Salammbô de Flaubert : Résumé
Résumé : Salammbô de Gustave Flaubert (1862)
Salammbô, La Tentation deSaint Antoine sont comme l’aboutissement de ce rêve d’Orient qui obséda Gustave Flaubert toute sa vie. Ils sont tout le romantisme de Flaubert et ils le caractérisent. Le romantisme de Flaubert consistait à évoquer de grands paysages ou la documentation avait une part, les souvenirs une autre et le rêve une autre encore et la principale. Il y a des paysages d’Orient antique dans sa correspondance, de très bonne heure, dès 1851 :
« J’ai passé trois fois par Éleusis. Au bord du golfe de Corinthe, j’ai songé avec mélancolie aux créatures antiques qui ont baigné dans ces flots bleus leurs corps et leurs chevelures. Le port de Phalère a la forme d’un cirque. C’est bien là qu’arrivaient les galères à proue chargées de choses merveilleuses, vases et courtisanes. La nature avait tout fait pour ces gens-là, langue, paysage, anatomies et soleils ; jusqu’à la forme des montagnes qui est comme sculptée et a des lignes architecturales plus que partout ailleurs. Avoir choisi Delphes pour y mettre la Pythie est un coup de génie. C’est un paysage à terreurs religieuses, vallée étroite entre deux montagnes presque à pic, le fond plein d’oliviers noirs, les montagnes rouges et vertes, le tout garni de précipices, avec la mer au fond et un horizon de montagnes couvertes de neige. La route de Mégare à Corinthe est incomparable : le sentier taillé à même la montagne, à peine assez large pour que votre cheval y tienne à pic sur la mer, serpente, monte, descend, grimpe et se tord aux flancs de la roche couverte de sapins et de lentisques. D’en bas vous monte aux narines l’odeur de la mer ; elle est sous vous, elle berce ses varechs et bruit à peine ; il y a sur elle, de place en place, de grandes plaques livides comme des morceaux allongés de marbre vert, et derrière le golfe s’en vont à l’infini mille découpures des montagnes oblongues à tournures nonchalantes. En passant devant les roches scirroniennes où se tenait Scirron, brigand tué par Thésée, je me suis rappelé le vers du doux Racine : “Reste impur des brigands dont j’ai purgé la terre.”
Était-ce couenne, l’antiquité de tous ces braves gens-là ! Il n’y a qu’à voir au Parthénon, pouvant, les restes de ce qu’on appelle le type du beau. S’il y a jamais eu au monde quelque chose de plus vigoureux et de plus “nature”, que je sois pendu ! Dans les tablettes de Phidias les veines des chevaux sont indiquées jusqu’au sabot et saillantes comme des cordes. Quant aux ornements étrangers, peintures, colliers en métal, pierres précieuses, etc., c’était prodigué. Ça pouvait être simple, mais en tous cas c’était riche. »
Toute l’inspiration première de Salammbô et même de la Tentation est dans cette page : goût de l’Orient et de l’Orient antique, besoin de l’évoquer et de le faire revivre, sentiment profond de la couleur, du relief et des senteurs, goût des splendeurs et du faste descriptif, goût du mystérieux et de l’horreur sacrée des religions antiques, souci du détail matériel très précis et très accusé et très exact au milieu même de l’éclat et des reluisances, mépris de ceux qui ont simplifié et adouci tout cela, au lieu de le surcharger de couleurs, de « richesses » et d’ornements. L’imagination de Flaubert à la fois comprend l’Orient antique et le refait plus somptueux, plus ruisselant de lumières, plus aveuglant, plus encombré d’un « luxe barbare », comme dit Virgile, que sans doute il n’a été. C’est l’antiquité vue par Lecomte de l’Isle, qui, après tout, peut-être la voit Bien ; mais enfin c’est tout à fait l’antiquité des Romantiques ; c’estSalammbô. Salammbô vivait dans le cerveau de Flaubert dès 1851.
