mardi 9 avril 2019

«Suisen» d’Aki Shimazaki ou le désarroi du narcisse


Aki Shimazaki

«Suisen» d’Aki Shimazaki ou le désarroi du narcisse

Comment un patron infatué fut contraint d’enlever sa cravate
Eléonore Sulser
Publié vendredi 9 juin 2017 à 22:40 

Modifié vendredi 9 juin 2017 à 22:40.

On s’y tromperait! D’autant que le titre du roman est en japonais. Sur la couverture, on lit un énigmatique «Suisen». Pas l’ombre d’un traducteur. Car, malgré ses phrases lapidaires, malgré sa brièveté, malgré son ambiance, le roman d’Aki Shimazaki a été écrit en français. La romancière est Québécoise, quoique née au Japon. Et elle a décidé sur le tard d’écrire ses romans dans sa langue d’adoption. Curieusement, ce français à usage japonais – puisque le récit est tout entier plongé dans la société nippone – renforce le sentiment d’exotisme et d’étrangeté qu’éprouve le lecteur.
«Suisen», c’est le narcisse. Nulle contemplation sereine et passionnée de champs fleuris dans ce roman, pourtant. Mais une cravate. Une cravate à motifs de narcisses, offerte il y a longtemps à Gorô, un homme marié, très satisfait de lui-même et qui dirige une société prospère de spiritueux.

Cocktail

La cravate, en général, est un accessoire indispensable pour Gorô. Elle pose son personnage de patron mondain, qui multiplie les maîtresses et les amis célèbres. Lorsque s’ouvre le roman, il contemple non sans vanité son reflet dans la glace. Il porte une élégante cravate rayée, un cadeau, reçu pour ses 50 ans, de Yuri K., une actrice en vue, dont il a fait sa maîtresse. Il s’apprête à la rejoindre d’ailleurs, à un cocktail.

Explosion

Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes pour Gorô, aimé de ses femmes et de ses enfants, apprécié par ses employés, adulés par ses différentes maîtresses, respecté par les milieux d’affaires et du show-business. Mais Aki Shimazaki ne va pas prendre de gants, avec lui. En quelques pages – 160 pour être précis –, elle va dynamiter l’existence de son héros. Une vengeance féministe, mais aussi un regard sur l’enfance, sur les réminiscences du passé. C’est ce à quoi il n’a pas été fidèle, tout ce qu’il a renié pour s’inventer un personnage neuf et en vue qui va faire exploser la vie infatuée de Gorô.
Le jeu est jouissif et, à la fin, il ne restera plus de lui qu’une cravate à motifs de narcisses.





Aki Shimazaki, «Suisen», Leméac/Actes Sud, 160 p.










Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire