fait violer, y'a qu'à espérer qu'elle soit un peu dénudée pour qu'on puisse mater.

Vous, peut-être pas, mais nous, quand on voit une meuf qui se fait violer au cinéma, on a envie de l'aider, pas de regarder ses seins. Mais les critiques semblent tous s'identifier au violeur, et non à la victime. C'est peu dire que la volonté du réalisateur d'érotiser le viol semble avoir fonctionné !

C'est peut-être ça aussi, un des problèmes du cinéma français : ses critiques. Hermétiques au concept apparemment abstrait de consentement mutuel dans les relations sexuelles, ils préfèrent voir une fumeuse célébration de l'amoralité et de la transgression quand ils assistent à des scènes de viols à répétition.

Alors tu sais, Paul, les critiques t'encensent mais les féministes ont un message pour toi aujourd'hui : tu nous débectes toi et ton film. Nos désirs sont les nôtres. Nos corps et nos plaisirs nous appartiennent. Et la prochaine fois, on te conseille plutôt de faire un film sur un sujet que tu maîtrises : les désirs d'un type qui pense qu'une moitié de l'humanité a uniquement été créée pour le plaisir de l'autre.

Cette tribune a été rédigée collectivement par les militantEs de FièrEs.

[1] Nous vous renvoyons à un article très intéressant sur le sexisme dans le jeu vidéo.

[2] Test qui vise à démontrer à quel point certains films, livres et autres œuvres scénarisées sont centrés sur le genre masculin des personnages.

[3] Voir enquête IPSOS réalisée via Internet du 25 novembre au 2 décembre 2015, auprès d'un échantillon de 1 001 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, selon la méthode des quotas.

HUFFINGTON POST

mardi 29 juin 2021

"Elle" de Paul Verhoeven fait-il l’apologie du viol ?


 


"Elle" de Paul Verhoeven fait-il l’apologie du viol ?

Yannick VelyParis Match ||Mis à jour le 


Présenté en compétition au dernier Festival de Cannes et dans les salles françaises depuis le 25 mai dernier, le nouveau film du réalisateur de «Basic Instinct» provoque la polémique.

Attention, la suite du texte comporte de nombreux spoilers sur le film

Le cinéaste néerlandais Paul Verhoeven a toujours secoué les consciences. De ses premiers films réalisés aux Pays-Bas (notamment «Spetters», qui ressort en DVD le 8 juin) au film de science-fiction «Starship Troopers», considéré par certains critiques américains aveugles au second degré, comme un film de propagande nazie, le réalisateur de «Total Recall» a toujours alimenté le feu de la polémique. Son dernier long métrage, «Elle», adaptation du roman «Oh…» de Philippe Djian, n’échappe pas à la controverse. Alors que l’on aurait pu imaginer les ligues catholiques hurler contre la vision des nouveaux fidèles, trader le jour, violeur la nuit, ce sont certaines féministes qui sont montées au créneau pour dénoncer un film qui surferait «sur la vague malheureusement bien connue de la culture du viol», pour reprendre le début de l’argumentaire de Delphine Aslan. Co-porte-parole et cofondatrice de FièrEs, association féministe portée par des lesbiennes, des biEs et/ou trans, cette dernière, dans une tribune rédigée collectivement par les militantEs de FièrEs, fustige le film et sa réception critique dans un long texte intitulé «"Elle" fait bander les critiques ; il est à gerber.» Elle explique ainsi avoir vu un film «qui se donne des airs de film profond, un film qui assume son sexisme, un film qui légitime la culture du viol. Cette légitimation ne passe pas uniquement par le traitement des viols de l'héroïne et de sa relation à son violeur.»

Delphine Aslan donne ensuite sa définition du «thriller féministe», qualificatif donné au film par des critiques lors de sa présentation à Cannes. «Vous voulez savoir ce qu'est un thriller féministe ? Ce serait un film où l'héroïne poursuit son violeur, le retrouve, découvre qui il est, l'émascule, le défigure, le fait enfermer ou se venge d'une manière ou d'une autre.» Dernier point intéressant, car c’est précisément ce que filme Paul Verhoeven dans «Elle», en tout cas ce que nous y avons vu, une «vengeance» contre la société patriarcale, l’émancipation d’une femme de son passé et de son entourage masculin – de son père, de son ex-mari, de son amant et même de son fils qui devra quitter ses jupons pour ceux d’une autre. Aussi, son violeur sera ridiculisé, émasculé symboliquement vu qu’elle devient la maîtresse du jeu puis «puni» par le scénario. La dernière scène du film offre d'ailleurs une clé de lecture : Michèle Leblanc (Isabelle Huppert) et Anna (Anne Consigny) se retrouvent et envisagent une vie à deux, entre femmes.