Voyez encore comme il parle du romantisme comme étant son fond même et sa « nature ». Il est vrai que c’est au moment où il écrit Madame Bovary et il n’a jamais de démangeaison romantique plus vive que quand il écrit un livre réaliste ; mais enfin voyez ce qu’il en dit : « Ce qui m’est naturel à moi, c’est le non naturel pour les autres, l’extraordinaire, le fantastique, la hurlade philosophique, mythologique. Saint Antoine ne m’a pas demandé le quart de la tension d’esprit que Bovary me cause ; c’était un déversoir ; je n’ai eu que plaisir à écrire et les dix-huit mois que j’ai passés à en écrire les cinq cents pages ont été les plus profondément voluptueux de ma vie. »
Et il redouble et renchérit en ce sens : « De l’air, de l’air, les grandes tournures, les larges et pleines périodes se déroulant comme des fleuves, la multiplicité des métaphores, les grands éclats du style, tout ce que j’aime enfin !… »
Oui, le romantisme descriptif ; le romantisme non sentimental et élégiaque ; le romantisme non médiéval et néo-chrétien ; mais le romantisme de la couleur et des rythmes ; le romantisme pictural, sculptural et musical ; le romantisme qui, par ces tendances-ci, futtoujours attiré soit vers l’Orient, soit vers l’antiquité comprise à la manière d’Homère ou des Alexandrins et ayant encore ainsi quelque chose d’oriental ; le romantisme qui commence auxOrientales de Victor Hugo et qui se continue par une bonne partie de Théophile Gautier, par une partie considérable de Gérard de Nerval, par la partie essentielle de Lecomte de l’Isle ; le romantisme des « vers spacieux et marmoréens » et des périodes spacieuses et marmoréennes, c’est le romantisme de Flaubert ; et c’est de lui que sont nés Salammbô et la Tentation de Saint Antoine.
« Je suis las des choses laides et des vilains milieux. Je vais pendant quelques années peut-être vivre dans un sujet splendide et loin du monde moderne, dont j’ai plein le dos. Ce que j’entreprends est insensé et n’aura aucun succès dans public. N’importe. Il faut écrire pour soi avant tout. C’est la seule chance de faire beau. » C’est ainsi que le 11 juillet 1858, Flaubert annonçait Salammbô à un de ses amis. Il prédisait juste. Salammbô n’a pleinement satisfait que son auteur. Elle n’a point réussi auprès du grand public. C’est à propos d’elle qu’il faut répéter le mot d’une grande dame du XVIIe siècle à propos de La Pucelle : « C’est beau ; mais c’est ennuyeux. » Un ami de Sainte-Beuve lui disait sur Salammbô : « C’est plus fatigant qu’ennuyeux. » Je saisis mal la nuance. C’est très fatigant et c’est aussi ennuyeux que fatigant. Je ne crois pas qu’un seul lecteur soit de bonne foi s’il dit qu’il a lu Salammbô sans la laisser reposer plusieurs fois un assez long temps, pour se reposer lui-même. « Je veux lire en trois jours l’Iliade d’Homère », disait Ronsard. On peut lire en trois jours Salammbô, mais seulement par ferme propos et gageure, et ce ne sera pas impunément.
La faute en est d’abord à une erreur initiale sur le choix du sujet. Le roman historique, qui n’est pas un genre plus faux qu’un autre, et tous les genres littéraires sont faux, excepté l’élégie très simple et sans ornement, le roman historique n’intéresse qu’autant que l’époque où il est placé nous est assez connue déjà, et qu’autant que les événements qui s’y déroulent engagent une de nos passions et l’émeuvent très fortement.
