jeudi 28 août 2025

Derniers feux de Louise Glück


Recueil collectif de recettes d’hiver Louise Glück
Louise Glück © Katherine Wolkoff 


Derniers feux de Louise Glück

Recueil collectif de recettes d’hiver, paru en 2021, est le treizième et dernier recueil de poésie de Louise Glück, disparue en octobre 2023, trois ans après son prix Nobel. Assez proche dans son inspiration et sa forme du précédent, Nuit de foi et de vertu, paru il y a sept ans, il poursuit l’évocation des grandes douleurs de l’existence humaine, sujet de toute son œuvre, mais il prépare plus précisément aux frimas de l’âge et de la mort, tout en suggérant (?) par son titre qu’existeraient des  « recettes » pour les endurer.

mercredi 27 août 2025

Tove Ditlevsen / Dures années de l’enfance



Tove Ditlevsen Enfance


Dures années de l’enfance

Lorsque parurent les trois petits volumes de son autobiographie, La Trilogie de Copenhague, entre 1967 et 1971, Tove Ditlevsen (1917-1976) était déjà une poète et auteure reconnue dans son pays, le Danemark. Le premier, Enfance, reparaît en français.

mardi 26 août 2025

Louise Bodin / La bolchevique aux bijoux

 


La voix de Louise Bodin

La biographie de Louise Bodin (1877-1929), Louise Bodin. La bolchevique aux bijoux, de Colette Cosnier, parue en 1988 aux éditions Hornay et rééditée aujourd’hui par les Presses universitaires de Rennes, (re)met en lumière une intéressante personnalité du féminisme et de la gauche appartenant au premier quart du XXsiècle.

lundi 25 août 2025

Claude Grimal / Elizabeth II : la reine et ses poètes

 


Elizabeth II : la reine et ses poètes

Avant la procession du convoi funéraire de la reine Elizabeth II, à Londres (14 septembre 2022) © CC2.0/Ross Dunn


Elizabeth II : la reine et ses poètes

par Claude Grimal
19 septembre 2022

À peine sèche l’encre de « Queenhood : a poem for the Queen’s Platinum Jubilee », célébration du jubilé de la reine Elizabeth, Simon Armitage, poète lauréat, s’est remis au travail pour une élégie à la souveraine, intitulée « Floral Tribute ». Reprendra-t-il à nouveau la plume pour le couronnement de Charles III ? 

dimanche 24 août 2025

Un projet poétique autobiographique, mythique et historique



Hélène en Égypte, de H.D. : un projet poétique autobiographique

Un projet poétique autobiographique, mythique et historique

par Claude Grimal
5 octobre 2022

Le grand poème de H.D. (Hilda Doolittle), Hélène en Égypte (1961), a déjà été publié en français en 1992 aux éditions de La Différence. Il reparait aujourd’hui aux éditions Corti dans une version revue par son traducteur, Jean-Paul Auxeméry, et accompagnée d’utiles « péritextes ». 
H.D., Hélène en Égypte. Trad. de l’anglais (États-Unis) par Jean-Paul Auxeméry. José Corti, coll. « Série américaine », 352 p., 23 € xxx


Hélène en Égypte, de H.D. : un projet poétique autobiographique
« La Guerre de Troie : l’enlèvement d’Hélène » (entre 1300 et 1350) © Gallica/BnF

 

