Une nuit à Pigalle, chez Madame Arthur
Le cabaret mythique a rouvert ses portes à l’automne 2015 et pris le temps de se faire une réputation, portée par une nouvelle troupe de travestis grandioses. Plongée dans l’un des endroits les plus libres et joyeux de Paris
Floriane ZaslavskyPublié mardi 21 mai 2019 à 18:33
Modifié mardi 21 mai 2019 à 18:34.
Place Pigalle, on slalome entre des couples de touristes égarés, avant d’esquiver, boulevard de Clichy, quelques vendeurs à la sauvette. A peine a-t-on le temps de deviser sur la transformation du quartier, pied populaire de la butte Montmartre devenu en une vingtaine d’années l’épicentre d’une faune branchée, que l’on se retrouve devant la façade rouge du 75 bis de la rue des Martyrs. Dans la salle du cabaret, les gens se pressent: jeunes, vieux, bien ou mal fagotés, on se tient par la main, se tape sur l’épaule. La lumière s’éteint. Sur scène, une créature de rêve, cheveux ras et maquillage flamboyant, s’assoit au piano: Charly Voodoo, son corps élancé moulé dans une combinaison de sequins dorés, enchaîne les croches alors qu’avance une liane sur talons aiguilles, chevelure rousse et barbe taillée à la perfection. Miss Morian, tout droit sortie d’un rêve d’Almodovar, s’approche du micro: «Bienvenue chez Madame Arthur.»
Bêtes de scène
Ce jeudi, la troupe réinterprète Dalida: une idée qui ferait grincer des dents les plus snobs. Pourtant, une demi-heure après notre arrivée, force est de constater que la salle entière reprend en chœur Bambino, et nous avec. Charly Voodoo, virtuose, impressionne. Cet ancien professeur de piano passé par les bancs du conservatoire avant de s’épanouir dans le monde du burlesque a fait partie des premières recrues lorsque le cabaret a rouvert à la rentrée 2015. A ses côtés défilent des artistes aux parcours divers. Miss Morian, styliste et mannequin à la voix merveilleuse, passe avec panache d’un négligé en dentelle à un extravagant manteau de plumes vertes. Monsieur K, ancien directeur d’une troupe de théâtre, prend des allures de Monsieur Loyal gouailleur sur les planches du cabaret. Il faut le voir, sur scène, chanter la douleur d’une «femme, la nuit» tout en battant des cils grands comme des éventails!
Quatrième présence ce soir: Martin Poppins, maquillé comme la mort, créature au timbre d’or qui délaisse parfois le chant pour son instrument, l’alto. Manquent à l’appel Patachtouille, Corrine, Lola Dragoness ou encore l’Oiseau Joli à l’accordéon. «Un groupe d’amis», me confie l’un d’eux en sortie de scène, «une vraie famille», qui s’est construite au fil du temps et des représentations. Sur scène, ça s’interrompt et se houspille avec joie. Denrée rare à Paris, on trouve ici la gaieté en abondance. Le public est conquis, signe d’un pari réussi trois ans et demi après la réouverture d’un cabaret contraint de mettre la clé sous la porte en 2006.C’est en 2015 que Fabrice Laffon, directeur du lieu et de la salle voisine du Divan du Monde, décide de relancer Madame Arthur et de faire communiquer les deux espaces. Il souhaite faire du Divan une discothèque axée sur la musique française – a priori pas l’idée la plus sexy, qui s’est pourtant imposée depuis comme la signature du lieu, festif et bon enfant. Côté cabaret, la nouvelle troupe s’est forgé une solide réputation: les soirs de représentation ouvrent même désormais par un show sur la scène du Divan, la plus ancienne et la plus grande des deux salles.
Corset de plumes et sourcils pailletés
Dans les loges, un chien se faufile entre les malles blindées, au milieu des portants qui croulent sous les robes couture. Concentrés face au miroir, les artistes se préparent pour la représentation de 23h sur la scène historique de Madame Arthur, sans thème imposé, après avoir donné un premier spectacle à 21h au Divan. «Bien sûr, on connaissait le lieu et tout ce qu’il représente», commence Voodoo, occupé à lacer un corset de plumes cendrées au plus près du corps de Morian. «Plus serré, bébé!» Silhouette gracile parfaitement dessinée, la Miss prend le temps de se redresser. «C’est le jour et la nuit: il y a trois ans, on pouvait se retrouver devant cinq personnes. Aujourd’hui, au Divan, on est dans un vrai théâtre, un lieu incroyable avec une histoire: un ancien cinéma porno… On adore», glisse-t-il dans un haussement de sourcil pailleté.
Depuis son ouverture au début du XIXe siècle, le Divan a connu mille vies: brasserie, cinéma porno, la salle aurait même accueilli des combats de boxe clandestins. Son heure de gloire restera le tournant de la Belle Epoque, quand Blanche Cavelli s’y effeuille, tandis que Toulouse-Lautrec y admire la chanteuse Yvette Guilbert. C’est d’ailleurs sa chanson Madame Arthur, évoquant un «je-ne-sais-quoi» capable de rendre les hommes fous, qui vaudra son nom au cabaret voisin. Ce dernier devient célèbre pour ses numéros travestis dès l’ouverture en 1946.
Un repaire de liberté
Les premiers artistes transsexuels de Paris s’y produisent aussi, parmi lesquels Coccinelle, puis Bambi, icônes transgenres qui y mènent la revue dans les années 50 et 60. Madame Arthur s’impose alors comme un lieu de provocation joyeuse. Une idée qui tient à cœur aux nouveaux membres de la troupe. «Ici, c’est un repaire de liberté. Voilà ce qu’on veut voir à Paris. C’est de liberté qu’on a besoin», martèle Morian, avant de remonter sur scène.
On s’était juré de rentrer tôt ce soir. On se retrouve happé par ce lieu aux allures de saloon, avec son bar tout en longueur, ses escaliers cirés et son grand miroir moucheté. Jane Birkin serait passée la veille. L’occasion d’entonner Les dessous chics. Le public se tait. Bientôt minuit, Voodoo, Morian et les autres quitteront la scène pour laisser la piste de danse aux noctambules de tout poil. Bouffée de spleen. Un homme nous attrape le poignet, un pâtissier du quartier voisin de Barbès à la veille de son jour de repos: «Dites, ça ne va pas s’arrêter? Ça vous dirait qu’on reste ici pour toujours?» Couples BCBG, garçons trop maquillés, famille de touristes et jolies filles en goguette commencent à s’échauffer. La nuit est jeune, à nous d’être gais.
Infos pratiques: Madame Arthur, 75 bis, rue des Martyrs, Paris XVIIIe (Métro Pigalle).
Représentations toutes les semaines du jeudi au samedi: 21h dans la salle du Divan du Monde, 23h chez Madame Arthur.
Club de 00h à 6h.
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