dimanche 7 juillet 2013

Scarlett Johansson attaque l'éditeur de Grégoire Delacourt



Scarlett Johansson attaque l'éditeur de Grégoire Delacourt

Par  @annieyanbekian
Journaliste, responsable de la rubrique Jazz-Musiques du Monde de Culturebox
Mis à jour le 07/06/2013 à 12H09, publié le 07/06/2013 à 10H59

Scarlett Johansson demande réparation auprès des éditions Jean-Claude Lattès, a révélé la radio RTL. La star de cinéma n'a visiblement pas du tout apprécié de voir son nom et sa personne utilisés dans le livre "La première chose que l'on regarde", le roman de Grégoire Delacourt. L'éditeur a confirmé l'information.
L'interprète vedette de "Lost in Translation" (grand succès de Sofia Coppola, 2003) réclame officiellement "réparation pour violation et exploitation frauduleuse des droits de (sa) personnalité". Elle demande en substance que l'éditeur soit condamné à des dommages et intérêts.

"Nous avons reçu le 5 juin une assignation devant le Tribunal de grande instance de Paris à la demande de Scarlett Johansson", a précisé la maison d'édition JC Lattès auprès l'AFP. "Nous avons 15 jours pour présenter un dossier."

Dans le roman de Grégoire Delacourt paru en mars chez Lattès, une femme ressemblant de façon troublante à Scarlett Johansson frappe à la porte d'Arthur, un garagiste de la Somme. Le jeune homme est subjugué. Ils vivront une idylle et l'on apprendra quelques dizaines de pages plus tard qu'il ne s'agit pas de la star de Hollywood mais d'une jeune Française, Janine. Le livre rencontre un franc succès en librairie, que cette affaire ne manquera pas d'accroître...

Scarlett Johansson demande par ailleurs au tribunal d'interdire aux éditions JC Lattès "la cession de droits et d'adaptation de l'ouvrage".

La réaction "triste" de Grégoire Delacourt, stupéfait
Cette romance littéraire n'aura pas du tout ému Scarlett Johansson. Sa réaction chagrine beaucoup Gégoire Delacourt qui "en reste sans voix". Il s'est dit "surpris" et "attristé", vendredi matin sur l'antenne de RTL : "Je n'ai pas écrit un roman people. J'ai écrit une vraie histoire d'amour avec des personnages romancés (...) Je ne m'attendais pas à ça. J'ai l'impression qu'elle reproche peut-être le fait d'avoir parlé d'elle... Ce qui m'attriste d'autant que j'ai fait un livre où Scarlett Johansson s'appelle plutôt Janine Fouquempré, et que j'ai vraiment voulu écrire une histoire d'amour et un énorme hommage à la beauté des femmes, surtout la beauté intérieure. Donc je ne vois pas trop bien ce qui est fautif là-dedans. C'est juste un peu flippant de penser qu'on parle d'un personnage d'un roman, et que tout d'un coup la justice s'en mêle... Je suis assez triste si demain, on ne peut plus parler d'un personnage public, d'une place publique, d'un nom propre..."

S'il avait Scarlett Johansson au téléphone, Grégoire Delacourt lui dirait tout simplement "I love you", a-t-il conclu vendredi matin sur RTL.

"Cette affaire est d'autant plus folle que ce roman est un hymne aux actrices, un hommage à leur beauté et à leur intelligence, pour dire justement que c'est la beauté intérieure qui compte. Et, surtout, c'est de la littérature !", a réagi de son côté l'éditeur, faisant fidèle écho aux propos de l'écrivain.

Un précédent roman bientôt adapté au cinéma pour Delacourt
 Le précédent livre - et best-seller - de Grégoire Delacourt, 53 ans, "La liste de mes envies", paru en février 2012, déjà publié dans 47 pays, se trouve en cours d'adaptation au cinéma. Et l'auteur a justement été approché pour "La Première chose qu'on regarde". Il aurait adoré voir le personnage du roman incarné par l'actrice américaine de 28 ans...



vendredi 26 avril 2013

Ron Mueck à Paris


Mask II, 2001 Matériaux divers Anthony d’Offay, Londres
Ron Mueck

Ron Mueck à Paris

16 Avril - 27 Octobre 2013 à la Fondation Cartier, Paris.



Ce qui frappe dès le premier regard sur les sculptures de Ron Mueck, c’est leur présence physique et le sentiment qu’elles font naître de toucher la réalité de notre humanité alors que l’on est dans la représentation. On est placé dans une sorte d’altérité absolue, face à des individus dont on devine la proximité affective, l’empathie de l’artiste avec les sujets qui les ont inspirés.