Pour Verhoeven, il faut montrer l'arme du crime

La tribune de Delphine Aslan appuie néanmoins là où cela fait mal, dans la réception par le public masculin d’une scène d’agression sexuelle. On se souvient de la polémique qui a suivi la sortie en salles d’«Irréversible» de Gaspar Noé et sa longue et horrible scène de viol, qui, plus de dix ans après, se retrouve sur les sites de vidéos pornographiques. Mais c’est justement ça, aussi, qu’interroge Paul Verhoeven par son cinéma, nous poussant à ne pas détourner le regard. Dans «Au jardin des délices», livre d’entretiens paru aux éditions Rouge Profond, le cinéaste explique, après avoir déclaré que «l’égalité des sexes n’était encore qu’une utopie », pourquoi il filme l’acte de la manière la plus réaliste possible : « Le viol n’est rien de plus qu’une expression de violence. Or, si le viol est filmé de manière elliptique, il devient impossible de montrer "l’arme du crime" ! (…) Filmer le mal trop souvent tu, c’est entrer dans une forme de résistance.» A de nombreuses reprises, dans sa filmographie, le Néerlandais a filmé des femmes fortes qui prenaient le contrôle de leur vie par leur sexualité, de «La Chair et le sang» à «Blackbook». L'accuser de vouloir surfer sur la culture du viol est méconnaître sa filmographie, ne pas prendre en compte qu'il joue consciemment du malaise que ces images provoquent depuis plus de trente ans.

PARIS MATCH



lundi 28 juin 2021

Virginie Efira / "Les mauvaises critiques, on en guérit"



Virginie Efira
Virginie EfiraJulien Weber / Paris Match

Virginie Efira : "Les mauvaises critiques, on en guérit"

Paris Match ||Mis à jour le 


Depuis la comédie indépendante « Victoria », il y a deux ans, la Belge, qui a obtenu la nationalité française, n’en finit pas de s’imposer comme l’une des plus grandes comédiennes du cinéma hexagonal. L’ex-jolie bimbo est bluffante dans « Un amour impossible » de Catherine Corsini, adapté du livre autobiographique de Christine Angot.

Paris Match. Vous avez longtemps évoqué votre complexe social de la petite Belge montée à Paris ou de l’animatrice télé qui rêve de cinéma.
Virginie Efira.Oui, ces sentiments reposent sur une confiance en soi altérée. Il y a des filles plus radicales qui disent : “Tu me parles comme ça, tu ne me revois plus !” Quelqu’un m’avait dit que je tendais très facilement l’oreille quand on me disait que j’étais médiocre. J’ai souffert de ce truc qui fait que, si quelqu’un te trouve valable, tu penses : “Il n’a rien compris, lui !” J’ai même ressenti ce genre de choses à mes débuts face aux critiques de cinéma. Quelqu’un disait un truc négatif et je pensais : “Merde, ça se voit.” Et puis je vous rassure : ça se guérit, ces choses-là. On change.

Quel a été le déclic du changement ?
La perception nette et presque physique que l’existence est un bref mouvement et qu’il faut bien le tenter, ce mouvement. C’est la phrase de Paul Valéry : “Le vent se lève, il faut tenter de vivre.” Avoir un enfant accélère les choses, ça oblige à se situer dans le présent. Ça demande de préciser ce qu’on est. Donc ça ne m’a pas du tout calmée par rapport au travail, bien au contraire ! Là, je viens de faire le film de Verhoeven et on m’a dit : “Mais c’est si osé, tu n’as pas peur que ta fille blablabla ?” Oh que non ! J’aurais trouvé triste de faire un métier juste pour bien gagner ma vie.

Quand on m’a dit que Paul Verhoeven écrivait pour moi, je ne l’ai pas cru. Ça va être un chef-d’œuvre absolu !

Coproduire le film de Joachim Lafosse “Continuer”, qui sortira en 2019, est une façon pour vous d’assurer vos arrières et de préparer l’avenir au cas où tout s’arrêterait ?
Lorsque, après “Victoria”, je disais à tout le monde : “J’attends qu’on me propose un projet qui me fasse autant vibrer”, je sentais bien que cette phrase était improbable ! J’ai eu besoin de prendre les choses en main en montant une structure de production avec une amie journaliste. On s’est dit qu’elle me ferait lire des livres où il y aurait une possibilité de rôle pour moi et, peut-être plus tard, pour d’autres... Une façon d’être un moteur sans forcément passer à la réalisation. Ce qu’Isabelle Huppert fait, ainsi que plein de gens, même si on n’en parle pas toujours.

