mercredi 30 octobre 2024

Les surprises posthumes de Jean Genet


Les romans et poèmes de Jean Genet en Pléiade : trouble dans les genres
Jean Genet, Héliogabale
Jean Genet (1951) © Roger Parry

Les surprises posthumes 

de Jean Genet

par Melina Balcázar
15 juin 2024
5 mn


Qu’est-ce qui permet de distinguer une archive d’un déchet ? Comment décide-t-on de conserver ou de jeter ? La questions se pose devant une pièce et un scénario inédits de Jean Genet. L’écrivain mort en 1986 a entretenu une relation complexe avec la conservation de son œuvre, toujours sur le point de finir « déchirée et foutue aux chiottes ». Menace qui, rappelle-t-il dans son magnifique texte consacré à Rembrandt (paru chez Gallimard en 2016), doit peser sur toute œuvre qui cherche à être vraie.

Jean Genet | Mademoiselle. Préfaces de Patric Chiha et Yves Pagès. Gallimard, coll. « L’imaginaire », 168 p., 7,50 €

Jean Genet | Héliogabale. Drame en quatre actes. Gallimard, 112 p., 15 €

En 1952, il affirmait déjà à Cocteau avoir éliminé cinq années de travail. Et, en 1964, après le suicide d’Abdallah Bentaga, son amant, il s’en prend de nouveau à ses manuscrits. À ces séries de destructions s’ajoutent ces textes maintes fois recopiés et revendus comme étant des originaux, au cœur d’un mode de vie nomade exigeant un dépouillement rigoureux, et dont témoignent ses valises au contenu si étonnant, des petits bouts de papier où se déploie sa pensée par phrases jusqu’au scénario inédit de Divine. Comme si ces vies de l’archive remettaient en cause l’idée d’œuvres complètes, pourtant entamées dès 1952 et ayant d’ailleurs comme premier volume le Saint Genet de Sartre. La publication aujourd’hui de deux textes inédits confirme cette impossibilité d’endiguer « la matière Genet, la trace phosphorescente des gestes Genet » (Notre-Dame-des-Fleurs). 

Écrite en 1952, lors de son emprisonnement à Fresnes, moment d’intense création ayant donné lieu notamment à Notre-Dame-des-Fleurs et à Haute surveillanceHéliogabale a survécu aux refus – dont celui de Jean Marais – et aux impitoyables entreprises de destruction de l’auteur. Sans doute Genet y était-il singulièrement attaché, comme le suggère François Rouget, qui a retrouvé la pièce dans la Houghton Library de l’université de Harvard. Au sein de cette pièce, on reconnaît nombre de ses sujets de prédilection (la trahison, l’abjection, la solitude du criminel…) et l’utilisation des dispositifs qui lui sont chers (le théâtre dans le théâtre ou le huis clos carcéral). Le récit des dernières heures de l’empereur romain Héliogabale, en 222, lui donne l’occasion d’explorer la théâtralité intrinsèque du pouvoir, qu’il mettra en évidence plus tard dans Elle ou Le balcon. Chronique d’une mort annoncée, Héliogabale se veut « un drame sec ». Comme à son habitude, Genet donne de nombreuses indications qui révèlent son idée – son rêve ? – du théâtre. Ainsi, les répliques doivent être dites par les acteurs « comme s’ils se crachaient à la figure », néanmoins sans « éclats », avec ce ton juste que Genet a voulu atteindre tout au long de son œuvre. Contrairement à Artaud, dont la redécouverte de ce texte permet de constater l’empreinte, Genet se concentre sur le goût de l’empereur pour le travestissement et, plus particulièrement, sur son isolement : « Je serai seul d’un bout de ma vie à l’autre ». Une solitude qui, comme le montreront ses romans, doit être conquise par un méthodique enlaidissement de la beauté, qui est approfondissement dans l’abjection. « Et je mets toute ma gloire à n’être pas respecté », déclare Héliogabale au seuil de la mort. Car il faut transformer cette solitude subie, l’incompréhension de son entourage, en ce feu qui brûle tout autour de lui afin d’atteindre ce « face-à-face avec lui-même ». 

Jean Genet, Héliogabale
Les roses d’Héliogabale, de Lawrence Alma-Tadema (1888) © CC0/WikiCommons

Ce retour aux premières années de l’œuvre de Genet, auquel nous invite cette pièce, permet ainsi de saisir la persistance de cette exigence de solitude, ou bien plutôt la fidélité extrême qu’elle implique, ce que l’on peut lire dès ses Lettres à Ibis, écrites entre 1933 et 1948. Et ce très ancien attrait pour l’Orient – manifesté ici par le culte syrien d’Élagabal ou son étonnante allusion aux derviches tourneurs – de ce « blédard », « amoureux du plus loin » (Lettres à Ibis). On observe également la place du rêve dans l’écriture, non seulement en tant que matrice imaginative mais, plus fondamentalement, en tant que principe de composition, de montage, permettant déjouer toute lecture qui vise à s’approprier le sujet : « Je suis un rêve. Dans les temps qui viennent, on m’expliquera comme on explique un rêve. Je n’aurai pas davantage existé, mais je n’en aurai que plus lourdement existé, étant cette chose qui n’est pas et qui est. » 

La solennité qu’exigent les parades du pouvoir, la mise en scène d’un rituel sollicitant une précision extrême, Genet les retrouvera autrement dans le cinéma, ou bien plutôt dans cette « envie de cinéma insatiablement contrariée », selon la formule d’Yves Pagès dans sa préface. Et le scénario de Mademoiselle, à l’instar de ses autres projets cinématographiques, connut ainsi un destin mouvementé. Écrit en 1951, ce n’est qu’en 1966 qu’il sera tourné par le réalisateur britannique Tony Richardson, avec Jeanne Moreau dans le rôle principal. Projet jugé « idiot » à un certain moment, tout comme Un chant d’amour, son seul film, renié car considéré comme « une esquisse d’esquisse », Genet finira par l’abandonner et il disparaît avant le tournage, laissant inachevée la reprise des dialogues promise.

Dans Mademoiselle, il est aussi question de rêve, comme l’indique le premier titre donné par l’auteur, Les rêves interdits ou l’autre versant des rêves, où sont mis en scène les fantasmes de mort et d’érotisme d’une jeune institutrice dans un village. Outre cette inhabituelle primauté accordée au narratif, donnant lieu à une écriture épurée, Genet surprend ici avec un drame passionnel hétérosexuel. L’arrivée de ces deux corps étrangers – Mademoiselle et Manou, le travailleur saisonnier polonais – produit un désordre libidinal parmi les habitants. Si un tel choix peut s’expliquer par la volonté de Genet de contourner la censure qui a condamné Un chant d’amour à une diffusion clandestine, placer Mademoiselle au centre de l’intrigue lui permet d’explorer le désir féminin. Il adopte ainsi, là encore de manière inattendue, ce que l’on pourrait appeler, avec les mots d’aujourd’hui, le female gaze, le point de vue d’une jeune femme, isolée, libre de tout lien patriarcal, sans père, sans mari. « Mademoiselle détailla sournoisement ce beau garçon de quarante ans dont le corps et même le visage étaient enveloppés d’une carapace de boue qui les modelait. » Elle devient actrice et spectatrice de la mise en scène de son propre désir qui la révèle à elle-même, la décompose, comme ce jeu constant de miroirs qui diffracte le récit : « Elle alluma toutes ses lampes. Ensuite elle ouvrit les deux battants de son armoire, de façon à multiplier les images d’elle, en les combinant avec celle d’un miroir accroché au mur. » Elle joue alors sa vie et orchestre cette « partition des gestes » qui, pour le réalisateur Patric Chiha dans sa préface, constitue la singularité du scénario : « Mademoiselle est un scénario, mais ne ressemble en rien à un scénario où ne sont en général décrits que les gestes utiles à la compréhension de la narration. Ici, tout est geste. […] Mais si ce n’est pas un scénario, qu’est-ce que ce texte ? Disons-le simplement, Mademoiselle est un film. » 

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La description du lieu clos de ce dernier, un village à l’ambiance étouffante où « tout le monde semblait mutuellement se haïr », sans doute inspiré par celui de son enfance, Alligny-en-Morvan, donne à Genet l’occasion de revenir sur ses premiers souvenirs. S’esquisse ici un émouvant autoportrait de l’auteur vers ses dix ans, comme l’évoque encore Yves Pagès, dans le personnage de Bruno, le fils de Manou, secrètement amoureux de Mademoiselle et moqué sans répit par les villageois. Une mise en scène de soi qui répond à un impératif qui a façonné son œuvre, celui de se transformer sans cesse, de réinventer sa langue, toujours, par tous les moyens possibles, le théâtre, le cinéma, le silence.

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mardi 29 octobre 2024

Jean Genet / Sans armure et sans haine

 




Jean Genet, Les Paravents
Les Paravents, de Jean Genet. Mise en scène d’Arthur Nauzyciel (2023) © Philippe Chancel


Sans armure et sans haine

Jean Genet écrit Les Paravents en 1958, au cours d’une guerre dont il prévoit l’inévitable conclusion, l’indépendance de l’Algérie. Accompagnant la nouvelle mise en scène d’Arthur Nauzyciel, une exposition dans la salle Roger Blin, composée par l’archiviste de l’Odéon Juliette Caron, évoque celles de 1966 et 1983.

Jean Genet | Les Paravents. Mise en scène d’Arthur Nauzyciel. Théâtre de l’Odéon, 31 mai–19 juin 2024

Bien que Genet s’abstienne de situer l’action – la seule ville nommée dans son texte, Taroudant, est au Maroc –, c’est cette guerre qui résonne en arrière-fond, avec des nuances différentes selon le contexte : la montée en puissance du FLN et les tortures infligées aux accusés de terrorisme du temps de Roger Blin, les immigrés et le printemps berbère chez Patrice Chéreau, les tensions en banlieue et les procès du colonialisme dans les marges du spectacle d’Arthur Nauzyciel. Ce qu’aujourd’hui on entend comme à neuf, ce sont les accents d’une France rancie, sectaire, bien-pensante, même si sa bien-pensance a changé de registre. La guerre est finie, mais les divisions, le ressentiment, n’ont jamais été aussi aigus.

Genet ne voulait pas faire une œuvre militante, et plutôt que des positions politiques, qu’il gomme au fil de remaniements successifs, en afficher la théâtralité. Il bombarde ses metteurs en scène d’injonctions contradictoires, multiplie les indications de jeu, de rythme, le détail des costumes, la diction. De longues didascalies précisent que les personnages doivent aboyer, imiter les bruits du vent, d’une basse-cour imaginaire, rendre la nuit sensible par leurs gestes, trembler tous ensemble de la tête aux pieds. Sa pièce « se passe dans un domaine où la morale est remplacée par l’esthétique de la scène » , écrit-il à Roger Blin, elle ne doit pas être jouée comme une pièce, mais comme une cérémonie, une déflagration poétique « si forte et si dense qu’elle illumine, par ses prolongements, le monde des morts… Si nous opposons la vie à la scène, c’est que nous pressentons que la scène est un lieu voisin de la mort, où toutes les libertés sont possibles ». Il veut aussi dix-sept tableaux (vingt-trois dans la version de 1958), une centaine de personnages, un dispositif complexe de plateformes mobiles, des paravents à cinq branches manipulés à vue, car il rejette toute option réaliste. 

Raison pour laquelle il ne veut pas non plus d’interprètes arabes. Roger Blin s’en autorise un seul, le Marocain Amidou pour le rôle de Saïd. Chéreau enfreint la consigne, inclut plusieurs Maghrébins dans sa distribution, et donne le rôle d’Ommou à Keltoum, la première actrice qui a retiré son voile sur scène en Algérie. Les acteurs de Nauzyciel sont pour la plupart des enfants d’immigrés avec souvent derrière eux une formation théâtrale, certains à l’école du TNB, et un parcours professionnel en France. Après Blin, Chéreau avait redonné le rôle de la Mère à Maria Casarès. Nauzyciel réemploie deux de ses comédiens : Hammou  Graïa, le Saïd de Chéreau, tient aujourd’hui les rôles de Mr Blankensee et Si Slimane, Farida Rahouadj celui de Warda.Tous les condamnés à mort chantent, dit le Gardien, rappel oblique du poème dédié à Maurice Pilorge, « un assassin si beau qu’il fait pâlir le jour ». Mis en musique et interprété par Hélène Martin, il avait fortement contribué à la popularité de Genet dans les milieux étudiants, deux ans avant la mise en scène de Blin. La scène des pets du Lot-et-Garonne, émis par ses hommes pour offrir au Lieutenant mourant une dernière bouffée d’air de France, avait fait un tel scandale à la création qu’au bout de quelques représentations Blin l’avait reléguée en coulisse. Aujourd’hui, elle fait beaucoup rire le public, comme fait sourire l’interprétation de La Marseillaise à l’harmonica. Les militaires de l’époque du duc d’Aumale ou de Bugeaud – précisions données en didascalie –portent des costumes d’opérette. La Petite Communiante, fille de Sir Harold, est la première abattue. En représailles, le fils de Sir Harold tue Kadidja. Ensuite, on sursaute à peine aux rafales de mitraillettes qui ponctuent l’action. Le texte parcouru d’odeurs pour la plupart nauséabondes, crasse, putréfaction, ordures, excréments, dont s’était indigné le redouté critique du Figaro Jean-Jacques Gautier, n’indispose plus personne. Seules gardent leur force provocante la cohabitation du noble et de l’ignoble, des termes crus et des envolées lyriques, cette liberté aux mains pas toujours propres qu’avait défendue André Malraux.  

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Genet a une manière bien à lui de mettre du malaise partout dans la civilisation et les valeurs morales. Il « cultive l’odieux à plaisir », héroïse Saïd, « figure christique inversée ». Avec sa Mère et son épouse, Leïla, la femme la plus laide du pays, tous trois marginalisés dans leur village, ils composent la famille des Orties, « une trinité du refus [1]. » Constant dans l’abjection, le seul qui n’obéit à aucune norme quand les Arabes deviennent le reflet des colonisateurs, Saïd commet ses larcins dans l’espoir de partir pour Le Creusot où il gagnera de quoi s’acheter une épouse moins moche. 

La verve satirique de Genet vise pêle-mêle les Français, la Légion étrangère, les colons aux noms anglais ou néerlandais, les combattants arabes, qu’il réunit dans le domaine des morts, « où toute haine a disparu » : ici Odette Aslan rappelle que Genet voulait qu’on joue sa pièce comme une cérémonie, une offrande aux morts. Le cérémonial, Chéreau dit le voir uniquement « dans la première scène du bordel et dans celle de l’armée puis, tout de suite, Jean Genet casse. Il fait toujours un travail de renversement. Il raconte comment il parvient à rire de ce qui le fait souffrir ». Chéreau s’applique à détruire le lyrisme ritualisant, l’élément sacré. « Dès qu’il frôle le sublime, Genet repart dans le sarcasme. Chéreau l’a bien fait ressortir », observe Didier Sandre, qui jouait le rôle du Lieutenant [2].

Ce cérémonial, ces rituels, Arthur Nauzyciel les construit admirablement. Il avait monté Splendid’s en 2015 et poursuit son exploration avec ces Paravents qu’il relie aussi à leur histoire théâtrale. Fidèle aux volontés de Genet, il se donne pour but d’offrir aux morts un rituel de sépulture, et célébrer une autre vie possible, la vie rêvée. Le texte enchaîne les événements de manière fluide, sans cohérence, comme dans un rêve, sur les traces de Saïd, en qui il voit « un vagabond céleste ». Extraordinaire coïncidence, « il y a eu ce hasard : je découvre les lettres d’Algérie que mon cousin Charles, alors jeune appelé étudiant en médecine à Tlemcen de 1957 à 1959, adresse à ses parents pendant son service [3] ». Le médecin vieilli les relit à voix haute sur une vidéo, en dialogue avec la pièce où le mouvement révolutionnaire algérien prend modèle sur le pouvoir colonial. Il ne fait pas bon être musulman par les temps qui courent, écrivait le jeune médecin, de plus en plus désabusé : « C’est le camp qui se lassera le premier de tuer des Arabes qui perdra. » 

Jean Genet, Les Paravents
Les Paravents, de Jean Genet. Mise en scène d’Arthur Nauzyciel (2023) © Philippe Chancel

La Mère et Saïd font leur entrée au sommet d’un grand escalier blanc qui occupe tout le plateau et prend des teintes diverses, parfois recouvert de photos grisées, fugaces, parfois coupé en deux par un grand cadre que les personnages enjambent comme pour franchir un seuil. La Mère et Leïla aboient devant comme des chiens auxquels on a interdit l’entrée de la maison. Les travailleurs des plantations de chênes-lièges marchent cassés en deux, bras croisés derrière le dos, sous la surveillance d’une énorme main de plâtre, insolite dans ce décor épuré, inspirée elle aussi par une didascalie : un « merveilleux gant en pécari » jeté de la coulisse « reste comme suspendu dans l’air, au milieu de la scène ». Comme il n’y a pas de paravents sur l’escalier, les Arabes guidés par la défunte Kadidja ne dessinent pas les revolvers ni les flammes ni les membres coupés prévus par Genet, mais alignent de petits braseros sur une marche. Après l’entracte, les protagonistes traversent un écran blanc percé d’une fente qui marque leur passage dans le domaine des morts. À la fin d’une lente et magnifique cérémonie, ils remontent un par un les marches et sautent dans le vide. Seuls absents, Leïla qui s’est suicidée, et Saïd, jugé traître à la cause révolutionnaire, tué en coulisse par les vainqueurs.

Si le temps semble long, parfois, ce n’est jamais pendant ces fascinantes chorégraphies. Jouée dans son intégralité, la pièce durerait sept heures. Elle a donc comme chaque fois subi des coupes importantes. Genet l’écrivait à Chéreau : « Toute la première partie, sauf quelques répliques à effacer, se tient à peu près. Pour la seconde partie, surtout, dans mon texte, il y a de telles redondances qu’il faut carrément cisailler. » Il trouve les acteurs superbes, mais déplore une uniformité dans l’outrance vocale : « La voix, à son paroxysme de volume, articule mal. » Tous reproches qu’on ne saurait faire au parti pris de Nauzyciel, dont l’esthétisation a en partie éteint la colère. Ce sont bien des tableaux qu’il compose quand les corps se figent dans des poses insolites, hiératiques ou baroques, telles des sculptures de Giacometti qu’admirait Genet. Chez les morts, quand les assassins rencontrent leurs victimes, les contentieux sont effacés. Réunis au dernier tableau, pour Nauzyciel ils forment « face à la salle, c’est-à-dire au monde, une communauté humaine réconciliée ». Les jeunes spectateurs, et ceux qui comme moi gardent dans l’oreille le rire caquetant, la voix inimitable de Maria Casarès, applaudissent ensemble cette version apaisée, touchés par la vaillance, le talent, la souplesse physique des comédiens, la virtuosité de la mise en scène. 


[1] Notice de l’édition de la Pléiade établie par Michel Corvin et Albert Dichy. 

[2] Odette Aslan, « Les Paravents », Les Voies de la création théâtrale vol. III, 1972, et  Chéreau. Les Voies de la création théâtrale vol. XIV, 1986, Paris, CNRS Éditions, coll. « Arts du spectacle ».

