David Bowie Par T.A. |
Patrick Eudeline : «Il y avait un Bowie en moi» (Bowie, l’autre histoire)
Christine Marcandier6 janvier 2017
Tout commence, désormais, par un «après David Bowie», par « le jour où Bowie est mort », comme le livre de Patrick Eudeline, Bowie L’autre histoirequi sort en poche aux éditions Points.
Pourquoi ce sentiment, en nous tous, de perte et d’angoisse ? Pourquoi ce moment comme un événement si paradoxal, à la fois collectif et intime, profondément intime ? « Il y avait un Bowie en moi », répond Patrick Eudeline, « comme en tous ceux qui l’ont un jour aimé. Et c’était cela, dont la mort était inacceptable ».
En revenir, alors, à Lazarus, aux images du clip qui accompagnent ce texte d’outre-tombe, au sentiment étrange qui saisit le spectateur face à un Bowie fatigué, avatar décati et malade du « spike Bowie glorieux de jadis » : David Bowie s’expose au seuil du grand départ, lui qui, « depuis toujours, trompait mort et déchéance de la chair, quand ses contemporains s’abîmaient. Ses ongles nous rappellent son âge. C’est son portrait de Dorian Gray ».
Un testament, donc, quelque chose comme La Ballade des pendus de Villon, écrit Eudeline mais aussi un retour aux golden years, tant ce titre renvoie à tout le répertoire de Bowie, à sa vie, aux drames qui ne peuvent plus lui être volés, à ses cicatrices invisibles, roi à New York, everybody knows me now, oiseau bleu désormais libre ; c’est la comédie musicale, « suite ultime à Space Oddity, encore une, une sequel de The Man Who Fell to Earth » mais aussi, via la chorégraphie étrange de Bowie dans Lazarus les pas de danse de Fashion, les clones de ses différentes incarnations, le palimpeste de David Robert Jones / Bowie / Thin White Duke, Ziggy and so on infini.
Tout Bowie donc, jusqu’à la « voix inchangée », moins « le sexe et la légèreté, le sourire ironique ». Tout se fige, la mort hante, même si le corps lévite, high, Station to Station, et retour au placard, « le même que celui où il dormait (debout !) en 1970, quand, junkie, il lisait Nietzsche et tous les classiques de l’occulte ». Et ce placard, comme le tombeau de Sarah Bernhardt ou le cercueil des vampires, dit non la mort mais une transition, c’est « un endroit d’où l’on ressort », d’où l’on renaît, Phénix et Lazare. Et Patrick Eudeline, commentant l’absence de cérémonie et de cendres, d’imaginer un Bowie cryogénisé. Un Bowie jusqu’au bout l’enfant fasciné par la série Quatermass de Nigel Kneale et Starman Jones (!) de Robert Heinlein, puis Bradbury, Asimov, Heinlein, Nietzsche, espérant et construisant une renaissance.
Bowie, l’autre histoire revisite l’enfant cockney de Brixton, mod à Bromley, hanté par la musique du générique de The Quatermass Experiment, Mars (Bringer of War)… fasciné par la musique noire, par James Dean et Little Richard, « drag-queen noire », Elvis. Il dit sa quête infini de succès et reconnaissance, longtemps vaine, les groupes (les Hookers, les King Bees, les Manish Boys, David Jones & The Lower Third), l’entrée en scène du manager et amant Ken Pitt qui « lui fait découvrir le Velvet Underground avant tout le monde, le pousse à lire Oscar Wilde et Jean Lorrain », le changement de nom de Jones à Bowie, la découverte de Kurt Weil et Brel et, en juin 67, la sortie de son premier album solo, éponyme, mais le même jour que Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band… Échec encore, et construction d’une image de « bel indifférent ».
Patrick Eudeline raconte le Bowie d’Hermione puis d’Angie, Don Juan ambigu, la véritable naissance avec Space Oddity, la révolution de sa bisexualité affichée, l’androgynie qui fascine, choque, scandalise, mais fait avancer le rapport de la société au « non dit ». La passion pour le Tibet et tout ce qui touche à l’occulte, à l’apocalypse et à l’ailleurs, l’Amérique, Berlin, la cocaïne et l’anorexie, le spectre Terry, la Kabbale, le sadomasochisme, Hérouville, l’explosion paradoxale des années 90 (« où est Bowie ? »), Iman, le retrait — « Bowie veut, à partir des années 90, être Bowie sans être Bowie, tout en l’étant bien sûr. Ce qui n’est pas une mince affaire » —, les premières alertes médicales et les rumeurs, la renaissance avec deux albums exceptionnels, The Next Day et Black Star.
Bowie, l’autre histoire dit un artiste et un homme composite(s), les métamorphoses constantes sur un socle immuable (occultisme et SF), « cet homme-là, et c’est une épitaphe qui en vaut une autre, ne fut jamais prévisible ». C’est un texte foutraque, désordonné et terriblement attachant malgré quelques erreurs factuelles, des interprétations parfois étranges. N’en demeurent pas moins de très belles pages, sur Pin Ups en particulier, avec « cette évidence : le paradis est derrière nous, et on l’a laissé filer ».
Patrick Eudeline, Bowie, l’autre histoire, Points, 144 p., 5 € 90
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