dimanche 7 juillet 2013
Scarlett Johansson attaque l'éditeur de Grégoire Delacourt
vendredi 26 avril 2013
Ron Mueck à Paris
Mask II, 2001 Matériaux divers Anthony d’Offay, Londres Ron Mueck |
Ron Mueck à Paris
16 Avril - 27 Octobre 2013 à la Fondation Cartier, Paris.
Atelier de Ron Mueck, janvier 2013 © Ron Mueck Photo © Gautier Deblonde |
Couple under an umbrella. Montage de l’exposition © Thomas Salva _ Lumento pour la Fondation Cartier pour l’art contemporain, 2013 |
Couple under an umbrella (détail). |
Woman with Sticks, 2009 Matériaux divers Courtesy Hauser & Wirth Ron Mueck Photo Courtesy Hauser & Wirth, Londres. |
Ron Mueck à Paris
Pascal Pistacio / Une poétique de la fragilité.
Amélie Pironneau / Franziska Jyrch
Lucia Kempkes / Mindscape Universe
Vincent Corpet / Fuck Maîtres
Thomas Lélu / Formes diverses
Shahla Dadsetan / Une expression silencieuse
mercredi 24 avril 2013
Les confessions de John Le Carré
Le romancier britannique pour la première de l'adaptation de Tinker, Tailor, Soldier, Spy à Londres. MAX NASH/AFP
Les confessions de John Le Carré
Dans le New York Times Magazine, l'auteur deL'espion qui venait du froid, 81 ans, revient sur sa carrière et sa biographie.
À quatre-vingt-un ans, John Le Carré a toujours bon pied bon œil. Il a confié sa recette pour rester en forme à un journaliste du New York Times Magazine qu'il a reçu dans sa maison de Cornouailles: «J'écris, je marche, je nage et je bois.» Et reste aux aguets. Si sa querelle de 1997 avec Salman Rushdie semble apaisée, il est toujours en colère contre George Bush. Pour ne pas oublier, il a placé une poupée à l'effigie de ce président dans ses toilettes… Côté cinéma, tout va bien: l'adaptation de Tinker, Tailor, Soldier, Spy ( La Taupe ) a entraîné la vente d'un million d'exemplaires du roman, paru en 1974, et trois nouvelles adaptations sont en chantier.
JOHN LE CARRÉ
“Ecrire, c’est comme se trouver dans une maison vide et guetter l’apparition de fantômes”
BIOGRAPHIE DE JOHN LE CARRÉ
Après avoir terminé premier de sa promotion en lettres modernes à l'Université Lincoln (Oxford), David John Moore Cornwell se tourne vers l'enseignement. Mais en 1959, il entre au service de sa majesté tout d'abord comme secrétaire à l'ambassade anglaise de Bonn puis comme consul à Hambourg. Ce n'est qu'en 1961 qu'il commence à écrire des romans d'espionnage, décrivant avec réalisme et humour le monde des agents secrets et prenant pour nom de plume John Le Carré. Six de ses livres ont été adaptés en films comme 'Le Tailleur de Panama'. Son troisième roman 'L'Espion qui venait du froid' lui confère une renommée internationale. Après ce dernier, écrit en 1963, suivent de nombreuses autres histoires de forces spéciales comme 'Un traitre à notre goût' en 2011 et 'Une vérité si délicate' en 2013.
LE FIGARO
mardi 23 avril 2013
Junot Díaz / Écrire le passé, façonner l’avenir
Junot Díaz : écrire le passé, façonner l’avenir
Junot Díaz, l’un des auteurs anglophones les plus captivants d’aujourd’hui, tire depuis longtemps son inspiration de la culture populaire japonaise. Venu à Tokyo dans le cadre du premier grand festival littéraire international du Japon, il nous parle de son attachement à l’Archipel et de l’influence des romans et des manga japonais sur son écriture.