Il faut que l’époque nous soit assez connue d’avance, parce que si elle ne l’est pas, le roman historique nous instruit trop pour nous émouvoir. Comme il nous révèle un monde ignoré, nous le prenons immédiatement pour un livre d’histoire, et, comme un livre d’histoire, nous l’interrogerons sur les pays, le climat, la topographie, les monuments, les usages, les mœurs et les costumes, et nous le lirons avec l’intérêt que nous apportons à un dictionnaire d’archéologie. C’en est un, certes, mais exclusif de « l’intérêt » proprement dit et contraire à celui-ci, et qui l’empêche de naître. L’enseignement nous divertit de l’émotion, et plus le livre nous instruit, moins il nous passionne. Quand l’émotion veut naître, nous l’écartons comme élément étranger à la curiosité qui nous occupe. Les personnages peuvent être intéressants, mais les détails inconnus complètement de nous et qu’on nous fait connaitre relèguent et repoussent les personnages. Il y a deux manières de nous intéresser ; on en a pris une, soit, mais il ne faut pas compter sur l’autre en même temps. Elles sont contraires. Le plaisir d’être instruit est fort, mais froid. Cette froideur studieuse ne s’accommodera pas de l’émotion romanesque et ne lui permettra pas de se produire. Quand nous connaissons déjà l’essentiel de ce que le roman met sous nos yeux, les détails nouveaux qu’il nous apporte nous amusent et nous occupent sans nous distraire et ils se mêlent notre émotion comme un léger surcroit d’intérêt et comme un ornement de l’ouvrage ; mais ils ne nous empêchent pas de nous livrer au roman lui-même ou au poème. C’est le cas d’Homère pour les Grecs, les Romains et nous ; c’est le cas de Virgile pour les Romains et nous ; c’est le cas des Martyrs pour nous. Ce n’est pas le cas de Salammbô, qui nous révèle un monde sur lequel nous n’avons aucune notion. Dès que nous l’avons ouvert, nous ne songeons qu’à apprendre Carthage ; et Salammbô, Matho et Narr’Havas, en tant que personnages de roman ou de drame, nous sont indifférents.
N’est-il pas vrai que les personnages qui intéressent le plus, pour lesquels, du moins, l’intérêt commence à naître dans Salammbô, sont Spendius et Hannibal enfant ? C’est que nous connaissons les Grecs, un peu, dont Spendius est ici comme le type, et que nous connaissons Hannibal et que ce qu’on nous dit de son enfance mystérieuse et déjà héroïque nous pique d’autant et nous attire. Par ces deux personnages, dont l’un n’est pas le principal et dont l’autre n’est qu’épisodique, le roman rentre dans les conditions nécessaires du roman historique. Par sa constitution générale et son caractère général il en sort.
Je dis encore que le roman historique n’intéresse qu’en tant que les événements qu’il déroule engagent et excitent une de nos passions, soit éternelles, soit contemporaines. La Pharsale, qui est un roman historique, nous intéresse parce qu’elle est la lutte de la liberté qui meurt et du césarisme qui nait. Une Cléopâtre quelconque nous intéressera, parce que la question est de savoir si Rome ou l’Orient prendra ou gardera l’empire du monde. Un Sertorius nous intéressera, parce que la question est de savoir si tel peuple et, par extension, tous les peuples, garderont leur autonomie ou seront absorbés par Rome conquérante. Le duel entre Rome et Carthage, pris à tel ou tel moment, nous passionnerait, parce que la question est de savoir si le génie carthaginois ou le génie romain finira par l’emporter dans le monde. Il faut toujours que, dans le roman historique, des destinées générées du monde et telles que nous puissions nous intéresser pour elles, soient en jeu et très visiblement en jeu devant nos regards.
Dans Salammbô, il est question de la lutte entre Carthage et des mercenaires barbares qui se sont mis à sa solde et qui, trompés par elle, se sont irrités contre elle. Aucun parti ne nous passionne. Que Matho ou Hannon triomphe, il ne nous importe. Férocité barbare, férocité punique, l’une contre l’autre, que celle-ci soit victorieuse ou celle-là, rien ne nous est plus étranger. On se surprend, en lisant Salammbô à s’intéresser à ce dont il n’y est nullement question, c’est-à-dire à Rome. On se surprend à se dire : « Rome à la fin interviendra et ce sera intéressant » ; parce que nous connaissons assez d’histoire pour savoir que la clef des destinées du monde est à Rome, et que, si Rome intervient, le roman rentrerait dans les conditions du roman historique tel que nous le comprenons, tel qu’il faut qu’il soit pour nous prendre.
