Paul Auster |
Auteur de la «Trilogie new-yorkaise», le romancier américain Paul Auster est mort à l'âge de 77 ans
Le romancier new-yorkais, qui fut longtemps l'un des écrivains préférés des Français, est décédé des suites d’un cancer. Auteur de «Moon Palace», il laisse une œuvre originale remplie de coïncidences, de mises en abyme, d'intrigues parsemées de pirouettes.
La mort n'a aucune imagination. Elle est beaucoup trop prévisible. Atteint d'un cancer, Paul Auster a dû la guetter comme on attend la chute d'un mauvais roman. Les siens étaient remplis de coïncidences, de mises en abyme, d'intrigues parsemées de pirouettes. Il n'aurait sans doute jamais signé un livre se terminant de façon aussi banale.
Comme Philip Roth, Auster était né à Newark (New Jersey), mais en 1947. Ses parents étaient des Juifs originaires d'Europe centrale. Est-ce parce qu'il avait habité à Paris dans les années soixante-dix ? Les Français en avaient fait un best-seller bien avant les Américains. Il avait commencé par la poésie, avait traduit Mallarmé. Il tâtonna avant de trouver son territoire, cette sorte de post-modernisme où sa joie était de tirer le tapis sous les pieds du lecteur. « La trilogie new-yorkaise » le signala au public. Cité de verre (1985), Revenants(1987), La chambre dérobée (1988) révélèrent son talent singulier, bourré de références, de fictions à tiroirs.
Chez lui, le hasard joue un rôle non négligeable (« Il en conclurait que rien n'était réel sauf le hasard », lit-on au début de Cité de verre). Les personnages sont souvent auteurs, détectives, le cumul n'étant pas interdit. Il leur arrive fréquemment d'avoir perdu une femme, un frère, un enfant. Un héritage de 200 000 dollars leur tombe dessus à l'improviste. Des milliardaires cinglés les retiennent en otages. Il y a des clochards qui se prennent pour la réincarnation de François Villon, des champions de poker au bout du rouleau, des professeurs de littérature, des mères renversées par un autobus. Ils dorment dans Central Park, se passionnent pour un acteur du muet qui n'a jamais existé, portent des noms comme Marco Stanley Fogg, Jack Pozzi, Henry Dark, Rudolf Born, Benjamin Sachs. Des terroristes s'ingénient à faire exploser toutes les statues de la Liberté du pays.
Ardoise magique
Le Peter Aaron de Leviathan (1992) prétend être né à la seconde où la bombe atomique a pulvérisé Hiroshima et une artiste ressemble énormément à Sophie Calle. Le Hector Mann du Livre des illusions aurait été inspiré par le Mastroianni de Divorce à l'italienne. Le cinéma n'est pas absent de ses pages. Ça n'est pas pour rien qu'il a vu La guerre des mondesà six ans et L'homme qui rétrécit à dix ans. Cela devait le conduire à travailler avec Wayne Wang sur Smoke et Brooklyn Boogie(1996) produits par Harvey Weinstein qu'il estima « immonde » par la suite. De Lulu on the Bridge» ( 1998), avec Harvey Keitel et Willem Dafoe, il fut responsable à 100%. L'expérience ne fut pas renouvelée, les dons d'Auster derrière la caméra n'ayant guère frappé les esprits.
Car il avait inventé quelque chose. Il n'était pas rare que ces histoires alambiquées se soient déroulées seulement dans la tête des protagonistes. Ou du roman considéré comme une ardoise magique, un art tâchant de rivaliser avec les couvercles de la Vache qui Rit.
Auster s'amuse avec les formes, construit des Lego en caractères d'imprimerie. Dans Moon Palace (1989), l'enseigne lumineuse d'un restaurant chinois constitue un symbole aussi important que les lunettes du Dr Eckleburg dans « Gatsby le magnifique ». La mémoire est une bibliothèque, un jeu de miroirs. Cela a son charme, et ses limites. Certains lui reprochèrent bientôt de se caricaturer lui-même. Ses labyrinthes surprenaient moins. Dans Tombouctou (1999), on rencontre un chien qui parle et ressent « une pure terreur ontologique ». Celui du Livre des Illusions(2002) n'a que trois pattes.
Adieu fragile
Auster -oui- est habile, virtuose, quasi-roublard. Dans son bureau de Brooklyn, il conservait des rubans dont il avait acheté par avance des dizaines afin de pouvoir continuer à taper sur sa vieille machine Olympia. Il fumait des petits cigares et buvait du vin rouge. Il avait épousé la romancière Siri Hustvedt. Peut-être qu'il était resté le petit garçon qui ne s'était jamais remis de n'avoir pas obtenu un autographe du baseballeur Willie Mays parce qu'il n'avait pas de stylo sur lui, l'adolescent de quatorze ans qui avait été marqué par L'attrape-cœurs ou celui qui avait vu un de ses camarades frappé par la foudre pendant des vacances d'été. Il continuait à griffonner des carnets bleus ou rouges.
La biographie qu'il consacra à Stephen Crane (Burning Boy) était un monument. Dans 4321(2017), il tricotait les quatre destins possibles d'un Juif new-yorkais né en 1947. Pays de sang(2021) s'intéressait à la violence par armes à feu qui dévaste les Etats-Unis. Son dernier ouvrage, Baumgartner , mettait en scène un professeur de philosophie septuagénaire dont la femme poétesse et traductrice est morte depuis dix ans, façon sans doute de conjurer le sort. Il ne s'agissait pas de son meilleur livre, mais cela constituait une manière d'adieu fragile, apeuré, récapitulant pas mal de thèmes connus. Dans Paris, des portraits de l'auteur en noir et blanc garnissaient pour l'occasion les mâts publicitaires comme des faire-part géants. So long, mister Paul.
Il est permis de penser qu'il y aura toujours, comme dans Cité de verre, des demoiselles en train de lire un de ses romans dans le hall de Grand Central. Ne pas oublier que le livre commence par un téléphone qui sonne au milieu de la nuit. Une voix demande Paul Auster. Il s'agit d'une erreur. Depuis le 30 avril, le vrai numéro ne répond plus.
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