23/04/2013
Amoureux de Tokyo
La Brève et merveilleuse vie d’Oscar Wao, une saga sur trois générations qui a valu à Junot Díaz un prix Pulitzer, passe des villages et champs de canne à sucre de la République dominicaine aux rues du New Jersey peuplées d’immigrés. Ce roman relate l’histoire contemporaine de la République dominicaine et de sa diaspora, mêlant histoire, fable et roman initiatique dans un assemblage grisant de styles et de registres. Autour de l’histoire d’un jeune « geek des ghettos » obsédé par les jeux de rôle, Le Seigneur des anneaux et les manga japonais, ce texte donne la parole à une voix polyglotte fascinante, qui mélange généreusement l’anglais, l’espagnol et une dose non négligeable de japonais.
L’un des personnages est doté de « grands yeux façon manga ». Un flashback nous montre la campagne dominicaine à l’époque où « les villes ne s’étaient pas encore transformées en kaiju, se menaçant mutuellement à coups de bidonvilles fumants et grouillants. » La soif d’amour d’une jeune femme « s’est repliée comme un katana en train d’être forgé, jusqu’à devenir plus aiguisée que la vérité. » Une fillette timide et réservée est « immobile comme du théâtre nô. »
Ces références au Japon et à sa culture populaire vigoureuse ne doivent rien au hasard. L’auteur, qui entretient une histoire d’amour assumée avec Tokyo, se rend fréquemment au Japon. Dans un essai paru dans Newsweek peu après le tsunami de mars 2011, Junot Díaz a écrit son amour pour la capitale japonaise : « tous les atours de sa modernité… son envergure parfaitement écrasante… les châteaux, les temples, les tribus déguisées qui se réunissaient… le week-end. » Il y était de retour récemment, pour participer au Festival littéraire international de Tokyo.
Junot Díaz a joué un rôle central tout au long des trois jours du festival, charmant le public grâce à son humour détendu et vif, à son intelligence incisive et polymorphe, et à son enthousiasme contagieux à l’idée d’être de retour au Japon. Il a participé à trois tables rondes animées, en compagnie d’auteurs japonais, sur des sujets variés comme l’amour, la masculinité ou les représentations culturelles du futur. En chemin, il a dialogué avec l’un de ses héros, le dessinateur de manga Urasawa Naoki, une expérience décrite comme « le point culminant d’un rêve ».
Au cours d’un débat intitulé « Le guide de l’amour pour les otaku » avec son traducteur japonais Tokô Kôji et la romancière Wataya Risa, plus jeune lauréate de l’histoire du prestigieux prix Akutagawa, Junot Díaz a rappelé au public que son intérêt pour la culture populaire japonaise n’avait rien d’exceptionnel. « Il faut garder à l’esprit le fait que pour une certaine génération d’enfants grandissant aux Etats-Unis, la culture populaire japonaise a constitué un repère, une part importante de notre imaginaire collectif. Une bonne partie de ce qu’on appelle la « soft culture » du Japon a pénétré nos rêves d’enfants. Les dessins animés américains étaient terriblement mauvais. A dix ans, quand vous regardiez Scoubidou, vous aviez envie de vous pendre. Alors, quand on voyait quelque chose comme Star Blazers (l’anime japonais Yamato), avec une vraie histoire qui sous-tend tous les épisodes, ça nous semblait extrêmement sophistiqué. Les anime et les manga, c’était comme plonger dans un rêve. »
« Je suis un inconditionnel d’Urasawa Naoki »
Cliquez pour regarder la vidéo de Junot Díaz et Urasawa Naoki en coulisse, après le débat
Junot Díaz se rappelle « son enthousiasme pour les anime et les manga, puis sa fascination devant l’histoire secrète des nations, rédigée sous une forme populaire ». Au cours de sa discussion avec Urasawa Naoki, auteur de best-sellers comme Monster, 20th Century Boys et Master Keaton, Díaz a souligné le fait que souvent, « les gens ne parlent pas de ce qui est le plus important ». L’un des attraits de l’œuvre d’Urasawa, à ses yeux, est sa façon de toucher au cœur de la société et de confronter les problèmes que la plupart des gens préfèrent laisser de côté. « C’est dans les formes artistiques les moins respectées traditionnellement que ces questions sont traitées. Les élites culturelles décrivent les mangas en termes simplistes. Mais un manga comme Monster étudie les plus terribles chapitres de l’après-guerre et de la guerre froide. On en apprend plus sur l’histoire du Japon contemporain avec les mangas d’Urasawa qu’en lisant quelqu’un comme Murakami. »
La première rencontre de Junot Díaz avec le Japon remonte à son enfance en République dominicaine. Beaucoup de ses voisins et amis venaient de familles qui avaient émigré du Japon juste après la guerre.