Vous incarnerez une religieuse lesbienne dans “Benedetta”, le prochain Paul Verhoeven, qui vous a confié le rôle-titre... Vous êtes enfin là où vous rêviez d’être ?
Oui, j’ai atteint un truc avec lui parce que j’admire complètement son travail, ses films néerlandais, ses américains, et le fait qu’il ait réussi à ne pas se faire aplatir par le cinéma américain... Quand on m’a dit qu’il écrivait pour moi, je ne l’ai pas cru. Ça va être un chef-d’œuvre absolu ! Je me suis quand même demandé comment il avait pensé à moi pour jouer cette nonne complètement dingue ! J’en ai d’ailleurs parlé avec une actrice du film en lui disant : “Toi, je comprends, tu ressembles vraiment au personnage” et elle m’a répondu “Mais toi aussi ! Tu as l’air folle !”

Penser qu’un couple qui ne vit pas ensemble serait le mode d’emploi génial qui permettrait d’éviter les problèmes est complètement faux

Vous venez également de tourner de nouveau cet été avec Justine Triet, la réalisatrice de “Victoria”, un film dans lequel vous partagez encore l’affiche avec Niels Schneider. Quel partenaire est-il ?
Un excellent partenaire, vraiment ! Au départ, j’avais un peu peur de la différence d’âge que j’ai pourtant souvent connue au cinéma. Mais dans les histoires contemporaines, ça n’a pas d’importance. En revanche, dans un film situé à la fin des années 1950, ce n’est pas fréquent. Mais cela a tout de suite fonctionné. Niels a une très grande bonté, il n’y a pas une once de perversité en lui, donc c’était intéressant aussi que cette figure du mal, ce prédateur à qui on peut difficilement pardonner, soit incarné par un garçon comme ça. Dans le film de Justine, il joue à nouveau mon amoureux. Une relation très passionnelle où il va encore y avoir un enfant, que je décide de garder toute seule.

Vous avez souvent défendu un modèle de couple indépendant et libre avec le père de votre fille. Vous-même avez été élevée dans ce schéma avec une mère qui n’a pas eu peur de refaire sa vie... Ça peut marcher, un couple non cohabitant ? ou bien c’est l’antichambre de la séparation ?
[Elle explose de rire.] Oh, je n’en sais rien ! Est-ce qu’on peut avoir un petit mode d’emploi de comment vivre un rapport qui ferait en sorte que le quotidien ne plombe pas l’affaire ? Que le désir soit toujours là ? Est-ce qu’il n’y a pas aussi l’idée d’accepter que tout va à la rupture, de toute façon ? [Elle rit.] En tout cas, penser qu’un couple qui ne vit pas ensemble serait le mode d’emploi génial qui permettrait d’éviter les problèmes est complètement faux. Ça n’existe pas. Ce qui est intéressant dans l’idée de la non-cohabitation, c’est la possibilité d’inventer ses propres règles avec l’autre. Je l’ai vécu, en effet, mais je me rends compte que je ne sais pas. C’est illusoire de penser que, de cette façon, on ne va partager que les bons moments...

On se défait des regards sur soi en vieillissant, ça précise les choses

Qu’est-ce que la maternité a changé en vous ?
Avant, on me demandait souvent : “Vous tournez beaucoup mais du coup, votre fille ?” Comme s’il y avait forcément un choix à faire. D’abord, j’ai une position extrêmement privilégiée car ma fille n’est pas encore en CP, elle peut me suivre sur les tournages. Quand je tournais dans le sud de la France, elle était scolarisée là-bas... C’est très chouette parce que ça lui apporte une faculté d’adaptation hyper joyeuse. Ça stimule la curiosité. Et puis elle va bien, donc la question ne se pose pas tellement. Je n’ai jamais eu envie d’être la mère qui dira : “Je me suis sacrifiée pour toi !”