Il y a un autre moyen de rendre le roman historique intéressant : c’est de le traiter comme un roman ordinaire et de nous satisfaire par la peinture curieuse des sentiments des personnages, et dans ce cas « l’historique » n’est plus que le cadre et le fond du tableau. Les meilleurs romans de Walter Scott sont conçus ainsi et c’est l’âme dé Louis XI qui avant tout nous attire et nous retient dans Quentin Durward. Je ferai remarquer que dans cette manière le roman historique baisse d’un degré, puisqu’il n’est plus qu’un roman d’analyse morale comme un autre, ou à très peu près, et puisque l’intérêt historique n’est plus l’élément principal de ce roman historique. Autant vaudrait tout simplement analyser des âmes du monde contemporain. Mieux vaudrait, parce que, comme pour les âmes contemporaines de la nôtre nous avons le contrôle en nos mains, l’auteur peut nous les peindre dans un détail diligent, pénétrant et curieux, dont nous sommes juges ; tandis que pour les âmes des temps anciens, ce contrôle nous manquant, ce sont les sentiments les plus généraux seulement et dans leur généralité seulement que l’auteur peut nous présenter et nous peindre. Mais enfin c’est une manière encore de traiter le roman historique, et je n’ai pas besoin de faire remarquer que c’est, à peu de chose près, la manière dont nos tragiques et Shakespeare lui-même ont traité la tragédie.
Or, cette manière-là elle-même, Flaubert n’a pas su la prendre. À considérer les choses ainsi, les deux héros du « drame » sont Salammbô et Matho. Or Matho et Salammbô ne sont analysés et pénétrés l’un ni l’autre. Matho est passionnément amoureux et c’est tout. Salammbô est confuse et énigmatique. Flaubert lui-même reconnaît dans sa lettre à Sainte-Beuve qu’il n’a pas pu la connaitre, parce que la femme d’Orient est inaccessible. Alors, quoi donc ? Alors c’est à l’élément historique que nous sommes rejetés et j’ai dit pourquoi il est dans Salammbô d’un faible intérêt pour nous.
Antre manière encore d’exciter l’intérêt, l’attrait du mystérieux. Nous y sommes tous très sensibles, si positivistes que nous croyions être devenus. Une force obscure et détachée dépassant l’homme et ses desseins, et agissant à travers les événements d’une manière inattendue, vaguement logique pourtant, nous impose et nous remplit d’une curiosité mêlée d’inquiétude et d’un commencement d’effroi qui est un « intérêt » au premier chef. Flaubert a cherché cet élément d’émotion. Il a inventé le Zaïmph, le voile sacré, auquel les destinées de Carthage sont attachées comme celle de Troie au Palladium. Rien n’était plus heureux comme ressort poétique. Il a mal manié celui-là. Le Zaïmph devait sans cesse occuper les esprits, ramener à lui notre attention, ne point la laisser s’égarer que par de courts relâches. Il disparaît peu près dans ce poème trop touffu. On le perd de vue, on le revoit, on se dit que c’est à lui qu’il faut songer ; mais on n’y songe point ; et l’auteur n’a pas su faire qu’on y songeât à peu près sans cesse et qu’il fut au moins notre préoccupation subconsciente continuelle.
Et enfin, il faut absolument dans un grand poème un personnage central, très nettement et impérieusement central, pour ainsi dire, et puisque ce n’est pas le Zaïmph, que ce soit un être humain. Dans l’Iliade, quoique composée après coup, c’est Achille, dans l’Odyssée c’est Ulysse, dans l’Énéide c’est Énée, quoique trop pâle, ou plutôt c’est Rome. Dans Salammbô il y a à cet égard erreur absolue. Le personnage principal devait être Salammbô ; et c’est Matho. Le personnage principal devait être Salammbô ; c’est très évident. Quelle est la question ? Une ville qui se défend. Tombera-t-elle ? Il faut la personnifier dans quelqu’un. Si ce n’est pas dans le Zaïmph, que ce soit dans Salammbô. La vierge pieuse, la vierge sacrée, consacrée à la déesse la plus pure de la ville capable de sacrifier ses pudeurs et ses religions personnelles pour la religion de la cité et pour la cité elle-même, voilà évidemment la personnification même de Carthage. Il faut à toute force qu’elle occupe le centre du tableau, et que, invisible ou présente, elle domine toujours tout l’horizon. Or ce qui attire notre regard sans cesse c’est Matho, et non pas même Matho amoureux de Salammbô, ce qui serait une facon de nous ramener à Salammbô elle-même, mais Matho guerroyant, Matho combattant, Matho chef d’armée et chef de peuples. Salammbô, comme le Zaïmph, parait quelquefois, très brillante, très curieusement parée, très mystérieusement attirante, mais elle glisse et rentre dans l’ombre ; son image disparait derrière les masses qui s’entrechoquent et la poudre tournoyante des champs de bataille. C’est ce que Flaubert lui-même a très bien vu et admirablement exprimé par cette critique sur lui-même qui vaut mieux que toutes celles de Sainte-Beuve, pourtant judicieuses : « Le piédestal est trop grand pour la statue. » C’est cela même. Au-dessus des bas-reliefs énormes de cette gigantesque guerre, au-dessus de ce amoncellement et entassement de batailles, de tumultes et de carnages, Salammbô parait comme une figurine. Si le sujet deSalammbô est mal choisi, la composition en est absolument défectueuse.