« Quelque 10 000 Japonais sont passés par le port de Saint-Domingue, en route vers diverses nations sud-américaines, après le traité de San Francisco au début des années 1950. Ces émigrés japonais, qui avaient vécu une expérience traumatisante, sont arrivés au beau milieu du règne de Trujillo. Leurs passeports ont été confisqués, ils sont quasiment devenus des esclaves. On leur avait promis des fermes. Mais au bout du compte, Trujillo leur a menti et leur propre gouvernement les a abandonnés. Les membres de cette génération étaient encore là quand j’ai grandi. Ils venaient généralement de zones rurales — souvent de Yamagata — et beaucoup d’entre eux n’avaient vu Tokyo qu’une fois, lorsqu’ils avaient traversé la capitale pour quitter le Japon. Pour nous, ils symbolisaient en quelque sorte ce que vivait le peuple dominicain. En deux ans, ils avaient vécu la même chose que nous en trente ans. Même pour un enfant comme moi, il était clair que ces gens fuyaient une sorte de calamité. Et nous le comprenions, parce que dans les Caraïbes, nous sommes les enfants d’une calamité sans fin. »
Traumatisme, mémoire et espoir dans l’avenir
En République dominicaine, comme au Japon après-guerre, une génération entière a été traumatisée par ce qu’elle a vécu. « Et quand les gens sont traumatisés, ils veulent oublier. On ne vous encourage pas à repenser au passé. "C’est fini tout ça", dit-on. "C’est du passé". Mais, même petit, je voyais bien que c’était un mensonge. Le passé continue de vivre. Alors, une partie de soi veut être témoin. Je me souviens d’avoir vu mes parents tressaillir devant une photo de Trujillo. Il me semble que c’est mon devoir de faire passer ce message à la génération suivante. Je suis attiré par les sujets que les autres évitent. Ma génération a grandi après Trujillo. Nous subissions toutes les conséquences, mais sans savoir grand-chose. Et les gens voulaient oublier. »
Dans un débat sur Tokyo avec l’écrivain japonais Furukawa Hideo et le romancier britannique David Peace, installé dans la capitale, Junot Díaz a rappelé que les mangas et anime japonais représentaient le futur à ses yeux, lorsqu’il était enfant. « Quand j’étais petit, Tokyo était l’avenir. A l’époque, aux Etats-Unis, on avait peur que le Japon nous gobe. Mais en même temps, on l’admirait : si seulement nous aussi, on pouvait faire comme ça… Il y avait tout un discours sur le Japon qui représentait l’avenir. »
Au cours de son débat avec Urasawa, Junot Díaz est revenu sur la façon dont les choses ont changé et il a souligné l’importance des versions imaginatives du futur, comme celles proposées par les mangas d’Urasawa Naoki : « On a toujours dit à ma génération de penser à l’avenir. Nos jouets étaient tous futuristes — fusées, robots, etc. Mais j’ai un petit frère qui a vingt ans de moins que moi, et pour lui l’avenir est quelque chose d’effrayant. Il a toujours peur de ne pas trouver de travail, de ne pas pouvoir s’acheter une maison. Mais réfléchir à l’avenir, c’est comme un muscle. La société nous encourage à ne pas faire travailler ce muscle, à toujours vivre dans le présent. On est facile à manipuler quand on n’a pas de point de comparaison. On ne peut pas rêver de choses meilleures. Réfléchir au futur et au passé nous permet d’affronter le pouvoir. »
Plusieurs des participants à la table ronde avec Junot Díaz ont exprimé leur inquiétude face au Japon d’aujourd’hui : l’introversion croissante du pays, les signes inquiétants d’une perte de confiance et d’ambition collective des jeunes générations. Dans l’assistance, plusieurs personnes ont demandé pourquoi les otaku japonais ne suivaient pas l’exemple d’Oscar Wao, et ne prenaient pas l’initiative de partir à la recherche de l’amour et du bonheur. Mais Díaz, qui a écrit de façon touchante sur la résilience et la force de Tokyo dans son article pour Newsweek, s’est dit optimiste : « Les moments historiques sont très brefs. On peut avoir l’impression d’être coincés pour l’instant, mais nous avons toujours le pouvoir de faire changer la société. Nous avons montré, à plusieurs reprises, qu’ensemble, nous pouvions être très surprenants. »
Lire les auteurs japonais traduits
Interviewé par nippon.com pendant le festival, Junot Díaz a exprimé son admiration pour les auteurs japonais avec lesquels il s’est trouvé sur scène durant le week-end. « Furukawa Hideo : j’apprécie vraiment ses œuvres bizarres, un peu comme de la science-fiction, que j’ai lues dans Monkey Business. J’adore ce magazine ; je l’achète depuis le tout premier numéro. Et Wataya Risa. Ses histoires sur les relations entre les gens sont flippantes ! Je me dis, purée, j’ai l’air de ça ? J’aimerais mieux comprendre comment Risa se voit parmi les autres écrivains japonais, en fait, parce que la brutalité qui ressort de ce que j’ai lu d’elle trouve clairement un écho chez des auteurs comme Ogawa Yôko, Kirino Natsuo ou Kawakami Mieko. J’adore Ogawa Yôko — Hôtel Iris et sa nouvelle collection, Revenge : La Formule préférée du professeur est brillant. Quatre livres de Kirino Natsuo ont été traduits. Je les ai tous lus, et ils sont excellents.
« Il y a toujours des difficultés quand on passe par la traduction, mais ce n’est pas cher payé par rapport à la possibilité de communiquer avec un artiste et une communauté avec lesquels le contact serait impossible autrement. Je viens d’un pays où les traductions sont très peu nombreuses, alors je suis reconnaissant à tous ceux qui s’engagent dans le dialogue entre les langues.
« Mon expérience en tant qu’écrivain américain-dominicain traduit en japonais est fondamentalement la même que celle des autres écrivains. Nous vendons quelques milliers d’exemplaires, tout au plus. Alors, quand ne serait-ce qu’un seul Japonais m’envoie un mot gentil, c’est vraiment beaucoup. On a vraiment l’impression d’avoir bien fait son travail ! »
Après ses interventions exaltantes ce week-end aux côtés de certains des jeunes auteurs nippons les plus en vue, Junot Díaz va sûrement recevoir de plus en plus de courriers de ses lecteurs japonais.
(D’après un article en anglais de Paul Warham. Photographies : Kawamoto Seiya et Kodera Kei. Vidéo : Tanaka Masayuki. Remerciements à la Nippon Foundation.)
mercredi 17 avril 2013
Les sculptures hyperréalistes de Ron Mueck s'installent à Paris
Les sculptures hyperréalistes de Ron Mueck s'installent à Paris
C'est une nouvelle fois la Fondation Cartier qui invite le sculpteur australien à exposer au public ses corps en silicone troublants de vérité...
Mis à jour le 17/04/2013 | 11:09
publié le 15/04/2013 | 18:28
samedi 2 mars 2013
Paul Auster et Siri Hustvedt / L'amour des lettres
Siri Hustvedt et Paul Auster Foto de Sebestien Micke |
PAUL AUSTER
& SIRI HUSTVEDT
L'AMOUR DES LETTRES
UN ENTRETIEN AVEC BENJAMIN LOCOGE
Siri Hustvedt. C’est effectivement ce que j’ai dit plusieurs fois, mais j’ai ajouté : “Lui, il lui a fallu plusieurs heures !”