Le réalisme propre au travail de Ron Mueck qui tend à un mimétisme parfait, sa grande maîtrise du matériau, la résine de polyester sur fibre de verre et silicone, pour le rendu de la peau, l’utilisation de vrais cheveux pour la pilosité, ne suffisent pas, à l’évidence, à expliquer cette impression.



Atelier de Ron Mueck, janvier 2013 © Ron Mueck Photo © Gautier Deblonde

En effet, ce mystère inhérent à la représentation artistique provient ici du dépassement même de ce réalisme que l’artiste subvertit en modifiant les données de la réalité au moyen de l’échelle, des proportions. Tantôt géantes, tantôt minuscules, les sculptures ne s’imposent pas seulement par leur présence physique mais par leur présence psychologique. L’attitude, la pose, l’expression renvoient à un état mental, une situation apparemment banale mais qui créée, chez le spectateur, un trouble, une inquiétude.


Couple under an umbrella. Montage de l’exposition © Thomas Salva _ Lumento pour la Fondation Cartier pour l’art contemporain, 2013

Figées dans l’espace et le temps, elles s’entourent de silence en dépit du récit que l’on tente de construire et d’imaginer à partir d’elles et à partir de notre expérience existentielle intime : la joie, la tristesse, l’inquiétude telle qu’elles apparaissent dans Couple under an umbrella (2013) ou dans Woman with shopping (2013), une maternité contemporaine bouleversante.


Couple under an umbrella (détail).

Les sujets, la vie, la naissance, la souffrance, la mort, les différents passages de la vie suggérés par les jeux d’échelle, nous renvoient en effet à notre humanité. Ce sont aussi les sujets de la statuaire religieuse à laquelle Ron Mueck fait souvent référence. C’est le cas de Drift, un homme étendu sur un matelas pneumatique, les bras en croix, présenté à la verticale qui fait penser à une crucifixion. C’est également le cas de Youth, un jeune adolescent noir qui regarde sa plaie au côté droit, inspiré par le tableau de Caravage l’Incrédulité de Saint Thomas.
L’espace de la fondation Cartier est pensé de manière à entourer les œuvres d’un vide qui amplifie la part énigmatique qui s’en dégage et qui permet d’instaurer cette confrontation qui fait la force du travail de Ron Mueck.



Woman with Sticks, 2009 Matériaux divers Courtesy Hauser & Wirth
Ron Mueck Photo Courtesy Hauser & Wirth, Londres.

Fondation Cartier pour l’art contemporain

261, Boulevard Raspail

Paris 75014 France

Tel. +33 (0)1 42185650



Amélie Pironneau
Amélie Pironneau est docteur en histoire de lʼart et critique dʼart. Elle a notamment publié aux éditions bookstorming un ouvrage sur “La crise de la peinture en France 1968-2000”.


mercredi 24 avril 2013

Les confessions de John Le Carré

 

Le romancier britannique  pour la première de l'adaptation de Tinker, Tailor, Soldier, Spy à Londres. MAX NASH/AFP

Les confessions de John Le Carré

Dans le New York Times Magazine, l'auteur deL'espion qui venait du froid, 81 ans, revient sur sa carrière et sa biographie.

À quatre-vingt-un ans, John Le Carré a toujours bon pied bon œil. Il a confié sa recette pour rester en forme à un journaliste du New York Times Magazine qu'il a reçu dans sa maison de Cornouailles: «J'écris, je marche, je nage et je bois.» Et reste aux aguets. Si sa querelle de 1997 avec Salman Rushdie semble apaisée, il est toujours en colère contre George Bush. Pour ne pas oublier, il a placé une poupée à l'effigie de ce président dans ses toilettes… Côté cinéma, tout va bien: l'adaptation de Tinker, Tailor, Soldier, Spy ( La Taupe ) a entraîné la vente d'un million d'exemplaires du roman, paru en 1974, et trois nouvelles adaptations sont en chantier.

À l'écart, Le Carré poursuit son œuvre. Son 23e roman, A Delicate Truth, pas encore paru, il écrit déjà le suivant d'après une histoire de Conrad. Il a aussi fait un pacte avec sa famille. Dès qu'elle jugera que la qualité de son travail baisse, elle devra l

'avertir, car il sait qu'au point où il en est il pourrait «toucher de l'argent pour recopier l'annuaire téléphonique»...


JOHN LE CARRÉ

Ecrivain britannique

“Ecrire, c’est comme se trouver dans une maison vide et guetter l’apparition de fantômes”


BIOGRAPHIE DE JOHN LE CARRÉ

Après avoir terminé premier de sa promotion en lettres modernes à l'Université Lincoln (Oxford), David John Moore Cornwell se tourne vers l'enseignement. Mais en 1959, il entre au service de sa majesté tout d'abord comme secrétaire à l'ambassade anglaise de Bonn puis comme consul à Hambourg. Ce n'est qu'en 1961 qu'il commence à écrire des romans d'espionnage, décrivant avec réalisme et humour le monde des agents secrets et prenant pour nom de plume John Le Carré. Six de ses livres ont été adaptés en films comme 'Le Tailleur de Panama'. Son troisième roman 'L'Espion qui venait du froid' lui confère une renommée internationale. Après ce dernier, écrit en 1963, suivent de nombreuses autres histoires de forces spéciales comme 'Un traitre à notre goût' en 2011 et 'Une vérité si délicate' en 2013.



LE FIGARO





mardi 23 avril 2013

Junot Díaz / Écrire le passé, façonner l’avenir


Junot Díaz : écrire le passé, façonner l’avenir

 

Junot Díaz, l’un des auteurs anglophones les plus captivants d’aujourd’hui, tire depuis longtemps son inspiration de la culture populaire japonaise. Venu à Tokyo dans le cadre du premier grand festival littéraire international du Japon, il nous parle de son attachement à l’Archipel et de l’influence des romans et des manga japonais sur son écriture.


23/04/2013

Amoureux de Tokyo

La Brève et merveilleuse vie d’Oscar Wao, une saga sur trois générations qui a valu à Junot Díaz un prix Pulitzer, passe des villages et champs de canne à sucre de la République dominicaine aux rues du New Jersey peuplées d’immigrés. Ce roman relate l’histoire contemporaine de la République dominicaine et de sa diaspora, mêlant histoire, fable et roman initiatique dans un assemblage grisant de styles et de registres. Autour de l’histoire d’un jeune « geek des ghettos » obsédé par les jeux de rôle, Le Seigneur des anneaux et les manga japonais, ce texte donne la parole à une voix polyglotte fascinante, qui mélange généreusement l’anglais, l’espagnol et une dose non négligeable de japonais.

La version japonaise de « La Brève et merveilleuse vie d’Oscar Wao » (Shincho Crest Books)

L’un des personnages est doté de « grands yeux façon manga ». Un flashback nous montre la campagne dominicaine à l’époque où « les villes ne s’étaient pas encore transformées en kaiju, se menaçant mutuellement à coups de bidonvilles fumants et grouillants. » La soif d’amour d’une jeune femme « s’est repliée comme un katana en train d’être forgé, jusqu’à devenir plus aiguisée que la vérité. » Une fillette timide et réservée est « immobile comme du théâtre nô. »

Ces références au Japon et à sa culture populaire vigoureuse ne doivent rien au hasard. L’auteur, qui entretient une histoire d’amour assumée avec Tokyo, se rend fréquemment au Japon. Dans un essai paru dans Newsweek peu après le tsunami de mars 2011, Junot Díaz a écrit son amour pour la capitale japonaise : « tous les atours de sa modernité… son envergure parfaitement écrasante… les châteaux, les temples, les tribus déguisées qui se réunissaient… le week-end. » Il y était de retour récemment, pour participer au Festival littéraire international de Tokyo.

Junot Díaz en conversation avec Wataya Risa, lauréate du prix Akutagawa

Junot Díaz a joué un rôle central tout au long des trois jours du festival, charmant le public grâce à son humour détendu et vif, à son intelligence incisive et polymorphe, et à son enthousiasme contagieux à l’idée d’être de retour au Japon. Il a participé à trois tables rondes animées, en compagnie d’auteurs japonais, sur des sujets variés comme l’amour, la masculinité ou les représentations culturelles du futur. En chemin, il a dialogué avec l’un de ses héros, le dessinateur de manga Urasawa Naoki, une expérience décrite comme « le point culminant d’un rêve ».

Au cours d’un débat intitulé « Le guide de l’amour pour les otaku » avec son traducteur japonais Tokô Kôji et la romancière Wataya Risa, plus jeune lauréate de l’histoire du prestigieux prix Akutagawa, Junot Díaz a rappelé au public que son intérêt pour la culture populaire japonaise n’avait rien d’exceptionnel. « Il faut garder à l’esprit le fait que pour une certaine génération d’enfants grandissant aux Etats-Unis, la culture populaire japonaise a constitué un repère, une part importante de notre imaginaire collectif. Une bonne partie de ce qu’on appelle la « soft culture » du Japon a pénétré nos rêves d’enfants. Les dessins animés américains étaient terriblement mauvais. A dix ans, quand vous regardiez Scoubidou, vous aviez envie de vous pendre. Alors, quand on voyait quelque chose comme Star Blazers (l’anime japonais Yamato), avec une vraie histoire qui sous-tend tous les épisodes, ça nous semblait extrêmement sophistiqué. Les anime et les manga, c’était comme plonger dans un rêve. »

« Je suis un inconditionnel d’Urasawa Naoki »

Cliquez pour regarder la vidéo de Junot Díaz et Urasawa Naoki en coulisse, après le débat

Junot Díaz se rappelle « son enthousiasme pour les anime et les manga, puis sa fascination devant l’histoire secrète des nations, rédigée sous une forme populaire ». Au cours de sa discussion avec Urasawa Naoki, auteur de best-sellers comme Monster20th Century Boys et Master Keaton, Díaz a souligné le fait que souvent, « les gens ne parlent pas de ce qui est le plus important ». L’un des attraits de l’œuvre d’Urasawa, à ses yeux, est sa façon de toucher au cœur de la société et de confronter les problèmes que la plupart des gens préfèrent laisser de côté. « C’est dans les formes artistiques les moins respectées traditionnellement que ces questions sont traitées. Les élites culturelles décrivent les mangas en termes simplistes. Mais un manga comme Monster étudie les plus terribles chapitres de l’après-guerre et de la guerre froide. On en apprend plus sur l’histoire du Japon contemporain avec les mangas d’Urasawa qu’en lisant quelqu’un comme Murakami. »

Sur scène, au Festival littéraire international de Tokyo. Les deux intervenants sont présentés par le modérateur, Enjoe Toh, récent lauréat du prix Akutagawa.

La première rencontre de Junot Díaz avec le Japon remonte à son enfance en République dominicaine. Beaucoup de ses voisins et amis venaient de familles qui avaient émigré du Japon juste après la guerre.

« Quelque 10 000 Japonais sont passés par le port de Saint-Domingue, en route vers diverses nations sud-américaines, après le traité de San Francisco au début des années 1950. Ces émigrés japonais, qui avaient vécu une expérience traumatisante, sont arrivés au beau milieu du règne de Trujillo. Leurs passeports ont été confisqués, ils sont quasiment devenus des esclaves. On leur avait promis des fermes. Mais au bout du compte, Trujillo leur a menti et leur propre gouvernement les a abandonnés. Les membres de cette génération étaient encore là quand j’ai grandi. Ils venaient généralement de zones rurales — souvent de Yamagata — et beaucoup d’entre eux n’avaient vu Tokyo qu’une fois, lorsqu’ils avaient traversé la capitale pour quitter le Japon. Pour nous, ils symbolisaient en quelque sorte ce que vivait le peuple dominicain. En deux ans, ils avaient vécu la même chose que nous en trente ans. Même pour un enfant comme moi, il était clair que ces gens fuyaient une sorte de calamité. Et nous le comprenions, parce que dans les Caraïbes, nous sommes les enfants d’une calamité sans fin. »

Traumatisme, mémoire et espoir dans l’avenir

En République dominicaine, comme au Japon après-guerre, une génération entière a été traumatisée par ce qu’elle a vécu. « Et quand les gens sont traumatisés, ils veulent oublier. On ne vous encourage pas à repenser au passé. "C’est fini tout ça", dit-on. "C’est du passé". Mais, même petit, je voyais bien que c’était un mensonge. Le passé continue de vivre. Alors, une partie de soi veut être témoin. Je me souviens d’avoir vu mes parents tressaillir devant une photo de Trujillo. Il me semble que c’est mon devoir de faire passer ce message à la génération suivante. Je suis attiré par les sujets que les autres évitent. Ma génération a grandi après Trujillo. Nous subissions toutes les conséquences, mais sans savoir grand-chose. Et les gens voulaient oublier. »

Dans un débat sur Tokyo avec l’écrivain japonais Furukawa Hideo et le romancier britannique David Peace, installé dans la capitale, Junot Díaz a rappelé que les mangas et anime japonais représentaient le futur à ses yeux, lorsqu’il était enfant. « Quand j’étais petit, Tokyo était l’avenir. A l’époque, aux Etats-Unis, on avait peur que le Japon nous gobe. Mais en même temps, on l’admirait : si seulement nous aussi, on pouvait faire comme ça… Il y avait tout un discours sur le Japon qui représentait l’avenir. »

De gauche à droite : Deborah Treisman (The New Yorker), David Peace, Furukawa Hideo, Junot Díaz.

