dimanche 21 avril 2019

"Houellebecq et les Inrocks", épisode 8 / Entretien croisé avec Emmanuel Macron : “Je ne crois pas au référendum permanent”




"Houellebecq 

et les Inrocks", 

épisode 8 : entretien 

croisé avec 

Emmanuel Macron : 

“Je ne crois pas 

au référendum 

permanent”




Par Anne Leffeter
03/01/19 11h12

Décidément, Michel Houellebecq a toujours eu du flair pour pressentir l’époque. En mai 2016, alors que personne n’aurait parié sur Macron pour la prochaine présidence, il avait souhaité le rencontrer, intrigué par le caractère transgressif du personnage.



Les Inrockuptibles lancent une nouvelle série consacrée aux figures emblématiques suivies par le magazine. Premier artiste mis à l'honneur : Michel Houellebecq. Un choix qui paraissait évident, l'auteur et les Inrocks partagent une histoire commune : depuis la critique de son premier roman jusqu'à son entretien avec Emmanuel Macron, en passant par sa playlist labellisée ou la critique de son dernier ouvrage.



Pour le huitième épisode de la série "Houellebecq et Les Inrockuptibles", nous republions une interview datant de mai 2016. Michel Houellebecq, alors que personne n’aurait parié sur Macron pour la prochaine présidence, avait souhaité le rencontrer, intrigué par le caractère transgressif du personnage.



