samedi 28 juillet 2018

Michael Haneke / L’amour à mort





Michael Haneke

L’amour à mort

Paris Match ||Mis à jour le 
Palme d’or à Cannes, le cinéaste autrichien met en scène dans « Amour » un couple ravagé par l’âge et la maladie. Implacable.
Paris Match. On connaissait votre cruelle lucidité et on découvre votre compassion. Vous avez changé ?
Michael Haneke. J’essaie de garder la même intensité quel que soit le sujet. Je parle d’amour avec plus de tendresse que lorsque je parle de violence. Mais je ne suis pas différent, c’est la thématique qui l’est.

Le réalisateur avec Emmanuelle Riva et Jean-Louis Trintignant.Denis Manin

C’est quand même une histoire tragique. Comment est-elle née ?
J’ai été bouleversé par la disparition de la tante qui m’a élevé. Elle était très malade, je ne pouvais plus rien faire pour elle. Elle a fini par se suicider. Le film évoque ce qui nous concernera tous un jour ou l’autre : comment gérer la souffrance d’un être cher ?
Lorsque vous avez reçu la Palme d’or à Cannes, vous avez déclaré qu’“Amour” était l’illustration d’une promesse que vous vous êtes faite avec votre épouse. Laquelle ?
Celle de ne jamais abandonner l’autre dans une maison de retraite. Cet arrachement est une perspective qui nous fait horreur. Les “asiles de vieux” sont nécessaires. Ce qui est tragique c’est qu’ils sont conçus pour vous entretenir, pas pour vous faire vivre.
Comment fait-on pour raconter la tendresse de la vieillesse ?
Il n’y a pas d’intrigue parce qu’il s’agit juste d’observer une situation très précise. Le problème est de surprendre le spectateur d’une scène à l’autre quand on connaît la fin dès le prologue.
Jean-Louis Trintignant est sorti de sa retraite pour jouer ce rôle. Pourquoi le vouliez-vous tellement ?
Parce qu’il est indéchiffrable. On parle toujours de sa voix, mais c’est son regard qui me fascine. J’ai écrit le rôle pour lui parce qu’il respire une humanité et une chaleur très rares. On peut être un grand acteur sans susciter une telle émotion. Joué par quelqu’un d’autre, le rôle aurait été beaucoup moins touchant.

« Si j’étais pessimiste, je ferais des films de pure distraction »

Y a-t-il eu des scènes particulièrement difficiles à gérer ?
Celle où Emmanuelle Riva est nue sous la douche était indispensable pour montrer la déchéance du personnage. Malgré ses craintes, elle n’a pas eu la moindre hésitation. Et la scène de la gifle a été très pénible pour Jean-Louis Trintignant, dont la fille, Marie, est décédée après avoir été frappée. C’est toujours plus difficile de porter le coup que de le recevoir. Mais cela a été moins terrible qu’on l’anticipait.
C’est un film optimiste ?
Tous mes films sont optimistes. Si j’étais pessimiste, je ferais des films de pure distraction parce que je considérerais les spectateurs trop bêtes pour leur proposer des sujets sérieux.
Cela vous rend heureux de toucher autant le public ?
C’était mon but. C’est vrai que la plupart des films n’ont rien à voir avec notre vie personnelle. Ils peuvent être beaux ou distrayants. Mais on est rarement ému.
Vous avez 70 ans. Est-ce qu’il vous arrive de faire un état des lieux de votre travail ?
Cela ne m’intéresse pas. Je n’ai pas envie de me sentir comme un mille-pattes à qui on demande comment il marche et qui se met à trébucher. Mes films se font toujours en réaction aux choses de la vie qui me font peur, car je suis très peureux. La plupart des œuvres dramatiques doivent beaucoup aux craintes de leurs auteurs.
Et vous trouvez moyen de vous rassurer ?
Non. Mes peurs restent tapies en moi. Mais, par rapport à tous ceux qui ne peuvent rien faire de leurs propres peurs, je considère que j’ai de la chance de pouvoir m’en servir pour créer une œuvre.




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