Où est le “shocking !” en 2016 ?
BERTRAND VILLEGAS
07 / 09 / 2016
Quand en Europe, une émission fait le plein d'audience en imposant aux candidats de choisir leur partenaire selon leurs parties intimes, en Corée du Sud, les téléspectateurs s'offusquent devant un “battle” d'ingestion. Petit étude comparative sur l'état du “shocking” dans le monde audiovisuel.
Deux nouveaux programmes lancés cet été, à l’est et à l’ouest de notre planète, nous donnent l’occasion en cette rentrée 2016 de faire une étude comparative sur l’état du « shocking » dans le monde audiovisuel contemporain. Qu’est-ce qui est « shocking » aujourd’hui ? Le plus frappant est la différence de conception du « shocking » d’un extrême à l’autre du monde.
Pour nous, Occidentaux, Européens, le programme le plus choc du moment est sans nul doute Naked attraction, vu cet été sur la chaîne publique Channel 4, au Royaume-Uni. Jamais vu ça : des organes génitaux (au repos) masculins et féminins en gros plan pendant de longues minutes en prime time sur une chaîne gratuite. Jamais vu ça : on se rappelle qu’en France le précurseur des émissions de rencontres nues (une mode actuelle), Adam recherche Eve, sur D8 en 2015, avait honteusement flouté ce qui faisait le sel du programme. Bien sûr, exhiber ces sexes, dont certains rigolos (par leurs tatouages de tête d’éléphant, par exemple !), de toutes tailles, de toutes couleurs, n’est pas gratuit, on s’en doute : la chaîne est très fière d’avoir rempli sa mission de service public en rénovant le concept de Tournez manège (The dating game)qui, il y a 50 ans, ne montrait rien du corps de l’autre.
La tête haute et la queue basse
Channel 4 veut – désespérément, comme toute chaîne hertzienne gratuite – s’adresser à la génération qui choisit ses partenaires d’un coup de doigt sur l’application de son smartphone, au premier regard, à la première impression et impulsion. Dans Naked attraction, les candidats se choisissent donc notamment, et prioritairement, par un regard sur leurs parties intimes. Avez-vous envie d’aller plus loin après avoir vu cette personne, non pas entièrement nue (c’est déjà démodé), mais uniquement sous la ceinture ? Si la réponse est non, les candidats ont l’honneur de révéler leur visage et de quitter le plateau – toujours nus –, la tête haute et la queue basse car leur sexe n’a pas plu. Gênant ? Pas pour les téléspectateurs anglais, qui ont fait grimper l’audience de la chaîne.
Après avoir vu ça, on a du mal à comprendre pourquoi au même moment en Corée du Sud, l’émission Girls who eat well (« des filles qui mangent correctement ») a été déprogrammée après deux numéros face aux critiques. Diffusée à partir de juin en streaming sur le Web puis à la télé sur la chaîne du câble JTBC, l’émission se voulait une sorte de traduction télé du phénomène coréen du « mukbang », qui voit des dizaines de personnes se filmer et se diffuser sur Internet en train de manger, ou plutôt de bouffer, face à des milliers d’amateurs de jeunes vedettes. Le programme télé avait l’ambition de pimenter le genre d’un zeste de compétition et de jeunes chanteuses de pop coréenne : des sortes de battles d'ingestion dans le The Voice de la bouffe ! Ingurgiter de façon digne sous le feu des caméras est un défi en soi, on le constate devant les dîners de C’est à vous sur France 5, et cette émission le confirme.
Bosser pour manger ou manger pour vivre
Les candidates qui y participent sont connues pour aimer s’exhiber portant de la nourriture à leur bouche avec des baguettes, mais elles doivent ici manger « de façon délicieuse ». Un jury en plateau fait ses commentaires, se moque… le public vote à la maison. On ne sait si c’est ennuyeux, excitant, érotique, dégoûtant, humiliant de les voir écarter les lèvres et avaler en public. En Corée du Sud, être dans un girl band, c’est à la fois être une idole et une ouvrière d’une industrie : il leur faut bosser pour manger, et cette fois il leur faut manger pour vivre. Les fans ont été scandalisés : les starlettes furent moins jugées sur leur talent à manger que sur leur popularité. Le programme fut jugé inepte et dégradant. Le pouvoir des fans étant immense, la chaîne l’a retiré immédiatement. Comme quoi, selon les latitudes, le « shocking » ne se situe pas forcément en dessous de la ceinture. Il peut être dans la bouche. C’est une question de goût.
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