mercredi 4 décembre 2019

Pierre Assouline / «Le Suisse» du Goncourt



Pierre Assouline

Pierre Assouline, «le Suisse» du Goncourt

L'écrivain et journaliste littéraire est membre du jury du plus prestigieux prix littéraire français depuis 2012. A quelques heures du verdict, il raconte son amour de la Suisse
Lisbeth Koutchoumoff
Publié lundi 2 novembre 2015 à 19:58, modifié lundi 2 novembre 2015 à 20:08.

«Vous pouvez m'appeler à tout moment. Le soir aussi, même tard. Il y a le quart de finale France All-blacks demain, c'est la seule chose. Appelez-moi avant si possible » Pierre Assouline lance cette phrase dans un grand sourire. Et la phrase, et le sourire, disent beaucoup de cet homme-livre, faiseur de succès par son blog-littéraire La République des livres et par son couvert à l'Académie Goncourt où il siège depuis 2012. Ces deux fonctions auraient pu faire de l'homme un personnage balzacien, parisien en diable. Il n'en est rien.
Son affabilité et son calme presque de campagnard brisent instantanément les clichés. Sa disponibilité téléphonique indique qu'il a fondu vie personnelle et vie professionnelle en un même mouvement ininterrompu, seule façon sans doute d'écrire aussi romans et biographies, d'être dans l'équipe dirigeante du Magazine littéraire après avoir longtemps dirigé Lire, de signer des documentaires pour la télévision (dont le prochain sur l'émission Apostrophe le 6 novembre sur France 2), de donner des cours d'écriture à Sciences-Po Paris et à la Société de lecture de Genève depuis l'an dernier et des conférences dans le monde entier et beaucoup en Suisse.
Cela fait donc plusieurs années que je viens très régulièrement en Suisse... J'aime le pays et les gens. J'aime la montagne, surtout en été pour marcher, et les lacs. Cela fait beaucoup déjà !
Car Pierre Assouline aime la Suisse. A quelques heures du verdict du prix Goncourt 2015, il se décrit même comme « le Suisse du jury». Nous y reviendrons. « Depuis 7 ou 8 ans, des amis suisses très chers me prêtent une maison sur un petit lac entre Crans et Montana. Je m'y rends à toutes les saisons. J'ai dû écrire quatre ou cinq livres là-bas. J'écris toujours mes livres loin de Paris. Cela fait donc plusieurs années que je viens très régulièrement en Suisse. Un lycée en Valais a mis mon roman La Cliente à leur programme et m'ont demandé de rester avec eux pendant une semaine. Les Alliances françaises de Zurich et Berne m'invitent régulièrement pour des conférences. J'aime le pays et les gens. J'aime la montagne, surtout en été pour marcher, et les lacs. Cela fait beaucoup déjà ! »
Pierre Assouline devient une figure du journalisme littéraire dans les années 1980. Après des débuts au service étranger du Quotidien de Paris puis à France-Soir, il devient directeur du magazine Lire en 1985 et le restera jusqu'en 2003 où une brouille avec le groupe Express-Expansion signera le divorce. Il débute aussi ces années-là, sa carrière de biographe avec des livres de référence sur Marcel Dassault, Gaston Gallimard, Jean Jardin, Albert Londres. Suivront ensuite Georges Simenon, Hergé, Cartier Bresson. Suivront ensuite les romans avec, parmi les plus connus, Lutetia, Le Portrait, Sigmarinen, avec, souvent, la Deuxième guerre mondiale en toile de fond.
Connu des auditeurs d'Europe 1, de France Inter et de France Culture où il tient la tranche horaire des matinales pendant plusieurs années, c'est bien le lancement de son blog La République des livres qui fait du journaliste Assouline un phénomène médiatique. En à peine un an, il est suivi chaque jour par des milliers d'internautes qui laissent des commentaires drôles, érudits ou violents. Pierre Assouline a sélectionné les meilleurs pour une anthologie en 2008, « Brèves de blog, le nouvel art de la conversation ».

Un ton singulier pour parler des livres

C'est que Pierre Assouline a trouvé un ton bien à lui pour parler des livres qu'il aime ou qu'il n'aime pas, chaleureux, affable là-encore, passionné, jamais pédant ou trop spécialiste. Quand Le Monde.fr a fait appel à lui en 2004, ni lui ni l'équipe du Monde n'avaient d'expérience dans les blogs. «J'ai eu la chance d'être approché par le Monde quand j'ai quitté Lire. J'ai dû apprendre ce média qu'est le blog. La sensualité compte pour moi. Je ne suis pas universitaire, je n'ai pas été déformé par ce moule-là. Cela aurait pu m'apporter des qualités que je n'ai pas mais je pense ne pas avoir ce défaut de parler en spécialiste. Au début je n'osais pas trop, j''étais chaleureux mais tenu. Et puis, j'ai pris de l'assurance et j'ai fait ce que je voulais, que cela plaise ou pas. Très vite, C'est devenu une conversation avec les internautes et cela fait dix ans que cela dure » Depuis 2012, La République des livres a quitté le Monde et vole de ses propres ailes sur http://larepubliquedeslivres.com/. Chaque billet de Pierre Assouline, Passou pour les internautes, continue de susciter plusieurs centaines voire un bon millier de commentaires…
Je me comporte toujours comme un étudiant qui veut rattraper ses lacunes. Le véritable moteur étant la curiosité
Comment est née cette passion de la lecture ? « J'étais un élève moyen. J'étais bon en français. Je lisais comme tout garçon de mon âge, sans plus. La boulimie de lecture est venue plus tard, après le bac. Quand je me suis inscris en fac d'histoire à Nanterre, que j'ai lâché assez vite, j'ai eu besoin de rattraper mes lacunes. Et je n'ai jamais cessé en fait. Je me comporte toujours comme un étudiant qui veut rattraper ses lacunes. Le véritable moteur étant la curiosité ».
Pierre Assouline est né en 1953 à Casablanca. Ce sourire qui s'épanouit dans la voix et sur le visage viendrait-il de là ? « Mon enfance marocaine, c'est ma matrice. Les goûts, les couleurs, les saveurs… J'ai eu la chance d'avoir des parents aimants. Je suis un cas désespéré pour la psychanalyse, j'ai beau cherché, je ne vois que des souvenirs idéaux dans un pays idéal »
Le prix Goncourt a des attaches anciennes avec la Suisse.
Aujourd'hui en début d'après-midi, Pierre Assouline et ses neuf autres comparses vont annoncer le nom du prix Goncourt 2015. Qu'a-t-il à dire quand on s'étonne de l'absence d'écrivains suisses dans les premières sélections du Goncourt depuis deux générations, le coup d'éclat de Joël Dicker en 2012 étant l'exception qui confirme la règle ?: « Le prix Goncourt a des attaches anciennes avec la Suisse. François Nourrissier était proche de la Suisse. Hervé Bazin était très attentif à l'ouverture du prix à la francophonie. Je suis la scène littéraire suisse, je rencontre des éditeurs, des écrivains. Mais vous savez, les jurés ne choisissent pas en fonction de l'origine d'un écrivain. Quand un Suisse sera dans la sélection, il le sera parce qu'il est bon, c'est tout. Cela va venir, c'est sûr »


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