[3] Entretien d’Arthur Nauzyciel avec Leïla Adham, dramaturge du spectacle


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dimanche 27 octobre 2024

Genet en vrac / Les valises de Jean Genet.

 

Les valises de Jean Genet IMEC Exposition En attendant Nadeau

Valise ayant appartenu à Jean Genet. Archives Jean Genet / IMEC © Michael Quemener


Genet en vrac

Moins de quinze jours avant sa mort, survenue après une chute dans la nuit du 14 au 15 avril 1986, Jean Genet confie deux valises à Roland Dumas, son avocat, rencontré pendant la guerre d’Algérie. « Merci de prendre soin de mes manuscrits. Vous en ferez ce que vous voulez. » Après trente-quatre ans, leur contenu peut enfin être découvert à l’Institut mémoires de l’édition contemporaine (IMEC), où est déposée une grande partie du fonds d’archives Genet.


Les valises de Jean GenetAbbaye d’Ardenne. Jusqu’au 31 janvier 2021. Catalogue par Albert Dichy. IMEC, coll. « Le lieu de l’archive », 213 p., 30 €


Une longue vitrine déplie le « joyeux foutoir » de l’écrivain, comme le décrit Albert Dichy dans le très beau catalogue de l’exposition. Grand spécialiste de Jean Genet, il ne cède jamais pour autant à la tentation de l’enfermer dans une interprétation, comme dans chacun de ses travaux. En mêlant œuvre et biographie, il éclaire chacun des nombreux manuscrits et documents exposés.

Se retrouvent en effet conservés pêle-mêle quinze ans d’écriture, de 1967 à 1982 : les tracts et brochures de son séjour auprès des Black Panthers aux États-Unis, des fausses ordonnances au nom de Mallarmé, Claudel, Louise Labé pour constituer ses stocks de somnifères en vue de ses voyages, les bouts de papier où il notait adresses et numéros de téléphone, les esquisses de La sentence et d’Un captif amoureux, quelques lettres, le scénario inédit de Divine, écrit en 1975 à la demande de David Bowie, les factures d’hôtel, celles d’un écrivain qui a toujours refusé d’habiter quelque part. Ou encore un sachet de sucre sur lequel il a écrit une citation de saint Paul – « Que je diminue afin qu’il grandisse » – et qu’il reprendra vingt ans plus tard dans son dernier livre.

Ce vrac est « la matière autobiographique à partir de laquelle il fabriquait ses livres », souligne encore Albert Dichy. Puisque Genet ne griffonne pas pour se rappeler un événement, un nom ou une date, il pense « par phrases ». Ses textes étaient intimement marqués par sa vie nomade, sans domicile, sans compte en banque, sans aucune affiliation ou immatriculation. Et par un lien très corporel à l’écriture, lui qui prenait des notes à la main sur n’importe quel support, lui qui ressentait le stylo comme un prolongement de son corps. Il avait besoin de ce rapport physiologique, de la trace directe de l’encre sur le papier.

Ces valises, son « atelier portatif », montrent que Genet n’a jamais cessé d’écrire, comme lui-même aimait l’affirmer, mais seulement de publier. Ce long silence – Les paravents, pièce écrite en 1961, fut la dernière œuvre de Genet parue de son vivant – était sa manière de résister encore à la compromission sociale que la publication a toujours représentée à ses yeux. Impossible pour lui d’incarner le rôle d’écrivain qu’on lui assignait et de jouer le jeu éditorial en assurant la promotion de ses livres. Ces valises témoignent de « cette folie d’écriture qui veut échapper au livre, de ce combat singulier entre un auteur qui s’est juré de ne plus jamais écrire, de garder, comme il le dit, “la bouche cousue”, et l’irrépressible propension qu’il a, malgré lui, à noter la moindre phrase, pensée ou réflexion qui le traverse, à griffonner en permanence sa vie ». Ce vœu de silence, il semble l’avoir prononcé après le suicide de son amant, Abdallah Bentaga, en 1964. Entre cette date et 1967, il n’existe en effet pratiquement aucune trace de manuscrit. Il y fait une brève allusion dans Un captif amoureux : « Peut-être ce livre est-il sorti de moi sans que je puisse le contrôler. Il a trop d’irrégularité dans son cours […]. Après quinze ans, malgré mes retenues, ma bouche cousue, des fissures laissent passer ce refoulé ».