Vous avez fait l’expérience de la vieillesse en incarnant votre personnage sur cinquante ans. Ça fait quoi de contempler son futur ?
C’était intéressant... On se défait des regards sur soi en vieillissant, ça précise les choses. Je lisais récemment un article sur Marceline Loridan-Ivens qui n’est jamais devenue mère mais disait que, avec l’âge, le fait d’être libérée de ce regard masculin qui lui avait fait vivre des histoires complètement abracadabrantes, c’était vraiment très joyeux. Je me suis dit : “Ah tiens !” De toute façon, j’ai commencé à dire que j’avais 40 ans dans la vie à partir de 38 ans. Je me disais “comme ça, c’est fait !”. Du coup, quand j’ai vraiment eu 40 ans, ça s’est bien passé. [Elle rit.]

PARIS MATCH

dimanche 27 juin 2021

Virginie Efira / "Je serais partante pour refaire un enfant"


En douze ans, Virginie Efira est devenue l’une des actrices qui comptent dans le cinéma français.
En douze ans, Virginie Efira est devenue l’une des actrices qui comptent dans le cinéma français.Fred Meylan/H&K


Virginie Efira : "Je serais partante pour refaire un enfant"


Paris Match
Publié le 06/01/2019 à 14h05 
Mis à jour le 08/04/2019 à 10h45
Interview Ghislain Loustalot

Dans le prochain Verhoeven, l’actrice franco-belge incarne une nonne lesbienne. Scandale garanti. Elle se confie à Paris Match. 

Paris Match. En à peine douze ans, vous avez tourné dans 25 films et pourtant le doute était présent. Depuis quand vous sentez-vous enfin légitime ?
Virginie Efira. Sur certains tournages de comédies, j’allais à la cantine en me disant : “Il faut que tu sois drôle pendant le déjeuner. Assure…” Mais je ne sais pas faire ça. Pour des rendez-vous avec des metteurs en scène, j’ai voulu paraître intelligente, le meilleur moyen de ne pas l’être. Ça paralyse, surtout pour quelqu’un qui n’est pas forcément à l’aise en groupe. Le film “Victoria”, présenté à Cannes en 2016, a été un déclic intime. J’étais enfin en accord avec moi-même. Je ne me suis plus sentie ni inférieure ni supérieure aux autres. Je n’ai plus éprouvé cette forme de honte ou de gêne liée à leur jugement.

Quand on évoque certaines comédies, vous dites : “Je n’aime pas le côté ‘j’enlève mon cerveau’.” Vous en avez beaucoup refusé ?
Je suis fan de celles de Frank Capra ou de James L. Brooks. J’aime cette sensibilité qui est juste, émouvante et raconte une part de notre existence. J’ai refusé quelques films, peut-être même en ai-je accepté, de ceux qui enfoncent les portes ouvertes, obéissent, par exemple, aux stéréotypes du couple normé : l’homme forcément infidèle, la femme pilier de la famille refuge. Mais, bon Dieu, qui a envie de défendre des trucs pareils ?

On vous voit de plus en plus dans des drames. Est-ce un choix ?
Finalement, c’est doux de jouer des rôles si durs. J’avais depuis toujours ce fantasme d’oubli de soi. On peut parler d’abandon, de lâcher-prise qu’il me semble plus compliqué à trouver dans le rythme des comédies. Je ressens chez moi une évolution. Je grandis, j’ai de plus en plus de désirs.

Il y a six ans, alors que vous étiez enceinte d’Ali, vous disiez : “J’ai une forme de mélancolie et ce qui m’intéresse c’est de jouer avec elle, avec l’intime.” Dont acte. D’où vient cette mélancolie ?
De l’idée très triste que rien ne dure, y compris les plus belles choses, que tout passe et a une fin. Il y a aussi l’idéal amoureux auquel on n’a pas forcément accédé, les chemins de vie qu’on n’a pas pris. Mais tout cela crée également l’élan vital. Moi, j’essaie trop de tout comprendre, je suis cérébrale, voire un peu chiante. Et puis, même si je n’ai pas connu la souffrance, j’ai quelques atomes crochus avec elle.

Vous êtes présentée comme l’une des stars de 2019. Est-ce à cause du film très attendu de Paul Verhoeven dans lequel vous incarnez Benedetta Carlini, une religieuse homosexuelle du XVIIe siècle ?
Je n’ai aucun doute sur le fait que le film, tiré d’une histoire vraie, aura un impact conséquent. Il traite d’un tabou ultime dans l’Eglise. Du procès fait à une femme à cause de son homosexualité. Paul Verhoeven l’a écrit pour moi. Au début je n’y ai pas cru. En lisant le scénario, je m’arrêtais toutes les trois pages, je n’en revenais pas. J’ai tourné plus de douze semaines. Je n’ai jamais joué de partition aussi spéciale, je ne m’étais jamais vue ainsi. Cela a été une expérience marquante. J’aurai vécu ça.

