mardi 26 août 2014

Julio Cortázar / Marelle


Julio cortázar

Les cinquante ans de « Marelle », 

livre culte de l’Argentin Julio Cortazar

En 1963, il y a cinquante ans, l’écrivain argentin Julio Cortazar publiait son romanRayuela, traduit chez Gallimard dès 1966, sous le titre Marelle. S'il ne constitue pas son chef d’œuvre, c’est sans doute une de ses principales créations. Marchant sur les pas d’André Breton et sa Nadja et d’Aragon et Le Paysan de Paris, les personnages de Cortazar arpentaient les rues de Paris dans une histoire d’amour labyrinthique, doublée d'une expérience initiatique sur les rapports entre l'art et la vie.
A l’époque, certaines chapelles d'avant-garde évoquaient la mort du roman. D'autres prônaient sa "déconstruction". Julio Cortazar (1914-1984) a pris cette dernière proposition sur un mode ludique. Rayuela est donc le premier roman qui se présente comme un ouvrage interactif, dont la structure doit être agencée par le lecteur lui-même, à sa guise.
Plusieurs modes de lecture sont possibles : les 155 chapitres peuvent être parcourus dans l’ordre habituel, ou bien selon un schéma alternatif proposé par l’auteur, ou alors suivant une séquence parfaitement aléatoire, répondant aux préférences de chaque lecteur.
Pourtant, les personnages ont une épaisseur romanesque. Personne n’oublie la Magicienne (devenue la Sibylle, en français), Horacio Oliveira ou l’alter ego de l’écrivain, Morelli. Pas plus que les potes du Club du serpent, des frères de ceux que l’auteur appelait des Cronopes. L’intrigue, ou plutôt les intrigues, s’articulent d’une façon ou d’une autre, finissent bien par faire sens, quel que soit l'ordre de lecture.
Rayuela est l'un des principaux titres du boom du roman latino-américain des années 1960, un phénomène éditorial qui s’appuyait sur l’émergence d’auteurs novateurs dans plusieurs pays, mais aussi sur l’apparition d’un lectorat plus large et plus ouvert à la modernité, en Amérique latine et en Espagne.
Avec un dispositif littéraire aussi sophistiqué, sans pour autant nuire à la puissance de l'imaginaire, Rayuela a légitimé toutes les audaces de la fiction, un peu à la manière de l'Ulysse de James Joyce.
Le Brésilien João Guimarães Rosa l'avait précédé avec Grande Sertão : Veredas (1956, traduit sous le titre Diadorim chez Albin Michel), mais la barrière de la langue était rédhibitoire pour les écrivains hispano-américains jusqu'à la traduction espagnole de 1967, aux éditions Seix Barral de Barcelone, l'épicentre du "boom". Guimarães Rosa n'allait pas moins renforcer les inventions de langage et les jeux de construction qui prolifèrent après Rayuela, de Guillermo Cabrera Infante à Roberto Bolaño, en passant par Manuel Puig, Augusto Roa Bastos et tant d'autres.
Un hommage à Paris
Rayuela est aussi un hommage à Paris, lieu de résidence de Julio Cortazar depuis qu’il a préféré s’éloigner de l’atmosphère étouffante régnant en Argentine à l’époque des premières présidences du général Juan Domingo Peron (1946-1955).
Ce roman est sans doute l'un des plus beaux hommages rendus par un Argentin à la capitale française, depuis qu’Enrique Cadicamo avait composé le tango Anclao en Paris, enregistré par Carlos Gardel en 1931… Depuis, de nombreux Argentins ont jeté l’ancre à Paris, souvent pour les mêmes raisons que Cortazar, pour échapper aux cinq régimes dictatoriaux ou autoritaires qui se sont succédé depuis 1930. On les retrouve dans les arts et les lettres, le théâtre et le cinéma, l’architecture et les médias. L’un d’entre eux, Julio Le Parc, expose ses œuvres au Palais de Tokyo (jusqu’au 20 mai).
Julio Cortazar tend une passerelle virtuelle entre Paris, la ville de sa maturité littéraire, et Buenos Aires, la métropole de sa jeunesse, remémorée avec nostalgie. L'écrivain incarne assez bien la contribution du Rio de la Plata à la création en France, même s’il trouvait pesant de prétendre représenter un pays.
Inutile néanmoins de chercher une plaque de rue à son nom  - excepté une à l'un de ses domiciles et l'autre sur sa tombe au cimetière du Montparnasse. La Mairie de Paris semble ignorer combien de lecteurs de Rayuela sillonnent la ville avec en tête une carte du tendre faite des itinéraires parcourus par ses personnages. En dépit de ses audaces formelles, le roman a été vendu à des milliers d'exemplaires et traduit dans une dizaine de langues. C'est un livre culte. Hélas, le café Cluny est devenu une pizzeria ! Les Cronopes ne pourront plus se retrouver à l'étage, tandis que les Fameux papotent au rez-de-chaussée. Les déçus sont légion. Il y a bien une station de métro Argentine, mais il ne faudrait quand même pas noyer le poisson…

Pour remédier à pareille amnésie et entretenir la flamme des fidèles, l’Institut Cervantes a eu l'excellente idée de présenter une exposition sur Rayuela et le Paris de Julio Cortazar (7 rue Quentin-Bauchart, 75008 Paris, Métro George V, du 15 mai au 12 juillet, du lundi au vendredi de 10 heures à 20 heures).








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