Georges Simenon |
Commissaire à la pipe
Mon défi, siroter les 75 romans de Maigret
A la faveur d’un anniversaire, une nouvelle édition de l’intégrale des enquêtes du fumeur de pipe est parue. Voici quelques raisons de (re)découvrir le policier le plus intemporel du genre
Nicolas DufourPublié samedi 6 juillet 2019 à 15:21, modifié lundi 8 juillet 2019 à 16:21.
Georges Simenon est mort à Lausanne il y 30 ans, en septembre 1989. En cette «année Simenon», proclamée en raison aussi de l’anniversaire de l’esquisse de Maigret en 1929, chaque semaine, notre chroniqueur rend hommage à son personnage central.
C’est un peu comme un défi Facebook (citer X romans ou films…), mais en plus costaud. Mon auto-défi estival est de plonger pleinement dans Maigret, jusqu’à la dernière miette de tabac. Septante-cinq romans, quand même (pour les nouvelles, on verra). Dans la nouvelle édition Omnibus, cela pèse neuf volumes de plus de 1100 pages chacun.
Je n'y connaissais rien
Il y a encore quelques semaines, je n’avais jamais lu Maigret. Le nom m’évoquait de fort lointains souvenirs de Jean Richard, des téléfilms vus enfant, avec la sévérité du monsieur et les nappes carrelées rouge-blanc dans les bistrots. Puis quelques bribes de Bruno Cremer, mais j’ai peu vu cette adaptation-là. Passons sur la plus récente, la catastrophe de Rowan Atkinson. 2019 est une année Simenon, les 30 ans de sa mort à Lausanne, et ainsi Maigret revient. En vue d’une interview de Pierre Assouline, expert simenonien, j’ai testé cette prose policière qui remonte déjà aux années 1930.
Et j’ai été happé. Fasciné. On a souvent souligné les atouts de Simenon, et singulièrement du cycle Maigret: la pâte humaine, la sensibilité de l’écrivain, son sens des décors et des situations…
Les stupéfiantes accélérations dans ces romans
Mais l’effet Maigret est plus fort encore. Il résulte d’un ensemble, une parfaite adéquation entre le contexte, les personnages, l’intrigue, et la manière dont l’écrivain compose, à chaque fois, un univers. Il y a des hauts et des bas, c’est évident, mais chaque Maigret encapsule son lecteur durant ses quelques heures de lecture, le propulse dans une humanité autre et si proche, le confronte aux passions primaires, si complexes, dans leurs délétères dévoilements.
En sus, on l’a moins signalé, Georges Simenon était un maître du suspense, de la rythmique narrative; à un moment, chaque roman a sa soudaine et hallucinante accélération, alors que nous avions jusqu’ici suivi le placide et bougon commissaire.
A l’heure où j’écris ces lignes, j’achève Les Vacances de Maigret – un opus cruel et grandiose. Le 28e des 75 romans. Qui me rejoint?
Un bonus pour nos internautes: la première description
J'avoue, je n'ai pas trop aimé Pietr-le-Letton, le premier Maigret – pas le premier publié. A mes yeux, Maigret rate un peu son entrée en scène. Ce roman-salmigondis, avec un escamotage d'identité un peu toc, n'augure pas vraiment la profonde expédition qui attend le curieux.
J'ai plongé avec le deuxième, Le Charretier de «La Providence», crime sur les fleuves, confrontation du commissaire avec un curieux trio de noceurs, et triangle amoureux, dont la femme est découverte morte. Une enquête qui tangue, une avant bien d'autres, fascinante dans ses oscillations.
Reste que c'est dans Pietr-le-Letton que le monde découvre Jules Maigret. On cite là la première description du commissaire, au début du deuxième chapitre.
«La présence de Maigret au Majestic avait fatalement quelque chose d’hostile. Il formait en quelque sorte un bloc que l’atmosphère se refusait à assimiler.
Non pas qu’il ressemblât aux policiers que la caricature a popularisés. Il ne portait ni moustache, ni souliers à fortes semelles. Ses vêtements étaient de laine assez fine, de bonne coupe. Enfin il se rasait chaque matin et ses mains étaient soignées.
Ma la charpente était plébéienne. Il était énorme et osseux. Des muscles durs se dessinaient sous le veston, déformaient vite ses pantalons les plus neufs.
Il avait surtout une façon bien à lui de se camper quelque part qui n’était pas sans avoir déplu à maints de ses collègues eux-mêmes.
C’était plus que de l’assurance, et pourtant ce n’était pas de l’orgueil. Il arrivait, d’un seul bloc, et dès lors il semblait que tout dû se briser contre ce bloc, soit qu’il avançât, soit qu’il restât planté sur les jambes un peu écartées.
La pipe était rivée dans la mâchoire. Il ne la retirait pas parce qu’il était au Majestic.»
Intégrale Maigret. Omnibus, 10 volumes, disponibles en version électronique.
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