mardi 22 novembre 2016

Dagur Kári / Géant timide du cinéma islandais

Dagur Kári, géant timide du cinéma islandais


Frédéric Strauss
Publié le 25/02/2016. Mis à jour le 26/02/2016 à 15h40.


Treize ans après sa pépite “Noi Albinoi” et une traversée du désert américaine, le trop rare cinéaste islandais signe “L'Histoire du géant timide”. Cette fable douce-amère sur l'éveil amoureux d'un colosse aux pieds d'argile consacre son retour à l'écran. Un petit chef-d'œuvre d'humour et d'onirisme dont lui seul a le secret.
Depuis Noi Albinoi (2003), cet Islandais est un espoir du cinéma comique et poétique. Espoir jamais déçu mais jamais totalement confirmé non plus, tant ses films sont rares. Arrivé aujourd'hui au quatrième en ayant gardé une fraîcheur de débutant, Dagur Kári livre avec L'Histoire du géant timide un chef-d'œuvre à sa façon, tout en modestie et en délicatesse. Le portrait d'un homme qui, dans un corps trop lourd, va renouer avec la légèreté de la vie. Comme, avec ce film, Dagur Kári a renoué avec le cinéma, après avoir pensé l'abandonner…
L'Histoire du géant timide mêle l'humour et l'émotion, comme vos précédents films. C'est votre vision du cinéma, il doit être émouvant et drôle ?
Je pense, oui. J'aime beaucoup faire rire les gens mais voir un film dans une salle où l'émotion passe parmi le public, c'est très beau aussi. En tant que spectateur, j'apprécie beaucoup les comédies mais, après en avoir vu une au cinéma, je quitte la salle avec le sentiment d'un vide et l'impression que toutes les nuances de la vie n'ont pas été représentées. Quand je vais voir un film sérieux, je n'y trouve pas ma place s'il n'y a pas un peu d'humour. Je vois bien que Tarkovski est un génie mais je n'arrive pas à entrer dans ses films. S'il avait fait ne serait-ce qu'une seule blague, tout son univers aurait pu s'ouvrir à moi ! L'humour ne doit jamais être oublié car il ne prend jamais de vacances. Même quand nous traversons des périodes difficiles, l'humour est là, incontrôlable. C'est la vie.
Dans L'Histoire du géant timide, le contraste est parfois assez radical, vous allez jusque dans la douleur, sans perdre la légèreté…
L'équilibre était très délicat, beaucoup plus que mes autres films. Un an après la fin du tournage, j'ai tourné une nouvelle scène et j'ai passé deux ans sur le montage. C'était toujours une question de millimètres. La performance de mon acteur principal, Gunnar Jónsson, est si subtile et si honnête que tout le reste devait être à ce niveau.


Filmer ce corps de géant avec délicatesse, c'était votre pari ?
Mon pari, avant de tourner, c'était que la relation d'amour serait crédible, qu'on n'aurait pas de doute sur le fait que la fille puisse tomber amoureuse de ce géant. Mais une fois qu'on a commencé à tourner, ça n'avait plus rien d'un pari car la présence de Gunnar inspire vraiment l'amour. C'est quelqu'un qu'on aime. Quand on le rencontre pour la première fois, on le trouve évidemment énorme. Mais quand on commence à le connaître, on le voit différemment, il change d'échelle ! Dans le film, c'est pareil. Après une demi-heure, on oublie sa condition physique. Gunnar est le meilleur acteur avec qui j'ai travaillé, peut-être justement parce qu'il n'a pas été formé comme un comédien. Il a un talent naturel.


Le marché des salles est-il devenu plus difficile pour les comédies subtiles que vous réalisez ?
Mon expérience avec L'Histoire du géant timide, c'est que les gens adorent le film, une fois qu'ils sont dans la salle. Le problème, c'est d'arriver à les faire entrer dans le cinéma ! Le marché s'est développé dans une direction qui laisse de moins en moins de place aux zones grises, celles que j'affectionne. Vous avez les films tout blancs, les films tout noirs, que ce soit dans la comédie ou le drame, et il y a très peu de choses au milieu parce que c'est plus compliqué en termes de marketing. Dans le monde du cinéma, comme dans le monde au sens large, il y a un nombre toujours plus réduit de gens qui ont un pouvoir de plus en plus grand et c'est très mauvais pour la diversité des films.