Je sais que ce film va déranger, remuer là où c’est compliqué. Il touche à la sexualité et au sacré

Scandale assuré à la sortie ?
C’est un film de Verhoeven, donc forcément sulfureux. Scandale ? Le mot est daté. Tout est scandale, plus rien ne l’est. Je sais que ce film va déranger, remuer là où c’est compliqué. Il touche à la sexualité et au sacré.

Avant “papa” ou “maman”, votre fille Ali a apparemment su dire “au revoir”. Parce que vous partiez beaucoup en tournage ?
Non, puisque je l’ai toujours emmenée avec moi. Pendant le tournage de “Benedetta”, dans le sud de la France, elle était à l’école, tout près. Si elle a su dire “au revoir” très vite, c’est peut-être qu’elle a senti vers quoi je la porte. L’idée qu’elle soit autonome et heureuse, seule, m’a toujours beaucoup importé. Ne pas avoir peur de dire “au revoir”, avoir confiance en soi, aller vers l’autre, s’adapter, rester ouverte au monde, c’est le plus grand service que je puisse lui rendre.

Est-ce qu’elle a déjà, à un peu moins de 6 ans, une perception de ce qu’est le cinéma, de votre métier ?
Plus jeune, quand elle venait sur les plateaux et qu’elle me voyait avec des acteurs enfants, elle me disait : “Et pourquoi je ne suis pas dans l’histoire, moi ? Je suis ta vraie fille.” Elle sait maintenant comment se déroule un tournage, elle voit que c’est parfois très répétitif. Avec la notoriété, cela a été moins simple. Elle ne comprenait pas pourquoi les gens me disaient bonjour dans la rue. J’ai eu une petite frayeur quand elle m’a lancé, il y a un an : “Mais tu es connue ! Et moi je suis connue aussi ?” Je lui ai expliqué que ce n’était pas forcément intéressant de l’être mais bien plus important d’exercer un métier qu’on aime.

Si j’ai une bonne critique, je l'envoyer à mon père comme si j’envoyais encore mon bulletin de notes

Faites-vous déjà son éducation cinématographique ?
Nous voyons beaucoup de films, ce sont autant de terrains de discussions. Nous avons regardé la plupart des chefs-d’œuvre de l’animation japonaise que j’adore. Mais aussi “Tootsie” ou des comédies américaines des années 1980 et 1990 comme “Big”, avec Tom Hanks. Le “Roméo + Juliette” de Baz Luhrmann est son film préféré en ce moment. C’est un peu violent mais, étant habituée à voir des effets spéciaux sur les tournages, elle sait ce qui est faux. J’explique aussi, je dédramatise.

Vous lui transmettez, on imagine, ce que vos parents vous ont appris. Eux, que pensent-ils de votre évolution ?
Ma mère, qui s’est remariée il y a deux semaines, n’est pas très objective me concernant. Récemment, en allant au cinéma, elle n’a pas pu s’empêcher de dire à la caisse : “Ma fille a deux films à l’affiche.” Mais, comme elle est un peu typée, ils lui ont répondu : “Ah, vous êtes la maman de Leïla Bekhti.” Blague à part, elle est très attentive et sensible aux choix de films un peu plus profonds que je fais. Mon père est très pudique. Il ne me le dira jamais, mais quand il découvre un article sur moi, il le lit à toute la famille. Il voit le chemin parcouru. Si j’ai une bonne critique, je peux la lui envoyer comme si j’envoyais encore mon bulletin de notes. Parvient-on un jour à se détacher du regard de ses parents ?

Etes-vous aujourd’hui une femme heureuse, épanouie, amoureuse ?
Oui, oui et oui.

Le mariage, jee ne suis ni pour ni contre. Ce n’est pas une obsession

Dans “Un amour impossible” de Catherine Corsini et bientôt dans “Sibyl” de Justine Triet, Niels Schneider joue votre amoureux. Dans la vie aussi apparemment…
Je suis désolée, mais ça ne vous regarde pas.

Vous avez déjà été mariée. Pourriez-vous retenter l’aventure ?
Je ne suis ni pour ni contre. Ce n’est pas une obsession, pas un fantasme pour moi. En revanche, j’aime l’idée d’engagement total, de liens forts. Je serais partante pour refaire un enfant, par exemple.