Les valises de Jean Genet IMEC Exposition En attendant Nadeau

Notes manuscrites sur une enveloppe de l’hôtel Puerta de Toledo à Madrid (juin 1977). Archives Jean Genet / IMEC © Michael Quemener

Mais cette effervescence scripturale est en même temps une remise en question de son œuvre antérieure, de sa nécessité, voire de sa justesse. Genet n’a jamais hésité à raturer, à détruire sa légende quand il pensait que ses textes sonnaient faux : « mes livres comme mes pièces, étaient écrits contre moi-même », disait-il à Roger Blin. « Et si je ne réussis pas, par mon seul texte, à m’exposer, il faudrait m’aider. Contre moi-même, contre nous-mêmes, alors que ces représentations nous placent de je ne sais quel bon côté par où la poésie n’arrive pas. »

Genet se méfie de son image, ou bien plutôt de l’image et de son utilisation en politique. Dans un des textes où il réfléchit sur la révolution, il écrit : « Un des dangers qui nous guette tous, et aussi les Panthers, c’est la capitalisation de notre nom et de notre image. Je crois qu’il est temps de refuser que les images d’information ne servent qu’à nous, à notre célébrité – temporaire il est vrai. Il faut dominer ces moyens, se servir d’eux, mais n’être pas leur esclave. Pourtant, il a une telle fascination, que nous nous laissons aller, et la pente est si douce et l’exaltation si grande quand nous réussissons à avoir la vedette. »

Préserver sa solitude : cette exigence de se tenir à l’écart du monde littéraire et intellectuel, libre de tout lien social, de toute compromission politique, lui a ainsi permis toutes les audaces, nécessaires pour (se) réinventer, demeurer, retrouver enfin la légèreté du rire et du jeu qui s’oppose à la gravité du deuil : « C’est donc sous la lumière […] non du “travail” mais du jeu, non de la “famille” mais de la pédérastie, non de la “patrie” mais de ma solitude que j’écris ». Cette exigence de s’écrire autrement, manière de rêver d’un autre avenir pour la politique et pour la littérature, et c’est dans leur articulation – toujours à inventer – que réside sa force. Car « la liberté n’existe, écrit-il, qu’à l’intérieur du jeu créatif individuel ».

Les valises de Jean Genet IMEC Exposition En attendant Nadeau

Notes manuscrites sur divers supports (1970-1980). Archives Jean Genet / IMEC © Michael Quemener

C’est cette « fonction ludique » que Genet dit avoir découverte en mai 1968 et qui se retrouvera au centre de son engagement auprès des Palestiniens, manière de rendre son écriture encore imprenable : « Mousse, lichen, herbe, écrit-il dans Un captif amoureux, quelques églantines capables de soulever des dalles de granit rouge étaient l’image du peuple palestinien qui sortait un peu partout des fissures… Car il me faudra dire pourquoi j’allai avec le feddayin, que j’en arrive à cette ultime raison : par jeu. Le hasard m’aida beaucoup. Je crois que j’étais déjà mort au monde. Et très lentement, comme de consomption, je mourus définitivement afin de faire chic. »

Un autre portrait de Genet est esquissé dans ces manuscrits, où le rire et le jeu occupent une place privilégiée dans ses tentatives de penser autrement le rapport à autrui : « – À la limite une idée libertaire et ce monde serait sans importance si je n’entrevoyais pas déjà entre les êtres des rapports que je ne peux dire que poétiques. Où la propriété et le pouvoir seraient remplacés par le don, étant bien entendu qu’il n’y a de réel que le don de soi, c’est-à-dire don de rien en échange de rien. Simple sourire. » Un sourire loin de l’image mortifère des interprétations qui veulent réduire l’œuvre à la fascination du Mal – et du Mâle –,  annihilant sa portée politique, la rendant de fait inapte au débat public.

« Et puis enfin il y a le rire », note Jean Genet sur une feuille détachée, faisant sans doute partie d’un ensemble et conservée séparément dans une chemise. Un petit fragment qui met pourtant encore en évidence un des aspects les plus précieux de son œuvre : la manière dont elle s’amuse à déjouer les catégories, en travaillant la matérialité de la langue. Écrire, nous rappelle-t-il dans « L’étrange mot d’ », c’est « révéler une orgie verbale dont le sens se perd non dans la nuit des temps mais dans l’infini des mutations tendres ou brutales ». Il met en mouvement, en scène, la sensualité des mots, voire leur sexualité, qui les libère du sens qui pourrait leur être imposé. Et il nous montre que le sens n’est pas inatteignable : il est susceptible de surgir, de disparaître ou d’être modifié à tout moment par un déplacement, un glissement joyeux. Par le plaisir retrouvé de la langue, sur un sachet de sucre, partout où cela reste possible.

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jeudi 24 octobre 2024

Violette d’Urso / Même le bruit de la nuit a changé / Une odyssée au féminin

 






Portrait de Violette D'Urso
Violette d’Urso © Rodolphe Bricard / Flammarion

Une odyssée au féminin

par Marie Étienne
12 août 2023


Le livre de Violette d’Urso nous conduit de surprise en surprise. Intitulé roman, il colle à la biographie de son autrice ; émaillé de chansons, il est lourd de souffrance contenue ; éloge de la sororité, de l’amour parental, il malmène, ô combien, les secrets de famille ; allègre, primesautier, il révèle un savoir littéraire et humain auquel les écrivains en herbe ont rarement accès.

