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Pierre Assouline: «Un écrivain ne peut pas écrire n'importe quoi»
Pierre Assouline, auteur d'une biographie de Georges Simenon parue en 1992. Il donnera une conférence sur le père de Maigret au Cercle littéraire de Lausanne samedi
Publié mardi 13 octobre 2015 à 14:55, modifié mardi 13 octobre 2015 à 21:44.
Le Temps: Que reprochez-vous au roman de Patrick Roegiers?
Pierre Assouline: Je reproche le parti pris de l'auteur dans son livre et dans les interviews qu'il donne. Son parti pris est de tirer à vue sur Georges Simenon. Tout écrivain peut s'emparer de la vie de personnalités réelles et il a le droit bien entendu de faire de Georges Simenon un personnage de fiction et lui reprocher beaucoup de choses, il n'est pas un saint. Mais on ne peut pas pour autant écrire n'importe quoi. On ne peut pas attribuer à quelqu'un qui a existé des actions, des idées, des propos contraires à ce qu'il a dit et fait. Ce que fait Roegiers est quasiment diffamatoire.A quoi pensez-vous?
La thèse prinicipale du livre est de dire que Georges Simenon a envoyé son frère exprès à la mort pour le préserver d'une image qui pouvait lui porter préjudice. C'est atroce! Cela signifie qu'il l'a tué. Alors qu'en fait il l'a sauvé. Patrick Roegiers le fait mourir sous l'uniforme nazi de la Légion Wallonie alors qu'il est mort, en pleine rédemption, sous l'uniforme français de la Légion étrangère, en Indochine. Ce n'est pas la même chose, cela n'a pas le même sens.
C'est Georges qui lui avait conseillé la Légion étrangère?
Après avoir participé au massacre de Courcelles, Christian risquait le peloton d'exécution ou le lynchage en Belgique. Il rejoint Georges à Paris, un soir, sur un banc de la place des Vosges. Georges lui dit de partir à la Légion étrangère où l'on change de nom et où le passé est effacé. C'est ce qui s'est passé. Christian Simenon a disparu et est devenu Christian Renaud. Il est mort au bout de deux ans, au combat.
Dans le livre, le portrait de Georges Simenon pendant l'occupation est accablant. Qu'en est-il?
Il y a des choses qui sont vraies mais Patrick Roegiers ne retient que des choses à charge et de façon tellement outrancière que cela en devient ridicule.
Qu'est-ce qui est vrai?
Que Goerges Simenon a été l'écrivain français le plus adapté au cinéma pendant l'Occupation. Il l'était déjà avant la guerre. Il n'a pas refusé de l'être mais il n'a pas pour autant signé des oeuvres de collaboration ou des oeuvres nazies. La moitié de ces films ont été produit par la Continental, maison allemande. Cette maison a produit les plus grands films français de cette période, les films de Carné, de Clousot, d'Autant-Lara et d'autres. Georges Simenon s'est contenté de vendre ses droits. Certains acteurs ont été jusqu'à tourner des films de propagande en Allemagne.
Il a été inquiété pour collaboration après la guerre?
J'ai eu son dossier d'épuration entre les mains. Il ne contient rien. Sur son travail littéraire, il était édité par Gallimard, comme beaucoup d'autres. Et pour les adaptations cinématographiques, certains, jaloux de son succès, on brandit des articles signés de lui dans des journaux cllaborateurs. Mais il s'agissait uniquement de bonnes feuilles de ses romans.
Est-ce que le roman révèle des choses nouvelles?
Patrick Roegiers se sert de ma biographie, c'est son droit, les biographies servent à cela. Mais Patrick Roegiers instrumentalise ce que j'ai écris pour étayer sa thèse de la collaboration de Georges Simenon. Georges Simenon n'a pas collaboré. Il a bien gagné sa vie. Ce n'est pas un crime.
Et les articles anti-sémites qu'il a écrit à 17 ans, c'est connu aussi?
Cela fait un chapitre dans ma biographie. On ne peut pas utiliser des lettres des années 1920 pour tirer des conclusions sur les années de l'Occupation.
Quelle place occupe Georges Simenon, l'écrivain, pour vous?
Il reste l'un des grands écrivains de langue française. Il est probablement celui qui a été le plus adapté au cinéma et à la télévision. Son influence sur notre imaginaire est considérable. Son rayonnement à l'étranger aussi. Il est un styliste exceptionnel. Cette façon de toucher à l'os avec une telle économie de moyens est exceptionnelle.
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