Ernest Hemingway David Levine |
Ernest Hemingway : l’écrivain coup de poing
Paru dans l'édition 1458 du 1 juillet 2020
« Je suis comme un porc aveugle quand j’écris » : Hemingway avait l’habitude de se présenter avec cette formule, construisant son image d’écrivain fonceur, chasseur et boxeur. À 61 ans, après quatre mariages, sept romans et autant de recueils de nouvelles, il finira par retourner le fusil de chasse contre lui-même.
Enfant, son père lui offre une carabine et une canne à pêche, et lui fait découvrir la nature dans le nord du Michigan.
À 18 ans, il est reporter pour le Kansas City Star. En quête d’aventure, le jeune Hemingway rejoint en 1918 le front italien, comme ambulancier, un œil défaillant lui interdisant de participer aux combats. Gravement blessé aux jambes par un tir de mortier, il vit une histoire d’amour avec son infirmière de nuit, qui finit par l’abandonner, le laissant désespéré. Après quoi il couvre le conflit gréco-turc comme correspondant de guerre pour le Toronto Daily Star. Il restera très marqué par les horreurs auxquelles il a assisté.
Hemingway veut absolument écrire, alors il s’installe à Paris au début des années 1920 pour fréquenter les écrivains de la « génération perdue », comme Francis Scott Fitzgerald ou John Dos Passos. Il travaille sans relâche, et, en 1925, il entre en littérature avec un recueil de nouvelles au style novateur, In Our Time. Il tient son phrasé télégraphique de son activité journalistique. Son premier roman, Le soleil se lève aussi, publié l’année suivante, le rend immédiatement célèbre. Il a 27 ans. Avec des phrases sèches, sans pathos, il donne un récit très dense qui sublime ses questions sur l’écriture, le sexe et la mort.
Hemingway est tout de suite admiré pour l’efficacité de ses nouvelles. « Je me suis entraîné dur et j’ai battu M. de Maupassant, mais personne ne me fera monter sur le ring avec M. Tolstoï, sauf si je suis fou ou si je deviens encore meilleur. » Il contribue à faire sortir la littérature américaine de la prose cultivée bostonienne et new-yorkaise d’Edith Wharton ou d’Henry James. Comme le dit Jerome Charyn dans Hemingway. Portrait de l’artiste en guerrier blessé, (éd. Gallimard, coll. « Découvertes »), Hemingway a « dépouillé la langue de l’accumulation de la mémoire et du sens ».
Pour la presse magazine, qui l’adore, ce passionné de pêche au gros et de safaris pose volontiers avec ses fusils et ses trophées de chasse, aussi bien qu’avec ses enfants et ses femmes successives. Il est brouillé avec ses parents, qui trouvent ses livres dégoûtants. Ils viennent tout de même lui rendre visite en 1928 sur son île de Key West, entre Cuba et la Floride. Quelques semaines plus tard, son père se tue avec le fusil que son propre père avait utilisé pendant la guerre de Sécession. (Il dit ne pas supporter son diabète et refuser de devenir infirme.)
Hemingway injurie son père mort, le traite de lâche, et plonge dans la tristesse et dans l’alcool. En 1932, dans Mort dans l’après-midi, un récit consacré à sa passion ambivalente pour la corrida, il parvient, comme il dit, à « parler de la mort sans être morbide ».
De sa plongée dans la guerre d’Espagne, il sortira Pour qui sonne le glas, publié en 1940, qui le confirme dans son image de romancier aventurier. En 1954, après avoir publié Le Vieil Homme et la Mer, il reçoit le prix Nobel de littérature. Il ne se déplace pas en Suède, et fait lire le plus court discours de réception qu’ait connu l’académie.
Diabétique, celui que tout le monde appelle « Papa » commence à perdre la vue. Il a des sautes d’humeur, il se méfie de ses proches, et n’arrive plus à écrire. Il fait alors plusieurs séjours dans des cliniques psychiatriques, où il subit des électrochocs. En avril 1961, sortant d’une hospitalisation, il essaye de se glisser dans le réacteur d’un avion. Il a de nouveau droit à une série d’électrochocs. Le 2 juillet 1961 à l’aube, trois jours après être sorti de clinique, Hemingway note : « Le traitement était brillant, mais on a perdu le patient », et il se tue d’un coup de fusil de chasse qui lui emporte le sommet de la boîte crânienne. (Il s’était déjà gravement blessé à la tête à de nombreuses reprises tout au long de sa vie, en se cognant chez lui, ou lors d’accidents de voiture ou d’avion.)
Paris Match, qui avait publié des reportages d’Hemingway sur la tauromachie, titre cet été 1961 : « Le vieil homme choisit sa mort ».
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