Au cours de son débat avec Urasawa, Junot Díaz est revenu sur la façon dont les choses ont changé et il a souligné l’importance des versions imaginatives du futur, comme celles proposées par les mangas d’Urasawa Naoki : « On a toujours dit à ma génération de penser à l’avenir. Nos jouets étaient tous futuristes — fusées, robots, etc. Mais j’ai un petit frère qui a vingt ans de moins que moi, et pour lui l’avenir est quelque chose d’effrayant. Il a toujours peur de ne pas trouver de travail, de ne pas pouvoir s’acheter une maison. Mais réfléchir à l’avenir, c’est comme un muscle. La société nous encourage à ne pas faire travailler ce muscle, à toujours vivre dans le présent. On est facile à manipuler quand on n’a pas de point de comparaison. On ne peut pas rêver de choses meilleures. Réfléchir au futur et au passé nous permet d’affronter le pouvoir. »

Plusieurs des participants à la table ronde avec Junot Díaz ont exprimé leur inquiétude face au Japon d’aujourd’hui : l’introversion croissante du pays, les signes inquiétants d’une perte de confiance et d’ambition collective des jeunes générations. Dans l’assistance, plusieurs personnes ont demandé pourquoi les otaku japonais ne suivaient pas l’exemple d’Oscar Wao, et ne prenaient pas l’initiative de partir à la recherche de l’amour et du bonheur. Mais Díaz, qui a écrit de façon touchante sur la résilience et la force de Tokyo dans son article pour Newsweek, s’est dit optimiste : « Les moments historiques sont très brefs. On peut avoir l’impression d’être coincés pour l’instant, mais nous avons toujours le pouvoir de faire changer la société. Nous avons montré, à plusieurs reprises, qu’ensemble, nous pouvions être très surprenants. »

Lire les auteurs japonais traduits

Interviewé par nippon.com pendant le festival, Junot Díaz a exprimé son admiration pour les auteurs japonais avec lesquels il s’est trouvé sur scène durant le week-end. « Furukawa Hideo : j’apprécie vraiment ses œuvres bizarres, un peu comme de la science-fiction, que j’ai lues dans Monkey Business. J’adore ce magazine ; je l’achète depuis le tout premier numéro. Et Wataya Risa. Ses histoires sur les relations entre les gens sont flippantes ! Je me dis, purée, j’ai l’air de ça ? J’aimerais mieux comprendre comment Risa se voit parmi les autres écrivains japonais, en fait, parce que la brutalité qui ressort de ce que j’ai lu d’elle trouve clairement un écho chez des auteurs comme Ogawa Yôko, Kirino Natsuo ou Kawakami Mieko. J’adore Ogawa Yôko — Hôtel Iris et sa nouvelle collection, Revenge : La Formule préférée du professeur est brillant. Quatre livres de Kirino Natsuo ont été traduits. Je les ai tous lus, et ils sont excellents.

« Il y a toujours des difficultés quand on passe par la traduction, mais ce n’est pas cher payé par rapport à la possibilité de communiquer avec un artiste et une communauté avec lesquels le contact serait impossible autrement. Je viens d’un pays où les traductions sont très peu nombreuses, alors je suis reconnaissant à tous ceux qui s’engagent dans le dialogue entre les langues.

« Mon expérience en tant qu’écrivain américain-dominicain traduit en japonais est fondamentalement la même que celle des autres écrivains. Nous vendons quelques milliers d’exemplaires, tout au plus. Alors, quand ne serait-ce qu’un seul Japonais m’envoie un mot gentil, c’est vraiment beaucoup. On a vraiment l’impression d’avoir bien fait son travail ! »

Après ses interventions exaltantes ce week-end aux côtés de certains des jeunes auteurs nippons les plus en vue, Junot Díaz va sûrement recevoir de plus en plus de courriers de ses lecteurs japonais.

(D’après un article en anglais de Paul Warham. Photographies : Kawamoto Seiya et Kodera Kei. Vidéo : Tanaka Masayuki. Remerciements à la Nippon Foundation.)


NIPPON





mercredi 17 avril 2013

Les sculptures hyperréalistes de Ron Mueck s'installent à Paris





1|20Avis aux retardataires et aux têtes en l'air, les impressionnantes sculptures de Ron Mueck sont de retour en France. ELODIE DROUARD / FRANCETV INFO


Les sculptures hyperréalistes de Ron Mueck s'installent à Paris

C'est une nouvelle fois la Fondation Cartier qui invite le sculpteur australien à exposer au public ses corps en silicone troublants de vérité...