Violette d’Urso | Même le bruit de la nuit a changé. Flammarion, 300 p., 20 €

Couverture de "Même le bruit de la nuit a changé", de Violette d’Urso

« Même le bruit de la nuit a changé », de Violette d’Urso © Flammarion




Le livre de Violette d’Urso nous conduit de surprise en surprise. Intitulé roman, il colle à la biographie de son autrice ; émaillé de chansons, il est lourd de souffrance contenue ; éloge de la sororité, de l’amour parental, il malmène, ô combien, les secrets de famille ; allègre, primesautier, il révèle un savoir littéraire et humain auquel les écrivains en herbe ont rarement accès.

Violette d’Urso | Même le bruit de la nuit a changé. Flammarion, 300 p., 20 €

Les premières pages débutent comme un conte fantastique. Une mouche assaille la narratrice dès son réveil, le matin, tôt, en se posant sur son visage : « Elle l’attaque sans cesse, le poinçonne, comme si de toute la force de son petit corps elle voulait le faire résonner, elle se jette dessus comme on se lancerait sur une porte cadenassée qui protège un secret. On dirait qu’elle veut absolument entrer dans ma tête […] comme si mon corps vivait et que ma tête était déjà morte ».

Elles sont un concentré du récit qu’elles amorcent : tourment d’une obsession, dénigrement de soi et personnage coupé en deux. Elles s’achèvent par l’annonce, par la révélation du drame qui désespère la narratrice depuis déjà quinze ans : le décès de son père.

Les dates sont importantes. Violette achève son livre (publié il y a quelques mois) quand elle a vingt-quatre ans, elle le commence six ans plus tôt, elle perd son père enfant, quand elle n’a que cinq ans. C’est cette traversée qui fait l’objet de son récit. Un retour mémoriel – elle évoque et rassemble les quelques souvenirs qu’elle conserve de son père ; et une sorte d’odyssée, pour retrouver les lieux et rencontrer les gens qui l’ont connu et fréquenté, restituer une trajectoire plus compliquée, moins gratifiante que celle dont elle se berce et qu’elle veut croire vraie.

Un besoin d’autant plus lancinant que sa mère et une sœur plus âgée qu’elle lui ont, à l’époque, trois jours durant, afin de l’épargner, dissimulé les circonstances et le moment du drame. Un laps de temps très court dans l’absolu et cependant très long pour elle : il la met en retard, c’est du moins ce qu’elle croit, ce qu’elle éprouve, à jamais, il la fige dans l’instant de l’annonce de la mort, petite fille qui comprend mal ou comprend de travers, mûrie d’un coup, d’un saut, oubliant son enfance. « Les premiers souvenirs parfaitement distincts de mon enfance sont ceux de l’instant où elle prend fin. »

Là intervient le ton, l’écriture de Violette, saisissante de justesse. Violette ne force rien, elle n’en a pas besoin, elle est encore si jeune, si près de cette enfance. Il lui suffit de ranimer en elle les situations pour faire venir les mots, les expressions et les images qui leur étaient contemporaines. Ainsi, elle ne comprend pas que son père soit mort puisque, pour elle, « on ne peut mourir qu’en chutant d’une falaise. Je vois mon père continuer de courir dans les airs et se rendre compte qu’il se trouve au-dessus du vide ». Une image à la Mary Poppins. Ou, au contraire, elle comprend trop le chagrin de sa mère et prend l’allure d’une protectrice : « C’est comme si je voyais tout changer autour de moi et que je grandissais de deux ans par heure, comme Alice au pays des merveilles. » Ou bien sa sœur Molly ressemble à Matilda, le personnage de Roald Dahl, parce qu’elle paraît un peu sorcière, apte à jeter des sorts, à déplacer des objets à distance…

Violette d’Urso, adulte, se meut encore dans l’univers des contes. Elle en conserve l’apesanteur, et un humour qu’on pourrait croire involontaire : « L’église et le rhum-Coca-Cola, voilà ce qui m’a sauvée », ce dernier n’étant pas une boisson mais « le CD de Rum and Coca-Cola des Andrews Sisters », qu’elle fait tourner en boucle.

Les chansons, en effet, sont nombreuses dans le livre, elles le rythment et l’aèrent ; comme chez Annie Ernaux, elles sont une façon de dater une époque : citation, en exergue, de « Chanson de Maxence », d’après Michel Legrand, Les Demoiselles de Rochefort : « Je ne connais rien de lui et pourtant je le vois / J’ai inventé son nom, j’ai entendu sa voix… » ; airs des séries Hannah Montana et High School Musical ; chansons d’Elvis Presley, mises à fond chaque soir pour que dansent les sœurs avant d’aller dormir ; compilation de chansons italiennes…

Chanter, danser, n’empêche pas la tristesse, le manque. De la mère quand la mère est absente, en vacances ; ou du père qui n’existe qu’en rêve : « J’aimais une création de mon esprit – en circuit fermé ». Une belle, une émouvante séquence : elle rêve qu’elle danse avec son père, enfant, ses petits pieds posés, transportés par les siens, tous les deux devenus aériens.

