Mort de Stéphane Audran, la muse de Claude Chabrol
DISPARITION - La comédienne, épouse et actrice fétiche du réalisateur Des Biches ou du Boucher vient de s'éteindre à l'âge de 85 ans des suites d'une longue maladie. Une artiste au très long parcours revivifié par Le Festin de Babette, tourné il y a trente ans.
Elle n'avait jamais été mondaine. Mais on ne la voyait plus depuis bien des saisons. Stéphane Audran est décédée ce mardi 27 mars des suites d'une longue maladie, comme vient de l'annoncer son fils, Thomas Chabrol. Elle avait eu 85 ans le 8 novembre dernier.
Si son image demeure attachée aux films qu'elle a tournés avec celui qui fut son deuxième mari, dès l'orée des années 1960, Claude Chabrol, l'étendue de sa filmographie est remarquable.
Stéphane Audran était une femme réfléchie, très spirituelle, qui apportait à chacun des personnages qu'elle incarnait un supplément de gravité, de mystère. Elle était belle, avec un visage au bel ovale, de très grands yeux, une silhouette fine et déliée. Elle n'avait pas succombé à la mode de la blondeur et de la sensualité. Elle avait su conserver, de rôle en rôle et dès sa jeunesse, quelque chose de réservé, qui intimidait.
Elle se nommait Colette Dacheville et c'est sous ce nom qu'elle avait connu son premier mari au cours d'art dramatique: Jean-Louis Trintignant. Ils s'étaient mariés en 1954, mais lui avait été happé par une histoire d'amour sincère et prenante avec Brigitte Bardot...
Sur la crête de la Nouvelle Vague
Stéphane Audran était née à Versailles le 8 novembre 1932. Son père, médecin, était mort alors qu'elle n'avait que six ans et elle avait été élevée par une mère aimante et angoissée qui avait vu avec inquiétude la petite fille prendre le goût du déguisement et la jeune fille suivre des cours d'art dramatique chez Dullin, Balachova, Michel Vitold et René Simon.
Elle avait débuté au théâtre, comme ses camarades, Seyrig, Terzieff, Lonsdale et Trintignant, mais elle n'était pas heureuse, trop timide sans doute. Elle joue pourtant dans Macbeth au Théâtre Montansier de Versailles dans une mise en scène de... Claude Chabrol. Un spectacle qui n'est pas demeuré dans les annales.
Très vite le cinéma va la happer et elle ne quittera guère les plateaux de tournage pendant plus de trente ans. Dès les années cinquante elle débute dans un court-métrage de Daniel Costelle, Le Jeu de la nuit. Et enchaîne avec des films de Hervé Bromberger, Jacques Becker, Éric Rohmer (Le Signe du lion, 1959).
La même année elle tourne son premier film avec Claude Chabrol, Les Cousins. Elle est sur la crête de la Nouvelle Vague! Avec Chabrol, qu'elle soit tête d'affiche ou qu'elle ait des partitions de complément, elle tournera plus de vingt films! Et même deux fois des téléfilms, en 81, le très beau Les Affinités électives puis en 88, L'Escargot noir dans la série «les dossiers de l'inspecteur Lavardin».
Mais c'est évidemment au cinéma et avec lui qu'elle peut déployer toutes les facettes d'un art précis et fin. Citons-les: Les Bonnes femmes en 60, Les Godelureaux en 61, L'Œil du malin en 62, Landru en 63, Le Tigre aime la chair fraîche en 64 (scène coupée, en tout cas elle n'est pas créditée!), la Muette dans Paris vu par en 65 et la même année Marie-Chantal contre Docteur Kha.
Elle est dans la plénitude de sa beauté, de sa jeunesse, de son épanouissement. Elle peut avoir des rôles graves, dramatiques, Stéphane Audran s'amuse. Ainsi se succèdent: La Ligne de démarcation en 1966, Le Scandale en 67, Les Biches avec Jacqueline Bisset, en 68 qui lui vaut l'Ours d'argent de la meilleure actrice à Berlin, La Femme infidèle en 69.
Le charme discret de la bourgeoisie
On n'a peut-être plus idée aujourd'hui de l'importance de ces films. Chabrol ne cessait jamais de travailler, elle non plus. Elle est la femme fidèle à un univers. Elle inspire son cinéaste préféré!
Si dans la décennie des années 1960, elle travaille presque exclusivement avec lui, mais dans les années 1970, elle prend l'air, elle est appelée par d'autres grands réalisateurs.
Avec Claude Chabrol elle tourne Le Boucher. C'est elle qui a l'idée de Jean Yanne et elle reçoit le prix d'interprétation féminine à San Sebastian. Elle est encore au cœur de La Rupture, Juste avant la nuit, plus tard les Folies bourgeoises et Les Liens du sang et jusqu'au Violette Nozière avec Isabelle Huppert en 1978 qui lui vaut le César de la meilleure actrice dans un second rôle.
Mais son cercle s'élargit jusqu'à Orson Welles (elle tourne dans ce film inachevé qu'est The other side of the wind , passe par Litvack, Labro, Rossif, Périer et jusqu'à Luis Bunuel pour Le Charme discret de la bourgeoisie en 72 et plus tard Samuel Fuller, qui la rappelle pour The Big Red One en 80 et Les Voleurs de la nuit en 84.
Elle tourne également avec Claude Sautet, Georges Lautner, Bertrand Tavernier et élargit encore ses engagements tandis qu'elle divorce d'avec Claude Chabrol (en 1980). Ils se retrouvent pour Le Sang des autres» et Poulet au vinaigre, en 85.
À plus de cinquante ans, Stéphane Audran est une femme accomplie, très photogénique, très drôle toujours.
En 1987, Le Festin de Babette marque une sorte de sommet dans sa brillante carrière. Babettes goestebud du Danois Gabriel Axel est pour elle l'occasion d'échapper enfin aux belles bourgeoises glacées ou glaçantes...
C'est un conte de Karen Blixen qui est à la source du scénario. En 1871, une Française chassée par la Commune s'est réfugiée au Danemark, dans un petit village très religieux. Babette est simple servante dans une famille... Au bout de quatorze années lisses et fluides, elle compose «son» festin pour dire au revoir.
Ensuite, elle tournera encore, bien sûr. Mais dans la lumière du bord de mer, dans la lumière du Nord, elle demeure ce cœur simple et riche, le cœur de Babette, un personnage à la Flaubert.
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