samedi 24 décembre 2016

Margaret Atwood / Comme une bouteille à la mer




Margaret Atwood en 2014, photo Murdo MacLeod / The Guardian
Margaret Atwood en 2014, photo Murdo MacLeod / The Guardian

Margaret Atwood, comme une bouteille à la mer

31 mars 2016

C
est à une expérience singulière que l’auteure canadienne de langue anglaise, Margaret Atwood, connue dans le monde entier pour ses romans, ses poèmes et ses livres pour enfants, s’est soumise en septembre 2014. Par Jean-Louis Legalery.

Elle a, en effet, accepté de participer au projet insolite, futuriste et novateur de la jeune artiste écossaise, Katie Paterson, The Future Library. Au début de l’été 2014, Katie Paterson a créé The Future Library Trust, avec le soutien de la ville d’Oslo. Elle a fait planter une forêt de 1000 arbres à Nordmarka, à côté d’Oslo, et a décidé de solliciter, chaque année, un ou une auteur(e) pour rédiger un roman qui sera exposé au public, dans une pièce de la bibliothèque publique d’Oslo réservée à ce projet, The New Deichmann Library, mais ne sera ouvert et lu qu’en 2114. Les mille arbres seront abattus dans cent ans pour fournir le papier nécessaire à l’impression et la publication des cent livres collectés.
Margaret Atwood a accepté immédiatement et avec enthousiasme d’être la première. Le titre de son roman désormais posthume est connu, Scribbler Moon. Elle a justifié sa joie de participer en faisant référence à des souvenirs qui parlent à tout le monde : I think it goes right back to that phase of our childhood when we used to bury little things in the backyard, hoping that someone would dig them up, long in the future, and say, ‘How interesting, this rusty old piece of tin, this little sack of marbles is. I wonder who put it there? (Traduction : Je pense que ça remonte à cette période de notre enfance pendant laquelle nous avions l’habitude d’enterrer des petits objets dans le jardin derrière la maison, avec l’espoir que, longtemps après, quelqu’un les découvrirait en creusant et s’exclamerait : « Comme c’est intéressant ce vieux morceau de boîte métallique rouillé ! Et ce sac de billes ! Je me demande bien qui a pu les mettre là ? »). Margaret Atwood a également ironisé sur le fait qu’elle n’entendra et ne lira jamais les critiques : What a pleasure!
Margaret Atwood et Katie Paterson sur le lieu de la plantation, photo Bjørvika Utviklingay
Margaret Atwood et Katie Paterson sur le lieu de la plantation, photo Bjørvika Utviklingay
Le romancier britannique David Mitchell a été sélectionné pour 2015. Le nom de l’heureux élu pour 2016 n’est pas encore connu. Katie Paterson est une artiste dont l’originalité et le talent ont déjà été salués et récompensés. Elle est Honoray Fellow de l’université d’Edimbourg et est installée à Berlin, creuset artistique européen et mondial. Une partie de son travail est actuellement exposé au Kettle’s Yard de Cambridge et au Modern Art d’Oxford. L’espace et l’inaccessible sont ses sources d’inspiration majeures. Elle a créé une carte de 27000 étoiles éteintes, et son projet en cours a pour titre History of Darkness. Elle est la première artiste en résidence au sein du laboratoire d’astrophysique de l’université de Londres.
From Earth into a Black Hole, Katie Paterson, Frac de Franche-Comté, 2015, photo Blaise Adilon
From Earth into a Black Hole, Katie Paterson, Frac de Franche-Comté, 2015, photo Blaise Adilon
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Margaret Atwood s’est fait un nom auprès du grand public avec The Edible WomanLa femme comestible, en 1969. L’intrigue installe Atwood dans une posture féministe, car le cannibalisme métaphorique renvoie non seulement au consumérisme social mais également à la dépendance de la femme dans cette même société, puisque l’héroïne, Marian McAlpin, glisse de la soumission à la détermination. La romancière définira, a posteriori, son travail comme « protoféministe », par référence à l’évolution, néanmoins fort lente, de l’égalité.

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Avec La Servante ÉcarlateThe Handmaid’s Tale, en 1986, Margaret Atwood fera partie de la short list du Booker Prize, équivalent britannique du Goncourt, sans cependant l’obtenir. Ce roman va donner à l’auteure canadienne une aura internationale comme quelques ennemis, car il s’agit d’un développement dystopique dans une dictature militaire théocratique, la République imaginaire du Gilead, qui ressemble beaucoup aux États-Unis et dont la seule issue géographique est un pays qui a les caractéristiques du Canada. Œuvre prémonitoire et terriblement actuelle, le roman commence avec un attentat terroriste dont sont victimes le président et la moitié du Congrès, avec un personnage central nommé The Commander. Margaret Atwood dévoile clairement ses choix politiques fondés sur le refus de l’autoritarisme et de la théocratie.

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Ce célèbre Booker Prize, elle l’obtiendra finalement en 2000, avec la publication du Tueur AveugleThe Blind Assassin, qui appartient au genre du roman dans le roman, une sorte de mise en abyme, autour du personnage principal, Iris Chase, du travail d’un autre personnage, Alex Thomas, écrivain de romans de gare engagé à l’extrême gauche. Cette fiction a, cette fois, le Canada des années 1930 pour cadre.
Margaret Atwood est une femme complète à travers ses engagements, qu’ils soient sociaux, politiques, ou féministes, et à travers ses publications, auxquelles il convient d’ajouter les nouvelles, les poèmes et les livres pour enfants.

En acceptant de participer au projet de The Future Library, Margaret Atwood a fait un choix déconcertant, mais elle a aussi, d’une certaine manière pris part à sa propre nécrologie, tout en laissant paradoxalement un vide. Vide d’autant plus déroutant et courageux en même temps que le travail du romancier s’appuie sur la perspective, c’est-à-dire sur l’image donnée directement et indirectement à travers les choix de publication aux lecteurs potentiels. Or cette perspective, Margaret Atwood ne l’aura pas et ses contemporains non plus. Comme elle l’a dit, avec une grande auto-dérision, en 2114 la découverte de son roman nécessitera des compétences en paléo-anthropologie.
Margaret Atwood, La Servante écarlate, nouvelle publication en juillet 2015 avec une postface inédite de l’auteur, traduction de Sylviane Rue, Robert Laffont, « Pavillons Poche », 546 p., 11 € 50
Tous les romans de Margaret Atwood sont disponibles en français chez Robert Laffont (et la majorité en Pavillons poche)





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