samedi 5 novembre 2016

Leïla Slimani / Chanson Douce / Un thriller psychologique inspiré de faits réels








«CHANSON DOUCE», LEÏLA SLIMANI ÉPINGLE UNE NOURRICE

Par Virginie Bloch-Lainé
 2 septembre 2016 à 17:41

Un thriller psychologique inspiré de faits réels.







Leïla Slimani, à Paris le 28 septembre.
Leïla Slimani, à Paris le 28 septembre. Photo Joël Saget. AFP



Louise fait à Mila, 5 ans environ, «des chignons si serrés que la petite a les yeux bridés, étirés sur les tempes.» Myriam, la mère de Mila, aurait pu y voir un indice de la maniaquerie de la nounou de ses deux enfants. Mais quand il s’agit de Louise, Myriam est à côté de la plaque et ne voit qu’une perle. Elle l’a embauchée parce qu’elle souhaitait exercer son métier d’avocat. «Certains adolescents rêvent de plateaux de cinéma, […] Myriam a toujours rêvé de la cour d’assises.» Elle sera servie. Paul, son mari ingénieur du son, est agacé par les initiatives intrusives et l’étrange impassibilité de la nounou. Il voudrait se séparer de Louise et dit à Myriam : «Elle est si parfaite, si délicate, que j’en ressens une forme d’écœurement.» Mais le licenciement attendra la fin des grandes vacances. Trop tard : Louise assassine Mila et son frère cadet Adam au mois de mai. Nous l’apprenons dès le premier paragraphe. Quant à la nounou, «blanche», pauvre, veuve et mère abandonnique sans âge grâce à une allure de «poupée», elle s’est ratée, elle est dans le coma : «Elle n’a pas su mourir. La mort, elle n’a su que la donner. Elle s’est sectionné les deux poignets et s’est planté le couteau dans la gorge.»Après cette entrée en matière concise, Leïla Slimani reprend le film d’horreur depuis le début. Chanson douce est son deuxième roman. La violence et l’absence de sentimentalité sont pour l’instant la marque de fabrique des histoires qu’imagine l’auteur de 34 ans à partir de faits réels. Dans le jardin de l’ogre, son roman précédent, publié il y a un an, était inspiré de l’affaire DSK et racontait la vie d’Adèle, jeune journaliste souffrant d’une addiction sexuelle. Ecrit à partir d’un fait divers américain, Chanson douce est plus tendu encore, et agréablement crispant pour le lecteur.


Tandis que le couple rend grâce chaque jour à la discrète Louise qui s’occupe des courses, du ménage, des enfants, quelques dérapages annoncent ce dont la «mélancolie délirante» de la nounou la rendra capable. Les enfants font mine d’ignorer un geste brusque, par exemple, devinant que montrer à Louise qu’ils ne sont pas dupes leur vaudrait pire encore. Myriam frôle la lucidité en découvrant un soir, dans la cuisine, une carcasse de poulet qui l’attend, minutieusement nettoyée par sa fée du logis : là, tout de même, la peur de Myriam monte d’un cran. Les héroïnes des deux romans de Slimani se ressemblent : ce sont des mères pressées et sous pression. En présence d’un enfant, l’exaspération n’est jamais loin et la béatitude, hors sujet. La nervosité, l’insatisfaction, l’insécurité d’Adèle et de Myriam font de Slimani la chroniqueuse d’un mode de vie contemporain, celui de couples quadragénaires citadins, éduqués, aisés, ou dans le cas de Myriam et de Paul, s’épuisant à le devenir, et aveugles à ce qui les entoure. Slimani les fait vivre en accéléré, sans tendresse, ni méchanceté. Paul et Myriam sont devenus «les patrons» d’une femme dangereuse qui fut toujours l’employée des autres. Pour Louise, le temps passe lentement et la coupe est pleine.

D’où vient notre plaisir de lecture, alors que deux jeunes enfants vont mourir sous des coups de couteau ? De la vélocité de la plume de l’écrivain, qui saisit des situations et des personnages de l’époque : nous courons avec Paul et Myriam en Grèce, chez des amis, au bureau, dans les transports. Le plaisir naît aussi des frissons que provoquent les catastrophes évitées, jusqu’à la dernière, qui sera la bonne.


RIMBAUD

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