Et que dire de la monotonie de ces batailles ? Les infinies ressources du style de Flaubert n’ont pas pu en sauver la fatale similitude. À les regarder de près, elles sont toutes très différentes les unes des autres. À les lire bonnement, elles semblent se répéter avec exactitude. « On le voit différent sans l’avoir vu changer » dit d’un nuage Sullyy-Prudhomme. Elles, on les voit changer sans les sentir différentes. C’est que les éléments constitutifs en sont les mêmes ; c’est que les acteurs y sont les mêmes et habillés et armés de la même façon et qu’il ne suffit pas, pour qu’ils paraissent nouveaux, qu’ils fassent des choses un peu différents. Les arrangeurs de l’Iliaden’ont pas pu, eux-mêmes, éviter ce défaut. Encore y ont-ils taché. Encore l’incurable monotonie des batailles entre deux peuples toujours les mêmes est-elle atténuée par des expéditions ou luttes d’un caractère exceptionnel. Ici algarade nocturne de deux audacieux qui vont ravir les chevaux d’un chef ennemi, ici rapt nocturne de Palladium, ici bataille entre un dieu des eaux et le dieu de la flamme. Et néanmoins il y a monotonie belliqueuse dans l’Iliade. Un auteur doit disposer les choses de telle manière qu’il n’y ait dans son poème qu’une bataille, ou qu’il n’y en ait que deux de caractère très différent : bataille sur terre, bataille navale, ajoutez-y un combat singulier ; mais il ne faut jamais que le lecteur soit seulement tenté de se dire : « Il me semble que j’ai déjà lu cela. »
Ce qui reste de Salammbô, c’est les descriptions, dont quelques-unes sont déjà devenues classiques : le lever de l’aurore vu des terrasses d’Hannon : « Mais une barre lumineuse d’éleva du côté de l’Orient », Salammbô et le serpent ; Salammbô à la tente de Matho, scène manquée, du reste, car elle est toute plastique et ce sont les sentiments de Salammbô en cette circonstance décisive qui étaient pour nous intéresser, mais, cependant, d’une beauté de couleur et de dessin incomparable.
Et enfin, comme quand on ne peut pas admirer, il faut encore comprendre, et comme c’est à comprendre ce qu’on n’aime pas que la critique commence, il faut bien se rendre compte que Flaubert, comme tous les grands artistes, n’a écrit que pour se satisfaire et que s’il ne nous satisfait pas dans Salammbô, il n’est aucun de ses livres où il se soit plus complètement satisfait lui-même. Le rêve d’Orient, le goût de la couleur, le goût de l’atroce et du lugubre, le goût complexe de mettre de la précision réaliste dans l’imagination la plus débridée, déchaînée et tempétueuse, tout cela a reçu pleinement satisfaction dans Salammbô. Et surtout, le fond même de Flaubert, l’ardente misanthropie et le pessimisme amer avaient trouvé dansSalammbô le sujet qui s’accommodait à eux au plus juste. Une époque et un lieu où la haine, la soif de vengeance, l’avarice, l’avidité, la cruauté raffinée ou féroce, l’amour à l’état de foliesensuelle, la religion à l’état de férocité monstrueuse, seraient le fond du tableau et tout le tableau, sans une éclaircie ou un coin lumineux et pur ; une époque et un lieu où il n’y eut pas un bon sentiment ou un bon instinct ; une époque et un lieu où l’homme ne fut qu’un animal atroce et brutal, ou rusé et atroce ; c’était évidemment ce qu’avait rêvé Flaubert comme beau sujet, et il faut reconnaître qu’à cet égard il avait bien choisi, et reconnaître encore que son talent a rempli tout son dessein.
[Source : Émile Faguet, Flaubert, Paris, Librairie Hachette et Cie, 1899]
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