Elodie DrouardFrance Télévisions
Mis à jour le 17/04/2013 | 11:09
publié le 15/04/2013 | 18:28


2|20Treize ans après une exposition remarquée, la Fondation Cartier (Paris 14e) invite à nouveau l'artiste australien à peupler son bâtiment de verre. ELODIE DROUARD / FRANCETV INFO

3|20La plus imposante sculpture, "Couple under an umbrella", est visible depuis la rue. Elle montre un couple de personnes âgées dont la posture et la texture sont d'une rare justesse, jusqu'au bout des ongles. ELODIE DROUARD / FRANCETV INFO

4|20Rappelons qu'en 2005, cette exposition atypique, où seules cinq pièces étaient installées, avait conquis le public. ELODIE DROUARD / FRANCETV INFO

5|20Elle reste à ce jour le plus gros succès de la Fondation Cartier. ELODIE DROUARD / FRANCETV INFO

6|20Jusqu'au 29 septembre 2013, ce sont neuf sculptures que le visiteur pourra venir examiner. ELODIE DROUARD / FRANCETV INFO

7|20Parmi elles, trois ont été réalisées spécialement pour l'occasion. ELODIE DROUARD / FRANCETV INFO

8|20Toutes représentent des êtres humains, à l'exception de "Still Life" (2009), conçue en résonance avec la dernière épidémie de grippe aviaire. ELODIE DROUARD / FRANCETV INFO

9|20Et pour ne pas frustrer le visiteur qui pourrait être surpris par cette exposition a minima, un film inédit de 52 minutes retraçant le processus créatif de Ron Mueck est également projeté. ELODIE DROUARD / FRANCETV INFO

10|20Car Ron Mueck n'est pas un sculpteur comme les autres. ELODIE DROUARD / FRANCETV INFO

11|20Il crée des figures humaines réalistes à l'excès, en jouant sur de surprenants changements d'échelle. ELODIE DROUARD / FRANCETV INFO

12|20Dans "Woman with shopping" (2013), Mueck imagine une mère dont les bras chargés de sacs à provisions l'empêchent de tenir son enfant. C'est cette contrainte particulière qui induit une situation de malaise chez le visiteur. ELODIE DROUARD / FRANCETV INFO

13|20Et la consternation se poursuit devant chaque œuvre. Le visiteur reste stupéfait devant ces êtres que l'on aimerait toucher tant ils semblent sortis de notre monde imparfait. ELODIE DROUARD / FRANCETV INFO

14|20L'attitude des personnages est bluffante et rappelle d'autres sculpteurs hyperréalistes, comme Duane Hanson. ELODIE DROUARD / FRANCETV INFO

15|20Dans "Youth" (2009), un jeune homme blessé semble découvrir le sang qui coule de sa plaie, comme saint Thomas découvrait la blessure du Christ dans un tableau du Caravage. ELODIE DROUARD / FRANCETV INFO

16|20Conçues en silicone et en résine de polyester, ces sculptures interpellent par la précision des détails et la justesse de leurs attitudes. ELODIE DROUARD / FRANCETV INFO

17|20Dans "Young Couple" par exemple, le visiteur tourne autour de ce jeune couple que l'on imagine sans histoire avant de découvrir la façon dont ils se tiennent la main. ELODIE DROUARD / FRANCETV INFO

18|20Chaque œuvre est ainsi le point de départ d'un questionnement sur soi et sur les autres. ELODIE DROUARD / FRANCETV INFO

19|20Exposition "Ron Mueck" à la Fondation Cartier pour l'art contemporain, à Paris (14e), jusqu'au 29 septembre 2013. ELODIE DROUARD / FRANCETV INFO

20|20Ouvert tous les jours sauf le lundi, de 11 heures à 20 heures. Entrée : 9,50 euros. ELODIE DROUARD / FRANCETV INFO




