mercredi 29 novembre 2023

Serge Koster (1940-2022)

 

Hommage à l'écrivain Serge Koster (1940-2022)

Serge Koster 

(1940-2022)

par Steven Sampson
16 février 2022

Serge Koster s’est éteint le 12 janvier 2022. Découvert par Maurice Nadeau, qui a édité ses critiques ainsi que ses deux premiers romans, Le soleil ni la mort (1975) et Le rêve du scribe (1976), il était chroniqueur sur France Culture et au Monde. Cet agrégé de grammaire, professeur de français-latin-grec, entretenait un rapport jouissif avec sa langue maternelle, sujet récurrent de ses livres, qui s’inspiraient de Léautaud, de Montaigne, de Ponge ou de Racine… pour ne pas évoquer Hitchcock.

Koster – ses amis l’appelaient souvent par son patronyme – n’a jamais perdu son allure de professeur de lettres, avec ses vestes en velours côtelé et ses cardigans. Né en août 1940 à l’Hôtel-Dieu, en face de Notre-Dame, il a été caché pendant la guerre, ensuite abrité par l’OPEJ (Œuvre de protection des enfants juifs), où, à l’âge de sept ans, il a été circoncis, prenant alors conscience de sa judéité. Longtemps retenue, son ambition d’écrire a pu éclore quand il avait trente-cinq ans, grâce à sa lecture de Francis Ponge, poète des objets concrets, cité dans Le soleil ni la mort : « Un concert de vocables, qui signifie sur tous les plans, se signifie lui-même (donc, ne signifie plus rien), et fasse ce qu’il dit. »

Lors de ses obsèques, son ami Georges Vigarello a insisté sur sa « rigueur », qualité qu’on voit à l’œuvre dans l’analyse ambiguë que fait Koster de sa judéité : « Toujours plus Juif à mesure des menaces et des offenses – je me posais la question : en quoi réside, à travers ma personne, l’humanité du Juif français ? Et je répondais : en l’alliance de la citoyenneté et de la conscience, de l’accidentel et de l’irrévocable, une forme d’appartenance au lieu et à soi qui ne me fut jamais promise. »  Cette même rigueur, prenant la forme de l’intransigeance, aurait contribué à ses fréquentes brouilles : Koster avait tendance à pousser ses amis à la faute, pour le plus grand bien de son œuvre ! Cela a donné Mes brouilles (2014), essai original où l’auteur, au moyen de l’intense introspection dont il avait l’habitude, raconte les ruptures douloureuses survenues au cours de sa longue carrière littéraire.

L’exigence était encore plus grande lorsqu’il s’agissait de la langue. Koster a élaboré un style admiré de ses pairs : ils étaient nombreux à consulter le grammairien généreux en amont de la parution de leurs textes. Faute d’une terre promise, l’auteur d’Adieu grammaire (Prix de la critique de l’Académie française, 2002) cherchait refuge dans les mots : « La langue française tout entière convoquée dans un volume constitue mon asile, mon trésor, ma patrie, mon salut ». Ainsi que dans l’amour : sa femme, Geneviève, sa dédicataire préférée, surnommée « l’Aimée », a servi de modèle pour Une femme de si près tenue (1985), roman qui lui a valu une invitation à Apostrophes. Sur le plateau, Pivot lui reprocha sa complexité lexicale et syntaxique, au détriment de la clarté. Koster, affichant un grand sourire, resta imperturbable : la langue ne constitue-t-elle pas une cible plus fondamentale que le lecteur ?

Est-ce par excès de rigueur qu’il abandonna la fiction ? Il s’appuyait sur Valéry et Gide, sur leur thèse selon laquelle le roman est contingent, arbitraire et faux. Cela ne l’empêchera pas de frôler la fiction en prenant ses maîtres à bras-le-corps, comme dans Léautaud tel qu’en moi-même (2010) et Montaigne sans rendez-vous (2015). À part cela, il plongeait dans le cinéma américain, ce qui a donné L’aura de leur nom (2003), intitulé d’après le film d’Otto Preminger, et Les blondes flashantes d’Alfred Hitchcock (2013). Qu’y a-t-il de plus classique que le cinéma d’Hitchcock ? Pour le professeur Koster, c’est chez le réalisateur du Crime était presque parfait qu’on trouve les ellipses et les « raccourcis fulgurants » tant admirés dans la prose de Tacite.

À la fin, il fut rattrapé par son corps, son grand sujet tardif. En cela, il a rejoint Ponge, pour qui « chaque morceau de viande est une sorte d’usine ». Koster examinait attentivement sa propre chair. Hélas, son usine ne tourne plus.

EN ATTENDANT NADEAU


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