Aujourd’hui, vous avez, semble-t-il, minci. Vous êtes plus belle que jamais. C’est l’amour ?
Ça vient des rôles, en réalité. Quand j’ai tourné “Un amour impossible”, il y avait des scènes de nu et je me suis rendu compte de quelques blocages, comme si je ne me sentais pas libre de faire ce que je voulais avec mon corps. Sachant ce qui m’attendait avec Verhoeven, je me suis mise à faire du sport, j’ai perdu un peu de poids pour me sentir à l’aise, libre et totalement disponible. Bon, je ne suis pas tombée dans l’anorexie non plus.

Un prof vous a demandé un jour si vous vouliez faire du peep show. Avez-vous été victime, par la suite, de comportements déplacés de la part d’hommes détenant le pouvoir ?
J’avais 15 ans à l’époque de cette vanne déplacée et le pire c’est que j’en ai ri. Aujourd’hui, ce genre de plaisanterie devient plus compliqué à faire. Mais la pression existe, a toujours existé. J’y ai échappé parce que je suis arrivé tard, à 30 ans, dans le cinéma. Mais j’ai eu de nombreux témoignages d’actrices qui m’ont raconté ce qui leur était arrivé plus jeunes, quand elles étaient en demande et que le pouvoir des hommes avait tout loisir de s’exercer sur elles. J’ai été sidérée.

Je ne suis pas une révolutionnaire mais il y a des limites de décence à respecter

Pourquoi avoir demandé la nationalité française il y a deux ans ?
Pour pouvoir voter dans le pays où je vis, où je travaille et où je paie mes impôts. Mais j’ai pu garder la nationalité belge.

Etre française, dans ce pays où rien n’est simple, ça vous plaît ?
Vous connaissez un pays où tout est simple ? Passez-moi l’expression, c’est un peu la merde partout... Moi, ça me plaît d’être aussi française. Ici, les oppositions et le débat politique sont omniprésents et ça m’intéresse. L’époque dans laquelle on vit n’est pas que désespérante, elle est riche aussi. Un monde est en train de disparaître, tandis qu’un autre tarde à émerger. Dans cet interstice naissent des rêves, mais aussi des monstres.

Certains acteurs ont soutenu les gilets jaunes…
Oui, et toute la classe politique a essayé de les récupérer. Classique. Une fois, je suis allée manifester avec les intermittents du spectacle et on m’a prise pour une Martienne. Je peux être solidaire, même si je ne rencontre pas les mêmes problèmes. Est-ce que je peux les comprendre totalement ? Peut-être pas, même si j’ai vécu longtemps avec 1 200 euros par mois et quelques crédits à rembourser… Mais j’essaie. Je sais qu’il y a une trop grande différence entre les plus défavorisés et les plus riches. Je ne suis pas une révolutionnaire, je ne bouleverse rien, je suis à l’intérieur du système. Mais il y a des limites de décence à respecter. Un jour, ma fiscaliste m’a dit qu’elle était embêtée parce que j’allais devoir payer plus d’impôts, comme si elle pensait que mon but était d’en payer moins. J’ai trouvé cela totalement choquant.

PARIS MATCH



samedi 26 juin 2021

Virginie Efira / "Tant que j’avais honte de moi et de mon histoire, ça ne marchait pas"

 

Virginie Efira



Virginie Efira : "Tant que j’avais honte de moi et de mon histoire, ça ne marchait pas"


Divine dans Benedetta, de Paul Verhoeven le film sulfureux très attendu à Cannes, l’actrice démontre une nouvelle fois sa puissance de jeu et son culot. En nonne lesbienne du XVIIe siècle, elle sème magistralement le trouble. Rencontre avec une âme généreuse.


Marilyne Letertre

• Le 24 juin 2021


Une rencontre passionnante pour un film qui ne l'est pas moins. À l’ère des exercices promotionnels s’apparentant parfois à des speed datings en palace, Virginie Efira nous donne rendez-vous chez elle, dans l’Est parisien. La conversation n’est pas minutée, elle préfère échanger, prendre le temps de la réflexion. Lequel n’est pas superflu pour aborder Benedetta, thriller clérico-érotico-féministe de Paul Verhoeven, en compétition cette année à Cannes.

La comédienne y prend le voile d’une nonne italienne du XVIIe siècle qui, sur le point d’être béatifiée suite à un supposé miracle, découvre les plaisirs de la chair avec une novice du couvent. Évidemment transgressif, malicieusement hérétique, parfois grand-guignolesque (quand Jésus entre dans la danse) et surtout politique, le corps de la femme se métamorphosant ici en arme de destruction dans une société d’hommes, d’interdits et d’hypocrisie.