samedi 2 mars 2013

Paul Auster et Siri Hustvedt / L'amour des lettres


Siri Hustvedt et Paul Auster
Foto de Sebestien Micke

PAUL  AUSTER 

& SIRI HUSTVEDT

L'AMOUR DES LETTRES

Le 02 mars 2013 | Mise à jour le 02 mars 2013
Paris Match. La légende veut que le jour de votre rencontre, le 23 février 1981, vous soyez tombés amoureux en soixante secondes. Est-ce vrai ?
Siri Hustvedt. C’est effectivement ce que j’ai dit plusieurs fois, mais j’ai ajouté : “Lui, il lui a fallu plusieurs heures !”
Paul Auster. Il y a toujours deux points de vue dans une histoire ! Siri m’a vu avant que je ne la remarque ! Il a fallu quelques minutes de plus pour qu’un ami commun fasse les présentations officielles.
S.H. Je sentais que je devais marcher sur des œufs pour arriver jusqu’à toi !
Dans quel état étaient vos vies ­personnelles avant cette soirée ?
P.A. J’étais séparé depuis plus de deux ans de ma première épouse, j’avais connu pas mal d’aventures avec différentes femmes. A ce moment-là, j’avais quelqu’un dans ma vie, mais ce n’était pas la grande passion amoureuse. Je ne pensais pas me marier une nouvelle fois, je croyais avoir raté ma seule chance dans ce domaine…
S.H. Moi, je venais de me séparer et j’étais aux aguets ! Notre ami commun m’a présenté Paul comme “poète” et cela m’a tout de suite plu. A l’époque, je lisais beaucoup de poèmes, j’en avais moi-même publié quelques-uns dans des magazines. Nous sommes montés dans un taxi tous les trois, et Paul s’est mis à parler de George Oppen, le poète objectiviste. J’avais très envie de prolonger la conversation...
P.A. Après la lecture à laquelle nous assistions, il y a eu une fête, downtown, c’est là que tout a commencé. Plus tard nous sommes allés dans un bar pour continuer la discussion…
Siri Hustvedt, Sophie Auster et Paul Auster

«Notre relation était une vraie surprise»

Saviez-vous que vous vous engagiez pour toute votre existence ?
S.H. Non, personne ne peut jamais être certain de ce genre de choses.
P.A. Il nous a fallu quelques mois avant de décider que cela serait une affaire à long terme.
S.H. Et aussi pour appréhender les sentiments et le désir de l’autre… Tout comme Paul, je ne songeais absolument pas à me marier. Je tenais à mon autonomie et à ma liberté, j’étais très bien toute seule. Cette relation était une vraie surprise. Et, subitement, quand nous avons décidé d’emménager ensemble, je lui ai dit : “J’ai réfléchi, je ne vais pas vivre avec toi tant que tu ne m’épouses pas.”
P.A. Et j’ai dit OK. C’était si romantique…
Paul, plus de trente ans après, vous écrivez à propos de Siri : “C’est l’une des étoiles qui brillent dans la vaste constellation d’un amour qui dure.”
S.H. C’est très gentil de ta part ! Quand j’ai lu cette phrase, je me suis sentie sanctifiée, mais je sais que ses sentiments vont dans ce sens, donc cela n’en était que plus émouvant. Nous avons une relation complexe, agrémentée parfois de disputes… Certains hommes espèrent trouver une épouse, je ne suis pas ce genre-là. Je cherche avant tout un alter ego intellectuel, et je peux vous dire qu’il n’y en a pas beaucoup… Je ne voulais pas quelqu’un qui s’occupe de moi et je ne me voyais pas au service d’un homme.
P.A. Tout comme moi…
S.H. Il faut aussi savoir et accepter que l’autre change. Je ne suis pas la même qu’il y a trente ans, tout comme Paul n’est plus le garçon que j’ai rencontré en 1981. Si nous sommes toujours ensemble, c’est que nous avons su faire des efforts pour évoluer, tout en laissant de la place à l’autre. Si vous n’acceptez pas cette évolution, votre histoire d’amour ne peut pas marcher.
P.A. Vous voyez comme elle est dure ? Mais elle a totalement raison. Je n’ai jamais voulu une charmante petite femme qui range mes chaussettes. Je voulais une camarade, spirituelle, intellectuelle et artistique. Sans vouloir être arrogant, Siri a toujours intimidé les hommes par sa grande taille, par sa grande beauté et par sa grande intelligence. Mais allez savoir pourquoi, moi, elle ne m’a jamais impressionné !
Paul Auster et Sophie Auster
Etiez-vous sûr de vouloir devenir écrivains ?
S.H. et P.A. Oh oui !
S.H. Quand nous nous sommes rencontrés, Paul n’était absolument pas connu. Il n’avait presque rien publié et travaillait sur ses romans…
P.A. J’ai longtemps été un écrivain obscur. J’ai ­commencé à vivre de l’écriture à la quarantaine. Nous étions déjà ensemble depuis six ans quand le succès est arrivé.
Vous entraidez-vous dans vos ouvrages respectifs ?
S.H. Nous lisons les manuscrits de l’autre avec ­beaucoup d’attention et nous les commentons. Nous fonctionnons ainsi depuis toujours. Paul est mon premier lecteur et je suis sa première lectrice. Ces derniers temps, les commentaires sont assez restreints, je note une répétition, j’évoque un point que je ne comprends pas dans le récit… Il nous est arrivé d’avoir aussi des remarques très importantes ; une fin dans l’un des romans de Paul ne me plaisait pas.
P.A. Je ne vous dirai pas laquelle…
S.H. Et il l’a retravaillée trois fois !
P.A. Je n’ai jamais été en désaccord avec Siri. Car moi aussi j’ai été amené à lui dire que son texte n’était pas bon. Ce fut une conversation difficile, mais je savais qu’elle était capable de mieux. Après le lui avoir dit, je ne l’ai pas revue pendant huit mois car elle a tout repris depuis le début.
Siri, qu’avez-vous ressenti à la lecture de “Chronique d’hiver” ?
S.H. J’ai trouvé ce texte très beau. “L’invention de la solitude” est un livre qui me tient particulièrement à cœur et “Chronique d’hiver” est dans la continuité, mais écrit par un homme bien plus mature. Le projet artistique en soi, les éléments autobiographiques, la forme du journal me plaisent, mais comme j’ai vécu toutes ces années auprès de lui, je n’ai rien appris, et même j’en sais beaucoup plus !
Paul, le récit autobiographique est-il plus dur qu’un roman ?
P.A. C’est le même effort, votre cerveau est juste dans un endroit légèrement différent. Et je n’ai écrit que sur ce dont je me souviens. J’ai pu cruellement constater qu’il y a beaucoup de choses dans ma vie que j’ai oubliées.
S.H. Cela m’arrive de plus en plus de croiser des gens qui se souviennent de moi et de ne pas savoir à qui j’ai affaire. C’est devenu un sujet intéressant pour mon travail scientifique…
Il est aussi facile de voir des éléments personnels dans vos textes.
S.H. Dans mon premier roman, il y avait des allusions très claires à Paul. Mais les gens en ont fait une telle ­montagne que, depuis, je fais très attention à ne plus l’inviter dans mes récits.
P.A. J’ai parlé de Siri deux fois, dans “La cité de verre”, où elle est l’un des personnages, et dans “Léviathan”, où elle apparaît sous le nom d’Iris, prénom utilisé dans le premier roman de Siri.
S.H. Cela a créé ensuite de nombreuses confusions, Paul a souvent dit qu’il ne fallait pas voir nos vies dans nos romans, mais les gens préfèrent continuer à chercher...

