vendredi 17 janvier 2014

Juan Gelman / Sous la pluie étrangère / III


Juan Gelman

Sous la pluie étrangère 

III

Je ne vais pas avoir honte de mes tristesses, de mes nostalgies. Je regrette la petite rue où on a tué mon chien, et j’ai pleuré près de sa mort, et je suis collé au pavé sanglant où mon chien est mort, j’existe toujours à partir de ça, j’existe de ça, je suis ça, je ne demanderai la permission à personne d’avoir la nostalgie de ça.
Suis-je autre chose, peut-être ? Des dictatures militaires sont venues, des gouvernements civils et de nouvelles dictatures militaires, ils m’ont privé de mes livres, de mon pain, de mon fils, ils ont fait le désespoir de ma mère, ils m’ont chassé de mon pays, ils ont assassiné mes petits frères, mes camarades ils les ont torturés, déchiquetés, brisés. Personne ne m’a chassé de la rue où je pleure à côté de mon chien. Quelle dictature militaire pourrait le faire ? Et quel militaire fils de pute m’arrachera au grand amour de ces crépuscules de mai, où l’oiseau de l’être se balance face à la nuit ?
Mon pays n’était pas parfait avant le putsch militaire. Mais il était mon lieu, les jours où j’ai tremblé contre les murs de l’amour, les jours où j’ai été enfant, chien, homme, les jours où j’ai aimé, on m’a aimé. Aucun général ne va rien arracher de tout ça au pays, à la douce terre que j’ai arrosée avec peu ou beaucoup d’amour, cette terre que je regrette tant et qui tant me regrette, cette terre que rien de militaire ne pourra me salir ou salir.
Il est juste que je la regrette. Car nous nous sommes toujours aimés comme ça : elle réclamant plus de moi et moi d’elle, tous deux meurtris par la douleur que l’un causait à l’autre, et forts de l’amour que nous nous portons.
Je t’aime, patrie, et tu m’aimes. Dans cet amour nous consumons imperfections et vies.



Juan Gelman

bajo la lluvia ajena 

(notas al pie de una derrota) 

III



Yo no me voy a avergonzar de mis tristezas, mis nostalgias. Extraño La callecita donde mataron a mi perro, y yo lloré junto a su muerte, y estoy pegado al empedrado con sangre donde mi perro se murió, existo todavía a partir de eso, existo de eso, soy eso, a nadie pediré permiso para tener nostalgia de eso.

¿Acaso soy otra cosa? Vinieron dictaduras militares, gobiernos civiles y nuevas dictaduras militares, me quitaron los libros, el pan, el hijo, desesperaron a mi madre, me echaron del país, asesinaron a mis hermanitos, a mis compañeros los torturaron, deshicieron, los rompieron. Ninguno me sacó de la calle donde estoy llorando al lado de mi perro.¿Qué dictadura militar podría hacerlo? ¿Y qué militar hijo de puta me sacará del gran amor de esos crepúsculos de mayo, donde la ave ser se balancea ante la noche?

No era perfecto mi país antes del golpe militar. Pero era mi estar, las veces que temblé contra lus muros del amor, las veces que fui niño, perro, hombre, las veces que quise, me quisieron. Ningún general le va a sacar nada de eso al país, a la tierrita que regué con amor, poco o mucho, tierra que extraño y que me extraña, tierra que nada militar podrá enturbiarme o enturbiar.
Es justo que la extrañe. Porque siempre nos quisimos así: ella pidiendo más de mí, yo de ella, dolidos ambos del dolor que el uno al otro hacía, y fuertes del amor que nos tenemos.
Te amo, patria, y me amás. En ese amor quemamos imperfecciones, vidas.

roma/9-5-80
Juan Gelman
Interrupciones II 
Libros de Tierra Firme, Ediciones Ultimo Reino, Buenos Aires, 1988



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