Malgré des films récents s’affranchissant des codes (Victoria, Adieu les cons …), l’actrice et égérie Cartier ne s’était jamais autant mise en danger : la partition est charnelle, jusqu’au-boutiste, ambivalente. Elle l’embrasse de tout son être. Son visage de madone pleine de grâce (on comprend pourquoi Verhoeven l’a choisie) s’éclaire à la moindre évocation de ce qu’elle considère comme un chef-d’œuvre. Passionnée. Passionnante. Intarissable. Jusqu’à ce que son amoureux, l’acteur Niels Schneider, rentre à l’improviste de sa balade. «Je ne vais plus savoir parler, alors…» Il en faudrait bien plus pour brider sa nature généreuse qui, depuis toujours, transpire dans ses choix. Rares sont les comédiennes à donner autant, face caméra comme en coulisses.




Audace

«Avant même de lire le scénario, je savais que je ferais Benedetta : Paul Verhoeven, quand même ! Non seulement je gardais un excellent souvenir de mes quelques jours de tournage d'Elle, mais c’est aussi un cinéaste dont j’admire depuis toujours l’énergie et la créativité. Comme un Billy Wilder, il a intégré un système et a su le démonter de l’intérieur, souvent avec humour. Il agrandit les horizons du spectateur sur le plan idéologique, esthétique, psychologique en questionnant les institutions qui croient détenir la vérité, et en révélant la part sombre et impulsive en chacun de nous. Benedetta s’attaque à de nombreux tabous, notamment l’idée d’une foi compatible avec une sexualité. Cela en chiffonnera certains, mais, à 83 ans, Paul n’a peur de rien.»

Polémique

«Jusqu'ici, je n'ai pas tourné de choses tranchantes ou fait preuve d’une parole clivante… Je suis assez consensuelle. Ce film, lui, ne l’est pas. Mais à 40 ans, il est plus facile qu’à 20 d’accepter qu’on ne plaira pas à tout le monde. Et même si choquer le bourgeois ne m’intéresse pas - c’est franchement ringard -, je suis nostalgique d’une époque où l’on ne cherchait pas l’uniformisation du goût et de la pensée. Serai-je assez armée pour me défendre s’il y a une petite part d’agressivité à mon encontre à la sortie ? Je ne sais pas. Mais peu importe. Ce film, je le comprends et je me sentirais beaucoup plus mal d’avoir tourné un truc populaire qui véhicule une pensée dégueulasse. Ça m’est arrivé, et je ne le veux plus.»

Spiritualité

«Benedetta n'est pas une critique stérile de la foi mais pose un regard pertinent sur l’institution et son rapport à la femme, à l’enfermement… Je n’ai pas reçu d’éducation religieuse et, quand j’essaie de définir ma spiritualité, je me trouve absurde, comme quelqu’un qui citerait Spinoza sans l’avoir lu. Mais la notion de foi m’intéresse plus que celle de dogme. Je crois en une forme d’élévation qui n’est pas concentrée sur une figure unique.»

Festival de Cannes 2019 : la montée des marches du 24 mai
Les images de la montée des marches de l'équipe du film "Sibyl" de Justine Triet.
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Nudité

«On ne me prendra jamais ce que je n’ai pas envie de donner. Je sais où je place ma pudeur. Par exemple, embrasser quelqu’un dans un film me semble plus intime qu’être nue. Au début de ma carrière, je traversais quasiment une faille spatiotemporelle pour les scènes de baiser… Chez Paul Verhoeven, il y a non seulement une extrême bienveillance, mais aussi une réflexion passionnante sur le pouvoir du corps des femmes, leur désir, leur plaisir. Nous nous réapproprions enfin ce territoire autrefois dévolu aux hommes, et Paul l’a toujours très bien raconté. Benedetta devient la maîtresse du monde en accédant à la jouissance, et à travers elle survient une question passionnante : si la femme détenait le pouvoir, en ferait-elle bon usage ? Ne se croirait-elle pas elle aussi investie d’une forme d’impunité ?»

«Je me suis longtemps trouvée trop solide, trop grosse, mais le point de vue de Justine Triet dans Victoria m’a aidée à m’affranchir de ce complexe… Par ailleurs, la beauté au cinéma n’est pas la beauté de la mode. Elle doit s’émanciper des codes marketing et donner à voir des corps différents. Cela dit, je n’ai pas toujours été à la hauteur de cette idée que je revendique, politiquement et charnellement. J’ai travaillé mon physique avant des tournages pour correspondre à une norme et ne pas être trop encombrée par moi-même.»