C’est ainsi qu’elle le voit, l’imagine. Magique, ou féerique. Jamais vaincu, comme un héros d’heroic fantasy. D’une culture peu commune. D’une ascendance éblouissante. Fréquentant les grands noms italiens. « Encore un qui devait se prendre pour mon père », conclut drôlement Violette d’Urso en évoquant Pasolini !

La vision trop parfaite du père évanoui commence à se flouter à la mort d’un des oncles, auquel elle est très attachée, lui aussi prestigieux, « l’un des premiers Italiens à faire carrière dans la banque à New-York […] C’était un familier d’Agnelli, mais aussi d’Henry Kissinger et de la princesse Margaret ». Quand elle parvient à son chevet, elle éclate non en larmes mais de rire. Elle ose le rire, elle ose aussi l’écrire : l’homme qu’elle avait connu toujours si élégant porte sur son lit de mort une cravate horrible où des  saucisses cocktail voisinent avec des verres de martini. Il est, de plus, maquillé par les pompes funèbres comme une influenceuse américaine. La figure de légende se transforme encore plus quand paraît au milieu du salon familial un très bel homme de quarante ans. C’était l’amant caché de l’oncle. « J’éprouvais la douleur du mensonge continu de mon oncle. Pour la première fois, je prenais conscience du poids de notre famille, de la préservation de l’ordre du clan. Pour la première fois, je me questionnais véritablement sur les secrets, de famille en particulier, et sur la nécessité de les révéler, ou non. »

À dix-huit ans, après un incident, elle prend soudain conscience du mensonge qu’elle-même entretient vis-à-vis de son père : elle ne sait rien de bien précis à son sujet. Et décide de partir retrouver des éléments tangibles de son identité. La quête commence par la découverte des carnets de son père, qui contiennent les adresses de ceux qu’il fréquentait. Elle se poursuit par un voyage en Italie, puisque son père est italien, et par une première rencontre, contre laquelle elle se fracasse. On lui apprend complaisamment que son cher père, non seulement buvait, mais se droguait à l’héroïne. Normal, se console-t-elle, les héros sont accros à l’héro ! Mais la légende s’est effondrée. Violette parcourt un champ de ruines que lui révèlent les amis, connaissances et amours paternels, qu’elle recherche et rencontre à travers l’Italie.

Citons à cet égard un chapitre étonnant au cours duquel elle recherche la tombe de son père au cimetière romain de Campo Verano. « Aaaaah, s’exclame le chauffeur de taxi, mais fallait le dire, c’est juste à côté de Silvana Mangano ! Tournez à droite à Vittorio de Sica… »

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« Comme Télémaque, déclare Violette sans pour autant se situer à son niveau, c’est moins l’objet de ma recherche qui importait vraiment que le voyage lui-même : j’en suis sortie changée. »

Dans son style efficace et toujours sarcastique, Violette décrit l’état dans lequel elle se trouve avant de prendre son élan : « Mon corps en était arrivé à un état d’épuisement qui n’était plus supportable […], j’étais passée dans tous les tubes et tous les tubes étaient passés en moi. […] Je n’étais pas en miettes, j’étais juste une baguette de pain rassis ».

Mais c’est enfin paisible, ou plutôt pacifiée, qu’elle fera le voyage qui la conduit à Naples, ville d’Erri De Luca et aussi de son père, qu’elle prendra connaissance de son passé tumultueux, pas toujours admirable pendant et après la guerre – on pense alors à Modiano –, et que, sans toujours parvenir à percer les secrets, elle finira par accepter tout ce qui vient de lui.

Comme Télémaque, déclare Violette sans pour autant se situer à son niveau, c’est moins l’objet de ma recherche qui importait vraiment que le voyage lui-même : j’en suis sortie changée.

De fait, elle a depuis quitté le cocon familial, vécu aux États-Unis, obtenu des diplômes, appris différentes langues, déficelé son grand corps mince et coupé ses cheveux, libérant un visage aussi mobile, aussi contradictoire, assombri ou zébré de lumière qu’un ciel napolitain.

« Quand il faisait beau à Naples, le ciel était radieux, sans aucun nuage, le soleil était chaud, rassurant. Lorsque le temps était mauvais, c’était apocalyptique : des tempêtes, un ciel noir, des pluies torrentielles. […] Cette ville me faisait prendre conscience qu’il n’était ni un héros ni un sale type, il était simplement napolitain. »

Que Violette d’Urso soit la fille d’Inès de La Fressange, que son père, Luigi d’Urso, homme d’affaires et marchand d’art italien, ait fait la une des journaux en mourant devant la porte de son domicile d’une crise cardiaque à cinquante-six ans, et que son beau-père soit Denis Olivennes, ne change en rien la donne. Romancière de talent, elle s’est construite avec et en dépit de sa famille.


EN ATTENDANT NADEAU