Macron et Houellebecq


Manu – Tu m’interviewes ou je t’interviewe ?
Michel Houellebecq – Un peu les deux.
Manu – Je ne sais pas ce que tu penses de la politique, mais j’imagine que c’est assez noir.
Michel Houellebecq – Pas si noir que cela. Je pense qu’il y a une crise de la représentation politique, mais c’est une crise prometteuse qui peut déboucher sur des changements positifs. Je vais me situer : je n’ai jamais souhaité déléguer mon pouvoir de faire les lois, donc je n’ai jamais voté aux législatives. Par contre, j’ai déjà voté aux municipales. Si la présidentielle avait moins de signification politique, je voterais volontiers à la présidentielle. En résumé, je suis pour le référendum d’initiative populaire comme unique moyen de changer les lois. Mais cela ne s’arrête pas là : la population devrait également voter le budget. Chacun sait combien il a envie de donner à la police, à la santé, aux entreprises, à l’armée, à l’Education nationale. Il suffirait de faire la moyenne.
Manu – Contrairement aux idées reçues, Michel Houellebecq est pour réduire drastiquement le budget de l’Education nationale et augmenter le budget de la SNCF ! (rires) Je sais qu’il adore les gares et les trains et je pense qu’il a un traumatisme profond avec les profs.
Michel Houellebecq – L’Education nationale ne m’a pas apporté grand-chose parce que je n’ai pas bien écouté. En revanche, je trouve important que l’ensemble du territoire français soit correctement desservi, même si c’est un peu déficitaire.
Manu – Plus sérieusement, pour que les Français puissent discuter le budget, il faudrait une démocratie de discussion permanente. La représentation nationale est un principe d’organisation plus simple qui évite l’écueil du problème athénien : la difficulté d’organiser la démocratie directe. Je sais que tu as une idée précise sur ce qu’on devrait affecter aux gares et aux trains, mais la moyenne des préférences risque de te rendre aussi malheureux que celui qui voudrait tout affecter à l’Education nationale.
Michel Houellebecq – Je suis souvent en désaccord avec la majorité mais j’ai un vrai respect pour son vote. J’ai juste envie d’être consulté directement. La Suisse, un des seuls pays où c’est le cas, ne marche pas si mal.
Manu – C’est un pays qui n’est pas comparable, où la politique n’a pas du tout la même densité qu’en France. Les Français surinvestissent le politique mais il y a un malaise démocratique. Il est consubstantiel à la démocratie. Une partie de ce malaise vient de l’ambiguïté de notre relation aux politiques. Contrairement à ce qu’on peut imaginer, leur rôle n’est pas pour moi de promettre intensité et bonheur mais de donner un cadre où les citoyens peuvent s’émanciper et acquérir leur autonomie.
“Pour la présidentielle, je ne pourrais choisir que quelqu’un qui a fait ses preuves. Dans cette optique, un ex-Premier ministre serait le mieux, ou éventuellement un maire d’une grande ville.” Michel Houellebecq
Michel Houellebecq – Le problème viendrait du fait que les politiques promettent le bonheur aux gens ?
Manu – En partie, oui, puisque de nombreux politiques vivent de cette ambiguïté, alors qu’aucune organisation politique ne peut faire le bonheur des gens malgré eux.
Michel Houellebecq – Je suis entièrement d’accord. On ne peut promettre ni prospérité ni bonheur. Je ne demande pas cela à un Manu, mais plutôt d’être un bon chef, un chef des administrations et aussi des armées : il ne faut pas oublier les armées, je n’ai jamais pensé que le temps des guerres était dernière nous. Enfin, quelqu’un en qui je puisse avoir confiance en cas de grosses difficultés. Mes expériences professionnelles ont été importantes dans ma conscience politique, elles m’ont appris qu’il suffit parfois de changer de chef pour que tout aille mieux. Pour la présidentielle, évidemment, je ne pourrais choisir que quelqu’un qui a fait ses preuves. Désolé de te dire cela, mais dans cette optique, un ex-Premier ministre serait le mieux, ou éventuellement un maire d’une grande ville. Mais il peut se faire qu’aucun des candidats avec ce parcours ne soit satisfaisant : on peut avoir été un mauvais ex-Premier ministre. Dans ce cas, avoir exercé un ministère important pourrait faire l’affaire.
Manu – Je ne suis pas convaincu par le référendum permanent. Il faut de l’horizontalité dans l’élaboration des décisions, mais je crois aussi à la verticalité des formes de prises de décision. Il n’y a pas d’organisation humaine sans reconnaissance d’une forme d’autorité. C’est la grande question sociale et politique de 1968 : quelle est la forme légitime d’autorité ?
Michel Houellebecq – Demander son avis à tout le monde a un côté assez sain. Cela ne peut que renforcer le sentiment d’appartenir à une communauté. On ne parle de référendum que pour des sujets dits sociétaux, comme la corrida ou l’euthanasie. Cela devrait concerner à peu près tous les sujets. Le rôle des partis devrait tendre à diminuer et le rôle des groupes de pression, des associations, à augmenter.
Manu – Tu voudrais de l’horizontalité permanente… Je crois plutôt aux méthodes telles que les conférences de consensus, qui permettent aux meilleurs experts de former des citoyens pour que ces derniers puissent faire des propositions en pleine connaissance de cause. Je crois en effet à la conscience éclairée. Après, l’Etat ne doit pas légiférer à chaque problème, chaque émotion collective. Cette névrose politique fait de l’Etat une structure politique hyper-maternante.
Michel Houellebecq – On légifère trop, c’est vrai. Et c’est vrai aussi que l’utilisation de l’émotion collective est déplaisante, je ne demande pas au Manu de se rendre sur les lieux d’une catastrophe et de faire son compatissant. Moi aussi, je suis compatissant, et alors ? Sur la verticalité des formes de prises de décision, en cas de guerre, il n’y a pas besoin de consulter la population. L’objectif est clair et consensuel : il est – si possible – de la gagner. Dans ce genre de contexte, une relation verticale s’installe naturellement si le chef est bon.
Manu – Actuellement, nous avons bien d’autres priorités qui justifient de ne pas mettre en œuvre un seul de tes référendums. Si aujourd’hui on organise une consultation populaire sur l’euthanasie, la majorité des Français va penser : “Ces dingos n’ont rien d’autre à faire.” Pour avancer sur la question de l’euthanasie, il faut d’abord créer un consensus démocratique, et je ne suis pas sûr qu’on l’obtienne avec un référendum. Le dernier grand référendum, celui de 2005 sur la Constitution européenne, a été un traumatisme profond en deux temps. Les électeurs ont d’abord rejeté une Europe libérale dans laquelle ils ne se reconnaissaient plus. Et Nicolas Sarkozy n’a pas respecté leur décision ensuite.
Michel Houellebecq – C’est une des choses qui lui ont été fatales. Je fais partie de ceux qui n’ont pas pardonné.
Manu – Tu avais voté pour Nicolas Sarkozy en 2007 ?
Michel Houellebecq – Non, je n’avais pas voté.
Manu – Malgré tout, tu ne lui as pas pardonné ! Tu es vraiment un électeur vindicatif : tu n’adhères pas au début du projet mais tu ne pardonnes pas les erreurs. (rires)

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