Vous avez presque abandonné le cinéma ?
Oui, après mon précédent film, The Good Heart, qui était une production américaine, j'ai perdu toute envie, je ne ressentais plus la passion. The Good Heartavait été un film très difficile à faire. Quand j'ai eu la certitude que le film allait pouvoir être tourné, ma femme était sur le point d'accoucher de notre premier enfant au Danemark et je risquais donc de me retrouver aux Etats-Unis en plein tournage le jour de la naissance de ma fille, ce qui était un peu compliqué pour moi. Mais quand j'ai fini par tourner le film pour de bon, ma fille avait quatre ans ! Ces quatre ans, je les avais passés à attendre de pouvoir tourner. Si j'avais su que ça prendrait tout ce temps, j'aurais fait un autre film en attendant, mais on gardait toujours le sentiment que ça allait se faire, le tournage n'était repoussé que de quelques semaines, puis de quelques semaines et de quelques semaines… C'est en chemin que j'ai perdu l'envie, c'était vraiment trop dur. Après The Good Heart, je me suis occupé de mes enfants et j'ai même essayé de me former comme compositeur car j'ai toujours écrit la musique de mes films. Mais après deux mois à l'école de musique, j'ai retrouvé l'envie de cinéma et je me suis attelé à L'Histoire du géant timide.
Ce film dont le héros est un homme qui se sent rejeté serait un autoportrait de vous en cinéaste en crise ?
Je ne peux pas dire que j'ai vu les choses comme ça quand j'ai tourné le film mais il me semble juste de les regarder sous cet angle. Le film raconte une histoire toute simple qui a aussi des significations plus complexes. Ce qui aide le personnage, c'est finalement d'être sincère, honnête avec lui-même, et ça, je l'ai ressenti moi-même pendant le tournage. Je me suis dit que je devais revenir à ce que j'aimais sincèrement, que ça ne marche ou pas. L'important était de faire ce film comme je le ressentais.


C'est également un film qui parle de la nécessité de grandir, même tardivement : ça aussi, ça parle de vous ?
C'est une question qui est présente dans tous mes films, je crois : quand est-ce que tu grandis ? Quand l'enfance se terminera-t-elle ? Je pense beaucoup à ça. J'ai 42 ans, j'ai une femme, trois enfants, un vrai travail, mais je ne me sens toujours pas adulte ! A mon âge, mes parents étaient adultes depuis longtemps. Je m'attends toujours à me lever un matin en sentant que ça y est, je suis adulte ! Mais je ne me réveille jamais avec cette impression-là.


Vous faites partie de l'équipe qui dirige l'école nationale de cinéma au Danemark. Comment envisagez-vous l'apprentissage du métier de cinéaste ?
Je dirige le département cinéma dans l'école où je l'ai appris. C'était très agréable d'y revenir, un peu comme si je retournais à ma vie d'étudiant. Mais j'apprends beaucoup plus maintenant. Une année en tant que professeur vaut quatre années en tant qu'élève. La chose la plus importante, c'est de comprendre qu'on ne peut pas vraiment enseigner le cinéma. Il n'y a pas une méthode générale pour ça. La seule chose à faire, c'est de construire un cadre pour cet apprentissage, un cadre où les étudiants vont pouvoir trouver une direction dans laquelle s'engager. On ne peut pas assigner une seule voie à la création dans le cinéma, chacun doit trouver celle qui correspond à son talent.
Est-il important pour vous de montrer des films, de transmettre la culture du cinéma ?
C'est important de traverser l'histoire du cinéma, mais c'est de plus en plus difficile car cette histoire est de plus en plus longue et l'attention des étudiants a tendance à diminuer. Je me souviens que lorsque j'étais étudiant, nous avions chaque mois une grande journée consacrée à l'histoire du cinéma. Nous passions plus de huit heures à voir des films. J'ai tendance à dormir facilement au cinéma et je passais donc mon temps à m'assoupir, à me réveiller, à regarder le film et à m'assoupir à nouveau. Quand je me mettais à dormir, je commençais à rêver du film que j'étais en train de regarder, je le continuais moi-même. Ce qui fait que j'ai toutes sortes de souvenirs des grands classiques du cinéma, mais je ne sais jamais si c'est ce que j'ai vu ou si ce sont mes rêves. A l'époque, notre professeur, qui était génial, m'a montré en exemple en disant à tout le monde : voilà la bonne façon de faire, vous n'êtes pas censés regarder tout jusqu'à la moindre image, vous pouvez relâcher votre attention et même fermer les yeux, l'important est l'expérience que vous faites avec le film. Je crois qu'il y voyait clair !



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire