Le Nobel de littérature Abdulrazak Gurnah condamne un «manque de compassion» envers les migrants
Au lendemain de sa distinction par l'Académie suédoise, l'écrivain établi au Royaume-Uni depuis plus d'un demi-siècle a regretté les relents «illusoires» qui traversent encore le Vieux Continent.
Par Le Figaro avec AFP
publié le 08/10/2021
Le prix Nobel de littérature ne le fera pas changer d'avis. Récompensé le 7 octobre de la prestigieuse distinction littéraire, Abdulrazak Gurnah a pointé du doigt, lors d'une conférence de presse organisée vendredi à Londres, l'attitude de plusieurs États européens face à l'immigration. Le résultat, selon lui, de la persistance sur le Vieux Continent de la peur de l'autre et d'un travail de mémoire encore inaccompli sur l'histoire du colonialisme.
«Ce n'est pas seulement mon histoire... C'est un phénomène de notre époque», a déclaré au sujet des migrations l'auteur britannique de 72 ans né à Zanzibar. Fustigeant la ligne dure et cruelle des gouvernements européens sur l'immigration en provenance d'Afrique et du Moyen-Orient, l'écrivain a dénoncé un profond manque de morale et de rationalité à l'œuvre en Europe. «Des gens n'arrivent pas avec rien, ils arrivent avec leur jeunesse, leur énergie, leur potentiel», a-t-il soutenu. «Le simple fait de rester sur l'idée “ils sont là, ils viennent pour dérober quelque chose de notre prospérité” est inhumain».
Des institutions jugées «odieuses»
Résidant depuis 1967 au Royaume-Uni où il avait été accueilli comme réfugié, Abdulrazak Gurnah a estimé que si la lutte contre le racisme s'est bien accrue dans le pays au cours de ces dernières années, ses institutions demeurent, elles, «tout aussi odieuses, tout aussi autoritaires», ainsi que l'avait démontré le scandale Windrush. Révélée en 2018, l'affaire concernait la menace d'expulsion de plusieurs milliers d'immigrés Caribéens arrivés légalement au Royaume-Uni entre 1948 et 1971, mais privés de droits faute de documents nécessaires. Le scandale avait provoqué la démission de la ministre de l'Intérieur britannique de l'époque, Amber Rudd. On assiste «à la continuation de la même laideur», a poursuivi Abdulrazak Gurnah, avant de réprouver l'«erreur» du Brexit, dans lequel il voit «quelque chose de nostalgique et d'illusoire».
L'écrivain s'est également montré critique envers les politiques d'autres pays européens, comme l'Allemagne qui n'a, selon lui, pas «regardé en face son histoire coloniale». Exemple parmi d'autre des tensions persistantes autour du passé colonial européen, l'inauguration du Humboldt Forum à Berlin avait suscité la controverse en Allemagne, ces derniers mois, en raison de l'origine historique d'une partie de ses collections. Cet été, le gouvernement allemand a par ailleurs présenté ses excuses à la Namibie, pour le «génocide» des peuples Hereros et Namas et pour «les atrocités commises» dans le pays entre 1884 et 1915.
Auteur de dix romans et de plusieurs nouvelles en langue anglaise, Abdulrazak Gurnah a été couronné jeudi pour ses récits sur l'époque coloniale et post-coloniale en Afrique de l'Est et sur les tourments de réfugiés coincés entre deux mondes. Il est le cinquième écrivain né en Afrique à remporter le prix. «J'écris sur cette condition parce que je veux écrire sur les interactions humaines, ce que les gens traversent quand ils reconstruisent leur vie», a-t-il déclaré vendredi. Le romancier a insisté sur le fait qu'il continuerait à parler franchement des questions qui ont façonné son œuvre et sa vision du monde. Prix Nobel ou pas «c'est ma manière de parler, a-t-il résumé. Je ne joue pas un rôle, je dis ce que je pense.»
LE FIGARO
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire