Candide et lubrique, d'Adam Thirlwell: very bad trip
LA CHRONIQUE D'ÉRIC NEUHOFF
Avec un humour corrosif, l'auteur de Politique met en scène un antihéros pathétique dans un cauchemar éveillé.
Qu'est-ce qu'elles lui trouvent? Il n'a rien pour lui. À trente ans et des poussières, il vit encore chez ses parents (avec sa femme). Il est arrogant, paresseux, sans emploi (sa femme travaille). Le narrateur n'a rien pour lui. Sauf d'être un héros d'Adam Thirlwell: cela veut dire qu'il coupe les cheveux en quatre, a de l'humour à revendre et un don très sûr pour se fourrer dans des situations impossibles.
Adam Thirlwell |
RENCONTRE AVEC ADAM THIRLWELL, DE RETOUR AVEC UN LIVRE DES PLUS CORROSIFS
LONDRES EST EN FLAMMES : SON PRODIGE LITTÉRAIRE, ADAM THIRLWELL, EST DE RETOUR, AVEC UN LIVRE CORROSIF COMME JAMAIS. SOUS SADRÔLERIE, "CANDIDE ET LUBRIQUE" DÉSHABILLE LE MONDE. RENCONTRE.
Adam Thirlwell fait partie de ces précoces qui percent en agaçant certains autant qu'ils réjouissent les autres. Et pour ces écrivains-là, les choses ne s'arrangent pas avec le temps car ce sont bien souvent de vrais auteurs, architectes d'oeuvres authentiques - le contraire des météorites littéraires. On peut penser, dans les générations précédentes, à un Martin Amis ou à un David Foster Wallace. Adam Thirlwell avait fait sensation à 24 ans, en 2003, avec Politique, un premier roman faussement naïf et vraiment postmoderne pour lequel il avait laissé exprès l'échafaudage apparent. Après quoi, il signait en 2009 L'Evasion, deuxième roman à la fois comique, philosophique et érotique. Il revient ces jours-ci avec un troisième opus dont les ingrédients sont brandis dès le titre : Candide et lubrique, ou l'histoire déjantée d'un drôle de héros anonyme à prétention universelle. Un Tintin moderne, pervers et/ou naïf, lancé dans des aventures en terra incognita globalisée, le tout sous la forme d'un faux roman noir classique mais logorrhéique, rapidement délirant et animé d'une grande joie sexuelle. A moins qu'il ne s'agisse d'un Very Bad Trip.
Grazia - D'où vient ce personnage ambivalent, aussi fascinant que détestable ?
Adam Thirlwell : Oh, il m'est venu d'une certaine manière de parler que j'entendais de plus en plus autour de moi. Je veux dire : cette façon qu'ont les gens de se sentir coupables des malheurs des autres (les pauvres, les animaux...), tout en conservant leur innocence de base. Et nous sommes, bien entendu, tous coupables dans notre monde bourgeois ! Cette contradiction se retrouve dans le mot "cute" que j'ai mis dans le titre original : Lurid & Cute. Cette voix est l'esprit de notre époque ! Un héros pour notre temps ! Et il est sans doute important de préciser quece personnage n'a pas de nom. Qu'il peut donc être de manière terrible et injuste confondu avec moi, le romancier innocent...
- Une nouvelle fois, l'un de vos romans offre un alliage détonnant de comique et de sérieux. C'est un prisme pour mieux voir le monde ?
C'est ainsi que je perçois notre condition cosmique. Pour moi, l'alliage n'est peut-être pas si détonnant : le comique n'est qu'un autre aspect du sérieux. Et il s'agit là d'une position philosophique, pas simplement technique. Démontrer à quel point sont vides nos prétentions au sérieux : voilà une belle ambition pour le roman. C'est pourquoi mon narrateur maintient toujours sa perfection morale, y compris lorsque les événements qu'il décrit se mettent à ressembler à un délire hollywoodien (partouzes, drogues et armes à feu). Ce décalage est certainement une tentative pour voir le monde de manière plus précise et pour perturber le lecteur en lui faisant partager ce genre de vision. C'est en tout cas mon espoir. Ce mot "détestable" indique combien la question de ce qui est "aimable", de ce qu'on peut "liker" est décisive dans notre esthétique numérique. Et l'une des manières de réduire l'écart entre lecteur et auteur, entre romancier et narrateur, c'est d'employer des tonalités inattendues.
- L'utopie vers laquelle tend ce nouveau roman n'est pas sans rapport avec celle du bien titré Politique : comment vivre ensemble libres ? C'est une philosophie de vie personnelle ?
Eh bien, "contre Sainte-Beuve", j'insiste absolument sur la séparation entre le moi qui écrit et le moi qui vit. J'ai toujours été attiré par des personnages utopistes. Et vivre en totale sincérité est une forme d'utopie. Mais comme nous vivons au quotidien assaillis par de nouvelles loyautés et tentations, il est très difficile de préserver cette sincérité. Mais ce mot d'utopie m'obsède. Tous les romans sont des mondes miniatures, et l'une des choses essentielles à explorer, c'est précisément la manière dont nous passons notre temps à imaginer d'autres mondes à l'intérieur du nôtre. Et puis l'autre aspect de la liberté concerne celle du lecteur à l'égard du romancier. Démasquer la construction d'un roman, voilà encore un bel exemple de pensée utopique.
CANDIDE ET LUBRIQUE d'Adam Thirlwell (L'Olivier, 396 pages).
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