Paul Auster. Il y a toujours deux points de vue dans une histoire ! Siri m’a vu avant que je ne la remarque ! Il a fallu quelques minutes de plus pour qu’un ami commun fasse les présentations officielles.
S.H. Je sentais que je devais marcher sur des œufs pour arriver jusqu’à toi !
P.A. J’étais séparé depuis plus de deux ans de ma première épouse, j’avais connu pas mal d’aventures avec différentes femmes. A ce moment-là, j’avais quelqu’un dans ma vie, mais ce n’était pas la grande passion amoureuse. Je ne pensais pas me marier une nouvelle fois, je croyais avoir raté ma seule chance dans ce domaine…
S.H. Moi, je venais de me séparer et j’étais aux aguets ! Notre ami commun m’a présenté Paul comme “poète” et cela m’a tout de suite plu. A l’époque, je lisais beaucoup de poèmes, j’en avais moi-même publié quelques-uns dans des magazines. Nous sommes montés dans un taxi tous les trois, et Paul s’est mis à parler de George Oppen, le poète objectiviste. J’avais très envie de prolonger la conversation...
P.A. Après la lecture à laquelle nous assistions, il y a eu une fête, downtown, c’est là que tout a commencé. Plus tard nous sommes allés dans un bar pour continuer la discussion…
Siri Hustvedt, Sophie Auster et Paul Auster |
«Notre relation était une vraie surprise»
S.H. Non, personne ne peut jamais être certain de ce genre de choses.
P.A. Il nous a fallu quelques mois avant de décider que cela serait une affaire à long terme.
S.H. Et aussi pour appréhender les sentiments et le désir de l’autre… Tout comme Paul, je ne songeais absolument pas à me marier. Je tenais à mon autonomie et à ma liberté, j’étais très bien toute seule. Cette relation était une vraie surprise. Et, subitement, quand nous avons décidé d’emménager ensemble, je lui ai dit : “J’ai réfléchi, je ne vais pas vivre avec toi tant que tu ne m’épouses pas.”
P.A. Et j’ai dit OK. C’était si romantique…
S.H. C’est très gentil de ta part ! Quand j’ai lu cette phrase, je me suis sentie sanctifiée, mais je sais que ses sentiments vont dans ce sens, donc cela n’en était que plus émouvant. Nous avons une relation complexe, agrémentée parfois de disputes… Certains hommes espèrent trouver une épouse, je ne suis pas ce genre-là. Je cherche avant tout un alter ego intellectuel, et je peux vous dire qu’il n’y en a pas beaucoup… Je ne voulais pas quelqu’un qui s’occupe de moi et je ne me voyais pas au service d’un homme.
P.A. Tout comme moi…
S.H. Il faut aussi savoir et accepter que l’autre change. Je ne suis pas la même qu’il y a trente ans, tout comme Paul n’est plus le garçon que j’ai rencontré en 1981. Si nous sommes toujours ensemble, c’est que nous avons su faire des efforts pour évoluer, tout en laissant de la place à l’autre. Si vous n’acceptez pas cette évolution, votre histoire d’amour ne peut pas marcher.
P.A. Vous voyez comme elle est dure ? Mais elle a totalement raison. Je n’ai jamais voulu une charmante petite femme qui range mes chaussettes. Je voulais une camarade, spirituelle, intellectuelle et artistique. Sans vouloir être arrogant, Siri a toujours intimidé les hommes par sa grande taille, par sa grande beauté et par sa grande intelligence. Mais allez savoir pourquoi, moi, elle ne m’a jamais impressionné !
Paul Auster et Sophie Auster |
S.H. et P.A. Oh oui !
S.H. Quand nous nous sommes rencontrés, Paul n’était absolument pas connu. Il n’avait presque rien publié et travaillait sur ses romans…
P.A. J’ai longtemps été un écrivain obscur. J’ai commencé à vivre de l’écriture à la quarantaine. Nous étions déjà ensemble depuis six ans quand le succès est arrivé.
S.H. Nous lisons les manuscrits de l’autre avec beaucoup d’attention et nous les commentons. Nous fonctionnons ainsi depuis toujours. Paul est mon premier lecteur et je suis sa première lectrice. Ces derniers temps, les commentaires sont assez restreints, je note une répétition, j’évoque un point que je ne comprends pas dans le récit… Il nous est arrivé d’avoir aussi des remarques très importantes ; une fin dans l’un des romans de Paul ne me plaisait pas.
P.A. Je ne vous dirai pas laquelle…
S.H. Et il l’a retravaillée trois fois !
P.A. Je n’ai jamais été en désaccord avec Siri. Car moi aussi j’ai été amené à lui dire que son texte n’était pas bon. Ce fut une conversation difficile, mais je savais qu’elle était capable de mieux. Après le lui avoir dit, je ne l’ai pas revue pendant huit mois car elle a tout repris depuis le début.
S.H. J’ai trouvé ce texte très beau. “L’invention de la solitude” est un livre qui me tient particulièrement à cœur et “Chronique d’hiver” est dans la continuité, mais écrit par un homme bien plus mature. Le projet artistique en soi, les éléments autobiographiques, la forme du journal me plaisent, mais comme j’ai vécu toutes ces années auprès de lui, je n’ai rien appris, et même j’en sais beaucoup plus !
P.A. C’est le même effort, votre cerveau est juste dans un endroit légèrement différent. Et je n’ai écrit que sur ce dont je me souviens. J’ai pu cruellement constater qu’il y a beaucoup de choses dans ma vie que j’ai oubliées.
S.H. Cela m’arrive de plus en plus de croiser des gens qui se souviennent de moi et de ne pas savoir à qui j’ai affaire. C’est devenu un sujet intéressant pour mon travail scientifique…
S.H. Dans mon premier roman, il y avait des allusions très claires à Paul. Mais les gens en ont fait une telle montagne que, depuis, je fais très attention à ne plus l’inviter dans mes récits.
P.A. J’ai parlé de Siri deux fois, dans “La cité de verre”, où elle est l’un des personnages, et dans “Léviathan”, où elle apparaît sous le nom d’Iris, prénom utilisé dans le premier roman de Siri.
S.H. Cela a créé ensuite de nombreuses confusions, Paul a souvent dit qu’il ne fallait pas voir nos vies dans nos romans, mais les gens préfèrent continuer à chercher...
«Notre intimité, notre dialogue permanent nous ont construits»
S.H. Les vraies influences se font de manière inconsciente. Notre intimité, notre dialogue permanent nous ont construits.
P.A. Siri m’a rendu beaucoup moins cynique. [Siri rit.] Oui, c’est vrai ! Et moins pessimiste. Sans elle, j’aurais écrit des textes si dépressifs que personne n’aurait eu envie de les lire !
P.A. Mes parents sont décédés assez jeunes, mon père avait 66 ans, mon âge aujourd’hui, ma mère, 77 ans... Je n’ai pas peur, mais je suis dans l’état de celui qui
regarde la dernière partie de sa vie. Je sais que la fin se rapproche.
S.H. Je travaille aussi intensément parce que je sens une autre forme d’urgence. Les années passent, même si je n’ai que 58 ans, et je sens aussi qu’il me reste moins à vivre que ce que j’ai déjà vécu. La mort devient de plus en plus présente dans notre vie, même si nous sommes toujours alertes, et qu’aucun de nous deux n’est malade.
P.A. Nous avons eu une conversation passionnante il y a deux ans à ce sujet avec l’une de nos amies. Elle a plus de 80 ans, elle régresse physiquement, et elle nous faisait part de sa peur de la mort. Pas de l’acte de mourir en soi, mais le fait qu’elle n’avait pas envie de ne plus vivre. Elle sait que le temps est compté. Je n’avais jamais entendu quelqu’un parler aussi clairement de la crainte de mourir. Puis elle a conclu la soirée sur une note d’humour : “Si vous vous réveillez après 60 ans et que rien ne vous fait mal le matin, c’est que vous êtes mort.”
S.H. Allez Paul, ne sois pas si dramatique…
P.A. [Il rit !]