«Notre intimité, notre dialogue permanent nous ont construits»

Pouvez-vous avoir de l’influence l’un sur l’autre ?
S.H. Les vraies influences se font de manière inconsciente. Notre intimité, notre dialogue permanent nous ont construits.
P.A. Siri m’a rendu beaucoup moins cynique. [Siri rit.] Oui, c’est vrai ! Et moins pessimiste. Sans elle, j’aurais écrit des textes si dépressifs que personne n’aurait eu envie de les lire !
La mort sous-tend “Chronique d’hiver”. Vous semblez en avoir peur…
P.A. Mes parents sont décédés assez jeunes, mon père avait 66 ans, mon âge aujourd’hui, ma mère, 77 ans... Je n’ai pas peur, mais je suis dans l’état de celui qui
regarde la dernière partie de sa vie. Je sais que la fin se rapproche.
S.H. Je travaille aussi intensément parce que je sens une autre forme d’urgence. Les années passent, même si je n’ai que 58 ans, et je sens aussi qu’il me reste moins à vivre que ce que j’ai déjà vécu. La mort devient de plus en plus présente dans notre vie, même si nous sommes toujours alertes, et qu’aucun de nous deux n’est malade.
P.A. Nous avons eu une conversation passionnante il y a deux ans à ce sujet avec l’une de nos amies. Elle a plus de 80 ans, elle régresse physiquement, et elle nous faisait part de sa peur de la mort. Pas de l’acte de mourir en soi, mais le fait qu’elle n’avait pas envie de ne plus vivre. Elle sait que le temps est compté. Je n’avais jamais entendu quelqu’un parler aussi clairement de la crainte de mourir. Puis elle a conclu la soirée sur une note d’humour : “Si vous vous réveillez après 60 ans et que rien ne vous fait mal le matin, c’est que vous êtes mort.”
S.H. Allez Paul, ne sois pas si dramatique…
P.A. [Il rit !]
« Chronique d’hiver », de Paul Auster, éd. Actes Sud, 252 pages, 22,50 euros, sortie le 6 mars.
« Vivre, penser, regarder », de Siri Hustvedt, éd. Actes Sud, 507 pages, 24,80 euros.