lundi 8 août 2016

Olivier Steiner / Quelque chose comme la plénitude

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Quelque chose comme la plénitude

Olivier Steiner 
6 mars 2016 
Le journal d'Olivier Steiner


I
l est arrivé vendredi matin, pour le week-end. Il ne vit pas à Paris. Il neigeait le matin de son arrivée, aujourd’hui dimanche il fait soleil.
Il a pris l’Orlyval, le RER B. Il a changé à Châtelet puis est descendu à Nation. Je lui avais indiqué le chemin : prendre le boulevard Voltaire puis la rue du même nom, sur la droite. Ensuite tel numéro, tels codes puis courage, 6ème étage droite, sans ascenseur. Je l’attendais puis il était là. C’est tellement con à dire. J’ai ouvert la porte.

C’est peut-être cette connerie toute prodigieuse dont je voudrais parler. Nous sommes restes des heures sur le lit, dans les draps, serrés, de plus en plus fort, serrés, à attendre la fin du vertige, à se nourrir comme des affamés, à se manger l’un l’autre, se respirer, se respirer encore.
Nous aurions pu sortir, il y a tant de choses à voir à Paris quand on ne connaît pas Paris, nous ne sommes pas sortis. Pas la peine. Pas de spectacle ni de ciné, rien. Sommes restés dans le lit, autour du lit, dans la baignoire, autour de la baignoire des jours entiers, trois jours exactement, deux nuits. Là, en ce moment il dort et je le regarde. D’habitude c’est lui qui me regarde tandis que je dors car je suis celui des deux qui dort le plus, qui a le plus besoin de sommeil.
Il va partir, il va bientôt repartir, je n’en ai pas envie et en même temps je sais que ce serait un enfer si cette plénitude se prolongeait. Je me connais, je pourrais aller très loin, trop loin, là où il ne faut pas aller. Pas l’oubli de soi, comment dire ? Pas la négation, non. Quelque chose comme une dissolution. Voilà. Comme une pastille effervescente dans un bain, la dissolution d’un corps dans un autre corps. Du solide dans du liquide.
Comment ne pas penser à Duras, encore. Ou à Camille Laurens. Ravissement, dissolution, au risque de la perte et de la mort. La différence entre Duras et Camille Laurens ? La réforme. La première est catholique, forcément, aussi catholique que cathodique, la seconde proteste, est protestante, discrète, on dira qu’elle joue aussi sur les mots, elle aime bien ça, c’est sa réserve à elle, son quant à elle, cette façon qu’elle a de sourire au dernier moment, juste avant la larme. Je parle bien sur de style, d’architecture, pas de Dieu. Ou bien je parle de leur style de Dieu. Vous voyez.
Où en étais-je ? Je me suis un peu perdu. On se perd des qu’on écrit le mot Dieu, à chaque fois c’est trop immense.
Alors il va repartir dans sa vie, sa région, il va retrouver ses enfants, je vais rester ici. Le manque va pouvoir recommencer. C’est triste et c’est bien, le manque fera que la vie continuera. Sans lui, je veux dire le manque, tout se fige, on est bien, si bien. Tellement bien. Dans cet endroit, ce quelque chose comme la plénitude, on dira l’amour faute de mieux, dans cet endroit privé de manque, il n’y a plus rien à écrire, plus rien à lire, à voir, à visiter. Il n’y a peut-être plus rien à vivre, à attendre, plus rien, que la mort à venir, qu’elle nous surprenne, là, dans les draps, sur ce lit qui dure depuis trois jours, cet enfer, ce charme, ce « malheur merveilleux. »
C’est con, vous savez. Ça ne rend pas intelligent. Ce serait comme porter deux cœurs gros ensemble dans la même poitrine, plus d’espace pour le moindre cerveau.
Ici tout n’est plus que battements cardiaques, gros bouillons de sang chaud et froid. C’est tout. C’est rien.

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