Hilda Doolittle (1886-1961), Américaine mais ayant vécu en Grande–Bretagne, baptisée H.D. par Ezra Pound et déclarée imagiste par lui, commence sa carrière en poésie pendant la Première Guerre mondiale. Elle publie ensuite aussi de la prose (dont le récit de son analyse avec Freud) et de longues œuvres poétiques, Trilogie (1944-1946), Hélène en Égypte (1961), qui avaient l’ambition de rivaliser avec les grandes « épopées » américaines (Whitman, Crane, Pound…) et d’instaurer, dans le cas d’Hélène en Égypte, un dialogue avec les textes de l’Antiquité. 
Hélène en Égypte, qui fait environ 300 pages, est divisé en trois parties (« Palinodie », « Leukè » et « Eidolon »), comprenant six ou sept livres chacune, chaque livre étant lui-même composé de huit chants. Des indications en prose précèdent les chants, toujours composés de tercets en vers très courts. La « manière » du livre est celle d’un modernisme oblique et allusif ; elle est cependant de tonalité un peu mystique et plongée dans des références mythologiques et ésotériques. Le thème choisi se veut un contrepied à l’Iliade : Hilda Doolittle emprunte à Stésichore l’histoire d’une Hélène qui n’est jamais allée à Troie, mais a été amenée en Égypte par Hermès, et dont, seul, le double fantomal se trouvait parmi les Troyens. La guerre n’aurait donc été menée que « pour » une illusion. 
La visée féminine, sinon féministe, de ce choix éloigne de l’épopée et permet au texte de se diriger plutôt vers la mise en scène lyrique d’une âme dont on comprend qu’elle est autant celle d’Hélène que de H.D. Les enjeux sont ceux de l’existence de la poétesse et de son époque (les conflits mondiaux qu’elle a vécus). Les hommes qui sont rencontrés ou évoqués, tout en étant Achille, Pâris, Thésée, Ménélas et Ulysse, « représentent » des hommes qu’elle a connus (Thésée « est » Sigmund Freud, Ulysse « est » Ezra Pound) ; ils introduisent ainsi à différents domaines de la culture antique ou contemporaine (la guerre, l’interprétation de l’inconscient, l’art…) sans faire sortir le texte de sa concentration sur la psyché et les rêves. 
La lecture, faite sur la longueur, se heurte à plusieurs obstacles : l’absence de mouvement narratif ou dramatique, la fadeur d’un ton légèrement vatique accentué par la monotonie d’un vers très bref, et l’obscurité. Non que l’obscurité soit en elle-même un défaut, mais elle s’accentue au fil des pages, sans rien construire cumulativement, en laissant chaque moment vague et inachevé. La fin d’Hélène en Égypte est en quelque sorte un constat d’échec, elle signe l’absence de direction de la démarche poétique ; en effet, après plusieurs centaines de pages, le poème se replie sur le banal et ne parvient à offrir qu’une conclusion bien mince et bien décevante : « le secret est l’absence de secret […].
 Il y a un moment fini que nulle joie infinie ne peut disperser et que la pensée du bonheur passé ne peut tenter ni dissiper ». Hélène en Égypte apparait, de fait, comme un texte assez asthénique, exhibant les signes lettrés et mystérieux de son importance en lieu et place d’une authentique vitalité poétique. 
Sans doute une partie de son projet était-elle intéressante : il se voulait épopée et poème lyrique, historique et autobiographique, sur la guerre de Troie et sur toutes les guerres, poème et prose, version féminine de sujets traités par les hommes… Mais il souffre des limites de la pensée de H.D., de la réduction de son matériau poétique et de celle de son spectre discursif ainsi que d’une absence de télos. C’est une curiosité littéraire, belle dans certains de ses passages, mais dépourvue de l’énergie qui lui aurait permis de conjuguer le personnel, le mythique et l’historique.

EN ATTENDANT NADEAU





samedi 23 août 2025

Jakub Szamałek / Tu sais qui / Au bal du Web

 


Suspense (47) : au bal du Web avec Jakub Szamałek

Au bal du Web

Suspense (47)

« Les nouvelles technologies permettent anonymat et confidentialité complète et également une surveillance totale, ce qui fait de 1984 un scénario optimiste », déclare Julita, l’héroïne journaliste de Tu sais qui du Polonais Jakub Szamałek.


Jakub Szamałek, Tu sais qui. Trad. du polonais par Kamil Barbarski. Metailié, 448 p., 23 €


Déclaration sans originalité mais qui décrit bien une des préoccupations du livre. Voilà qui ne devrait toutefois pas empêcher de lire ce polar, par ailleurs peu sentencieux et gentiment ironique, dans lequel Julita, pour mener son enquête, doit se colleter aux aspects les plus cachés et criminels du Net. Oublions donc que « Nous en tant que société devons répondre à la question de savoir quelle valeur nous attribuons à la vie privée. Et quel prix nous sommes prêts à payer pour cela », autre réflexion de l’héroïne, et distrayons-nous.

Suspense (47) : au bal du Web avec Jakub Szamałek

« Hacker » © CC2.0/The Preiser Project

Julita travaille pour Meganews.pl, un site d’information en ligne (entendez : un tabloïd du Net spécialisé dans les articles à sensation). Son but, si elle veut gagner un peu plus d’argent et accéder un jour au statut de journaliste vedette, est de trouver et de rédiger le sujet le plus « cliquable » possible, celui qui aura droit au rouge le plus rouge de la heatmap du site. 

Lorsque Ryszard Buczek, qui dirige une émission télévisée pour enfants, est tué dans un accident de voiture, Julita a le sentiment que le sujet est hot et publie aussitôt un article racoleur, rapidement très liké. Les choses deviennent hotter lorsque, voulant exploiter à fond le filon Buczek, elle commence à subodorer que la mort de l’animateur est due à un acte criminel. Elle décide d’en savoir plus et en découvre suffisamment pour agacer les autorités et un certain « Tusaisqui » qui lui intime, via sa messagerie, de cesser ses recherches et ses « posts ». Comme elle refuse, il inonde alors les réseaux sociaux et les imprimantes de son employeur de photos d’elle compromettantes. Elle est virée mais continue l’enquête, aidée, entre autres, par un génie de l’informatique mal embouché, Jan Tran. La mort de Buczek est bien un assassinat : quelqu’un a pris à distance le contrôle du système de guidage électronique de sa voiture. Buczek n’est pas qui il semblait être, Jan Tran non plus, un curieux procureur entre en scène, Julita se montre plus intrépide qu’il ne faudrait, etc. 

Le roman contient ce qu’il faut de péripéties, de déguisements, de suspense, de personnages secondaires bizarres ou sympathiques… Il contient surtout beaucoup de moments où les téléphones se déclenchent seuls, les écrans font apparaître des messages venus d’on ne sait où, des conversations cryptées s’engagent entre interlocuteurs mystérieux… Les machines apparaissent comme plus monstrueuses (même si nous savons qu’elles n’agissent pas seules) que les monstres dont nous avons l’habitude : loups-garous, fantômes, serial killers, gangsters, politiques véreux ou mafieux… Elles peuvent à loisir violer notre intimité, détruire notre réputation, voler notre argent, mettre un terme à notre existence. Mais, dans Tu sais qui, l’auteur ne se contente pas de décrire les effets (possibles) des systèmes de hacking, il prend aussi plaisir à nous expliquer leur fonctionnement technique. 

Pourtant, peu d’entre nous rêvent de leçons sur les cybermécanismes du spearfishing, du vol d’identité, de l’extorsion, activités pratiquées sur le Dark Web comme sur celui qui ne l’est pas, à côté d’autres semble-t-il louables (cf. les révélations de Julian Assange). À tort, car les aventures cybernétiques de Julita, Jan et compagnie nous permettent de bénéficier d’intrigants petits cours d’informatique (à condition d’en sauter quelques moments un peu rasoir). Ils nous donnent, à nous élèves lecteurs, l’impression de tout comprendre et le désir de nous transformer en héros capables de déjouer les menées de puissances cachées et destructrices. Suivons les indications de Jan ! Avec trois ou quatre ordinateurs personnels différents, des mots de passe à gogo, quelques nuits de pianotage, un bon coussin, des litres de collyre, du flair cryptographique et de l’obstination, clic clic clic… Le tour est joué. 

Certes, la gousse d’ail et le crucifix, c’était moins compliqué, mais les temps changent, et Tu sais qui nous entraine dans un bal virevoltant, non de vampires mais de nouvelles technologies informatiques. Délétère et cybernétique à souhait !

EN ATTENDANT NADEAU




vendredi 22 août 2025

Eula Biss / Avoir et se faire avoir / Le prix des dollars


Avoir et se faire avoir, d'Eula Biss : le prix des dollars


Le prix des dollars

par Claude Grimal
21 septembre 2022

Il s’est dernièrement publié aux États-Unis une série d’essais dans lesquels les auteurs présentent leurs difficultés à s’accommoder d’une existence en société capitaliste avancée (ou finissante ?) alors qu’ils n’en sont pas eux-mêmes les premières victimes. Eula Biss, avec Avoir et se faire avoir, est l’une d’entre eux. 

Eula Biss, Avoir et se faire avoir. Trad. de l’anglais (États-Unis) par Justine Augier. Payot, 280 p., 21 € 

L’analyse critique personnelle d’une position (un peu ou très) privilégiée a d’habitude tendance à susciter chez le lecteur un brin d’agacement. Lassé de voir se dérouler au fil des pages le schéma prévisible (la liste des avantages qu’apporte le confort social mêlée à des aveux de culpabilité, de malaise, de promesses d’amendement, etc.), il est prêt à penser que le mode autobiographique n’est pas le mieux adapté à ce sujet où le piège narcissique menace. Eula Biss, qui est poète et essayiste, évite ce piège grâce à sa manière directe, vive, presque naïve, d’aborder la question. 

jeudi 21 août 2025

Ariane Martinez / Contorsion / La souplesse des corps


Contorsion, d'Ariane Martinez : la souplesse des corps

© Société d’Histoire du Théâtre


La souplesse des corps

Nous avons l’expérience de la « contorsion » pour l’avoir vue dans des situations culturelles variées comme la danse ou l’acrobatie (et sous des formes involontaires dans des déformations corporelles pathologiques). Nous savons aussi le rôle qu’elle a pu tenir autrefois au music-hall et dans les spectacles de foire avec les numéros d’« hommes ou femmes caoutchouc », et ceux, différents, affectionnés par le cirque contemporain. Mais qu’y a-t-il de commun à toutes ces pratiques, et que recouvrent d’ailleurs le terme de « contorsion » et celui, plus neuf, de « contorsionnisme » ? Le très informé livre d’Ariane Martinez aide à y voir plus clair dans un domaine jusqu’ici peu exploré.

mardi 19 août 2025

Claude Grimal / Whoop-pi-ty-yi-yo, Whoop-pi-ti-yi-yai !

 




Whoop-pi-ty-yi-yo, Whoop-pi-ti-yi-yai !


L’Ouest des États-Unis chante, moins autour d’un feu de camp ou à dos de cheval qu’en spectacle « live », à la radio, au cinéma. La « country and western music » est son « genre » à l’intérieur duquel s’est distinguée une figure curieuse, celle du « singing cowboy », connu des Français à cause de Lucky Luke et de son parfaitement français « I am a poor lonesome cowboy». Mais derrière l’aimable personnage de papier et sa ritournelle, existent une histoire et une tradition que voici.

mardi 5 août 2025

Miles Hyman / Ephemerie


ActuaLitté

Ephemeria, une exposition autour de l'illustrateur Miles Hyman


Le 19/09/2024 à 18:47 par Hocine Bouhadjera

Miles Hyman est mise à l'honneur dans une exposition, Ephemeria I, où il plonge dans le thème qui le passionne : le temps, avec ses vibrations, ses subtilités et ses paradoxes. Capturé à travers une vingtaine de nouveaux dessins et peintures, le temps est chorégraphié par l'artiste sur les murs de la Galerie Martel, à Paris, où chaque œuvre, tout en ayant sa propre existence, contribue au rythme global de l'initiative, accessible dès le 4 octobre, jusqu'au 2 novembre.

dimanche 3 août 2025

Florence Delay (1941-2025) : Conversion brève, « Il n’y a pas de cheval sur le chemin de Damas »


Florence Delay © éditions du Seuil

Florence Delay (1941-2025):
 Conversion brève, « Il n’y a pas de cheval sur le chemin de Damas »

Jean-Pierre Ferrini    Livres

En hommage à Florence Delay, romancière, académicienne, universitaire décédée ce mardi 1er juillet 2025, Diacritik republie deux articles consacrés à l’autrice et son livre Il n’y a pas de cheval sur le chemin de Damas (Le Seuil, coll. La Librairie du XXIè siècle) : la rencontre entre Florence Delay, Denis Podalydès et Martin Rueff lors de la soirée Coïncidences du 27 juin 2022 à La Maison de l’Amérique Latine et la recension de Jean-Pierre Ferrini, Conversion brève : Florence Delay (Il n’y a pas de cheval sur le chemin de Damas).

samedi 2 août 2025

Cécile Cornet / La révolte au service de la peinture

 




Cécile Cornet : la révolte au service de la peinture

Cécile Cornet, Les boîtes de conserve, 2020, acrylique sur toile, collection privée

Il est difficile de détacher son regard d’une œuvre de Cécile Cornet. Tantôt attiré, tantôt révolté, le spectateur fait face à des scènes dont la force ne peut laisser indemne.  Chacune de ses représentations est une explosion de sens et de couleurs, toutes ancrées dans des expériences intimes, qu’il s’agisse de souvenirs, de réminiscences ou de sentiments de révolte représentés par des objets devenus symboles. Chaque image est longuement pensée, imprégnée par la sensibilité d’une artiste soucieuse de mettre en lumière les inégalités sociales, entre féminisme et lutte des classes.

 

Cécile Cornet dans son atelier à Marseille, 2022 (DR)

Rencontre avec la peinture

Enfant, le crayon à la main, Cécile Cornet dessinait toujours, inspirée par le monde qui l’entourait, par les princesses de dessins animés et par les clips de MTV des années 2000 – en somme, par son monde enfantin et adolescent. Elle décide de se tourner vers des études d’histoire, qu’elle poursuivra jusqu’à l’obtention d’un master en histoire du genre, et qui feront naître en elle une conscience des inégalités sociales ainsi qu’un amour pour la lecture et pour le discours sourcé. Sept ans après avoir abandonné ses projets artistiques, lors d’un atelier de peinture, l’évidence s’impose : elle vibre au contact de la toile, c’est bel et bien sa place. De cet évènement récréatif naît une véritable vocation, qui pousse l’artiste à abandonner ses projets annexes et à se consacrer à sa pratique autodidacte. Elle intègre alors l’école Kourtrajmé et apprend à mêler ses propres expériences à des enjeux politiques et sociaux plus généraux.







La peinture est pour elle un moyen d’expression central : chaque sentiment de révolte est fécond et, de ces émotions suscitées par un monde aux inégalités multiples, naissent des images aptes à transmettre un message politique. Séduit par les couleurs vives et attrayantes, le spectateur s’approche pour découvrir des scènes de souffrance ou des sujets douloureux (Auto trahison, 2021). Entre effroi et attrait, le regard est captivé. L’artiste joue avec cette ambivalence : « Vous seriez-vous approché de mon tableau si les couleurs étaient aussi sombres que le sujet ? », questionne-t-elle. Les codes publicitaires sont retravaillés pour mieux faire sentir l’écart entre la forme et le fond.

Cécile Cornet, Auto-trahison, 2021, acrylique sur toile

Le foyer, de l’intime au collectif

L’inscription directe de son discours dans le décor du foyer fait la force de la représentation. Derrière les portes de chacun se trouvent des mondes intimes, tapissés d’objets personnels qui forgent nos souvenirs et dont nous oublions souvent la portée politique. Cécile Cornet explore les réminiscences associées à ce qui compose les lieux dans lesquels elle a vécu. Les boîtes de conserve, la texture de la toile cirée qui recouvre la table de la cuisine, ou encore les motifs des foulards de sa grand-mère avec lesquels elle se déguisait enfant, sont autant d’éléments qui font les goûts, les images, les odeurs, les sensations d’une vie. Ces objets forment des natures mortes contemporaines, sorties du faste classique pour rejoindre le quotidien de millions de personnes qui peuvent y reconnaître leurs propres habitudes : « Si une petite fille qui a grandi dans le même milieu social que moi se rendait au musée et voyait sur un tableau des choses qu’elle a sur sa table, peut-être que cela l’aiderait mieux à comprendre sa place et à se sentir représentée. »

La représentation du foyer permet de mettre en lumière les inégalités qui le composent. Dans l’installation Dans le lit qu’elle fait il se couche, réalisée en 2020, un triptyque est présenté face à un lit défait et à deux tables de chevet dont on distingue aisément celle attribuée à la femme – couverte de papiers et d’une pilule – et celle de l’homme. La différence de charge mentale au sein du couple est ainsi présentée de manière directe, grâce à des objets que chacun retrouve chez soi, et à des toiles faisant écho tantôt à la cuisine, au ménage ou à la lessive. Ainsi, le déséquilibre visuel met le couple face à ses contradictions et témoigne d’un déséquilibre trop ancré dans la répartition des tâches entre les hommes et les femmes.

Représenter les femmes autrement

Cécile Cornet est de ces artistes qui décident de s’approprier l’image des corps féminins. Incarnées, vivantes, ces figures ne sont pas idéalisées et servent un regard militant. En effet, qu’il s’agisse d’aborder les violences domestiques (La cocotte, 2021), psychologiques ou gynécologiques (À l’assaut du ciel, 2020), les violences faites aux femmes sont représentées sous différentes formes, de manière singulière. Dans ces deux œuvres, l’effet dramatique est accentué par les jeux d’ombre, formant à la fois la figure monstrueuse du gynécologue et la correspondance terrible entre l’ombre du corps et celle de la cocotte-minute. Sans cri ni larme, sans expression, le lourd poids du silence de ces scènes traumatiques est mis en lumière de manière spectaculaire.

Cécile Cornet, La cocotte, 2021, acrylique sur toile

Ailleurs, la figure féminine prend une forme active et créatrice. Dans le triptyque Dibutadès (2021), l’artiste fait écho au mythe qui retrace la naissance de la peinture pour inverser les rôles traditionnels et faire de l’homme un muse. À travers des couleurs vives, nous retrouvons l’importance de l’ombre comme origine de la représentation et comme fil conducteur présent dans de nombreuses œuvres de l’artiste. Ainsi, la figure de la femme artiste est mise à l’honneur. Si la représentation des femmes est centrale pour Cécile Cornet, c’est aussi parce qu’elle tient ses engagements de sa mère, trapéziste dès l’âge de 14 ans, à la personnalité engagée et créative. Elle dit, en effet, ce que cette figure hors des codes, sensible et révoltée a d’inspirant. Si elle est avant tout un soutien fort, elle est aussi celle qui fut de toutes les batailles et qui a dû faire face à une société misogyne et inégalitaire pour garantir un avenir à son enfant. C’est à cette femme protectrice, aimante, sensible et féministe que Cécile Cornet veut rendre hommage à travers des œuvres qui témoignent de leur vécu commun mais aussi de la révolte, de l’amour et du désir de liberté qu’elle lui a transmis.

Cécile Cornet est une artiste aux engagements marqués. Toujours soucieuse de sa légitimité à aborder un sujet, elle prend soin d’ancrer les représentations dans ses expériences et dans des lectures choisies pour ne jamais tomber dans l’inapproprié ou dans les écueils de l’histoire de la peinture. Elle s’attaque avec force à la question du genre et des luttes de classe, en gardant un œil esthétique et libre.

Cécile Cornet, Maggi gang, 2021, acrylique sur toile
Cécile Cornet, L’Ananas, 2022, acrylique sur toile
Cécile Cornet, À l’assaut du ciel, 2020, acrylique sur toile, collection privée
Cécile Cornet, Dibutadès, 2021, triptyque, acrylique sur toile. Vue de l’exposition “Hard Corps” au Cent-quatre à Paris


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