lundi 8 avril 2019

Les destins contrariés de William Boyd

William Boyd


Les destins contrariés de William Boyd

Le romancier britannique à l’imagination si fertile affectionne aussi l’art de la fugue qu’est la nouvelle. Dans son nouveau recueil de «short stories», il déroule des scénarios finement ciselés où ses personnages voient leur existence basculer. L’attention portée par l’auteur aux détails les plus infimes fait des merveilles
André Clavel
Publié vendredi 8 décembre 2017 à 19:35 

Modifié vendredi 8 décembre 2017 à 19:35.


William Boyd, le Times l’a surnommé «William le Conquérant», Javier Marias l’a promu «duc de Brazzaville» et ses lecteurs, bluffés par la puissance de son imagination ô combien baladeuse, lui servent volontiers du «wonderboyd». Quant à lui, il explique que l’écrivain doit être un professionnel de la mystification, un bonimenteur, un illusionniste qui «cherche la vérité dans le mensonge».
Et lorsqu’il revient à la réalité, cet illusionniste-là continue à nous faire chavirer en nous offrant d’autres ivresses: chaque automne, il produit cinq mille bouteilles d’un rouge tannique dans le vignoble qu’il possède en France, au cœur de la Dordogne. En compagnie de son épouse Susan – dédicataire de ses livres –, il y passe quatre mois de l’année, avant de rallier son bureau de Chelsea, où il distille une œuvre capiteuse qui a pris son envol il y a trente ans avec Un Anglais sous les tropiques, délicieuse satire d’une Afrique d’opérette assaillie par les derniers moustiques du colonialisme.

Plume délicatement pointilliste

Dans les dix romans qu’il concoctera par la suite, Boyd naviguera sous presque tous les tropiques. Mais si ses livres changent sans cesse de décors, ils sont taillés dans la même étoffe, celle d’une prose très smart, moelleuse, avec assez d’humour pour être parfaitement British.
Parallèlement à son œuvre de romancier, Boyd aime aussi se frotter à la nouvelle, cet art de la fugue où s’aiguise sa plume délicatement pointilliste. En voici neuf, réunies dans Tous ces chemins que nous n’avons pas pris, autant de short stories écrites à saute-mouton entre les frontières et les décennies. Leur point commun? Un cadrage impeccable: Boyd, ce sont des scénarios parfaitement léchés. Et il n’a pas son pareil pour résumer un destin en resserrant son zoom sur un détail imperceptible, un geste anodin, un baiser volé ou un battement de cœur.

Le Casque bleu et le chimpanzé

Le récit le plus tendre est l’histoire d’un Casque bleu allemand en mission au cœur de l’Afrique, où il découvre un chimpanzé blessé, une jambe déchiquetée par une mine. Il va s’escrimer à le sauver, en vain. Chagrin. Colère. Sentiment d’impuissance. De retour au bercail, le militaire aperçoit un petit singe enchaîné aux instruments d’un joueur d’orgue de barbarie. Bien vivant, cet animal, mais privé de liberté, aussi malheureux que son semblable africain. Nouvelle colère. Comment le délivrer de sa geôle en plein air? Réponse dans cette nouvelle aux allures de conte pour ados.
Les autres récits dépeignent des personnages que Boyd connaît comme sa poche, des journalistes, des écrivains, des agents littéraires, des acteurs, des collectionneurs d’art, des réalisateurs. Tous assez mal en point, avec un avenir chancelant.

Un harceleur avant l’heure

Ludo Abernathy est marchand de tableaux. Don Juan patenté, expert en marivaudage, flanqué d’une épouse enceinte, il s’impose désormais la chasteté mais ne cesse de succomber à son besoin addictif d’embrasser les femmes qu’il rencontre. Des baisers furtifs, «des actes de fornication buccale». Rien de grave? Non, sans doute. Sauf si son épouse s’en mêle…
Yves Hill est écrivain. Lors de la sortie de son quatrième roman, il s’est fait massacrer par le critique du Times, qui n’a trouvé dans ces pages qu’un «bourbeux océan d’ennui infini». Humilié, dégoûté, notre plumitif décide de se réfugier en Dordogne pour oublier ce camouflet, dans un hôtel où – étrange hasard – est aussi descendu le journaliste assassin du Times. Belle occasion, pour Yves Hill, de ruminer sa vengeance! Elle sera terrible: un plat qui se mange froid, comme les huîtres qu’on sert dans cet hôtel.

Un cauchemar en Ecosse

Ailleurs, Boyd met en scène deux anciens amants qui, lors de retrouvailles, remontent le temps afin de comprendre pourquoi leur aventure a capoté, un kleptomane qui retrace sa vie à travers tous les objets qu’il a volés – avec arrêt à la case prison –, un acteur de thrillers qui a joué dans de nombreux navets et qui va vivre un cauchemar en Ecosse, sauf que, cette fois, ce n’est plus du cinéma.
Quant à la plus longue nouvelle du recueil, c’est la confession de Bethany, une paumée de 24 ans qui rate tout ce qu’elle entreprend, amours, jobs, relations avec les autres. Devenir comédienne? Elle en rêve, mais elle devra se contenter de faire de la figuration.

La nouvelle comme un miroir à facettes

Au passage, l’auteur de Comme neige au soleil et de Brazzaville plage égratigne les marchés de l’art contemporain – «plus corrompus que la mafia» – avant un autre coup de griffe à «la capitale mondiale de l’humiliation» – Londres.
D’une histoire à l’autre, Tous ces chemins que nous n’avons pas pris donne à voir des existences qui s’embourbent, des destins qui hésitent entre plusieurs directions, des erreurs d’aiguillage, des malentendus aux conséquences irréparables, des décisions impulsives qui peuvent chambouler l’avenir. Et des éclats de réalité se reflétant dans ce miroir à facettes qu’est l’art de la nouvelle. Avec, au détour de la phrase, des brassées d’émotions et toutes les couleurs de la vie: Boyd, moraliste chevronné, est aussi un délicat aquarelliste.

William Boyd, «Tous ces chemins que nous n’avons pas pris», trad. de l’anglais par Isabelle Perrin, Seuil, 300 p. 




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