Évolution

«J’ai toujours travaillé avec l’idée du présent. À l’époque de Nouvelle Star, je savais très bien que Desplechin ou Verhoeven ne m’attendraient pas à la réception de M6. Je n’y voyais aucune injustice. J’essayais de prendre le meilleur des fictions télé qu’on me proposait, et, petit à petit, le cinéma est arrivé : j’avais le visage rond et un capital sympathie qu’on jugeait adéquat dans des comédies romantiques. C’était mon emploi, je ne résistais pas, mais, dans ce rôle qui m’était assigné, j’essayais d’être en phase avec ce que je suis. Sans ces premiers films et sans mon passage dans l’émission Rendez-vous en terre inconnue où elle m’avait vue, Justine Triet n’aurait peut-être pas pensé à moi pour Victoria… Avec le recul, j’ai compris ceci : tant que j’avais honte de moi et de mon histoire, tant que je traînais mon complexe intellectuel, ça ne marchait pas. Tout a changé quand j’ai réalisé que mon parcours créait une identité, mais que cette identité n’était pas figée.»



Cannes

«Ce festival signifiait tellement pour moi quand j’en étais loin. J’y suis d’abord venue avec les moyens du bord, pour chercher des financements pour un film belge, tout en essayant vainement de m’incruster en soirée… C’était l’inaccessible jusqu’à Victoria. Des artistes que j’admirais ou des plumes que je lisais allaient commenter notre travail dans un cadre qui, déjà, lui donnait une certaine aura… Aujourd’hui, je n’ai évidemment plus le regard plein d’étoiles de la petite fille de 6 ans qui rêvait de cinéma, j’y mets plus de distance, mais je profite de l’honneur qui nous est fait avec Benedetta. Ce film, c’est le chef-d’œuvre d’un artiste libre qui n’a plus rien à perdre et qui ose tout, au risque de déplaire. La réception du film sera un spectacle en soi, et Cannes lui donne une exposition à la hauteur de son ambition et de son génie.»




La réception du film sera un spectacle en soi



Avenir

«J’adore jouer et me raconter mon propre film à l’intérieur du film d’un autre. J’ai récemment tourné pour Régis Roinsard (En attendant Bojangles), Guillaume Canet (Lui), Serge Bozon (Don Juan) et Rebecca Zlotowski (Les Enfants des autres), et j’ai conscience de ma chance. Cependant, l’attaque psychologique généralisée pendant le confinement m’a mise face à ma médiocrité. Je voulais écrire et, évidemment, je ne l’ai pas fait… Face au rien, je n’étais rien. Totalement dépendante des autres. Ça ne peut pas durer. Car, dans quinze ans, qui sait si l’on voudra encore de moi pour jouer ? En France, les actrices sont sans doute mieux loties qu’ailleurs, et j’ai attendu 40 ans pour avoir des rôles vraiment intéressants, mais seuls quelques noms tirent leur épingle du jeu après 50 ans. Les choses évoluent, mais mieux vaut être moteur et prendre son destin en main. Je réfléchis à la production peut-être d’une série.




Virginie Efira porte un body Alexandre Vauthier, un collier Ligne Tennis en platine et diamants, Cartier, des escarpins Christian Louboutin.

Réalisation Cécile Martin. Coiffure Rudy Marmet. Maquillage Khela. Manucure Nelly Ferreira.


Maternité

«Ma fille entre-t-elle en ligne de compte dans mes choix d’actrice ? Jamais et toujours. Cela me chagrinerait qu’on l’embête à cause de mes films, mais je ne peux pas accepter que des rôles accessibles à un enfant de 8 ans ! Et puis je n’adhère pas à l’idée d’une maternité sacrificielle, réductrice. En revanche, devenir mère a précisé mon désir d’actrice : qu’est-ce que je veux lui raconter en tant que femme et individu ? Comment lui inculquer des principes si je ne me les applique pas ? Dans le futur, je ne souhaite pas qu’elle agisse pour me plaire. Aussi, je dois lui montrer l’exemple et assumer mes envies. Ce que j’espère lui transmettre, ce sont ces valeurs : la liberté d’expression, l’affirmation de soi, l’acceptation de son corps… Et je considère mes rôles comme un témoignage de ma personnalité et de mes convictions.»

Benedetta, de Paul Verhoeven. Sortie le 9 juillet.


MADAME